Cet article sur Joël 2.28 et Actes 2.16-17 a pour sujet le don de l'Esprit accordé à l'Église le jour de la Pentecôte, qui fait de tous les chrétiens des prophètes de Dieu, ses porte-parole, et des visionnaires de son Royaume.

Source: Méditations sur les fêtes chrétiennes. 4 pages.

Joël 2 - Actes 2 - Des prophètes et des visionnaires Message de la Pentecôte

« Après cela, je répandrai mon Esprit sur toute chair; vos fils et vos filles prophétiseront, vos anciens auront des songes, et vous jeunes gens des visions. »

Joël 3.1

« Mais c’est ce qui a été dit par le prophète Joël : Dans les derniers jours, dit Dieu, je répandrai de mon Esprit sur toute chair; vos fils et vos filles prophétiseront, vos jeunes gens auront des visions, et vos vieillards auront des songes. »

Actes 2.16-17

Que pourraient signifier, à notre époque, les termes de « prophètes » et de « visionnaires »? La culture post-chrétienne et la mentalité sécularisée ignorent, lorsqu’elles ne les récusent purement et simplement, cette idée propre à la Bible. Qu’est-ce qu’un prophète? Aurait-on recours à lui pour les choses dites spirituelles, tandis que le savant ou l’expert technicien sont les personnes censées résoudre nos problèmes terre à terre? Le prophète serait-il l’homme revêtu d’un pouvoir extraordinaire et magique, une sorte d’augure, l’équivalent ancien de celui ou celle qui, de nos jours, prétend lire dans une boule de cristal?

Dans la Bible, le prophète est avant tout l’oracle de Dieu, son messager plénipotentiaire, transmettant avec autorité sa Parole immuable, mais circonstancielle, annonçant ses desseins éternels; et ce avec d’autant plus de courage qu’ils n’ignoraient pas les graves ennuis que leur discours pouvait leur coûter. Si le prophète est une figure exceptionnelle parmi les gens de l’ancien Israël, il ne l’est qu’à ce titre-là.

Tous les Israélites n’étaient pas des prophètes. Dans ce peuple de l’ancien Orient, il y avait, d’une part, le prophète visionnaire, oracle de Dieu, et d’autre part et en face de lui des gens attentifs ou détracteurs, disposés à l’écoute et à l’obéissance de la Parole de Dieu ou endurcis dans leur révolte. D’un côté, une masse de gens religieux adonnés à une pratique routinière, familiers de formules stéréotypées, et au milieu de celles-ci des hommes d’une haute stature spirituelle et intellectuelle, porte-parole de Dieu. L’Esprit les avait saisis de telle manière qu’ils devenaient les intimes de Dieu, sans intermédiaire, à qui il dévoilait ses pensées et annonçait ses jugements.

Le prophète était un homme parmi des milliers et des dizaines de milliers, parfois même le seul durant une génération entière. Un homme exceptionnel au service de Dieu et, par conséquent, sentinelle vigilante parmi les hommes pour leur bien. Le discours de l’un d’entre eux, Joël, vient contredire tout à coup cette immuable classification entre le petit groupe prophétique et l’ensemble d’un peuple. « Viendra le jour, annonce Joël, où tous vos fils et filles prophétiseront, vos vieillards feront des songes et parleront comme des oracles de Dieu. » À vrai dire, avant Joël, un autre chef et prophète, Moïse, celui qui avait été chargé de conduire un peuple de nomades fugitifs hors de l’esclavage, avait tenu un discours semblable. Il désirait, que dis-je!, il annonçait un régime tel que le peuple tout entier serait un corps de prophètes, c’est-à-dire que la fonction prophétique serait transformée en sacerdoce universel. « Puisse tout le peuple de l’Éternel être composé de prophètes, et veuille l’Éternel mettre son Esprit sur eux! » (Nb 11.29). L’Esprit devait souffler pour animer et pour inspirer les enfants et les adultes, afin de faire d’eux un peuple placé sous l’ordre de Dieu et lié à son service.

Joël, l’un de ses successeurs, déclare la même universalité de la vocation et le même exercice de cette fonction. Ainsi, tout homme et toute femme auront non seulement libre accès auprès de Dieu, mais encore le privilège de confesser son nom et d’être son porte-parole. C’était prévoir une égalité devant Dieu qu’aucun système ecclésiastique n’aurait pu instaurer ni même imaginer.

Ce discours était-il une promesse généreuse, mais sans lendemain? Non, car le texte du Nouveau Testament que nous avons cité dans le livre des Actes (une partie du discours de l’apôtre Pierre) réitère et confirme la promesse ancienne et en annonce l’accomplissement. Ce que Moïse avait prévu et que Joël avait prophétisé des siècles auparavant devenait, en ce jour mémorable, une réalité. L’œil de la foi apercevait le don universel de l’Esprit de Dieu. Les rues de Jérusalem, qui jadis avaient recueilli l’écho de la voix d’un visionnaire solitaire, faisaient à présent écho, au milieu de la stupéfaction générale, à un discours annonçant un fait accompli.

Des hommes simples tels que Simon Pierre, un pêcheur de la Galilée, André et Jean, Jacques, ainsi que tous leurs compagnons, parmi lesquels des femmes, partageaient la même vision dans la communion de la foi. Exaltés sans doute, mais point déments. Eux, gens du peuple à peine reconnus, encore moins respectés, devenaient soudain, sous le souffle transformateur et miraculeux de l’Esprit, les membres d’une élite, du peuple choisi par Dieu.

Cet événement à son tour, après l’incarnation de la nativité, la crucifixion et la résurrection attestée par les disciples, vient fonder la foi et jeter les bases d’une Église chrétienne universelle. L’Église née le jour de la Pentecôte ne connaît plus de castes et n’admet aucune discrimination religieuse. Dieu se fait connaître à chacun; aucun barrage ne subsiste désormais entre lui et les siens. Il n’existe pas d’autres intermédiaires entre lui et les hommes que Jésus-Christ, le Pasteur unique et universel de son Église, présent, actif et puissant par son Esprit et par sa Parole divine.

Toute l’actualité de la Pentecôte éclate dans ce fait. Si nous la commémorons encore aujourd’hui, la raison en est que Dieu nous est devenu accessible, à vous et moi, pécheurs condamnés, mortels, à bout de souffle et aliénés de Dieu, appartenant à des races et à des peuples différents, habitant des continents éloignés les uns des autres, parlant les langues et les dialectes les plus divers. À la suite de Moïse, de Joël, de Pierre et de leurs successeurs, nous croyons que nous sommes devenus le peuple de prophètes et de visionnaires du monde nouveau. Ceci pourrait se prêter à un certain malentendu; qu’il me soit permis de l’éliminer.

Une expression fort connue dans les Églises issues de la Réforme parle du « sacerdoce universel des chrétiens ». Nous devons souligner que la Réforme du seizième siècle reconnut aussi bien le ministère de la Parole de Dieu que celui d’enseignant ou de docteur en théologie, celui d’ancien, conducteur dans l’Église, autant que celui du diacre, serviteur dans les choses matérielles. Mais à la redécouverte du sacerdoce universel, l’homme et la femme chrétiens connurent une véritable libération et purent jouir de leurs nouveaux privilèges sous le régime nouveau instauré à la Pentecôte.

Je songe à ces innombrables figures chrétiennes, du passé ou du présent, qui apparemment n’ont rien de distinctif qui puisse les mettre en évidence et que nous rencontrons parfois sur notre chemin sans les reconnaître, parfois en les reconnaissant, selon les circonstances. Cet homme assis sur la banquette du métro, les traits tirés après une journée de travail harassante; cette vendeuse dans un grand magasin, ou encore le médecin ou l’infirmière se dépêchant d’une chambre à l’autre dans un hôpital, ou l’étudiant ou l’étudiante dans l’université ou dans un institut technique. Sans ostentation ni auréole extérieure, ils vivent leur vocation dans une fidélité quotidienne qui ne se lasse pas, un courage qui les forme et qui les apprête pour un combat incessant et pour une confession de foi toujours renouvelée.

Je tiens à signaler un cas qui me tient à cœur. Elle repose, depuis plusieurs années, dans la paix du Seigneur. Avancée en âge, impotente, ayant perdu la mémoire et parfois l’esprit, les dernières paroles que je recueillis de sa bouche furent : « Nous allons vers eux, vers les saints, il vient, il vient, le Royaume! » Et aussitôt, elle se mit à réciter l’oraison dominicale. Elle s’éteignit dans la paix du Seigneur le jour suivant. Cette vieille chrétienne n’était autre que ma propre mère, celle qui m’avait transmis la foi dès mon plus jeune âge et qui m’avait fait part de ce que j’appelle la vision réelle du monde nouveau, création de l’Esprit et de la Parole. Ainsi, me dis-je, l’esprit et la lucidité peuvent abandonner l’être humain, cela arrive à beaucoup dans leur vieil âge, y compris chez les chrétiens, mais l’Esprit du Christ affermira, au seuil même de la tombe, la certitude de leur salut et parfois leur accordera même la vision glorieuse du Royaume dont ils vont franchir le seuil.

Pentecôte, faut-il le redire, est liée à Jésus de Nazareth, et l’Esprit Saint est son Esprit. Le Christ reste l’unique intermédiaire entre Dieu et nous, son peuple. Il recueille notre foi et sanctifie nos louanges. C’est lui qui nous confère le ministère de prêtres et de rois accordé par Dieu en personne. Pentecôte rend témoignage à nos esprits de ce que, grâce à sa mort et à sa résurrection, le Christ nous a conféré le don universel de visionnaires du Royaume éternel de Dieu.