Cet article sur Jean 6.22-65 a pour sujet le discours qui suit la multiplication des pains, où Jésus déclare être le pain de vie descendu du ciel afin de nourrir et désaltérer ceux qui ont faim et soif de Dieu.

Source: Les miracles de Jésus. 4 pages.

Jean 6 - L'autre pain

Jean 6.22-65

« L’homme ne vivra pas de pain seulement. » Cette parole, Jésus l’avait empruntée à l’Ancien Testament, pour l’opposer au tentateur. « L’homme ne vivra pas de pain seulement, mais de toute Parole qui sort de la bouche de Dieu » (Mt 4.4).

Dans son remarquable essai Les nourritures psychiques, Raymond Rayer, qui apparemment ne confesse pas la foi chrétienne, nous dit quel genre de pain cherchent à consommer les modernes :

« Ils cherchent ailleurs que dans les rites religieux une nourriture psychique, épicée. Les cris et les larmes des vedettes du spectacle, du sport, de la politique remplacent les larmes du prisonnier que l’on mène au couteau du sacrificateur. Ils ne renoncent pas pour autant à la nourriture de l’esprit, sous forme de croyances en des idéologies qui prétendent donner un sens à leur vie et qui alimentent leurs activités. Ils s’engagent pour tel parti, pour la société désaliénée, pour le progrès qualitatif, pour la justice et la vie communautaire, pour ou contre la nation, pour la race ou contre le racisme. Ces idéologies s’incarnent, elles aussi comme des messages spirituels ou religieux. Elles se fixent sur des personnages sacrés, qui ont leurs apôtres et leurs disciples jaloux. La nourriture psychique est à base de sensations, de spectacles qui nourrissent leurs instincts et des appétits psychiques. Tous les genres de nutrition sont à base d’informations : expressives, incarnées, individualisées.
Les intercesseurs psychiques deviennent plus importants que les dieux de jadis. Les épidémies idéologiques se dédoublent d’épidémies psychiques qui deviennent rapidement plus importantes. Les cheveux longs contestataires expriment les idées, puis remplacent les idées. Les peuples sont mus par leurs envies, leurs souvenirs, les fantaisies de leur imagination, aussi bien que par les intérêts ou les idées. Les cris qui s’élèvent des rues n’ont guère de sens. Ils ne signifient que : tenez compte de nos passions, de nos illusions, de nos bêtises et nourrissez-les. Le besoin de nourriture psychique est la boîte à surprise de l’histoire. Il y a une faim, un appétit, une gastronomie psychique. Elle se repaît d’hyperpolitisation. S’il existe des sex-shops, il existe aussi des “politique-shops”. Les néomanies, c’est-à-dire les cultes de la nouveauté, sont à la solde des marchands de bonheur ou des marchands d’angoisse. Les hommes sont à la traîne des super-décideurs, envoûtés par la technique magique du succès. Ils sont les adorateurs des héros anciens ou modernes, des surdoués, dont les exploits fascinent : Gargantua, Till L’Espiègle, Fortunatus, Robin des Bois, d’Artagnan, Monte-Cristo, et de nos jours de James Bond. »

Comme le pain matériel, toute nourriture psychique présuppose pour certains ce qui n’est que terrestre, et dont on se contente sans autre. La nourriture psychique se prend pour la vérité absolue, pour la réalité ultime. Celui qui la fabrique et ceux qui la consomment s’imaginent y trouver la réponse à leurs interrogations. Le dogme moderne, plus intangible que tous ceux du passé, décrète ex cathedra : Tout est unidimensionnel!

En un temps où sévissent les conformismes et où le prêt à consommer et le prêt à penser s’étalent dans des boutiques et s’exhibent dans les devantures, nous avons à nous rappeler d’urgence un discours de Jésus, dont l’Évangile selon Jean nous a laissé l’immortel et émouvant récit.

Nous savons par expérience que les nourritures terrestres, qu’elles soient matérielles ou psychiques, et toujours affichées au menu du jour, ne satisfont pas notre cœur et n’apaisent pas notre faim. Comment le pourraient-elles, puisqu’elles prétendent se substituer à Dieu? Mais la foule qui court après ce pain frelaté et le réclame à cor et à cri, y trouve-t-elle vraiment satisfaction? Assurément pas, puisqu’elle reste, jour après jour, insatiable.

Un jour pourtant, au cours de notre histoire, lors d’un événement miraculeux, quelqu’un déclarait cette incroyable parole : « Je suis le pain de vivant descendu du ciel » (Jn 6.51). Parlons donc de Jésus, le Christ, celui qui dit : « Je suis le pain de vie » (Jn 6.48).

Les quatre Évangiles ont tous, avec de très légères variantes, rapporté le miracle de la multiplication des pains, nourrissant et rassasiant une foule de 5000 personnes. Le quatrième Évangile rapporte le récit du miracle qui servira d’introduction au grand discours du chapitre 6, celui sur le pain de vie. Je passe outre les détails du récit et, pour rester fidèle à l’esprit de l’évangéliste, tout en accordant sans réserve foi au miracle matériel, j’en soulignerai plutôt la signification spirituelle.

Après Jérusalem, où les chefs religieux l’avaient traité avec la plus grande hostilité, Jésus s’en va en Galilée où le même drame va se reproduire. La foule ignorante acclame Jésus lorsqu’il accomplit des miracles, mais son matérialisme et sa superstition l’empêchent d’en saisir le sens profond. C’est bien ce qu’annonçait le prologue de l’Évangile selon Jean : « La lumière est venue chez les siens, et les siens ne l’ont pas reçue » (Jn 1.11). La foule n’avait pas saisi la portée du miracle de la multiplication des pains tout en disant que Jésus était l’homme qu’il lui fallait. Peu sensible à ses discours, elle se contentait d’un discours matériel, poursuivant Jésus à travers villes et campagnes, excitée par un enthousiasme impur. Certes, ces hommes ont faim, et le Maître de toutes choses, lui qui n’a pas voulu se servir de son pouvoir pour se rassasier dans le désert, leur donnera du pain. En effet, lui, et après lui le christianisme, n’a jamais prêché un spiritualisme désincarné, car il s’adresse à l’homme dans sa totalité. Le Seigneur connaît par expérience les exigences de la vie physique, car il a eu lui aussi faim et soif. Si l’homme ne doit pas vivre de pain seulement, il doit cependant vivre aussi de pain. Jésus affirme ainsi, et l’Église avec lui à travers les différents régimes sociaux, la nécessité d’une vie matérielle décente pour tous les hommes.

Mais la foule, émerveillée par la puissance du Christ, le poursuit et veut le faire roi. Douloureuse parodie de la vraie royauté du Seigneur. Les hommes n’ont pas tort de reconnaître en lui leur Roi, mais ils ont tort de vouloir se servir de lui au lieu de le servir. Jésus se détache de la foule. Et lorsque le lendemain il les accueille de nouveau, ses propos font l’effet d’une douche froide. Sa mission, leur explique-t-il, consiste à satisfaire d’abord et essentiellement le plus grand besoin des hommes : apaiser leur faim de Dieu et leur soif de réconciliation. Il dévoile alors le secret de sa personne et explique le sens véritable de sa mission. « Je suis le pain de vie. » N’importe quel conducteur d’hommes ayant la conviction d’impartir une vérité spirituelle aurait tenu un langage plus convenable. Avec Jésus, nous nous trouvons en face d’un discours exceptionnel : Le pain de vie c’est moi.

Comprenons bien que séparer ce que le Christ donne de ce qu’il est est absolument impensable. Je note, comme chacun, qu’il serait commode de souscrire aux vérités prêchées par d’autres maîtres… sans pour autant les suivre. Mais dans le cas de Jésus, il est inconcevable de séparer sa personnalité des discours qu’il prononce et des actes, ordinaires ou miraculeux, qu’il accomplit. « Je suis le pain de vie. »

Que Jésus puisse donner autre chose que du pain ordinaire, voire des nourritures spirituelles, c’est déjà extraordinaire! Mais qu’il soit le pain en personne, cela nous dépasse totalement, et il ne serait pas le pain de vie s’il n’était pas descendu du ciel. Sa venue ici-bas a créé le lien impérissable entre le ciel et la terre, Dieu et l’homme, et depuis nous savons plus sûrement encore que plus rien n’est unidimensionnel. Ni les hommes ni le monde. Jésus lui non plus n’est pas unidimensionnel. Il est Dieu et homme, une seule personne en deux natures : divine et humaine.

Jésus ajoute une affirmation de plus, plus déroutante que la première : « Le pain que je donnerai c’est ma chair » (Jn 6.51), c’est mon corps. Propos qui va provoquer un beau scandale! Quelle horreur, durent se dire ces gens de la bourgade de Capernaüm; manger la chair d’un homme! Impossible, cette phagie-là ne peut pas être de la bonne religion. Il nous faut une religion élevée, spirituelle avec des idéaux moraux, une perfection dans les mœurs et une parfaite justice. Mais manger la chair de Jésus; nous le refusons catégoriquement. Pourtant, il s’agissait bel et bien de cela dans le discours de Jésus. Car son discours prédisait, à l’approche de la fête de Pâque juive, sa mort sur la croix et son sacrifice expiatoire.

Christ est bien cela; le pain descendu du ciel, sa chair meurtrie sur la croix, le sacrifice expiatoire offert pour notre rédemption. Sinon il n’est rien. Peu importe qu’il produise une grande impression sur vous. Peu importe la vénération que vous lui vouez. Si sa chair et son sang ne vous nourrissent et ne vous abreuvent, vous mourrez dans votre faim et vous serez torturés sans cesse par votre soif existentielle. Qu’on ne demande pas aux chrétiens, aux chrétiens qui ont reconnu en lui le pain de vie et qui se sont abreuvés de l’eau vive, un autre Christ que celui de l’Évangile de Jean, le Christ des quatre Évangiles. Qu’on ne cherche pas dans le véritable christianisme une alléchante nourriture psychique parmi tant d’autres. Que les chrétiens eux-mêmes ne soient point déroutés par l’incompréhension et les calomnies, ou encore par les accusations des non-chrétiens lorsqu’ils prêchent ce Christ-là. Le Christ des Évangiles ne supporte aucune transmutation, ni matérielle ni psychique. Et que la sainte Cène, que nous célébrons chaque fois avec tant d’émotion, puisse nous renvoyer vers le vrai pain descendu du ciel.

« Celui qui vient à moi n’aura jamais faim, et celui qui croit en moi n’aura jamais soif », affirme Jésus (Jn 6.35). Sa personne nous nourrit par la présence de son Esprit dans nos vies. Nous ne parlons pas ici d’une mystique insondable, mais de son union avec nous, que seule notre foi saisit et à laquelle elle rend un témoignage reconnaissant. Vous attardez-vous encore en ce moment devant ces nourritures qu’on dit psychiques, voire spirituelles? Devant un pain qui périt et ne nourrit pas? Mangez du pain descendu de la part de Dieu. Pourquoi dépenser vos forces pour acquérir ce qui ne profite à rien?

Le dernier soir, avant sa passion, le Sauveur du monde s’adressa à ceux qui restèrent attachés à lui jusqu’au dernier moment : il leur dit : « Prenez, mangez, ceci est mon corps » (Mt 26.26). Jésus-Christ nous donne encore l’autre pain, le pain de vie.