Cet article a pour sujet l'Esprit dans l'Évangile de Jean: l'Esprit et le baptême de Jésus, l’Esprit Saint et le culte, la vie nouvelle par l’Esprit, les discours d’adieux, et Jésus qui souffle sur les disciples comme symbole du don de l’Esprit.

Source: Essai sur le Saint-Esprit et l'expérience chrétienne. 13 pages.

La présence de l'Esprit - Le Saint-Esprit dans l'Évangile de Jean

  1. Le baptême de Jésus et le Saint-Esprit (Jn 1.32-34)
  2. Le Saint-Esprit et le culte (Jn 4.23-24)
  3. La vie nouvelle par l’Esprit (Jn 7.37-39)
  4. Les discours d’adieux (Jn 14 à 17)
  5. L’insufflation (Jn 20.19-23)
« C’est un vaste et merveilleux panorama qui s’étend devant notre regard lorsque nous ouvrons l’Évangile selon Jean, qui dévoile le mystère profond de la personne de l’Esprit et témoigne de la puissance et de l’étendue de son œuvre », écrivait au siècle dernier C.F.D. Moule1.

En effet, il dévoile d’une manière toute particulière devant notre regard émerveillé le mystère de sa personne et de ses opérations. Ce qu’il nous offre peut être considéré comme l’équivalent de l’enseignement synoptique sur le Royaume de Dieu. Le Baptiste a vu descendre l’Esprit sur Jésus comme une colombe. Le chapitre 3, à coup sûr l’un des plus importants au sujet de l’Esprit, sera examiné plus loin, lorsque nous traiterons de la régénération2. Disons simplement ici que la nouvelle naissance est la condition sine qua non de l’entrée dans le Royaume, car elle n’est pas engendrée par la chair. La fin de ce chapitre annonce la nature infinie de l’Esprit. Dieu n’accorde pas l’Esprit avec mesure ou parcimonie (Jn 3.34). L’Esprit est associé au culte qu’il faut rendre à Dieu. On ne peut adorer Dieu qu’en Esprit (Jn 4.24). Entre l’Esprit et la vie, il existe un lien direct. D’aucuns pensent que Jean 6.63 fait allusion à l’esprit humain. Le contexte nous contraint d’y voir une allusion à l’Esprit divin. Ce passage ne peut se lire qu’à la lumière de Jean 3.5 où l’Esprit est conçu en tant qu’Auteur de la régénération.

Examinons les passages relatifs au Saint-Esprit dans quelques paragraphes que voici : l’Esprit et le baptême de Jésus, l’Esprit Saint et le culte, la vie abondante par l’Esprit, les discours d’adieux, enfin Jésus qui souffle sur les disciples comme symbole du don de l’Esprit.

1. Le baptême de Jésus et le Saint-Esprit (Jn 1.32-34)🔗

L’essentiel du texte johannique relatif au baptême de Jésus souligne que la descente de l’Esprit sur lui fut non seulement l’occasion de le doter d’une puissance exceptionnelle, mais encore de le révéler aux yeux d’Israël (Jn 1.31). Jean, le Baptiste, a avoué qu’il ne savait pas que Jésus était bien celui qui devait venir, mais lorsqu’il vit l’Esprit descendre sur lui sous la forme d’une colombe et demeurer en lui, il reconnut qu’il s’agissait bien de lui. Il ne faut pas nécessairement déduire de cet « aveu » du Baptiste qu’il ne connaissait point Jésus avant cette rencontre. Puisqu’ils étaient cousins, ils avaient sans aucun doute eu l’occasion de se rencontrer avant l’apparition de Jésus en public. Il semble plus normal de conclure que Jean n’était pas certain, ou qu’il ignorait encore la nature messianique et le caractère messianique de la mission de Jésus.

Mais Jean ne le découvrit pas par sa recherche ou sous sa propre inspiration. Lui aussi, comme Pierre plus tard, reçut une révélation divine. « Celui sur qui vous voyez descendre l’Esprit et demeurer, c’est lui qui baptisera avec le Saint-Esprit » (Jn 1.33). Lorsqu’il vit l’Esprit descendre sur Jésus, il sut à qui il avait affaire, c’était celui qui devait venir. Après cette « reconnaissance », Jean comprit également que le baptême de Jésus devait être l’occasion de sa manifestation publique, sa révélation faite à Israël. Mais ici comme dans les synoptiques, cette descente annonce également l’inauguration de l’âge nouveau. Jean ajoute en outre ce que ne font pas les synoptiques, que l’Esprit descendu sur Jésus est aussi demeuré sur lui (Jn 1.32). L’Esprit demeure de manière permanente sur Jésus. Ainsi Jésus est le « porteur » de l’Esprit. C’est pourquoi l’évangéliste précise que Dieu n’a pas donné son Esprit à Jésus avec mesure (Jn 3.34). Parce qu’il le « possède » totalement, il pourra le répandre sur les disciples au jour de la Pentecôte. Porteur exclusif de l’Esprit, il en sera également le dispensateur unique.

2. Le Saint-Esprit et le culte (Jn 4.23-24)🔗

Assurément, le chapitre 4 de l’Évangile contient l’un des passages clés pour saisir l’activité de l’Esprit durant l’âge nouveau. C’est dans son entretien avec une femme samaritaine, près du puits de Sychar, que Jésus offrit non seulement l’eau vive, mais encore le don de l’Esprit, source et fontaine d’eau vive. Il ne le dira pas explicitement, mais l’entretien tournera autour du sujet de l’Esprit. Après la discussion au sujet de l’eau, les deux interlocuteurs aborderont celui du culte et de l’adoration. Il n’est pas nécessaire de mentionner ici les détails du culte des Samaritains s’opposant à celui des Juifs, ni de décrire le conflit au sujet du lieu où devait se célébrer un tel culte. Jésus précise cependant que le salut vient des Juifs, à travers le reste fidèle d’Israël. Cette affirmation donne suite à sa déclaration capitale : « L’heure vient où les vrais adorateurs du Père l’adoreront en Esprit et en vérité; Dieu est Esprit et ceux qui l’adorent devront l’adorer en esprit et en vérité » (Jn 4.23-24). On peut penser avec raison que le quatrième Évangile fait ressortir à sa manière la tension eschatologique du déjà et du pas encore. Le culte en Esprit sera célébré après la Pentecôte. Pourtant, en sa qualité de porteur de l’Esprit, Jésus anticipe déjà cette ère-là. Il va de soi que nous entendons par Esprit, non pas l’esprit humain, sa mentalité religieuse, mais l’Esprit Saint de Dieu.

On ne peut pas chercher ici un argument en faveur d’une abrogation de toutes les formes extérieures du culte au profit d’une spiritualité intériorisée. Autrement, comment comprendre que l’Église apostolique ait institué des formes extérieures de culte, telles que la fraction du pain, le baptême visible, l’imposition des mains? La Bible ne connaît pas de culte confiné aux tréfonds de l’âme et célébré de manière invisible. On doit adorer Dieu en Esprit, car Dieu est Esprit, il est le Tout Autre, le Dieu transcendant et trois fois saint. Il appartient au domaine qui reste inaccessible à l’homme à cause de sa nature pécheresse. L’Esprit est celui qui régénère et purifie les esprits afin qu’ils puissent offrir le culte « raisonnable » dont parle aussi saint Paul. Ce passage venant après l’entretien de Jésus avec Nicodème, où il avait souligné l’indispensable condition de la naissance par l’Esprit, on comprend que les adorateurs soient des personnes nées de nouveau, de l’Esprit. Enfin, parce que les adorateurs en Esprit sont liés par le même Esprit, leur culte d’adoration « en Esprit et en vérité » sera un culte communautaire.

3. La vie nouvelle par l’Esprit (Jn 7.37-39)🔗

Jean 7.37-39 est un très grand passage du quatrième Évangile. Ce fut lors de la fête des Tabernacles, une festivité riche en symbolisme, qu’au Temple de Jérusalem, entouré d’une foule d’adorateurs, Jésus prononça les paroles mémorables rapportées dans notre texte. C’était le jour de la grande fête célébrée au milieu de l’automne. Elle rappelait les huttes que les Israélites durent dresser durant leur pèlerinage dans le désert après l’Exode. Elle durait pendant une semaine (Dt 16.13). D’après Lévitique 23.36, il est fait mention d’un autre jour solennel de repos, mais il n’est pas certain que le « dernier jour » de notre Évangile se rattache à celui-ci. Si c’est le cas, le discours de Jésus fut prononcé au moment où on célébrait le rite traditionnel de l’eau, rite qui suivait de près le jour de la grande expiation. Quoi qu’il en soit, ce discours dut produire une forte impression.

Après que le prêtre chargé de l’office s’en fut retourné de la piscine de Siloé avec la cruche remplie d’eau et qu’il ait répandu le contenu pour la dernière fois au pied de l’autel, après avoir chanté le Hallel au son de la flûte, l’assemblée des adorateurs répondait par son chant; les prêtres sonnaient des trois trompettes en argent. L’instant constituait l’apogée aussi bien de la fête qui s’achevait que celui de la ferveur de l’assemblée des pieux adorateurs. Ce fut vers la fin, au milieu d’hommes se pressant vers l’autel, dissimulés sans doute par les branches que l’on tenait à la main tout en prononçant les derniers mots du Psaume 118, que la voix solitaire et forte de Jésus se fit entendre et résonna dans le Temple, en le remplissant d’un bout à l’autre : « Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi… »

Cette invitation promettait à celui qui croirait une source de vie tellement abondante que des fleuves d’eaux vives couleraient du sein du fidèle. Il n’était pas question d’observation rituelle légaliste, mais de communion concrète avec la vie elle-même, pleinement manifestée dans sa personne divine. L’effet produit fut instantané et, n’en doutons pas, frappant, immense. Le gardien du Temple, chargé du maintien de l’ordre, ne put empêcher Jésus de prononcer ce discours. En effet, personne n’avait parlé comme cet homme-là. La voix pleine d’autorité offrait une promesse inespérée. Il fallait se défaire du rituel symbolique et inefficace du cérémonial juif pour saisir la réalité dont il était le dispensateur. À cause de lui, on se serait désormais dispensé de tout intermédiaire devenu superflu; par la foi, on s’adressera directement à Jésus, le Christ. Ce qu’il promettait, nulle cérémonie, fut-elle la plus resplendissante, ne pouvait le procurer (És 12.2-3 et 58.11).

L’évangéliste donne une précision quant à l’image utilisée par Jésus. Il parlait de l’Esprit, celui dont la venue était imminente, dont la présence au milieu du nouveau peuple de Dieu était aussi promise et assurée. C’est à cet endroit-là qu’il ajoute que l’Esprit n’était pas encore, car le Christ n’était point glorifié. On peut certes admettre que la présence physique du Christ à cette heure-là était déjà une bénédiction. Toutefois, la plénitude n’en était pas encore visible. Elle n’était pas encore la règle, ainsi qu’elle le sera après la Pentecôte. Pour l’instant, l’ancienne règle de l’Ancien Testament restait encore en vigueur. À l’ancienne dispensation de la préservation allait bientôt succéder la nouvelle, caractérisée par l’effusion universelle de l’Esprit. À partir de ce jour-là, au milieu du nouvel Israël spirituel, il n’existerait plus d’exception ni de présence intermittente de l’Esprit. Ce que les anciens n’avaient pu apercevoir que de manière vague, désormais tous les membres de l’Église l’éprouveront comme l’expérience, comme la règle normale et générale. À leur tour, remplis du Saint-Esprit, ils deviendront les canaux de la diffusion de l’Évangile.

La présence et l’opération de l’Esprit deviennent ainsi une bénédiction tellement merveilleuse que même les dons ou les charismes particuliers extraordinaires et sporadiques pâlissent à côté d’elle. L’Esprit dépasse de loin… ses propres dons! D’après Jean 4.14, il s’agit de la présence et de l’opération dans la vie aussi bien intérieure qu’extérieure du disciple (sans que l’on cherche à le rattacher à un signe ou un don, aussi extraordinaire soit-il).

En dépit du respect que nous devons aux charismes de l’Esprit, malgré leur caractère provisoire, ces dons, même les plus merveilleux, ne sont rien par rapport au don par excellence que constitue l’Esprit qui nous est accordé. Ces dons ne sont que les modestes signes de sa présence. Ils disparaîtront. Mais, grâce à lui, le disciple peut devenir une source seconde, car le Christ reste la source originelle et exclusive de toute bénédiction, il devient davantage qu’un récipiendaire passif des grâces spirituelles. Il en devient le dispensateur second d’eau vive, cause seconde de foi animée, d’espérance vive, d’amour zélé. Il ne se contente pas de confesser le nom du Christ et de son Esprit; il parlera et il agira comme celui qui en vit et qui en dépend entièrement. La puissance dont il sera doté ne dérivera pas de lui-même, mais de celui qui agira en lui. Il deviendra un « vase » d’honneur (voir 2 Tm 2.21). La promesse du Seigneur est décisive, à condition cependant qu’il s’approche du Seigneur par la foi.

Le discours de Jésus prononcé à cette occasion possède une riche résonance vétérotestamentaire. Nombre de passages de l’Ancien Testament exprimaient l’espérance d’un âge nouveau à l’aide de l’image d’eaux fraîches devant irriguer la terre aride (voir Za 9 à 14). Lors de l’avènement de ce jour messianique, des torrents d’eau vive couleraient à partir de Jérusalem vers la mer Méditerranée et la mer Morte. Ce n’est pas par hasard que Jésus parla ainsi lors de cette fête. Ses paroles sont la réminiscence des prophéties de Zacharie, et l’évangéliste les interprète en disant qu’il parlait du Saint-Esprit qui devait venir. L’eau est le symbole de l’Esprit de Dieu et ce symbolisme apparaît souvent sur les pages de l’Ancien Testament, ainsi que nous l’avons remarqué dans l’exemple utilisé par le prophète Ézéchiel (Éz 36.25-27). Or, ce que les prophètes attendaient seulement du futur, Jésus est sur le point de l’accomplir. Mais Jean prend soin de préciser que l’Esprit n’était pas encore, car le Christ n’était pas encore glorifié. Nous avons également fait remarquer que l’évangéliste ne déclare pas qu’avant la glorification de Jésus l’Esprit n’existait pas. Plus simplement, écrivant bien après la Pentecôte, il tient à rappeler qu’à cette date-là, l’Esprit n’avait pas encore été répandu comme il l’a été par la suite.

La mort du Christ rendra effective la présence universelle de l’Esprit. Plus loin, il dira : « Si je ne pars pas, le Consolateur ne viendra pas vers vous » (Jn 16.7). Bien que l’évangéliste n’ait aucun doute que l’Esprit était déjà présent chez les disciples, même en ce stade de leur « foi », il viendra néanmoins chez eux afin d’impartir désormais la vie même de Jésus. Sans le Calvaire, il n’y aurait point de Pentecôte. Tel est le sens de la promesse même de Jésus. La promesse de l’Esprit est celle de la vie nouvelle, abondante, que Jésus infuse aux siens par sa mort. Par vie abondante, nous n’entendons pas une vie faisant preuve de triomphe et d’exubérance lors de toute épreuve. Si une telle vie peut être le rêve des illuminés, elle n’est pas le privilège du disciple ordinaire. La vie abondante ne se réduit pas à une manifestation de mécanismes psychologiques.

On sait combien les apôtres prennent soin de ne pas laisser croire que la vie nouvelle en Christ, possible par l’Esprit, est une marche triomphaliste et exaltante. Paul, notamment, se réfère à ses faiblesses. La vie abondante est celle qui vit de la grâce et de l’offre du pardon. Mais elle signifie également l’affranchissement par rapport au péché et à toutes les aliénations dont l’homme rebelle est à la fois le responsable et la malheureuse victime. Cette vie connaîtra ses hauts et ses bas, elle aura ses moments de découragement et ses heures d’angoisse. Elle sera blessée et subira des assauts. La vie nouvelle et abondante n’est pas l’équivalent d’une vie à l’abri des problèmes ni d’un bonheur sans nuage. Elle est la vie offerte par la grâce, accueillie par la foi; elle est le partage de la vie du Christ, sans la moindre coloration psychologique, même si l’émotion, elle aussi affranchie, peut et doit l’exprimer. Mais l’émotion n’en est pas le critère, elle n’en est qu’une des manifestations, l’une parmi les multiples et diverses manifestations qui l’expriment.

Un commentaire de Calvin peut nous aider à saisir encore la riche portée de ce passage remarquable :

« Nonobstant, il ne montre pas que les fidèles soient du premier jour rassasiés du Christ, de telle sorte qu’ensuite ils n’en aient plus soif ni faim; mais plutôt la jouissance du Christ embrase un désir et un zèle nouveau de celui-ci. Mais voici le sens : le Saint-Esprit est telle une fontaine vive (et toujours coulant en) ceux qui croient. Saint Paul atteste au chapitre 8 des Romains que l’Esprit est vie en nous, bien que nous portions en reliques [résidus] de péché la matière de mort (Rm 8.10). Et de fait, vu que chacun est fait participant des dons et des grâces du Saint-Esprit selon la mesure de sa foi, il n’est pas possible que nous en ayons durant cette vie une plénitude entière et accomplie. Nonobstant les fidèles en profitant en la foi, aspirent de temps en temps à de nouveaux accroissements du Saint-Esprit, mais de telle sorte que les prémices dont ils ont été abreuvés leur suffisent pour parvenir à la perpétuité de vie. Mais aussi nous sommes admonestés par ceci combien est petite la mesure de notre foi, vu qu’à grand-peine les grâces du Saint-Esprit distillent en nous goutte à goutte, lesquelles couleraient en grande abondance comme des rivières, si nous donnions au Christ la place qu’il lui appartient; c’est-à-dire la foi nous rendrait capables de celui-ci.
[…] L’évangéliste dit que cette grâce du Saint-Esprit qui a été répandue sur les hommes après la résurrection du Christ n’a point été ouvertement manifestée tandis qu’il a conversé en ce monde sous la forme abjecte de serviteur. Et de fait, il parle par comparaison, comme quand le Nouveau Testament est opposé à l’Ancien. Dieu promet son Saint-Esprit à ses élus et ses fidèles, comme s’il ne l’eût jamais donné aux Pères anciens; il est bien certain que déjà les disciples avaient reçu les prémices du Saint-Esprit; car d’où vient la foi, sinon du Saint-Esprit? Ainsi l’évangéliste ne dit pas simplement que la grâce du Saint-Esprit n’a pas été offerte et donnée aux fidèles avant la mort du Christ, mais qu’elle n’était pas encore aussi claire et manifeste qu’elle devait l’être ensuite; car le principal ornement et la plus excellente gloire du royaume du Seigneur Jésus-Christ, c’est qu’il gouverne son Église par son Saint-Esprit. Or il est vraiment entré en légitime et comme solennelle possession de son royaume, quand il a été exalté honorablement à la dextre de son Père. Il ne faut donc pas s’ébahir s’il a différé la pleine manifestation de son Esprit jusqu’à ce temps-là.
[…] Entend-il les grâces visibles du Saint-Esprit en ce passage, ou la régénération qui est le fruit de l’adoption? Je réponds à cela que le Saint-Esprit est apparu en ces grâces et ses dons visibles comme en des miroirs, lequel avait été promis à la venue du Christ. Toutefois, il est ici proprement question de la puissance du Saint-Esprit, par laquelle nous sommes régénérés en Christ et faits nouvelles créatures. Par conséquent, il faut imputer à notre tardivité [lenteur] et la petitesse de notre foi le fait que le Christ soit maintenant assis en la haute gloire et en la grande majesté d’empire à la dextre de Dieu son Père et que pendant ce temps nous gisions ici en terre, pauvres et souffreteux et presque vides de tous les biens spirituels.3 »

4. Les discours d’adieux (Jn 14 à 17)🔗

Discours véritablement d’adieux, cette partie du quatrième Évangile est liée au départ imminent de Jésus. De manière explicite, Jésus fait la promesse de l’envoi de l’Esprit qui le remplacera. L’Esprit n’est mentionné que cinq fois seulement dans les quatre chapitres de cette partie de l’Évangile. Toutefois, le climat qui règne ici est tout entier dominé par sa présence. Nous trouvons ici, sinon un traité complet de « pneumatologie », au moins une contribution telle que, si nous omettions d’en examiner le riche contenu, toute pneumatologie et toute expérience concrète seraient appauvries. De même qu’auparavant les disciples étaient liés à la présence physique, tendre et affectueuse de leur Maître, de même désormais, ils le seront à celui que nous avons appelé le Vicaire du Christ. N’est-ce pas d’ailleurs lui qui les avait amenés vers le Christ? Mais commençons par l’examen de la terminologie qui le désigne.

Qui est et qu’est-ce que le Paraclet dans le quatrième Évangile? En grec, « Paraclètos », que ce soit sous sa forme adjectivale ou comme substantif, désigne quelqu’un appelé à assister. Le service que l’Esprit devait rendre aux disciples, d’après les synoptiques, était déjà de cette nature; on peut aisément signaler que le terme possède un caractère juridique. C’est pourquoi plusieurs traductions le rendent aussi par « Avocat ». Mais au-delà de ce sens, il faut retenir le sens général d’assistant, celui qui vient au secours de quelqu’un. Ailleurs, on l’a traduit par « Consolateur ». On doit cependant mettre en question cette traduction, à moins que consoler n’implique aussi consolider, rendre fort. Nous ne nous arrêterons pas sur les diverses traductions qui ont cherché à rendre le terme « paraclet » en nos langues. Cela exigerait un vaste travail qui dépasse les bornes de cette étude. Ce n’est qu’en passant que nous retiendrons telle ou telle nuance, afin d’avoir une vue claire et précise de la présence et de l’opération de l’Esprit telle que les conçoit le paragraphe présent de l’Évangile selon Jean.

La première remarque à faire est l’étonnante intimité qui unit l’Esprit Paraclet à venir à la personne du Christ, qui est sur le point de quitter les siens. Le Père l’enverra sur sa demande, en son nom. Il prendra ce qui est de Jésus et le déclarera à ses disciples. Il glorifiera Jésus, rappellera aux disciples les paroles du Christ, portera témoignage à sa personne.

On peut se demander si une relation aussi intime était concevable dans l’Ancien Testament, ou bien si des exemples de l’Ancien Testament peuvent nous éclairer. Les illustrations humaines, tel Josué succédant à Moïse et Élisée au prophète Élie, peuvent jeter un certain éclairage. Les successeurs des grands témoins reçoivent la même part de l’Esprit que celle de leurs prédécesseurs. De la même manière, on peut dire que l’Esprit qui a été accordé à Jésus le sera aussi à ses disciples.

Le discours d’adieux nous permet-il d’établir une distinction entre le Christ et le Saint-Esprit ou, au contraire, ne s’agirait-il que de la même personne, introduite sous deux appellations différentes? L’Esprit ne serait-il qu’une force impersonnelle ou encore un principe spirituel, ou au contraire la présence spirituelle permanente du Christ? Un examen rapide démontrera que, dans notre Évangile, l’Esprit est bien distinct du Christ; l’emploi des pronoms personnels suffirait pour nous en persuader. Cependant, du fait même de sa promesse, Jésus parle de l’Esprit comme s’il s’agissait de sa propre personne, venant auprès des siens pour demeurer dans leur communion. Diverses interprétations ont été données quant à cette « identité » de l’Esprit. On a conjecturé qu’il s’agissait de l’annonce du prochain retour du Christ. D’autres l’ont interprétée comme l’apparition post-pascale du Seigneur. D’autres encore n’y ont vu que la désignation de l’œuvre.

Les deux premières hypothèses ne retiendront pas notre attention. Nous estimons que la dernière interprétation rend justice à l’intention du discours. C’est le contexte qui éclairera l’expression « sa venue ». Cette venue concerne les dons qu’il va accorder. Par « voir », il entend la vision spirituelle des disciples éclairés par l’Esprit. Le Christ vient vers les siens non pas de nouveau, physiquement, mais par l’intermédiaire de son Esprit. L’œuvre de celui-ci se parachève en son nom. L’accent est placé, non pas sur l’identité avec le Christ, mais en la certitude qu’ils sont encore avec leur Seigneur « jusqu’à la fin du monde ». Ils le verront de manière spirituelle, ce qui leur permettra de le connaître mieux encore.

Le Christ se révèle et poursuit son ministère à travers lui. De même que l’œuvre entreprise par le Père et achevée par le Fils n’établit pas de confusion entre les deux personnes, de même les aspects différents de la même œuvre, assumés par le Fils et par l’Esprit, ne tolèrent aucune confusion entre eux. L’Esprit n’accorde pas une nouvelle révélation, mais ouvre les yeux pour qu’on appréhende celle déjà octroyée et que l’on parvienne à une connaissance plus profonde de l’enseignement du Christ. Le rapport entre l’action historique et l’œuvre d’interprétation et d’application par l’Esprit est très intime. La première devait rester temporaire, la seconde se poursuivra jusqu’à la fin des siècles. La foi et l’amour des premiers disciples étaient soutenus par la présence visible de Jésus. Il conduisait leur esprit et il attirait leur attention loin des signes et des miracles accomplis pour la diriger vers sa propre personne. Il cherchait à fonder leur foi sur des raisons plus profondes que celles que pourrait saisir le simple sens. C’est pourquoi il déclarera à Thomas que ceux qui n’ont pas vu, mais qui ont cru seront plus heureux que ceux qui ont été des témoins oculaires de sa résurrection.

Les disciples devront approfondir leur vie et le sens du Royaume à la lumière nouvelle répandue par l’Esprit du Christ. Leur foi découvrira des fondements solides et profonds. Le voile qui cachait leur vue sera déchiré afin qu’ils puissent marcher par la foi seule. Les trésors intérieurs de l’Évangile leur seront dévoilés par l’Esprit. Des mystères profonds leur seront découverts. Des hauteurs jusque-là inaccessibles seront atteintes. Ils devront cesser de tout regarder et examiner avec les yeux charnels, car ce qui est inférieur présente un obstacle à ce qui est élevé.

Il demeurera toujours avec eux. D’après Jean 14, l’Esprit est appelé « un autre Paraclet », ce qui laisse entendre que Jésus en avait été un, quoique dans l’Évangile il ne soit nulle part appelé comme tel (il porte cependant ce titre en 1 Jean 2.1, désignant son ministère d’intercession actuel auprès du Père). Mais sa fonction auprès de ses disciples équivalait précisément à celui d’assistant.

L’autre Paraclet est appelé par trois fois l’Esprit de vérité. Mais Jésus dit de lui-même qu’il est la vérité. L’avènement de l’Esprit de vérité séparera les disciples de ceux qui n’ont pas discerné sa présence ici-bas, afin de les mettre à part. Le monde, dans son aliénation, ne se rend compte ni de l’activité ni même de la présence de l’Esprit, et surtout pas de la vie, du ministère et de l’ensemble de l’œuvre du Christ. Seuls les disciples le discernent.

Non seulement l’Esprit sera avec eux, mais encore en eux. C’est pourquoi Jésus tient à rassurer les siens au sujet de son départ. Ils n’ont pas à craindre; ils ne seront pas des orphelins; ils n’ont pas de raison de se désoler. Il est avec eux, sinon visible en chair, en tout cas dans et par son Esprit. Sans se confondre avec la personnalité de Jésus, le Paraclet revêtira sa propre personnalité. Tandis qu’il n’apparaissait dans l’Ancien Testament que par des manifestations sporadiques, dans le Nouveau Testament, le Paraclet déploie toute sa puissance salvifique.

L’Esprit viendra également en tant qu’Enseignant, ou Docteur intérieur, comme aimait l’appeler Jean Calvin. Il enseignera toutes choses, car telle est l’une de ses fonctions. « Toutes choses » ne veut certainement pas dire plus que ce que le Christ avait enseigné; cette précision s’imposait pour nous mettre en garde contre tout abus illuministe ou dogmatiste qui, s’appuyant sur cette expression, en prendrait prétexte pour ajouter des éléments parasitaires à l’enseignement dispensé une fois pour toutes par Jésus (« ef hapax »). L’incapacité des disciples de comprendre ce que le Christ avait enseigné ne justifie pas l’idée d’après laquelle l’Esprit serait actuellement chargé de compléter cet enseignement par de nouvelles révélations. Le Paraclet n’est pas une nouvelle source de révélation, comme il n’est pas source ou complément du salut. Cette inaptitude des disciples s’explique par le fait qu’ils n’avaient pas encore assisté à la crucifixion, pas davantage qu’à sa résurrection.

Ce n’est qu’après ces faits constitutifs de la foi qu’ils saisiront toute la portée du ministère terrestre de Jésus ainsi que le sens le plus profond et le plus véridique de son enseignement. Alors l’Esprit se révélera comme celui qui est lié à Jésus. Sans son illumination, la mort et la résurrection du Christ resteraient des faits « objectifs », mais sans rapport vital avec la foi. On ne peut donc pas se fonder sur ce passage pour soutenir la possibilité de nouvelles révélations, de nouvelles doctrines ou de nouvelles promesses qui iraient au-delà de ce que le Christ, la Vérité, a déjà apporté, restant dans la continuité de la révélation, de la doctrine et des promesses de l’Ancien Testament. L’Esprit ne dictera rien de plus que Jésus n’a déjà fait. Son enseignement est aussi christocentrique que l’a été son activité durant le ministère du Sauveur. Il le glorifiera comme Jésus a glorifié son Père. Ce passage empêche également d’une part d’exagérer l’importance accordée à l’Esprit, d’autre part de négliger la signification de son opération pour le salut et pour l’expérience chrétienne. Il sera le Témoin par excellence, après avoir été l’Assistant par excellence et le Docteur par excellence. Chose remarquable, c’est à cause de son témoignage que les disciples, à leur tour, deviendront les témoins du Christ.

Du fait du contexte dans lequel ces paroles ont été prononcées, c’est-à-dire la haine dont Jésus était l’objet, on a fait remarquer que cela laisse supposer que le témoin par excellence œuvre en tant qu’agent légal, conseiller et témoin juridique. Témoigner du Christ suppose aussi prendre sa défense devant ceux qui en récusent la messianité ou en rejettent la mission salvatrice. Grâce à son assistance, ils communiqueront l’Évangile au monde. Il demeurera dans une communion permanente avec eux. Il deviendra leur source d’inspiration. Il est appelé Esprit de vérité parce qu’il est le porteur et le médiateur de la vérité en Christ, celle qu’il a incarnée dans son œuvre à la fois révélatrice et rédemptrice. Il interprète les réalités divines constituant la vie intérieure de Jésus; il fait adopter par l’homme une vie spirituelle en harmonie avec ces réalités divines. En ce sens-là apparaît l’aspect eschatologique de son œuvre. En conduisant les hommes au Christ et à sa vérité, il apporte sa contribution à l’accomplissement des desseins de Dieu et il établit une communion d’amour entre lui et eux. Ici encore, l’œuvre de l’Esprit se présente comme étant de la même nature et relevant de la même mission que celle du Christ, pour amener tout homme à la connaissance salvatrice de sa personne.

Un autre trait de sa fonction est la nature juridique de celle-ci. Dans sa fonction « juridique », le Paraclet viendra parce qu’il est avantageux pour les disciples que Jésus s’en aille. « Et quand il sera venu, il convaincra le monde de péché, de justice et de jugement » (Jn 16.8). Il fonctionnera comme l’Avocat Procureur du monde incrédule qui a rejeté Jésus. C’est notamment dans cette fonction-là que les traductions rendant le terme Paraclet simplement par Consolateur ou même Assistant semblent insuffisantes. Il n’est pas seulement Avocat de la défense, il est aussi l’Avocat de la partie civile.

Voici les chefs d’accusation : celui d’avoir rejeté le Christ et de n’avoir pas cru en lui. Il démontrera la nature de ce péché. En ce qui concerne la « justice », il démontrera la fausse position du monde du fait que Jésus s’en va vers le Père et que les disciples ne le verront plus. La justice dont il est ici question est sans doute la justice personnelle du Christ que le monde a considéré comme inique. L’Esprit accusera le monde d’avoir prononcé un faux jugement contre la personne du Christ. Il renversera le verdict du monde en montrant que le Christ est monté au ciel et qu’il est exalté. Il démontrera qu’il détient l’absolue et l’ultime autorité dans les cieux et sur la terre. Il rendra évidente la faute du monde qui n’a pas reconnu Jésus. Quant au « jugement », il mettra le monde dans le faux en montrant que le prince de ce monde a été condamné.

Un autre effet de l’œuvre de l’Esprit est la défaite de Satan (déjà prévue dans Jn 12.31). Cette défaite est causée par la proclamation de l’Évangile. C’est pourquoi au chapitre 14, nous lisons que « celui qui croit en moi fera des œuvres plus grandes encore que celles que j’ai faites » (Jn 14.12).

Le chapitre 17 a été l’un des textes de l’Évangile dont on a le plus usé et abusé pour bâtir une théologie de l’unité des Églises ouvertement horizontaliste, interprétation comprise en un sens ecclésiolâtrique, ecclésiomoniste et ecclésiomaniaque, mais qui ne peut en aucun cas se réclamer de celle dont il est question dans ce célèbre passage. L’unité véritable relève de celle de la vérité profonde enseignée et appliquée par l’Esprit, à laquelle devra se subordonner toute unité formelle. L’unité pour laquelle le Christ prie (oraison sacerdotale) reste vitale, spirituelle et éternelle. Elle a trait à la connaissance et à l’expérience à laquelle le monde reste étranger et impénétrable, si ce n’est hostile. Elle est issue de l’amour et de la joie qui viennent du Père des lumières.

L’unité des chrétiens dépend de l’œuvre fondamentale de l’Esprit. Parce qu’il nous met en rapport avec la Tête, nous sommes vivants; parce que lui, le Christ, vit, nous vivrons aussi. Cette unité n’est pas simplement une promesse adressée par le Sauveur aux sauvés; elle est adressée par la Tête aux membres, par le Cep aux sarments. Elle n’est pas la simple annonce d’une union organique, mais l’affirmation d’une communion vivante. Le monde ne le verra plus, mais les disciples le verront. Leurs cœurs se réjouiront et son Père les aimera. Ils feront leur demeure en lui. Cette communion se manifestera notamment dans la prière :

« Je vous ai choisis et je vous ai établis afin que vous alliez, que vous portiez beaucoup de fruit et que votre fruit demeure, pour que tout ce que vous demanderez au Père en mon nom, il vous le donne » (Jn 15.16).
« Ce que vous demanderez au Père, il vous le donnera en mon nom. […] Demandez et vous recevrez, afin que votre joie soit complète » (Jn 16.23-24).

La prière du chapitre 17 témoigne d’une entière dépendance vis-à-vis de Dieu. Il s’agit véritablement d’une prière en Esprit (voir Jude 1.20 et Rm 8.26-27). L’Esprit aussi intercède en notre faveur. Les apôtres, revêtus d’une entière autorité, dispenseront l’enseignement éclairé par l’Esprit. Cependant, la promesse s’étend aussi encore à tous ceux qui ont reçu une onction et qui, secondairement seulement, devront enseigner le troupeau. Dans leur cas, on ne peut parler d’un enseignement infaillible, mais plus modestement de communication de la révélation transmise une fois pour toutes. Ils sauront discerner les esprits, distinguer entre le vrai et le faux, établir et retenir ce qui est propre au salut. Il s’agit d’un don spirituel sachant rejeter toute contrefaçon se substituant à la Parole. Par conséquent, il s’agit de la connaissance accordée aux docteurs, éclairés par la lumière de l’Esprit qui régénère l’âme et transforme l’intelligence. On peut alors avoir la certitude que le discours d’adieux et la prière sacerdotale se sont réalisés au cours de l’histoire de l’Église qui a été préservée par l’Esprit. Celui qui prie se sait préservé dans l’amour de Dieu (Jude 1.20-21). Cette péricope si émouvante de l’Évangile déclare notre union avec Dieu, notre propre préservation dans la fidélité et la connaissance spirituelle du Christ. Ce sont des réalités nouvelles à propos desquelles saint Paul déclare qu’il s’agit d’une création tout à fait nouvelle (2 Co 5.17), parce que l’Esprit les a mises à notre portée.

Le discours d’adieux, prononcé à la veille de la mort et de la glorification du Christ, s’occupe d’une part de l’œuvre de l’Esprit et de l’autre de l’application de celle-ci dans la vie du disciple fidèle. L’essentiel en est constitué par l’unité au sens général établie entre lui et le disciple. Cette unité reflétera celle qui existe déjà entre le Père et le Fils.

5. L’insufflation (Jn 20.19-23)🔗

Avec Matthieu, l’Évangile selon Jean est celui qui mentionne l’Esprit après la résurrection du Christ. Lorsqu’il est apparu le soir de Pâques aux disciples réunis dans une chambre, il leur a accordé sa salutation : sa paix. Ils se sont sans doute souvenus du discours d’adieux durant lequel Jésus leur offrait cette même paix. La différence est grande à présent, car, en sa qualité de Seigneur ressuscité, il leur offre non seulement la paix, mais encore il va leur accorder le don de son Esprit. Dans la pensée judaïque, la paix et la joie devaient accompagner l’inauguration de l’ère nouvelle. C’est précisément le cas ici dans cette chambre de Jérusalem, puisqu’il leur souffle son Esprit.

Comment harmoniser ce don de l’Esprit avec celui dont il est question dans Actes 2? Renonçant à tout examen critique relatif à d’hypothétiques erreurs chronologiques dues soit à Luc soit à Jean, nous irons à l’essentiel.

La scène est différente de celle que nous venons d’évoquer. Elle se déroule dans le calme d’une soirée baignée de l’éclat lumineux de la résurrection. La chambre haute est soigneusement verrouillée, mais elle sera le témoin de la présence et de la rencontre du Ressuscité avec certains des disciples à la fois heureux et hésitants. Les premiers mots prononcés sont ceux qui annoncent et procurent la paix. Aussitôt, les disciples sont chargés d’une mission : « ceux à qui vous pardonnerez les péchés, ils leur seront pardonnés ». Ensuite, il souffle sur eux son Esprit.

Retenons ici pour commencer la mission confiée aux disciples. Le don de l’Esprit est intimement lié à la personne et à l’œuvre du Christ. En ce moment, comme plus tard au matin de la Pentecôte, il accorde personnellement son Esprit et il demeure en communion avec les siens par l’intermédiaire du Paraclet. Certainement, ces paroles et cette mission ne justifient pas une division cléricale de l’Église. Elles sont destinées à l’Église dans son ensemble. Ce qui devrait demeurer au centre est personnellement accordé par le Seigneur ressuscité. Les apôtres ne sont pas médiateurs. L’incident qui, d’après le livre des Actes, opposera Pierre à Simon le magicien le prouvera amplement. Notons également que la chambre ici ne renferme pas uniquement les apôtres, mais d’autres disciples qui s’y trouvent également. Aussi, c’est difficilement qu’on pourrait tirer de ce passage un argument en faveur d’une succession dite apostolique. C’est à l’ensemble de son Église qu’il donne le pouvoir de le représenter dans la mission qu’il a reçue du Père. Associé à sa personne, ainsi que nous l’avons vu, le Saint-Esprit est celui qui convaincra les hommes de leur péché et leur révélera simultanément le Sauveur. Tel est, en tout premier lieu, le rapport entre la mission accordée et l’Esprit insufflé par le Christ.

En second lieu, nous pensons qu’ici, comme dans le livre des Actes, nous avons deux dons distincts en vue de deux objectifs précis. L’un est lié directement au pardon des péchés, et par conséquent à la prédication, le second est de répandre l’Esprit sur le nouveau peuple de Dieu rassemblé de tous les coins du monde. Si le récit de la Pentecôte dans le livre des Actes est lié à la proclamation publique de l’Évangile et permet l’accomplissement des œuvres puissantes, le passage de Jean ne rend pas pour l’instant public le don réel de l’Esprit. Le soir de la résurrection, le don anticipe celui qui, cinquante jours plus tard, sera définitif. Il est également possible de discerner dans le geste du soir de la Pâque l’intention de Jésus de se faire reconnaître de ses disciples.

Nous ne chercherons pas à harmoniser ces deux récits. À nos yeux, l’essentiel consiste en ce que l’un comme l’autre rendent clair que Jésus, investi de toute son autorité messianique, est désormais habilité à insuffler l’Esprit, à en faire le don et à le répandre sur les siens. Sur ce point, Luc et Jean se trouvent d’accord.

Comme le fait remarquer James Dunn, nous pensons que le récit de Jean a une nette intention théologique, sans pour autant infirmer en quoi que ce soit l’authenticité du fait. Le don de l’Esprit suit, selon Jean, la mission confiée aux disciples auxquels Jésus s’est manifesté en tant que le Sauveur ayant achevé l’œuvre de la rédemption. C’est pourquoi il leur montre les blessures de ses mains. Ce message du salut devra être proclamé dans le monde entier. Il les envoie dans le monde comme le Père l’avait envoyé. Leur mission procède de la sienne qui est leur modèle. Le Christ avait achevé son œuvre confiée par le Père grâce à l’assistance de l’Esprit. Les disciples en feront autant; ils seront portés, secourus, assistés et soutenus par l’Esprit. C’est pourquoi il souffle sur eux.

Jésus souffle comme Dieu avait soufflé son Esprit lors de la création. Le terme original grec « emphusao » n’apparaît qu’à cet endroit du Nouveau Testament. Dieu souffla son souffle dans les narines du premier homme et celui-ci devint une âme vivante. Jésus souffle son Esprit sur les disciples et fait d’eux une création nouvelle. Leur mission consistera à annoncer le pardon des péchés. Ils serviront d’agents de Dieu qui peut seul pardonner les offenses des hommes.

Rappelons encore pour mémoire l’une des fonctions assignées au Paraclet (Jn 16.8-9); il doit convaincre le monde de péché afin que les hommes se repentent et soient pardonnés. On a rapproché cette mission à l’ordre missionnaire que l’on trouve à la fin de l’Évangile selon Matthieu. Aussi y a-t-on vu la possibilité d’admettre ou d’exclure des membres de la communauté ecclésiale. Il est certain aussi que l’un des points les plus importants du discours de Pierre le jour de la Pentecôte consiste en l’annonce du pardon : « Repentez-vous pour la rémission de vos péchés » (Ac. 2.38). La prédication de l’Évangile et l’offre du pardon endurciront les uns, mais amèneront les autres à la conversion. Une telle mission ne peut s’accomplir sans le secours de l’Esprit qui apporte aussi bien le pardon que le jugement.

Si l’Esprit demeure dans l’Église et anime sa prédication, le pardon sera proclamé à tout homme qui se repent. Il assistera l’Église lors de l’admission de nouveaux membres. Il permettra l’exercice d’une saine discipline ecclésiastique sur ceux qui, soit en doctrine soit en pratique, transgressent les règles de l’Évangile. Mais aussi quel redoutable avertissement! La présence de l’Esprit et son opération sont un jugement sur celui qui s’endurcit et se refuse à Dieu. Alors, comme nous le signalions plus haut, le péché ne peut plus trouver de rémission; c’est le blasphème contre l’Esprit.

Notes

1. C.F.D. Moule, Veni Spiritus Creator, Paternoster.

2. Voir notre série de six articles intitulés La naissance d’en haut dans Essai sur le Saint-Esprit et l’expérience chrétienne.

3. J. Calvin, Commentaire sur l’Évangile selon Jean, chapitre 7:38-39.