Cet article sur Luc 7.11-17 a pour sujet la résurrection du fils de la veuve de Naïn, où la compassion de Jésus est en action pour remporter la victoire sur la mort et donner un signe de la venue du royaume.

Source: Les miracles de Jésus. 5 pages.

Luc 7 - Résurrection du fils de la veuve de Naïn - La mort de la mort

« Or il se rendit le jour suivant dans une ville appelée Nain; ses disciples et une foule nombreuse faisaient route avec lui. Lorsqu’il fut près de la porte de la ville, voici qu’on portait en terre un mort, fils unique de sa mère, qui était veuve; et il y avait avec elle une foule considérable de la ville. Le Seigneur la vit, eut compassion d’elle et lui dit : Ne pleure pas! Il s’approcha et toucha le cercueil. Ceux qui le portaient s’arrêtèrent. Il dit au jeune homme, je te dis, lève-toi! Et le mort s’assit et se mit à parler, Jésus le rendit à sa mère. Tous furent saisis de crainte; ils glorifiaient Dieu et disaient : Un grand prophète s’est levé parmi nous et Dieu a visité son peuple. Cette parole se répandit à son sujet dans la Judée tout entière et dans tous les environs. »

Luc 7.11-17

C’est un récit frappant, sobre, dit un peu de mots. D’abord, il est étonnant que Jésus, à cette étape de son ministère et au milieu d’activités fiévreuses, se soit rendu en cette ville de Naïn1. En effet, il se trouve au faîte de sa popularité, qui est grande parmi la population galiléenne. Chacun des instants de sa vie active consolide la renommée acquise, et chaque instant témoigne de sa gloire accrue. L’accueil de la foule devient partout unanime, chaleureux. Pourquoi quitter la métropole et des centres urbains pour se diriger vers cette localité obscure? Un détour vers ce lieu allait soustraire une ou deux journées à une activité fructueuse.

Certes, jadis, Naïn avait été un haut lieu religieux, et la tradition israélite conservait avec vénération son nom célèbre au passé, chargé de mille souvenirs. Il s’appelait alors Sunem, ville qui avait été le théâtre de l’activité extraordinaire du prophète Élisée, celui qui, plusieurs siècles auparavant, avait également rendu la vie à un enfant.

Il est possible que Jésus y fût personnellement invité, mais cela n’est qu’une pure hypothèse. Peut-être des notables de la ville, au fait de ses actes puissants et impressionnés par ses discours, affligés aussi de l’état actuel peu brillant de leur ville, exprimèrent le souhait de le voir s’adresser à leurs concitoyens avec l’autorité qu’il manifestait ailleurs. Une personnalité de telle envergure ne pourrait que contribuer au relèvement de leur ville sommeillant, ou plus simplement ressassant la rengaine de vieilles gloires passées. Quant à l’heure présente, indifférence religieuse, obsession matérialiste, traditionalisme figé, oubli de Dieu, voilà le constat de la situation lamentable d’une situation exigeant la réaction de la morale et de la foi2. « Il faut se souvenir du passé », se dirent sans doute ces hommes préoccupés, soucieux du bien moral et spirituel de la vie communautaire.

Qui oserait dénigrer un tel souci, actuellement surtout, lorsque des consciences sensibles et des voix courageuses protestent contre l’escalade du mal, préconisent des mesures pour assainir le climat pollué de la vie sociale, œuvrent pour remédier non à la simple indifférence religieuse, mais aux assauts violents contre Dieu et à l’oppression des siens. Les voici, ces forces, armées jusqu’aux dents pour démolir l’Église, bafouant la morale, renvoyant toute décence, piétinant la dignité humaine, méprisant la justice et la loi, vertus sans lesquelles aucune société n’est viable… L’histoire a des leçons précieuses à nous enseigner. Retour donc aux sources. J’aime imaginer qu’une invitation en bonne et due forme fut adressée au nouveau prophète; peut-être une délégation officielle en fut chargée et se rendit à Capernaum pour lui dire : « Viens nous secourir ». Le Dieu du passé pourrait se manifester à nouveau et opérer avec la même puissance de jadis.

Ceci n’est, bien sûr, que pure conjecture de ma part; vous pouvez l’accepter ou non comme une possible interprétation des circonstances ayant amené Jésus à faire ce détour par Naïn, en compagnie de ses disciples, suivi d’une foule nombreuse.

C’est ainsi que deux cortèges bien différents vont alors se rencontrer; le cortège joyeux des disciples du jeune maître : Jésus, ses disciples et la grande foule qui leur fait escorte. Grande troupe bruissante, portée à l’enthousiasme suscité par les paroles et les miracles du nouveau Maître. D’autre part, le cortège lugubre de la mort, avec sa lente procession funéraire… Car, lisons-nous, on emportait un mort. Contraste tel qu’un Père de l’Église ancienne la qualifiait de « la vie rencontrant la mort ». Dans ce dernier, la foule chantait des mélopées funèbres3.

L’Évangile note soigneusement les circonstances qui rendent ce deuil particulièrement cruel; la mère était veuve et portait en terre son fils unique. La condition de la femme qui n’a plus le soutien d’aucun homme est particulièrement dure en ce temps-là; elle est privée d’enfants, elle aura sans doute été jusque considérée comme punie de Dieu. Mais la foule nombreuse est venue pour consoler cette femme (comme la foule auprès de Marthe et Marie d’après Jn 11). On ne saurait mépriser cette solidarité dans le deuil. Mais nous savons qu’elle est souvent superficielle; en tout cas, elle ne peut consoler vraiment. La mort s’est acharnée sur elle, et c’est parce qu’elle lui a tout pris que le Seigneur s’approche de la femme avec une vive compassion.

Jésus n’a pu passer outre devant une si grande douleur. La détresse de cette femme est si profonde et son dépouillement si total, que seule la pitié a fait agir Jésus. Aucune indication, ici, sur la foi de la femme, ou sur la mort édifiante qu’aurait pu avoir ce garçon; nulle attente, nulle espérance ne planent sur le convoi funèbre. Aucune requête n’est adressée à Jésus. La mort est odieusement passée, en saccageant tout bonheur et toute espérance. Et Jésus ne peut supporter qu’une créature aussi désespérée le croise sans recevoir la pleine lumière de son Royaume, où les enfants seront rendus à leurs mères et les maris à leurs femmes.

C’est avec autorité que Jésus s’adresse aux porteurs et se tourne vers le jeune homme couché sur la civière. Par le seul fait qu’il s’adresse à lui, Jésus conteste à la mort son pouvoir de maintenir un homme en sa puissance, au point de l’empêcher d’entendre la parole de son véritable Seigneur. Une fois de plus, la puissance dominatrice de Jésus est soulignée par les faits qui suivent la résurrection : Jésus dispose du jeune homme comme de sa propriété. Tel un cadeau, la mère le reçoit de la main de Jésus. Jésus donne comme Dieu seul peut donner. Ainsi, le peuple témoin de ce miracle reconnaît que ce n’est point ici l’œuvre d’un puissant magicien.

En lui-même, ce récit, dans sa sobre beauté, n’est pas consolant pour nous. Car il ne peut qu’inspirer aux gens en deuil la pensée que Jésus n’est plus là aujourd’hui pour leur rendre leurs morts. Mais tout change si l’on considère les miracles de Jésus comme des signes. Les résurrections qu’il a opérées pendant son ministère annoncent qu’il est le Prince de la vie. Il en donnera la preuve suprême au matin de Pâques.

« Pourquoi pleurons-nous devant la tombe? C’est parce qu’il nous semble être livrés à un sombre destin, nous voyant incapables de conserver nos bien-aimés. C’est parce que celui qui devait être notre soutien se trouve lui-même soudain démuni de tout secours. Nous ne voyons plus aucun sens, aucun but à tout cela et nous pleurons. C’est donc sur nous-mêmes que nous versons des larmes lorsque nous pleurons sur un mort; car, au bord de la tombe, nous nous voyons dans un monde ou la mort parle exactement comme Satan : “Ce monde m’a été donné” (chap. 4.6). Par ces pleurs, nous reconnaissons la domination de la mort. Ce sont ces pleurs-là que le Seigneur absolu rencontre dans notre récit; il conteste tout fondement et tout droit à ces larmes en ordonnant à cette femme : Ne pleure pas. Cette parole n’est pas destinée à adoucir la souffrance par une consolation, mais par ces mots, il est demandé à la femme, avant même que tout changement visible, de dénier à la mort sa puissance et de reconnaître en Jésus le Seigneur. Jésus interpelle le mort (de même lors des deux autres résurrections qui nous sont rapportées en Lc 8.54 et Jn 11.43). C’est aussi à sa voix que les morts ressusciteront au dernier jour. Il redonne à cette mère ce que la mort lui avait pris. Il renoue les affections que le Prince des ténèbres avait brisées.4 »

Notons aussi que pour la première fois, l’évangéliste Luc désigne Jésus par le terme de « Seigneur ». Il rend l’hébreu Adonaï et les quatre lettres que l’on ne prononce pas, qui désignent dans l’Ancienne Alliance le nom de l’Éternel, le Dieu de l’Alliance de grâce. En appliquant à Jésus le nom qui est au-dessus de tout nom (Ph 2.5-11), l’Évangile identifie le Sauveur ressuscité au Dieu d’lsraël. La seigneurie de l’un coïncide parfaitement avec celle de l’autre; elles n’en forment pratiquement qu’une seule. L’Évangile appelle Jésus Seigneur au moment où celui-ci va opérer un miracle éclatant, et par une victoire sur le mort, manifester qu’il a le pouvoir de Dieu. La puissance de Jésus est donc celle de Dieu; c’est un pouvoir royal qui s’étend sur tout le cosmos. Par conséquent, l’espace ne saurait la limiter. Cette puissance peut renverser l’irréversible « trop tard » de la mort. Qui a suivi attentivement le récit jusqu’ici ne saurait contempler, sans être tendu à l’extrême, la rencontre de Jésus avec ce mort, auprès duquel s’affirme la détresse de l’humanité. Le spectacle de Jésus « ému de compassion » et plein de sympathie nous donne l’impression que le mal en tant que tel le bouleverse, comme aussi le tourment inconsolable et les pleurs de la veuve abandonnée. Sa compassion vis-à-vis de la personne humaine concrète — cette pauvre femme veuve qui vient de perdre son fils unique — le pousse à intervenir.

Si l’hypothèse émise plus haut est vraie, c’est-à-dire que les notables de Naïn cherchèrent à inviter Jésus chez eux en vue d’opérer une certaine amélioration, une espèce d’aggiornamento de la société, ils durent être au comble de l’ébahissement et du bonheur, constatant le puissant miracle effectué à l’intérieur des portes de leur ville. Résultat dépassant de loin tout rêve de rénovation et toute entreprise de replâtrage des ruines et des décombres, qu’elles soient religieuses, sociales, culturelles ou de toute autre nature. Ils virent Jésus publiquement faire face à la mort, être en butte au problème ultime, le plus tragique de l’existence humaine; chasser irréversiblement les ténèbres du désespoir et l’emporter sur elles. Témoins abasourdis et reconnaissants, ils firent le constat de la mort même de la mort afin que vive la vie, que jaillisse la vie nouvelle.

Si Jésus avait visité cette bourgade en qualité d’un simple prophète, même célèbre et puissant, pour y prononcer un discours moralisateur, pour proposer un nouveau plan pour améliorer les choses, il n’aurait rien dit ou fait qui le distinguât d’autres réformateurs, rien de bien différent de ce qu’on fait tant de fondateurs de religion… Mais lui, il a la réponse au problème de la mort; il va la dévitaliser, il est capable de la détruire. Il ne s’est pas contenté de rester en présence de la veuve, de la foule compatissante, des disciples fidèles avec une compassion simplement humaine, bien que celle-ci fut bien réelle. Maître de la vie et Prince vainqueur, il était apparu pour écraser la mort. N’avait-il pas déclaré : « Je suis venu afin que les brebis aient la vie, et qu’elles l’aient en abondance » (Jn 10.10). Il arrêta le cortège, et les porteurs étonnés, soudain, durent faire une halte, et cet instant précis marque aussi la halte, l’arrêt décisif des assauts fulgurants de la mort elle-même.

Dès lors, nous pourrons lancer, nous aussi, notre défi à celle-ci :

« Où vas-tu donc, dévoreuse insatiable, fauchant des vies là où tu n’as rien semé, arrachant et emportant tel un ogre jamais rassasié ce qui ne t’appartient pas, présente là où tu n’es point invitée ni la bienvenue, toujours à l’assaut des faibles, plongeant les mères dans le deuil, répandant l’angoisse, terrorisant à ton approche les plus vaillants; où vas-tu donc, hôte hideux, à l’allure prodigieuse; oserais-tu braver la source de toute vie, le Créateur de toute être, la Parole génératrice de tout mouvement, poursuivre ta moisson cruelle? »

Ainsi, l’Évangile chrétien atteste qu’au cours de l’histoire humaine, lors d’un cortège lugubre dans une rue de Naïn, au milieu de mélopées des pleureuses, la mort fut victorieusement, glorieusement, indubitablement engloutie dans la mort! Nous en avons la preuve et l’attestation certaine de l’évangéliste Luc.

Certes, le jeune homme de Naïn est mort de nouveau (comme la fille de Jaïrus, comme Lazare, l’ami de Jésus), comme nous-mêmes passerons à travers le passage redoutable qu’elle domine encore, mais en sachant que, désormais, la mort est moribonde. Le Prince de la vie en a brisé le pouvoir, son adversité ne durera pas pour toujours, son poison est en train de tarir.

Jésus, avons-nous lu, a ressuscité le jeune homme par un simple geste, en touchant à la bière qui le portait. Faut-il oublier qu’en réalité ce fut au prix de sa propre mort, grâce au sacrifice de sa divine personne qui engloutit la mort et brisa les portes de l’enfer? Celui qui s’arrêta un instant, plein de compassion, devant la lente procession funéraire et y manifesta toute son autorité, est celui qui, quelque temps après résolut « de monter vers Jérusalem », où il n’était point invité, s’y jeta à terre à Gethsémani, terrassé par une tristesse mortelle et suant des grumeaux de sang, gravit le Calvaire, se laissa clouer au gibet, expira dans un cri de douleur insoutenable, et descendit aux enfers, afin que nul ne puisse plus s’effrayer de la mort, pleurer ses morts, suffoquer dans le deuil et le désespoir. Jésus-Christ ayant fait ce détour par Naïn est le Seigneur vainqueur qui ne manque jamais de faire le détour par nos propres existences pour nous y rencontrer au sein de notre plus vive douleur, au milieu de nos désespoirs les plus profonds et vacillant dans des angoisses mortelles… Il redonne la vie aux existences gâchées et aux désespoirs sans remède.

Pour l’heure, nous l’entendons nous répéter : « Ne pleure pas ». Nous faisons déjà l’expérience de son infinie compassion. Jusqu’au jour où : « L’heure vient où tous ceux qui sont dans les tombeaux entendront sa voix » et en sortiront (Jn 5.28). Mais ce ne sera plus, cette fois, pour reprendre provisoirement leur existence antérieure, mais afin de transformer notre corps misérable et le rendre conforme à son corps glorifié (Ph 3.21).

Oui, l’Évangile chrétien proclame déjà que la mort est morte. Pour la foule, pour l’évangéliste, pour nous-mêmes, cette résurrection à Naïn est le signe sûr et certain de la réalité du Royaume qui vient. Nous pourrons alors faire écho au cantique de Zacharie et dire : « Béni soit le Seigneur, le Dieu d’Israël, de ce qu’il a visité et racheté son peuple » (Lc 1.68), effectivement, puissamment, miraculeusement.

Notes

1. Nain, petite bourgade près du mont Thabor, non loin de Nazareth, à une journée de marche au sud-ouest de Capernaum, située dans un recoin éloigné de la province, à plusieurs lieux des grands axes routiers, dans un cadre riant que Jésus a bien connu dès son enfance.

2. Une foi digne de cette autre mère d’un jeune enfant qui, au temps d’Élisée le prophète, avait forcé l’homme de Dieu à la suivre pour redonner la vie au cadavre de son fils unique, gisant dans la chambre haute (2 R 4:17-37).

3. Le corps était entouré d’un linceul blanc. Il était à découvert sur le cercueil, sorte de brancard. Les porteurs changeaient fréquemment afin de permettre à un plus grand nombre de personnes de prendre part à cette œuvre méritoire. En tête du cortège funèbre marchaient les pleureuses, les joueurs de flûte et les cymbales; puis venait la mère, pleurant en silence; elle marchait devant le cercueil, une bière sans couvercle portée sur les épaules de quatre hommes. De ce village on se rendait jusqu’à des rochers en saillie sur la pente, utilisés comme tombeaux.

4. H. Gollwitzer.