Cet article a pour sujet l'admission à la sainte Cène et la supervision de sa célébration selon Jean Calvin. La participation légitime à la Cène est la responsabilité du croyant qui doit s'examiner, et des anciens qui doivent évaluer la doctrine et la conduite des participants.

4 pages. Traduit par Paulin Bédard

L'admission à la sainte Cène selon Jean Calvin

D’après le Catéchisme de Heidelberg, la participation légitime à la sainte Cène est la responsabilité de deux parties : le croyant individuel et l’Église instituée. L’initiative de l’individu est exprimée par la question « Quels sont ceux qui doivent venir à la table du Seigneur? »; celle de l’Église est exprimée par les mots « Faut-il aussi admettre à la sainte Cène…? » Alors que la première question traite de la bonne façon de s’examiner soi-même, la deuxième se rapporte au devoir des officiers ordonnés en vue de préserver la pureté du sacrement. Cette combinaison d’une réflexion personnelle et de la discipline de l’Église dans le Catéchisme était anticipée dans l’ordre ecclésiastique de Genève composé en 1537 par Jean Calvin et ses collègues pasteurs. Nous y lisons que les éléments devraient être reçus « avec si bonne police [ordre] que nul n’ose présumer de soi y présenter sinon saintement et en singulière révérence. Et pour cette cause est nécessaire, pour bien maintenir l’Église en son intégrité, la discipline…1 » Le bon exercice de ces responsabilités individuelles et collectives a pour résultat une participation adéquate à la table du Seigneur.

Lorsque l’individu se prépare à la célébration de la Cène, il doit s’examiner lui-même. L’apôtre Paul en 1 Corinthiens 11.28-29 nous commande de faire cet auto-examen important et inclut l’avertissement selon lequel « celui qui mange et boit sans discerner le corps mange et boit un jugement contre lui-même ». Il n’est toutefois pas du devoir de l’individu d’examiner les autres. Calvin fait remarquer que les Écritures ne nous ont pas commandé « de regarder autour de nous s’il n’y avait pas, près de nous, quelqu’un dont l’impureté nous aurait contaminés2 ». À propos de l’admission à la table, il écrit : « Car personne n’a le pouvoir de discerner qui doit être reçu ou écarté. Cette autorité appartient à l’Église, puisque cela ne peut se faire sans ordre légitime3 ». En d’autres mots, bien que chaque croyant doit être certain de participer aux éléments d’une manière digne, c’est également la tâche des anciens de s’assurer que le corps et le sang du Seigneur ne soient pas profanés. Cette distinction n’implique pas que la discipline chrétienne ne concerne pas l’individu; mais bien que la responsabilité de la discipline soit individuelle, son exercice à la table est collectif. Afin de maintenir la pureté du sacrement, l’individu et l’Église ont des devoirs respectifs.

Colossiens 1.24 enseigne que l’Église est le corps du Seigneur Jésus-Christ. L’Église et le Christ sont un, écrit Calvin, car « le Christ ne sera pas et ne peut pas être déchiré de son Église à laquelle il est uni par un lien indissoluble, comme la tête au corps4 ». Par conséquent, « personne ne peut s’incliner devant Jésus-Christ dans la soumission sans également obéir à l’Église5 ». Bien entendu, c’est le Seigneur Jésus-Christ seul qui rassemble et défend son Église; cependant, puisqu’il en est la Tête, il exerce son autorité à travers le corps qu’est son Église, à qui il a confié les clés du Royaume des cieux (Mt 16.19; 18.17-18; Jn 20.22-23).

D’après Calvin, le but premier de l’autorité ecclésiastique est de promouvoir la gloire et l’honneur de Dieu, qui est illustré dans la célébration du sacrement6. L’Église doit exercer une supervision particulièrement à cette occasion, écrit Calvin, car l’Église qui est le corps du Christ « ne peut être contaminée par des membres pourris sans que la honte n’en rejaillisse sur son Chef7 ». Les Écritures commandent au peuple de Dieu d’être saint comme il est saint. Paul en 1 Corinthiens 5.7-8 demande à l’Église d’ôter le vieux levain de mal et de méchanceté et de « célébrer la fête […] avec les pains sans levain de la sincérité et de la vérité ». Par conséquent, l’ordre ecclésiastique de 1537 affirme ceci : « Il nous faut donner de garde que cette pollution » d’une participation indigne à la table du Seigneur, « qui rejaillit tellement au déshonneur de Dieu, ne soit vue entre nous par notre négligence ». Cela ne signifie pas que la table ne puisse pas être déshonorée par des hypocrites comme Judas — l’avertissement solennel de s’examiner soi-même rappelle à de telles gens que leur fausse parole et leur faux comportement sont connus de leur Créateur omniscient et de leurs propres cœurs. La discipline commune ne s’étend pas au-delà de la profession publique et de la conduite. Calvin écrit que la discrétion dans l’admission à la table devrait être exercée « par la juridiction de l’Église »; il faut que la Cène « ne soit point profanée en étant distribuée indifféremment à tous8 ».

Par conséquent, les officiers ordonnés ont une lourde responsabilité, eux qui doivent professer « une saine doctrine et avoir une vie sainte; et ne doivent pas cultiver un vice notoire qui les rende méprisables et jette le discrédit sur leur ministère (1 Tm 3.2-7; Tt 1.7-9)9 » à la parole et aux sacrements. « Il est certain, en effet, que celui qui est chargé de la présider [la sainte Cène], s’il y admet quelqu’un qu’il devrait et pourrait repousser, est coupable de sacrilège, comme s’il donnait le corps du Seigneur aux chiens.10 ». Le Catéchisme de Heidelberg mentionne que si les personnes qui sont admises à la sainte Cène se montrent infidèles et impies par ce qu’ils déclarent et vivent, « l’alliance serait alors profanée et la colère de Dieu excitée contre toute la communauté » (Q&R 82). Puisque les conséquences d’une participation illégitime au sacrement sont si désastreuses, l’ordre ecclésiastique de Genève conclut ainsi : « Il faut donc que ceux qui ont la puissance [le pouvoir] de faire cette police [cette règle] mettent ordre que ceux qui viennent à cette communication soient comme membres approuvés de Jésus-Christ. »

Des membres approuvés de Jésus-Christ sont ceux dont la confession et la vie montrent qu’ils lui appartiennent, qu’ils « participent à son corps et à son sang » par la foi. Jésus-Christ a institué la Cène uniquement pour ses croyants, afin de confirmer la foi de ceux qui ont été sauvés par grâce, par l’écoute de sa Parole. Puisque le sacrement est la « parole rendue visible », elle vient appuyer l’Évangile. Par conséquent, contrairement au sacrement du baptême qui peut être administré à ceux qui ne comprennent pas, la Parole de Dieu « ne permet pas que la cène soit offerte si l’on n’est pas capable de discerner le corps du Seigneur, de s’examiner et de s’éprouver soi-même, d’annoncer la mort du Seigneur11 ». Puisque la foi est prérequise à l’admission à la table, la personne dont la confession et la conduite montrent qu’elle est incroyante « doit être privée de la communion de la Cène, jusqu’à ce qu’elle ait donné des signes de repentance12 ».

Martin Bucer, l’auteur principal de l’ordre ecclésiastique de Cologne, note que le Seigneur Jésus :

« … a célébré la Cène uniquement avec les douze et seulement après leur avoir beaucoup prêché; il l’a fait seulement une fois; c’est la raison pour laquelle nous croyons que le repas du Seigneur devrait être célébré seulement par ceux qui se soumettent entièrement au Christ, confirment avoir une connaissance complète de la doctrine évangélique, y croient pleinement et ne déclarent pas le contraire publiquement13 ».

Étant donné que seuls des membres approuvés du Christ peuvent s’approcher de la table du Seigneur, les ordonnances de Genève (1541) affirment que le dimanche précédant la célébration, une annonce sera faite afin :

« … qu’on exhorte tous étrangers et nouveaux venus de se venir premier [d’abord] présenter à l’église, afin d’être instruits […] et ainsi que nul n’en approche à sa condamnation14 ». Bref, « personne ne doit être reçu au repas à moins qu’il ait d’abord fait confession de sa foi15 ».

Une célébration adéquate de la Cène promeut non seulement l’honneur de Dieu et la pureté de son Église, mais également l’unité des membres du corps du Christ qu’ils sont seuls à partager ensemble. Cette unité est fondée sur le lien d’amour qui existe entre le Seigneur Jésus-Christ et les croyants par la puissance du Saint-Esprit. Le Catéchisme de Heidelberg dit que manger le corps crucifié et boire le sang versé du Christ signifie que nous sommes « de plus en plus unis au corps sacré de Jésus, par le Saint-Esprit qui habite en lui et en nous » (Q&R 76). Le lien d’amour entre le Christ qui est la Tête et l’Église, son corps, produit un lien « horizontal » entre les membres eux-mêmes. L’apôtre Paul en 1 Corinthiens 10.17 affirme que « puisqu’il y a un seul pain, nous qui sommes plusieurs, nous sommes un seul corps; car nous participons tous à un même pain ». Par conséquent, écrit Calvin, comme dans « un miroir », de même dans la Cène « nous pouvons voir que Dieu non seulement habite au milieu de nous, mais qu’il habite également en chacun de nous16 ». La célébration de la Cène manifeste le corps du Christ qui est un.

L’unité du corps du Christ visualisée dans la célébration de la Cène a des implications non seulement sur les devoirs des anciens, mais également sur les devoirs des croyants individuels. Lors de l’auto-examen, le croyant doit se demander :

« si en toute confiance, il reconnaît que Jésus-Christ est son Sauveur et le dit en l’affirmant à haute voix, à l’exemple de Jésus-Christ; s’il est prêt à se consacrer à ses frères et à communier avec ceux dont il voit que Jésus-Christ est aussi le Sauveur; si comme il le confesse, il considère tous ses frères comme membres du corps de Jésus-Christ; s’il désire et est prêt à les secourir, les entretenir et les aider comme ses propres membres.17 »

Le repas du Seigneur est une fête de communion qui encourage les vrais croyants à cultiver la charité et la concorde, comme il convient aux membres d’un même corps. Le Catéchisme de Genève, composé par Calvin en 1537, explique la raison pour laquelle l’unité exprimée à la table concerne également les croyants individuels :

« Il ne pourrait pas y avoir d’aiguillon plus pointu pour nous inciter à l’amour mutuel parmi nous que lorsque le Christ, se donnant lui-même à nous, non seulement nous invite par son exemple à nous engager et à nous donner nous-mêmes les uns aux autres, mais également, lui qui se donne à tous, de même il fait de tous un seul en lui-même.18 »

Notes

1. Articles de 1537 concernant l’organisation de l’Église et du culte à Genève.

2. Institution, IV.1.15.

3. Institution, IV.1.15.

4. Commentaire sur Ézéchiel 13.9.

5. Commentaire sur Ésaïe 45.14.

6. Institution, IV.12.5.

7. Institution, IV.12.5.

8. Institution, IV.12.5.

9. Institution, IV.3.12.

10. Institution, IV.12.5.

11. Institution, IV.16.30.

12. Institution, IV.12.6.

13. Cité par G.J. van de Poll, Martin Bucer’s Liturgical Ideas (Assen, 1954), 82-3.

15. Ordonnances pour la supervision des Églises dans le pays, 1547. Library of Christian Classics, Vol. 22, 79.

16. Sermon sur 1 Timothée 3.14-15 dans Corpus Reformatorum 53.314.

17. Institution, IV.17.40.

18. Cité par I.J. Hesselink, Calvin’s First Catechism (Louisville, 1997), 35.