Cet article a pour sujet le témoignage de ceux qui sont morts dans le Seigneur, qui sont avec Dieu et nous exhortent, en quelque sorte, à vivre dans la foi, le service, l'amour et l'espérance.

Source: Le chrétien et la souffrance. 4 pages.

Quoique morts, ils nous parlent encore

L’automne, cette saison mélancolique, est déjà largement entamé en ce mois de novembre; les feuilles commencent à tomber, les pluies se font quotidiennes, les journées raccourcissent… Tout indique que l’année arrive à la fin de sa course… Il n’est pas rare que nous nous sentions parfois un peu tristes de je ne sais de quelle langueur…, comme dirait le poète.

C’est en ce début de novembre aussi que, chaque année, régulièrement, nous nous souvenons, pour les honorer, de ceux qui nous ont quittés, nous laissant un vide immense et pesant. Nos cimetières, à la campagne comme de nos cités, verront affluer des visiteurs empressés, devant des tombes fraîchement ouvertes, ou renouvelant avec émotion le geste pieux de déposer quelques fleurs qui orneront pour quelques jours de vieilles sépultures. Car le deuil de nos bien-aimés reste enseveli au fond de nous-mêmes et leur souvenir profondément gravé dans nos cœurs endeuillés.

Jadis, dans les temps reculés de l’histoire, nous disent les historiens, on pratiquait le culte des morts. Plus près de nous, d’autres cultures les ont adorés ou simplement vénérés, croyant à leur survivance. Aujourd’hui, en dehors du christianisme, quoique même dans certaines branches de celui-ci, le culte des ancêtres est l’une des formes de superstition la plus largement répandue. Même là où l’Évangile a été annoncé, le souvenir des morts est resté une sorte de culte. Tandis que temples et chapelles sont désertés en ce début du mélancolique mois de novembre, les cimetières, eux, verront une exceptionnelle affluence et pour se couvrir de nouvelles couronnes.

La foi évangélique empêcherait-elle de se souvenir des morts? Non, au contraire, car en répandant ses divines clartés, elle grave dans nos esprits la certitude de l’immortalité de la personne humaine. En face de la tombe, nous confessons que l’homme à l’image de Dieu, malgré la mort, reste l’âme dont le Créateur reconnaît la personnalité et l’accueille auprès de lui. Mais ce sera le Dieu immortel et le Christ ressuscité que nous adorerons, tout en nous souvenant de ceux qui nous ont devancés, ceux qui actuellement se trouvent au-delà de la tombe et au-delà des cimetières.

La foi réformée est, avec raison, réservée dans son expression quant à la survie après la mort; elle craint, à juste titre, d’encourager la superstition. D’autres chrétiens sont moins rigoureux à ce sujet. Pour ma part, j’aimerais vous inviter, en ce début du mois de novembre, à vous souvenir de vos chers disparus, mais seulement dans l’esprit de l’Évangile. Parlons donc d’eux, non pour faire appel à une sensibilité passagère et stérile ni pour satisfaire une curiosité ou des tendances superstitieuses, mais pour apprendre, à l’école de Dieu, une sainte et salutaire leçon.

Évoquons nos morts par la pensée. Pères et mères, fils et filles, « os de nos os et chair de notre chair », vieillards vénérables ou enfants à l’entrée de la vie, dont les figures sont gravées dans le fond de nos cœurs, seront évoqués avec émotion durant ces jours-ci. Certains d’entre eux reposent près de nous, et nous avons la consolation de pouvoir visiter et soigner leurs tombes. D’autres sont au loin, dans quelque cimetière inconnu dans un pays lointain; d’autres ont été portés sous terre qui sait où, dans une contrée ignorée… Mais en réalité, ils ne sont pas là, dans le cimetière, au-delà des mers, sous une terre ignorée. Leur esprit, leur âme vivante, n’est nullement enfermé dans la tombe, enfoui sous une lourde pierre. Ce n’est que leur corps façonné de terre qui est retourné à la terre; leur âme a été reprise par le Créateur qui l’avait donnée.

Ne cherchons donc pas dans les cimetières ceux dont nous avons enseveli les corps périssables. Cherchons-les auprès de Dieu qui les a sous sa garde. Quelle suprême consolation pour nous que de savoir que ceux qui sont morts dans le Seigneur vivent, déjà, dans l’attente de la résurrection finale, entourés des myriades d’anges célestes, dans la compagnie des martyrs bienheureux, participant aux chants divins, débordants d’allégresse, vivant à la lumière immaculée de l’Évangile, grossissant les rangs de l’Église triomphante. Ils se sont endormis dans la paix du Seigneur, du Prince de paix. Les morts dans la foi appartiennent au Dieu de notre salut et au Seigneur d’amour. De ceci, nous avons la certitude joyeuse; non pas, certes, une connaissance totale, parfaite, mais ce que nous en savons nous accorde déjà une sereine consolation. Et cela doit nous suffire lorsque nous nous souviendrons, avec un serrement de cœur, de nos chers disparus.

Puissions-nous aussi entendre avec émotion le message, que je m’imagine ils voudraient nous transmettre; puissions-nous l’accueillir par la foi. J’imagine que, si leur voix pouvait nous parvenir, ils nous exhorteraient tout d’abord à une sainte action. À agir en conformité avec notre destinée éternelle et notre vocation dans le siècle présent. Ils nous presseraient « à racheter le temps », à bien l’employer, de peur qu’il vienne soudain nous manquer, que nous en restions à court…

Je sais qu’on tire parfois de la fragilité de cette vie et de sa brièveté une leçon toute différente. « Puisque la vie est si courte et incertaine, hâtons-nous d’en jouir. » « Mangeons et buvons, car demain nous mourrons! » Ou encore l’extrême opposé : « Puisque la vie est si souvent misérable, résignons-nous, subissons-la, maudissons-la aussi quand nous en subissons les coups, en attendant d’en être définitivement délivrés. »

Vivre pour le plaisir, ou pour maudire son sort, ce sont là des attitudes lâches et irréalistes; ce ne sont pas les conseils ni les leçons que nous ont laissés les bienheureux, recueillis auprès du Seigneur et qui se reposent de leurs travaux; eux ils nous diraient : travaillez; Dieu sera votre récompense; hâtez-vous d’accomplir les tâches qui vous restent à accomplir tant qu’il fait jour, avant que le jour ne décline. Tant que vous avez l’occasion de faire le bien, continuez à la faire sans vous lasser, redoublez d’ardeur, car le temps presse. Nous faisons profession de croire en l’Évangile, et celui-ci nous assure que la mort est suivie d’un réveil. Aujourd’hui, ce sont les semences que nous jetons; la moisson nous attend, mûre pour être engrangée dans les greniers célestes.

Si nos morts pouvaient se faire entendre de nous, ils nous feraient parvenir également le message d’amour. Aimez-vous les uns les autres, nous diraient-ils, reprenant à leur compte un message qu’ils avaient entendu de la part du divin Maître.

Or, il n’est pas rare qu’en pensant à un disparu, parent ou enfant, ami ou voisin, nous ressentions une peine comme une sanction pour avoir eu envers les disparus une attitude répréhensible. Nous n’avons pas su les aimer suffisamment. Nous leur avons parlé avec dureté et les avons inutilement blessés; nous leur avons refusé le pardon qu’ils attendaient; leur avons tourné le dos brisant des liens qu’il n’est plus possible de réparer; à présent, que de regrets encombrant notre souvenir! Ah, si seulement nous pouvions réparer cela, même tardivement… S’il nous était accordé une chance de leur témoigner de l’affection, de les entourer avec plus d’égards, de leur offrir une amitié qui ne défaille pas, d’exprimer cette chaleur qu’avec tant d’insensibilité nous leur avions parfois déniée… Si une seule occasion d’être bons envers eux pouvait encore s’offrir, occasion de les aimer comme Christ nous demande d’aimer…

Certes, nous avons parfois de solides raisons de cultiver tel ou tel ressentiment; nous avions été traités durement à notre tour et avions été choqués par leur langage vif et incontrôlé; ils nous avaient adressé des reproches injustifiés; ils ont même procédé malhonnêtement. Aigreur, amertume, violence, mauvaise humeur, froissements pénibles peuvent remplir aussi le bagage des souvenirs que nous traînons lourdement, maladroitement… Hélas! nous oublions que ceux qui nous entourent sont des proches, des frères et des sœurs, qui combattent et peinent, comme nous-mêmes, au milieu des dures réalités de l’existence. Ils doivent constamment naviguer, eux aussi, contre des circonstances adverses… Et puis, dans peu de temps, un temps plus proche que nous ne nous y attendons, ceux qui nous ont blessés ou que nous heurtons ne seront plus là, et ainsi nous aurons perdu à jamais l’occasion de nous réconcilier, de tendre une main amicale, d’offrir le baiser de la réconciliation. Ne faudrait-il pas mieux nous épargner déjà des regrets accusateurs et impuissants?

Or, le Dieu de miséricorde nous demande de pardonner. Le Christ Sauveur nous dit de le faire 70 fois sept fois, c’est-à-dire à l’infini. À renouveler le pardon chaque fois qu’il sera nécessaire. Cessez donc de vous quereller, diraient nos disparus; ne compromettez pas votre éternité en ouvrant vos cœurs à la haine.

Enfin, ils nous demanderaient de ne pas cesser d’espérer.

À ne tenir compte que de l’expérience, à n’observer que la réalité brutale, la mort est le plus redoutable, le plus irréfutable des prédicateurs du néant. Disparition, silence, destruction de ceux que nous avons aimés, ruine et réduction en poussière de ces êtres si vivants et faisant partie de notre propre vie… Pourtant, c’est face à la mort que nous sommes invités à espérer au Dieu Éternel, en l’immortalité de la personne faite à son image, en la résurrection même de notre chair mortelle. Si la mort nous assène régulièrement ses lugubres communiqués, l’Évangile, lui, nous annonce la vie éternelle, « quoique nous soyons morts ». Il faut le croire.

Or, vous aurez observé sans doute que nulle part, l’espérance de la vie éternelle n’est affirmée avec autant de force et de sereine joie que dans lorsque de vrais croyants s’apprêtent à livrer le corps périssable d’un proche à une fosse fraîchement ouverte. Par la foi, nous sommes persuadés que celui qui vient de nous quitter, celle qui vient d’être arrachée à notre affection, appartient à Dieu; ils seront accueillis par lui. Alors, une foi indestructible nous animera et une espérance contre toute espérance nous illuminera en ce moment précis; et ainsi, comme l’apôtre, nous pourrons nous écrier triomphants, même si la douleur de la séparation n’en sera pas moins vivement ressentie : « Ô mort où est ta victoire, ô mort où est ton aiguillon » (1 Co 15.55). Car nous savons, parce que l’Évangile nous l’assure, que la mort elle-même est engloutie dans la vie.

Contre le néant du sépulcre, notre cœur proteste; il crie invinciblement, avec la dernière énergie, que les morts dans le Seigneur sont vivants ailleurs. Notre foi en a la certitude. Nous ne perdons donc pas courage. Car le Christ a vaincu la mort. Le mort du Vendredi saint est revenu à la vie parmi les siens, le jour de Pâques. Hors de lui, nous n’avons aucune espérance; hors du Sauveur de nos vies et du Fils de Dieu incarné, nous nous égarerons dans les ténèbres les plus opaques, nous serons perdus dans le désespoir, privés de toute consolation. Mais à cause de lui, comme le disciple de jadis, nous saurons confesser notre foi : « Seigneur, à qui irions-nous, tu as les paroles de vie éternelle » (Jn 6.68).

Or, Christ fait plus que de nous consoler par des paroles de vie éternelle; il est la source même de la vie éternelle, son unique dispensateur. Il a allumé dans nos cœurs le feu de l’espérance que plus rien, ni la vie ni la mort, ne peuvent éteindre ou réduire en cendre froide. « Sur le seuil fatal que nous franchirons, le Ressuscité ouvre la porte au-delà de laquelle il nous fait entrevoir une merveilleuse clarté. Au terme de l’obscure vallée, quand tout sombre à la fois dans le gouffre, une seule chose surnage pour l’infortuné naufragé : la croix du Rédempteur. » Une seule voix se fait entendre, celle du Bon Berger : « Viens, nous dit-il, tu es attendu ». Par lui, et par lui seul, nous vaincrons la mort.

Amis chrétiens, et vous qui implorez une certitude, sincèrement, mais peut-être privés d’espérance, sachez que ceux qui sont morts dans le Christ nous parlent avec ces mots simples : Agissez, aimez, croyez. Puissions-nous prêter l’oreille au moment où d’autres se débattent privés de toute consolation, à ce message de vie, et ainsi « espérer contre toute espérance ».