Les bonnes oeuvres
Les bonnes oeuvres
- Indifférence doctrinale et compromission
- La doctrine des bonnes œuvres
- Les idées relatives aux saints et à leurs œuvres
- La coopération de l’homme
- Qu’en est-il de la certitude du salut?
La Réforme du 16e siècle fut cette gigantesque révolution à la fois ecclésiastique, théologique et spirituelle qui ramena le peuple chrétien vers ses sources originales et ancra la foi de l’Église sur le fondement inébranlable de la seule Parole de Dieu : la Bible chrétienne, autorité suprême en matière de foi et de vie. Les acquis de la Réforme le resteront pour longtemps, à la fois comme le don que le ciel a fait à son peuple fidèle et comme le témoignage que ce dernier rendra au Dieu de son salut, en formulant correctement sa foi, son espérance et sa charité.
1. Indifférence doctrinale et compromission⤒🔗
Depuis peu, il y a de cela quelques décennies, un mouvement de rapprochement et de communion s’est engagé entre les chrétiens des Églises issues de la Réforme et ceux qui en sont séparés, qu’ils soient d’obédience romaine ou appartenant au christianisme de tradition dite orientale.
En France notamment, on célébrait à cet effet, il y a encore peu, une semaine dite de l’unité chrétienne. Durant mon ministère pastoral dans une Église réformée parisienne, nous organisions ces soirées de rencontre entre Églises réformées et des chrétiens d’autres communautés. J’insistais toujours, lors des préparatifs, sur la nécessité de nous engager tous autour d’études bibliques sérieuses, afin de mieux approfondir notre vocation chrétienne et donner des bases sérieuses et véridiques à notre recherche de l’unité. Mais chaque fois, ces propositions furent poliment refusées.
Je ne sais plus où en sont actuellement de telles réunions. A-t-on fait un pas en avant sur le chemin que non seulement moi-même, mais encore de nombreux chrétiens réformés avions indiqué? Quoi qu’il en soit, et du fait que les rites et les routines ne devraient nullement masquer les différences fondamentales, lorsqu’elles existent, entre les uns et les autres, qu’il me soit permis d’en signaler une et d’exposer deux points de vue.
J’aimerais consacrer cet exposé à la doctrine biblique des bonnes œuvres en comparant les positions réformées à celles des croyants d’autres familles chrétiennes. Bien entendu, à l’heure où un certain œcuménisme est devenu presque un dogme, il ne semble pas bienséant de signaler les divergences, encore moins de s’engager dans la polémique; d’ailleurs, je tiens à signaler que cette dernière n’entre nullement dans mes intentions.
Cependant, arrivés à ce point, une constatation s’impose : lorsque la controverse théologique fait défaut et que les polémiques cessent au profit d’un dialogue superficiel sous prétexte d’œcuménisme, alors on peut être sûr que l’Église, et ici je songe à l’Église de la Réforme, entre dans une ère où le soleil se couche à son horizon pour la plonger dans une longue nuit glaciale, celle de l’indifférence, de la nonchalance, de la compromission aussi, si ce n’est de la simple trahison! La controverse et le dialogue ont été depuis toujours des armes que la grâce a accordées au peuple de Dieu, afin que celui-ci conserve intacte et maintienne sans faux fuyants la foi transmise une fois pour toutes. Aucun mouvement œcuménique ne doit servir de prétexte pour mutiler la virilité d’une conviction biblique! Ajoutons aussi que, si nous aimons bien l’œcuménisme, nous aimons encore mieux l’Évangile selon l’Évangile.
2. La doctrine des bonnes œuvres←⤒🔗
Mais parlons donc du sujet proposé, c’est-à-dire de la doctrine des bonnes œuvres, car elle est d’une grande actualité.
Certes, la théologie réformée n’affirme pas que dans les communautés non réformées la grâce n’ait aucune place! D’autres chrétiens, séparés de la Réforme, y accordent également une grande importance. Par exemple, les catholiques romains affirment fortement l’impuissance foncière des hommes à réaliser tout seuls leur propre salut, sans l’aide de la grâce, et d’après eux celle-ci a une place décisive.
Inversement, les Romains s’imaginent que les Églises issues de la Réforme nient la possibilité ou tout au moins la nécessité des bonnes œuvres. Ce fut là l’erreur du Concile de Trente au 16e siècle. Or, une lecture des textes réformés, des confessions de foi et des catéchismes de cette époque montre avec la plus grande netteté à quel point une telle opinion est erronée. Sur ce point comme sur d’autres, la Réforme ne pouvait que s’en tenir à ce que dit l’Écriture, puisqu’elle affirmait sa souveraine autorité. Un bon arbre portera de bons fruits (Mt 7.16-20); la foi sans les œuvres est morte (Jc 2.26); nous serons jugés selon nos œuvres (Mt 25.14-46; 2 Co 5.10). Les bonnes œuvres sont le signe de la réalité et de la vérité de notre foi.
Ce qui va suivre est une légère adaptation d’une lettre pastorale qu’une Église réformée publiait au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et dont le contenu demeure à nos yeux valable, même après les développements du Concile Vatican II. Cette lettre pastorale avait été traduite en français et publiée aux Éditions Les Bergers et les Mages.
Il ne faudrait cependant pas croire que les romains ne tiennent aucun compte de la lutte engagée par l’apôtre Paul contre ceux qui voudraient se justifier eux-mêmes devant Dieu par leurs œuvres. L’Église romaine la conçoit comme un dépouillement des œuvres qui ne sont pas accomplies en état de grâce. Selon sa doctrine, ces œuvres ne sont jamais à même d’opérer notre justification devant Dieu. Ce n’est que quand la grâce nous précède et quand nous nous y abandonnons qu’il nous est possible d’accomplir des œuvres qui soient agréables à Dieu.
Et pourtant, ce n’est certes pas à tort que nous ressentons précisément sur cette question des bonnes œuvres une très profonde différence entre nous, réformés, et les communautés d’obédience romaine. Car pour ces derniers les bonnes œuvres faites avec l’aide de la grâce sont considérées comme méritoires. Tel catéchisme dit ce qui suit :
Q. 539. « Sommes-nous tenus d’accomplir de bonnes œuvres? Nous sommes tenus d’accomplir de bonnes œuvres, afin de mériter ainsi le ciel. »
Q. 541. « Quand nos bonnes œuvres sont-elles méritoires? Nos bonnes œuvres sont méritoires quand nous les faisons en état de grâce et pour l’honneur de Dieu. »
Le Concile de Trente s’exprimait également ainsi :
« … Tant s’en faut pourtant que le chrétien doive se confier ou se glorifier en lui-même et non pas dans le Seigneur, dont si grande est la bonté envers tous les hommes qu’il veut faire de ses propres dons leurs mérites. »
« Si quelqu’un dit que les bonnes œuvres d’un homme justifié sont tellement des dons de Dieu qu’elles ne soient pas aussi les mérites de cet homme justifié… qu’il soit anathème. »
Posons pour commencer la question : Nos bonnes œuvres sont-elles méritoires?
Nous rejetons cette doctrine. L’Écriture n’encourage pas cette idée. Cela découle de l’essence même de la foi. Le croyant se glorifie de la grâce de Dieu, et d’elle seulement. La possibilité, soulignée par le Concile de Trente, qu’un homme ne se glorifie qu’en Dieu seul, et que cependant et pour cette raison même il puisse parler de véritables mérites personnels n’est pas une possibilité biblique!
« Qu’as-tu que tu n’aies reçu? », demande l’apôtre. « Et si tu l’as reçu, pourquoi te glorifies-tu comme si tu ne l’avais pas reçu? » (1 Co 4.7).
« En ce qui me concerne, loin de moi de chercher ma gloire ailleurs que dans la croix de notre Seigneur Jésus-Christ » (Ga 6.14).
« C’est par la grâce en effet que vous êtes sauvés, par le moyen de la foi. Et cela ne vient pas de vous, c’est le don de Dieu. Ce n’est point par les œuvres, afin que personne ne se glorifie » (Ép 2.8-9).
Avec de telles affirmations, il ne reste plus aucune place pour parler, même au nom de la grâce, de mérites propres. Quand Paul en vient à glorifier ce que la grâce de Dieu a opéré en lui, il le fait de telle manière qu’il ne s’attribue rien à lui-même, mais qu’il impute toute la gloire à Dieu seul (par exemple 1 Co 15.10). Et quand ses adversaires le contraignent, un bref instant, à se glorifier de ses labeurs et de ses expériences (voir 2 Co 12.1-11), il déclare aussitôt avoir été insensé en se glorifiant (verset 11); il préfère, dit-il, se glorifier de ses infirmités et de ses faiblesses (versets 5 et 9), c’est-à-dire en celui qui lui a dit : « Ma grâce te suffit, car ma force s’accomplit dans ta faiblesse » (2 Co 12.9).
Avec la doctrine du mérite des bonnes œuvres, on abandonne le terrain de la foi, car la foi se glorifie seulement de la grâce, et il lui est impossible de parler de mérites personnels. Le croyant sait à quel point même ses œuvres les meilleures sont souillées par le péché et à quel point aussi, même pour ces œuvres, il doit entièrement compter avec le pardon de Dieu. En supposant le cas le plus favorable, il est obligé de dire : « Nous sommes des serviteurs inutiles, nous avons fait ce qye nous devions faire » (Lc 17.10). De telle sorte que, selon la parole du Christ, il n’attend de son Seigneur aucun remerciement. À tout ceci, les tenants de cette doctrine objectent que l’Écriture parle continuellement du « salaire » ou de la récompense qui attend les croyants fidèles dans l’éternité, et que cette manière de parler serait déplacée si ce salaire n’était pas fondé sur les mérites acquis dans la vie présente. Examinons donc la notion biblique de salaire.
Cette idée est plus ou moins explicitement exprimée dans de très nombreux passages (Ps 1; le livre des Proverbes en son entier; Mt 5.11-12; 19.27-29; 25.14-30; 1 Co 3.8; 2 Co 5.10; Ga 6.5-10; Hé 10.35; 11.6; Ap 22.12).
Cependant, il n’y est pas question d’un salaire selon les mérites. Le Seigneur lui-même coupe court à toute idée de ce genre aussitôt après sa déclaration de Matthieu 19 en racontant la parabole des ouvriers dans la vigne (Mt 20.1-16). Ces ouvriers, après avoir accompli un travail très différent, reçoivent tous le même salaire, et cela au nom de la bonté du Seigneur (verset 15) qui éconduit ceux qui réclament un traitement selon leurs mérites respectifs. Quand l’apôtre Paul affirme : « Celui qui fait une œuvre reçoit son salaire, non pas comme une grâce, mais comme un dû » (Rm 4.4), il exprime la même idée que nous retrouvons plus loin dans la même épître : « Le salaire du péché, c’est la mort; mais le don gratuit de Dieu, c’est la vie éternelle en Jésus-Christ, notre Seigneur » (Rm 6.23). Ces citations mettent suffisamment en évidence que la notion biblique de « salaire », loin d’inclure l’idée de mérite, l’exclut tout à fait.
On peut alors se demander pourquoi le Christ et les apôtres ont néanmoins employé ce terme à plusieurs reprises. Ils l’ont fait pour exprimer le lien indissoluble qui existe entre le chemin que nous choisissons de suivre dans le temps présent et ce qui nous attend dans l’éternité. Ils nous rappellent ainsi le sérieux de la vie présente, tout au long de laquelle nous devons veiller à ne pas perdre la récompense à venir (2 Jn 8), et ils encouragent l’Église par l’expectative de la joie qui succédera au combat (Mt 5.11-12). Le terme de « salaire » implique que la route que nous aurons suivie sur cette terre se prolonge dans l’éternité. Il permet d’exprimer la grandeur de la grâce. C’est par la grâce que Dieu se fait notre débiteur. Il veut nous donner encore infiniment plus qu’il ne nous sera jamais possible de recevoir ici-bas dans la foi et par l’expérience chrétienne. Lorsque nous marchons sur le chemin de la justification et de la sanctification, nous pouvons avoir l’assurance qu’il nous sera donné plus tard infiniment davantage. Dans l’Écriture, il n’est jamais question d’un salaire selon nos mérites, mais « d’une récompense » selon l’espérance de la foi, de la certitude que ceux qui ont placé leur espoir dans la bonté éternelle de Dieu ne seront jamais couverts de confusion.
Rappelons encore, pour être loyaux vis-à-vis d’autres chrétiens, que ceux-ci reconnaissent que mérite et salaire ne sont acquis qu’en vertu de la grâce. Mais on persiste à parler de mérite et de salaire. On maintient qu’un homme peut acquérir de vrais mérites. Ce faisant, on ne rend pas justice au sens et à la profondeur du langage de la Bible relatif à l’idée de salaire.
3. Les idées relatives aux saints et à leurs œuvres←⤒🔗
Arrêtons-nous un moment à la doctrine des saints et de leur intercession, intimement liée à la conception des œuvres et de leur salaire. Dans le Nouveau Testament, tous les croyants sont appelés « saints », en vertu de la sainteté du Christ qui leur est imputée et donnée. Mais certains confèrent à ce terme un autre contenu : on appelle « saint » ceux qui, en vertu de la grâce donnée, ont accompli plus de bonnes œuvres que Dieu ne l’exigeait et qu’il n’était nécessaire à leur propre salut. En vertu de la communion des saints dans l’Église, qui embrasse le ciel, la terre et le purgatoire, ces « œuvres surérogatoires » sont mises à la disposition de l’Église prise dans sa masse et, par le moyen des indulgences, elles peuvent alléger sur la terre et dans le purgatoire les peines de ceux dont les œuvres sont restées ici-bas en deçà des exigences divines.
En même temps, une action spéciale sur Dieu est attribuée à l’intercession des saints. En vertu de leurs mérites plus nombreux, ils jouissent auprès de lui d’une considération plus grande. En les honorant et en les invoquant, ceux qui du fait de leur indignité n’osent pas s’adresser directement à Dieu peuvent nourrir l’espoir que ces saints intercéderont pour eux. À ceci s’ajoute que les saints accordent encore leur aide d’une autre manière, par exemple par leur protection dans les dangers, la guérison dans la maladie, tout cela en vertu du haut degré de leur sainteté qui les élève très au-dessus des hommes ordinaires. En se développant, la vénération des saints est devenue tout un système dans lequel chaque homme, chaque ville, chaque profession possèdent son saint protecteur.
Nous devons rejeter ces idées et ces pratiques. Assurément, nous savons bien quelle est, dans l’Église de Jésus-Christ, la puissance de l’intercession des uns pour les autres! Mais rien ne nous a été révélé quant à l’exercice de cette intercession par ceux qui sont déjà au-delà du voile, au profit de ceux qui sont encore engagés dans la bataille ici-bas. En tout cas, nous estimons qu’il n’est pas permis d’invoquer les morts et de réclamer le secours de leur intercession. De plus, nous rejetons l’idée que la capacité de Dieu de nous écouter et de nous exaucer puisse dépendre de l’ampleur de nos mérites. Notre Dieu est précisément celui qui incline son oreille vers ceux qui, dans leur total dénuement et avec tous leurs péchés, se réfugient auprès de lui. Nous ne devons pas nous inquiéter en pensant que nous pourrions avoir besoin d’une autre médiation pour nous le rendre favorable, « car nous avons un Avocat auprès du Père, Jésus-Christ le Juste » (1 Jn 2.1). Pour l’amour de lui, nous pouvons nous approcher avec assurance du trône de la grâce et nous n’avons nul besoin de chercher quelque autre intercesseur.
Nous considérons l’idée que certains hommes auraient accompli des « œuvres surérogatoires » comme étant en contradiction avec Luc 17.10 et, en général, avec tout ce que nous avons reconnu plus haut comme l’enseignement même de l’Écriture sur les œuvres, le salaire et le mérite. Et nous sommes fortifiés dans cette conviction par toute la séquelle de pratiques superstitieuses que suscite la vénération des saints et, davantage encore, par le fait que cette vénération frise, à la limite, le polythéisme. Mais notre objection la plus sérieuse, celle qui est en réalité à la base des précédentes, c’est que l’attention portée aux saints, et surtout celle portée Marie, obscurcit la splendeur de la grâce du Christ.
Nous savons bien que les catholiques romains la contestent et prétendent même le contraire, affirmant que la puissance de la grâce du Christ brille d’un éclat tout particulier dans la gloire même des saints. Mais le saint véritable c’est celui qui ne se glorifie de rien d’autre que de la sainteté de Jésus-Christ, et qui ne fait rien d’autre que de désigner du doigt sa grâce merveilleuse. Les « saints » de ces communautés dissidentes par rapport à l’Écriture tiennent une place beaucoup trop indépendante et, par la médiation qu’ils exercent en vertu de leurs mérites entre Dieu et les pécheurs, ils ne peuvent qu’assombrir à nos yeux la lumière de la miséricorde divine.
J’aimerais ouvrir à cet endroit une parenthèse à l’aide d’une vieille légende, d’après laquelle Dieu avait voulu récompenser un saint homme dont le témoignage admirable était à sa la seule gloire. Des porte-parole du ciel l’interrogèrent pour savoir quelle grâce et quel don il aurait désirés. Après beaucoup d’insistance de leur part et d’hésitation de la sienne, la grâce que le saint demanda est que son ombre ait le pouvoir de guérir des malades et de soulager des malheureux afin que personne ne le sache et qu’il ne puisse tirer aucune vanité de ses bonnes œuvres…
Légende sans aucun doute, mais quelle extraordinaire leçon d’humilité elle véhicule! Combien cette attitude contraste avec celle de tant de nos contemporains, dont les noms figurent à la une de la presse écrite ou télévisée et qui gagnent non seulement des mérites surérogatoires, mais encore des prix Nobel de bienfaisance! Où se trouve, en tout ceci, l’humilité chrétienne et la recherche de la seule gloire de Dieu? Il nous semble que le saint de notre légende avait parfaitement saisi le sens de la parole du Christ, qui exhortait qu’on fasse l’aumône sans faire sonner des trompettes et que ce que fait la main droite ne soit pas connu de la main gauche… En ce qui concerne les bonnes œuvres, on doit encore lire beaucoup l’Évangile et apprendre ce que le Christ nous dit à ce propos.
4. La coopération de l’homme←⤒🔗
De tout ce qui précède, il ressort que dans ces milieux-là l’homme occupe une place bien plus indépendante vis-à-vis de la grâce que celle que l’Écriture sainte nous autorise à lui concéder. Malgré l’accent que l’Église romaine place sur la grâce, elle maintient qu’elle reste stérile lorsque l’homme ne coopère pas avec elle, en sorte que la grâce de Dieu et les œuvres de l’homme, tout en soulignant que la grâce les précède, sont considérées comme deux facteurs qui se déterminent mutuellement et dont chacun est indispensable au salut de l’homme. Quant à nous, nous ne nions pas l’existence des bonnes œuvres, mais elles nous apparaissent dans l’Écriture comme les fruits du bon arbre, comme des signes indispensables de la grâce de Dieu, mais non des œuvres pouvant retenir, augmenter ou compléter la grâce.
Dans la doctrine romaine, les bonnes œuvres prennent une telle importance et une telle proportion en tant qu’éléments indépendants et concrets qu’elles ne rendent plus justice à la manière dont l’Écriture en parle. Dans la Bible, en effet, les œuvres ne sont jamais séparées de la personne qui les accomplit et de son attitude personnelle envers Dieu et le Saint-Esprit qui les opère en nous d’autre part (Mt 7.17; 15.18-20; Ga 5.22; Ép 5.9). Dans l’Écriture, toutes nos œuvres sont ramenées à une seule (1 Co 3.13; Ga 6.4; Ph 1.6; Col 1.10), celle de la foi en qui toutes les œuvres sont fondées (Jn 6.29; Rm 14.23; 1 Th 1.3); et l’Écriture insiste essentiellement sur le fait que c’est Dieu lui-même qui opère ces œuvres en nous (1 Co 12.6; Ph 2.13; Ép 2.10).
Il est impossible de faire droit à tout ceci lorsque, comme dans la communauté d’obédience romaine, l’homme est exhorté à accomplir de bonnes œuvres en raison des mérites que celles-ci peuvent lui acquérir. Ces œuvres sont, chacune pour son propre compte, considérées d’une manière casuistique comme ayant un degré de valeur dans l’échelle des mérites assignés à chacune d’entre elles. Il est dès lors inéluctable que nous nous retrouvions dans la maison de servitude et sous la malédiction de la loi, et alors la grâce ne sera rien d’autre que le pouvoir de continuer à nous efforcer d’acquérir des mérites.
La lutte entreprise par l’apôtre Paul pour la grâce face à la loi vise également cette attitude de l’esprit. Car ce n’est pas le fait que nos œuvres soient accomplies « en état de grâce » qui tranche la question de savoir si elles sont de bonnes œuvres, mais le fait de les accomplir dans le but de louer Dieu de sa grâce imméritée et par reconnaissance pour l’œuvre accomplie par Jésus-Christ. Dès que nous considérons et interprétons les bonnes œuvres comme une obligation pour accumuler des mérites, alors, comme le dit l’Écriture, nous sommes coupables d’anéantir, par ces œuvres mêmes, la grâce de Dieu (Ga 2.21); ces œuvres ne sont plus alors « que des œuvres mortes » (Hé 6.1,9; 9.14). Contre tout cet effort légaliste, si respectable peut-il être selon les normes humaines, tendant à l’acquisition de mérites personnels, il faut résolument opposer l’affirmation de saint Paul : « Aucun homme ne sera justifié devant lui par les œuvres de la loi » (Rm 3.20).
5. Qu’en est-il de la certitude du salut?←⤒🔗
Les différences doctrinales et les pratiques que nous venons de souligner ne laissent pas de mettre en cause l’essence même de nos rapports avec Dieu. Nous en apprécierons la gravité en constatant que l’Église romaine, en raison de la place qu’elle accorde à la coopération humaine, nie catégoriquement qu’un homme puisse dire avec certitude avant sa mort qu’il est un enfant de Dieu par adoption, ainsi que de connaître ceux qui sont l’objet de l’amour électif de Dieu; seule la persévérance chrétienne jusqu’au terme de la vie terrestre les manifestera, car la grâce peut être perdue et seule notre coopération nous la conservera. C’est pourquoi personne ne peut jamais avoir une certitude absolue de son salut, mais seulement une certitude morale, une présomption qu’il persévérera, qui est en même temps une confiance placée dans la foi, l’espérance et l’amour. Cette doctrine anti-biblique considère qu’une telle certitude tient le juste milieu entre l’angoisse servile et la « témérité » de l’assurance du salut remise à jour par la Réforme. Dans l’incertitude, l’homme est incité aux œuvres par lesquelles il peut conserver et augmenter la grâce.
L’Église romaine prétend rester fidèle à la Parole avec cette doctrine qui nous exhorte à combattre constamment le combat de la foi, à courir pour obtenir le prix de la course et à persévérer jusqu’à la fin; elle prétend encore que l’Écriture parlerait de la possibilité de perdre la grâce (Hé 6.4-8,10; 10.26; 1 Tm 4.1).
Or, dans l’œuvre de Dieu en l’homme, deux aspects complémentaires apparaissent. D’une part, nous sommes exhortés à nous préserver nous-mêmes des souillures du monde (Jc 1.27); d’autre part, il nous est affirmé que nous sommes préservés par la fidélité de Dieu, qu’il achèvera lui-même cette œuvre bonne qu’il a commencée en nous (Ph 1.6), que personne ne peut ravir ses brebis de la main du bon Berger (Jn 10.28), que Dieu demeure en ceux qui l’aiment, si bien que nous sommes en droit d’être assurés que jamais rien ne pourra nous séparer de son amour (Rm 8.35-39).
Ces deux aspects du témoignage de l’Écriture ne se contredisent pas; la vérité de l’un ne limite en rien celle de l’autre. Pour la foi, il n’y a pas ici la moindre contradiction. Nous pouvons nous reposer sur la fidélité de Dieu, sachant qu’elle nous gardera, mais de telle manière que cette assurance ne nous rend aucunement passifs, car la persévérance s’accomplit justement en ce que nous courons et persévérons nous-mêmes. La protection de Dieu se réalise précisément au moyen des appels et des exhortations qui nous sont adressés. Quand un homme n’y obéit pas, c’est qu’il n’a pas encore vécu dans la foi et dans l’amour (1 Jn 2.19).
En édulcorant sur ce point le témoignage de la Bible, en étouffant la joie de la certitude que notre seul refuge se trouve dans la fidélité de Dieu, avec l’inquiétude qu’engendre la doctrine selon laquelle la grâce pourrait être perdue, ces communautés non évangéliques dépouillent le croyant du solide fondement de sa foi, le seul à partir duquel les œuvres véritablement bonnes, celles de la reconnaissance, sont possibles; il est dépouillé de la certitude du salut et de la persévérance finale, qui seule, peut affranchir notre combat et nos prières de toute angoisse.
Nous ne prétendons pas que cette assurance est fondée sur la vertu de notre propre foi. Nous nous en gardons bien! Mais malgré notre foi chancelante, nous nous savons protégés et portés par la fidélité de notre Seigneur. Croire n’est autre chose que de se cramponner au Rocher immuable qui fait ces promesses. Par la manière dont l’Église romaine nous érige, avec nos œuvres, en un facteur autonome dans l’œuvre de la grâce, elle dresse à côté de l’Évangile une nouvelle loi, elle obscurcit à nos yeux la perspective de la grâce irrésistible et irrévocable de Dieu, cette grâce en qui seule se trouve la vie des cœurs brisés et contrits.