Cet article sur Marc 5.24-34 a pour sujet la guérison de la femme malade qui avait des pertes de sang depuis douze ans. On aurait cru qu'elle a touché au vêtement de Jésus par superstition, mais c'est sa foi qui l'a sauvée.

Source: Les miracles de Jésus. 4 pages.

Marc 5 - Guérison de la femme malade depuis 12 ans - Foi ou superstition

« Jésus s’en alla avec lui. Et une grande foule le suivait et le pressait. Or, il y avait une femme atteinte d’une perte de sang depuis douze ans. Elle avait beaucoup souffert entre les mains de plusieurs médecins; elle avait dépensé tout ce qu’elle possédait sans en tirer aucun avantage; au contraire, son état avait plutôt empiré. Ayant entendu parler de Jésus, elle vint dans la foule par-derrière et toucha son vêtement. Car elle disait : Si je puis seulement toucher ses vêtements, je serai guérie. Au même instant, la perte de sang s’arrêta, et elle sentit dans son corps qu’elle était guérie de son mal. Jésus ressentit aussitôt en lui-même qu’une force était sortie de lui. Il se retourna au milieu de la foule et dit : Qui a touché mes vêtements? Ses disciples lui dirent : Tu vois la foule qui te presse, et tu dis : Qui m’a touché? Et il regardait autour de lui pour voir celle qui avait fait cela. La femme effrayée et tremblante, sachant ce qui s’était passé en elle, vint se jeter à ses pieds et lui dit toute la vérité. Mais Jésus lui dit : Ma fille, ta foi t’a sauvée; va en paix et sois guérie de ton mal. »

Marc 5.24-34
Voir aussi Matthieu 9.20-22 et Luc 8.43-48

« Une foule se pressait contre Jésus, écrit saint Augustin, une seule personne pourtant l’a touché. » Le grand docteur de l’Église avait bien résumé l’incident que nous rapportent les trois Évangiles, parmi lesquels j’ai choisi de vous lire la version selon Marc.

Voici l’histoire : tandis que Jésus se rend dans la maison d’un principal du peuple pour guérir sa fillette malade, presque mourante, il est arrêté par une femme atteinte d’une perte de sang. Il accepte d’être retardé. Il ne se laisse pas gagner par l’agitation angoissée, dévorante, du père. En passant, il accorde à cette femme toute sa compassion. Celle-ci avait dépensé toute sa fortune chez les médecins sans obtenir le moindre résultat. Sa maladie était d’autant plus grave qu’elle la mettait en état « d’impureté » permanente, et par conséquent l’excluait de la société de ses concitoyens. Socialement, elle était méprisée. En touchant le vêtement de Jésus, elle transgressait les lois sur la pureté. Mais ce geste qu’elle accomplira furtivement trahira, plus qu’autre chose, une croyance simplement superstitieuse. Son attente se fonde en la force presque magique de Jésus. Elle se représente celle-ci comme émanant matériellement de lui et imprégnant ses vêtements. Pourtant, ce geste la guérira!

Notons l’étrange réaction de Jésus, qui correspond exactement à la conception de la femme : « Jésus ressentit aussitôt en lui-même qu’une force était sortie de lui » (Mc 5.30). Voici ce qu’un commentateur a écrit à ce sujet :

« Nous sommes ici dans un domaine extrêmement mystérieux : celui de la manière dont on peut se représenter et expliquer la puissance miraculeuse de Jésus. Nous ne pouvons qu’écouter le témoignage évangélique, si incompréhensible qu’il nous paraisse; il y a ici un seuil que notre intelligence et notre foi ne peuvent franchir.1 »

Tâchons d’actualiser ce récit pour notre propre profit. Vue superficiellement, la femme malade se trouve perdue dans la foule de ceux qui se pressaient contre Jésus. Celui-ci jouit d’une telle popularité que la multitude ne le lâche pas d’une semelle. Ses miracles, ses discours, son opposition courageuse à l’establishment sclérosé lui gagnent la faveur du peuple. Passionnant en tant qu’enseignant itinérant, il ne pouvait qu’attirer à lui les foules accourant telles des brebis sans berger. Notamment les pauvres, les parias, les laissés pour compte…

La foule galiléenne me rappelle bien les multitudes modernes qui, si souvent, se laissent emporter par des vagues d’un enthousiasme facile pour le même Christ à cause de l’idée qu’elles se font de sa cause. Il nous suffit de prêter attention aux statistiques qui font souvent la une des journaux. On aime ce Jésus, révolutionnaire avant la lettre, prototype des justiciers modernes, héraut de la cause des classes délaissées, à l’occasion dispensateur de miracles magiques, assurément le premier communiste — lui aussi ayant échoué comme les communismes modernes… Guérisseur ou gourou, prophète ou copain du ciel, Jésus a ses admirateurs, comme certains chanteurs bébêtes ont les leurs, ou comme les Moon d’ici ou de là galvanisent leurs adeptes…

Prenons l’exemple de la France; on nous dit et redit que sur les 55 millions qui l’habitent au moins 40 millions auraient été baptisés chrétiens. Des analyses rigoureuses — je me fie ici à celles des autorités catholiques — nous apprennent qu’il n’y aurait qu’à peine 5 à 6 millions parmi eux fréquentant l’Église, au moins une fois par an. Je crois que ce fut un ecclésiastique catholique romain, ne manquant pas d’humour, qui les traitait naguère de chrétiens à quatre roues : Ceux qu’on voit à l’Église lors de leur baptême, au moment de leur confirmation, pour célébrer la cérémonie de leur mariage et, enfin, lorsqu’on les amène — peut-être contre leur gré et évidemment à leur insu — lors des obsèques religieuses. « Car on n’aime pas être enterré comme un chien », n’est-ce pas? Une foule immense, en effet, se presse encore aujourd’hui autour de Jésus; je crains qu’on ne l’incommode plus qu’autre chose…

On peut imaginer que, comme la foule galiléenne en ce jour lointain, nombre d’entre eux auraient bien besoin du Jésus pour intervenir, faire quelque chose pour eux et dans leur vie. Ils n’osent pas l’approcher, pourtant, bien qu’ils se précipitent pour l’entourer et parfois même ils handicapent son avance… En effet, saint Augustin nous l’a rappelé, il y eut des centaines qui l’avaient pressé de près, mais une seule osa le toucher.

Que de foules à Noël, à Pâques, lors des grandes fêtes chrétiennes, pour participer à la messe chez les catholiques, au culte chez les protestants, à d’autres célébrations solennelles dans telle autre église… Combien d’entre eux auraient le courage de l’approcher de près, de le toucher personnellement? Je me le demande. Sont-ils vraiment attentifs à sa personne, implorent-ils son secours, s’attendent-ils à un miracle?

« Église de multitudes », dit-on chez nous autres protestants, parlant de la foule inscrite sur les registres d’une paroisse. Mais combien d’entre eux sont des chrétiens véritablement confessants? À moins qu’ils ne se résolvent, forcément, à former des petites communautés conviviales pour pouvoir mieux approcher de Jésus, pour le toucher personnellement, pour donner des preuves sincères de leur attachement et rendre témoignage de leur conversion intime. Ceux-là forment la vraie Église, comme toujours, l’Église des malades cherchant la guérison dans la communion de la foi, éclairés par l’Esprit, instruits par la Parole.

La femme du récit évangélique fut la seule qui eut le courage de le toucher, de toucher le bord du vêtement du Prophète. Est-ce dire que son geste fut motivé par une foi réelle et profonde? Il est probable qu’elle fut poussée par une attente superstitieuse plutôt que par ce que nous appelons une foi authentique. Elle essaya d’obtenir sa guérison par un moyen quasi magique. Elle illustra, à son tour, la confusion entre foi authentique et superstition… Elle touchera Jésus à la manière de ceux qui toucheraient les reliques d’un saint. En espérant un prodige plus qu’une grâce restauratrice. Elle l’approcha sans se rendre compte de ce qu’elle allait véritablement déclencher.

Tant de gens autour de nous voudraient bénéficier de quelques miettes spirituelles, d’expériences spirituelles leur procurant des sensations fortes, respirer dans une ambiance spirituelle euphorique… Cette recherche semble parfois favorisée par certaines campagnes d’évangélisation de masse, organisées à l’aide de moyens favorisant la montée de l’émotivité à son plus haut degré, offrant durant un bref instant le goût de sensations spirituelles fortes… Souvent, le charme personnel de l’orateur sera plus décisif que le contenu de son message. Méfions-nous, mes amis, de telles mises en scène religieuses, capables de faire jaillir des flashes d’électricité statique, lesquels, comme chacun sait, ne sont capables ni d’éclairer ni de chauffer qui que ce soit!

Superstition, ai-je dit au sujet de cette femme malade. Pourtant, le miracle se produit lorsque la Parole du Christ accorde la guérison. Christ ne refusa pas, à cet endroit, le signe infime d’attachement et d’attente que suscitait sa présence à cet endroit. Il valorisera le moindre attachement, lui qui ne met point dehors celui qui vient à lui, qui n’éteindra pas le lumignon qui fume… Lui seul pouvait prononcer : « Ma fille ta foi t’a sauvée; va en paix et sois guérie de ton mal » (Mc 5.34).

Je voudrais conclure par un mot au sujet de la foi. Si, ainsi que nous venons de voir, l’enthousiasme superficiel ne témoigne pas de l’authenticité de la foi et si la superstition ne doit jamais se confondre avec celle-ci, alors qu’est-ce que la foi en Christ?

Pour nombre de chrétiens, il suffit de croire à quelque point de doctrine. On rapportait naguère d’un chrétien catholique qui, interrogé au sujet de ce qu’il croyait, aurait répondu : « Ce que je crois, allez le demander à mon curé! » Si on interrogeait nos protestants actuels, leur réponse ne serait pas, je crains, trop différente. Ce que je crois? Allez donc consulter mon catéchisme d’enfance, ou bien lisez le théologien à la dernière mode qui vient de signer une nouvelle étude… On croit à… Je suis, certes, persuadé que les articles de la foi formulés par nos Credo et nos Confessions, explicités par les catéchismes et exposés dans la prédication et la théologie, sont de première importance. Mais la foi est davantage que notre adhésion cérébrale à des doctrines, même les plus orthodoxes.

La foi chrétienne me paraît être l’exacte réplique sur terre de ce que Dieu a fait au ciel. Elle prend au sérieux ce que Dieu a décidé d’accomplir dans et avec sa toute-puissance et la grâce offerte en son amour. Ma foi personnelle valorisera l’acte divin. Certes, elle n’est pas susceptible de créer quoi que ce soit. Pourtant, dans mon expérience personnelle et dans ma marche quotidienne, au milieu de la foule, elle rend concrètement visible ce qui existe déjà. Elle actualise l’œuvre divine. Or, elle le peut parce qu’auparavant, à l’origine, il y eut l’Esprit créateur et la Parole ordonnatrice, qui permirent son éclosion dans le divin Sauveur.

Note

1. Jean-Samuel Javet.