Cet article a pour sujet la place de la femme dans la société protestante de Genève à l'époque de Jean Calvin. On y protégeait les femmes de traitements injustes, bien mieux que dans nos sociétés occidentales modernes.

Source: Homme et femme il les créa. 5 pages.

Le paradis de la femme

Parmi les scandales qui ne cessent de nous choquer et de nous affliger se trouve celui des imputations mensongères attaquant la réputation et l’honneur des gens de bien ou encore de certaines institutions, qu’elles soient sociales ou politiques, voire religieuses… Flaubert, au 19siècle, écrivait : « Notre ignorance de l’histoire nous a fait calomnier notre temps. » À plus forte raison, ajouterons-nous, elle nous a fait diffamer l’histoire dans ce qu’elle a accompli de meilleur. On connaît aussi la célèbre phrase, devenue proverbiale : « Calomniez, calomniez, quelque chose en restera. » Une telle injustice, aussi bien si elle est faite aux grandes vérités historiques que sur le compte de certains personnages du passé ou du présent, est extrêmement grave.

Jean Calvin, le réformateur français du 16siècle, a été une cible de choix pour ce genre d’attaques. Elles l’ont noirci, lui et son œuvre, et les calomnies qu’on a fait circuler sur lui, autant que sur l’œuvre de réforme qu’il entreprit, par l’Esprit et par la Parole, dans la ville de Genève, ne disparaîtront pas de sitôt.

Cette partie du présent chapitre s’inspire d’une récente étude de mon collègue et ami, le pasteur Rushdoony de Californie, fondateur de Chalcedon. Nous n’aborderons qu’un seul des aspects des activités et justes préoccupations de Calvin et de ses collègues du consistoire de Genève.

Quelle a été la place de la femme dans la société protestante genevoise de l’époque calvinienne? Parmi les historiens de cette ère tumultueuse, mais aussi à combien d’égards lumineuse pour la civilisation occidentale, voire pour les destinées universelles, Rushdoony cite un certain nombre de réalités qui peuvent qualifier la ville du réformateur de « paradis pour la femme ». Contrairement aux idées reçues, Calvin fut durant toute sa prodigieuse carrière le défenseur résolu des droits de la femme. Sous sa direction, le consistoire chercha à empêcher que les femmes ne soient exploitées et qu’aucune action ne soit entreprise à leurs dépens. Car, en toutes choses, le citoyen comme sa ville devaient honorer le nom de Dieu et respecter ses saintes et justes lois. Les exploiteurs du sexe faible ne pourraient pas, à Genève, écraser impunément des citoyennes sans défense.

Le consistoire, c’est-à-dire la compagnie des pasteurs réformés de Genève, alla jusqu’à traîner devant les tribunaux ceux qui, par des moyens détournés, cherchaient à déshériter des veuves et des orphelins. Toute femme abandonnée devait jouir de la protection de la loi. On a parlé du soin particulier que la Genève protestante prenait de la femme et de sa détermination de la mettre à l’abri de toute vexation et de tout traitement injuste.

On se souvient que, durant cette époque, bien qu’une telle pratique remontât aux temps les plus anciens, des gens fortunés, hommes ou femmes, s’offraient le luxe d’épouser de très jeunes personnes. Les familles de ces derniers y consentaient volontiers parce qu’elles en tiraient des avantages substantiels sur le plan économique.

Aux yeux de Calvin, de tels mariages ne devaient pas être permis. C’est ainsi qu’en 1557 le consistoire dissout un mariage contracté entre une femme de plus de 70 ans et… un jeune homme de 27 ans. Notre ami, le regretté professeur Philip E. Hughes, historien de la Genève de cette époque, rapporte ce fait dans son livre Le registre de la compagnie des pasteurs de Genève au temps de Calvin. Des lois furent édictées pour protéger aussi bien les jeunes gens que les jeunes filles de contracter de tels mariages, considérés avec raison comme des unions contre nature. Les étrangers établis à Genève faisaient, en particulier, l’objet d’investigations scrupuleuses en ce qui concerne leur passé et leurs familles avant d’obtenir la licence de se marier. En outre, une épouse maltraitée pour cause de foi était autorisée à quitter son mari.

Il ne faut pas conclure, écrit Rushdoony, que les pasteurs genevois firent toujours preuve d’une sagesse parfaite en traitant de ces affaires-là, mais il est indéniable que leurs intentions étaient bonnes et que leur zèle pour établir dans la cité un ordre juste jusque dans le domaine conjugal était remarquable. Ils devraient nous servir de modèle.

Une chose est claire; la Genève calviniste pouvait être effectivement appelée à l’époque « le paradis des femmes », et ce, non par idéalisme féministe, mais à cause des convictions bibliques de Calvin et de ses compagnons relatives à l’exercice de la justice.

Les réformateurs avaient de très bonnes raisons pour agir de la sorte. Le renouveau de l’étude de l’Ancien Testament, accepté pleinement comme faisant partie intégrante de la Bible, Parole de Dieu, y avait contribué efficacement. Le Nouveau Testament, lui, était considéré comme faisant partie organique de l’Ancien Testament. On sait que l’Ancien Testament associe étroitement la sainteté chrétienne non à de vagues idées et à des concepts abstraits, mais à une pratique quotidienne et concrète de la loi de Dieu. Or, la loi biblique concerne tous les aspects de la vie ordinaire, de telle sorte que, selon l’expression d’un historien de cette époque, on pouvait parler de « sainteté sécularisée ». C’était une sainteté terre à terre, celle de tous les jours, objet de la recherche de tout chrétien et non seulement de quelques privilégiés canonisés par la suite, après leur disparition physique… La sainteté et la piété devenaient un devoir, une responsabilité impartie à tout croyant.

En effet, selon l’appel du Christ : « Aimez vos ennemis, faites du bien et prêtez sans rien espérer. Votre récompense sera grande et vous serez fils du Très-Haut, car il est bon pour les ingrats et pour les méchants » (Lc 6.35). Il appartient à chaque disciple du Christ de faire le bien sans espérer en retour une récompense quelconque, écrit le réformateur dans son commentaire sur l’harmonie des Évangiles.

Si la Genève de Calvin pouvait donc être appelée avec raison « le paradis des femmes », c’est à cause d’un aspect de la Réforme calvinienne auquel on n’a pas prêté suffisamment d’attention. (Récemment, André Biéler, dans sa remarquable étude L’homme et la femme dans la morale calvinienne, a attiré notre attention sur ce domaine). Cette carence s’explique par le fait que les réformes des lois civiles et ecclésiastiques, ayant fait de Genève une remarquable république, sont malheureusement associées à un certain type d’idées erronées sur la « société patriarcale ».

Les féministes ont en horreur tout ce qu’elles ou ils tiennent pour un « esprit patriarcal ou paternaliste », le paternalisme étant considéré comme le facteur principal de l’oppression de la femme et identifié à ce que les modernes appellent le « machisme ». Pourtant, la réalité est tout autre. L’esprit patriarcal, que l’on repousse avec un tel mépris, n’a rien à voir avec cette domination dite machiste. Bien au contraire, le véritable esprit patriarcal s’inspire directement de la foi biblique pour gouverner la famille avec ordre et justice.

C’est la conception atomiste moderne de la famille, qui prévaut de nos jours, qui est oppressante… L’homme craignant Dieu, dans la famille s’inspirant de la tradition biblique, se considère comme l’agent d’une mission divinement ordonnée. Voyez par exemple le cas de Naboth dans l’Ancien Testament (1 R 21). Son histoire est connue à la fois comme un exemple de l’arbitraire que peut exercer un pouvoir royal despotique et comme une illustration du respect et de l’attachement à ce qui, aux yeux de l’homme pieux, constituait un héritage sacré et inaliénable. Dans ce récit biblique bien connu, l’inique roi Achab, encouragé par la perverse reine Jézabel, cherche à s’approprier la vigne de Naboth, qui se trouve à côté de son palais et qui excite sa convoitise. Or, ce pieux Israélite ne veut pas s’aliéner d’un héritage qui lui a été transmis par ses ancêtres et qu’il doit, à son tour, laisser intact entre les mains de ses propres héritiers et aux générations à venir. Ainsi, cet homme typiquement patriarcal ne tenait pas à sa vigne comme à une propriété personnelle privée, comme à un bien dont il pouvait disposer à sa guise et vendre au prix fort proposé par le roi si cela lui plaisait… Bien au contraire, il considérait cette propriété comme un bien qui lui avait été confié par Dieu pour le gérer, tel un objet sacré. (De nos jours, de telles aliénations, accomplies par un certain nombre de nos États omnivores, seraient appelées des nationalisations…).

L’esprit moderne, contaminé par l’idéologie existentialiste, ne tient compte et ne se satisfait que du moment présent. L’homme existentialiste ne ressent aucune obligation ni envers le passé ni envers le futur. On peut même dire qu’il ne sent aucune responsabilité envers le présent; s’il manifeste le moindre intérêt à cet égard, la raison en est qu’il cherche à satisfaire ses désirs les plus immédiats et à obtenir des avantages à court terme. Il ne faut pas s’étonner si l’homme existentialiste se montre plus que possessif; il devient ouvertement oppressif. Son intérêt personnel et l’idée qu’il se fait de l’exercice du pouvoir se limitent à l’instant présent et fugitif.

Il en va tout autrement de l’homme que nous avons appelé patriarcal, au sens biblique du terme. Celui-ci est lié autant à sa famille qu’à ses proches. Il ne considère pas son épouse comme un être inférieur, mais comme sa partenaire et son égale, vice-gérante dans les affaires qu’ils doivent gérer ensemble, selon le mandat de Dieu. L’un et l’autre ont leur regard fixé vers l’avenir.

Le féminisme et le masculinisme, tous les deux fruits de la philosophie humaniste athée et existentialiste, fixent leurs regards et dirigent leurs désirs vers ce qui est précaire. C’est pourquoi ils ne possèdent ni d’intérêt ni même aucun sens de la communauté; il leur est inconcevable d’envisager une harmonie entre intérêts constamment en conflit et considèrent la guerre entre les sexes comme inévitable. Ils sont déterminés, coûte que coûte, à l’emporter l’un sur l’autre; à l’occasion à l’écraser et à le faire disparaître définitivement de leur vie… En bons évolutionnistes qu’ils sont, ils prônent la survie du plus apte, du plus fort. Leur univers est dépourvu de morale, parce qu’orphelin de toute la foi religieuse. La rudesse, l’agression, la violence sont les seuls mots d’ordre qui régissent cet univers égoïste. Aussi ils trouvent parfaitement repoussante l’idée biblique du père de famille, ou du patriarche, pour employer l’ancien terme, car elle présuppose d’une part la corruption de l’homme et elle témoigne d’autre part de la justice divine, qui doit nécessairement régir toute vie sociale.

Le monde de l’homme biblique est régi par une morale supérieure, car, selon la conception biblique, le conflit essentiel entre personnes, de même qu’entre Dieu et l’homme ainsi que dans l’ensemble de l’univers, est un conflit de nature morale et non d’ordre strictement personnel. Contrairement à cette idée fondamentale, l’individualisme moderne ne voit les hommes que comme des adversaires, idée dont rend un éloquent témoignage le trop fameux « homo homini lupus » de Thomas Hobbes, c’est-à-dire l’homme est un loup pour l’homme… Le monde des hommes est pratiquement devenu un champ de bataille ensanglanté par le sang des plus faibles. Les classes s’y élèvent contre d’autres classes, les sexes s’y déclarent mutuellement une guerre impitoyable, les races s’opposent avec violence pour s’exterminer, et une économie omnivore cherche à supplanter toute autre forme d’économie…

On extermine les Arméniens, il y a 70 ans en Asie Mineure et actuellement encore en Azerbaïdjan, pour faire triompher l’idée machiavélique et odieusement raciste du pan-touranisme… Même certaines idéologies humanistes et démocratiques, plus nuancées du fait de leurs rengaines évolutionnistes, pavent, à leur insu peut-être, la route pour le triomphe final de divisions irrémédiables entre les classes sociales et les familles. La conception biblique de la famille y est méprisée parce que les humanistes athées, féministes ou machistes, existentialistes ou socio-omnicrates, haïssent tout ordre moral divinement inspiré.

Nos problèmes modernes, si complexes et angoissants, sont en définitive non pas d’ordre culturel, social, politique ou économique, mais issus de notre rébellion contre le Dieu Créateur et Seigneur souverain de l’univers. Dès lors, il ne faut pas s’étonner que Calvin soit la bête noire des humanistes.

Sans la conception sociale biblique et les justes intuitions du grand réformateur de Genève et de ses successeurs, notre monde souffrira de toutes sortes de maux sociopathes. L’État remplacera Dieu et jouera à l’apprenti providence du citoyen. Non seulement une philosophie aussi bornée causera des calamités de tout ordre, mais ce fléau finira par détruire la conception même de la personne humaine et de sa dignité. Les budgets des démocraties modernes seront engouffrés dans de véritables tonneaux des Danaïdes, incapables d’améliorer la situation économique de qui que ce soit.

Rappelons-nous également l’immense malheur que constitue dans nos sociétés socialisées la dépersonnalisation de l’être humain, réduit à un numéro de sécurité sociale, entité sans visage enfouie dans un anonyme fichier bureaucratique. Pour ne rien dire de l’encouragement à la paresse de ceux qui, tous les jours, à longueur de journée et durant d’interminables années, sucent les mamelles d’un État devenu, à force de stupide générosité, une vache complètement famélique.

Le titre de ce paragraphe du présent chapitre a pu surprendre, car parler de la Genève de Calvin comme du « paradis de la femme », n’est-ce pas une gageure? Car ni Calvin ni sa Genève ne connaissaient rien, selon nos palabreurs modernes, aux droits de la femme et aux combats pour les justes causes…

Pourtant, ces géants du passé, enracinés dans la Bible, ont su mieux gérer les affaires sociales de leur époque que ne semblent pouvoir le faire, depuis plus de deux siècles, les innombrables déclarations universelles des droits de l’homme et de la femme, et les interminables conférences internationales consacrées à exalter et à défendre la dignité humaine…