Cet article sur Romains 16.25-27 a pour sujet l'adoration de Dieu qui témoigne de la connaissance de sa grâce et de notre reconnaissance pour son salut. Le paganisme adore des forces produisant angoisse; la sécularisation sans Dieu mène au désespoir.

Source: Le culte réformé. 4 pages.

Romains 16 - L'adoration

« À celui qui a le pouvoir de vous affermir selon mon Évangile et la prédication de Jésus-Christ, conformément à la révélation du mystère tenu secret dès l’origine des temps, mais manifesté maintenant par les écrits prophétiques, d’après l’ordre du Dieu éternel, et porté à la connaissance de toutes les nations en vue de l’obéissance de la foi, à Dieu, seul sage, la gloire, par Jésus-Christ, aux siècles des siècles! Amen. »

Romains 16.25-27

C’est par une doxologie, formule de louange et d’adoration, que commence et se termine la plus célèbre des lettres de saint Paul, la lettre adressée aux Romains.

Parvenu au terme de sa magistrale exposition de la révélation, Paul éprouve le besoin d’élever une fois de plus ses regards vers le Dieu de la promesse et de la puissance, invitant ses lecteurs à se joindre à lui dans ce dernier et splendide sommet de l’adoration.

Tout au long de ces pages éminemment riches et profondes de vérités divines, l’apôtre affermit la foi des destinataires de sa lettre et les exhorte et les console par les compassions infinies de l’Évangile de la grâce. C’est le crescendo de la foi qui, dans des notes d’une totale pureté, fait monter jusqu’à Dieu des flots de reconnaissance pour le salut, devenu à présent le privilège de « quiconque croit ». Les bienfaits de Dieu ont enrichi avec surabondance les plus démunis des humains, et le soleil éclatant de sa bonté a illuminé les esprits les plus ignorants. La persévérance dans la foi des païens nouvellement convertis est assurée par Dieu en personne. Ils peuvent désormais se reposer et s’appuyer sur la promesse et être fortifiés par sa puissance. L’Évangile ne promet pas une grâce provisoire, suffisante pour le moment présent, mais précaire en ce qui concerne l’avenir. Il apporte la certitude d’une grâce permanente, durable, parce qu’en elle Dieu s’est déclaré comme notre Père jusqu’à la fin, celui qui nous accueillera au seuil même de l’éternité.

L’adoration est par conséquent possible. Son fondement se trouve en la connaissance que Dieu plante dans le cœur de ses enfants en ce qui concerne son dessein bienveillant pour eux. C’est cette révélation de Dieu et cette connaissance salutaire qui l’inspirent et qui l’incitent à cet acte suprême.

L’adoration chrétienne est le geste qui désigne, au-delà de l’homme, celui qui le transcende et qui surplombe son existence. Elle met en évidence et rend inévitable le choix décisif qu’il doit opérer entre sa volonté de s’affirmer et de s’accomplir par ses propres ressources, et la transformation profonde et authentique qui peut s’effectuer uniquement grâce à l’action divine et dans la soumission à son projet bienveillant. Ainsi, parler d’adoration c’est faire mention de l’alternative qui se présente à l’homme : au lieu d’un train de vie mené à sa propre guise, une existence confiée aux soins du Tout-Puissant.

En dehors d’une attitude d’adoration, il ne peut y avoir pour l’homme qu’une aliénation fondamentale et permanente engendrant toutes sortes d’anxiétés, justifiées ou non, qui corrompront son bonheur et pervertiront ses œuvres. Seule l’adoration de Dieu mettra fin à son inquiétude mortelle, car elle renouera la relation primordiale avec la source de la vie, avec Dieu, et le rétablira dans l’harmonie à laquelle il tend et aspire sans jamais pouvoir les réaliser.

« Dieu serait-il pour moi comme une source de déception, comme une eau dont on n’est pas sûr? » (Jr 15.18). Non, c’est l’homme qui, dans sa myopie persistante, se fourvoie loin de l’unique source d’eau vive et « qui se creuse des citernes crevassées qui ne retiennent pas l’eau » (Jr 2.13). Quelle ironie cinglante sur les ambitions de l’homme et quelle humiliation pour son orgueil démesuré! Jérémie le prophète employait, il y a bien plus de deux mille ans, cette image qui nous permet encore aujourd’hui de saisir parfaitement la condition tragique de l’homme coupé de Dieu.

Certes, les religions de jadis avaient elles aussi connu une dépendance qui rappelle, mais de très loin seulement, l’adoration que fait jaillir notre foi. Attachement à « l’être suprême », respect du « numineux », toute cette phénoménologie et ses manifestations religieuses affirmaient, à travers leurs rites complexes, que la vie des hommes ne s’épuisait pas dans les affaires courantes, que leur histoire ne se complétait pas dans le monde temporel et que la réalité à portée de la main n’épuisait pas le but de l’existence. Mais dans le cas du paganisme, l’adoration n’était, au fond, que la reconnaissance d’un mystère toujours caché, l’effroi devant l’inconnaissable et mystérieux, la « Moira » des Grecs anciens, cette fatalité aveugle, ou encore la « Némésis », déesse de la justice et de l’équité, redoutable vengeresse exerçant ses sanctions et infligeant ses châtiments à celui qui s’égarait ou qui transgressait.

L’adoration païenne était, en fait, la conformité servile et apeurée des hommes à un ordre indépendant de leur volonté, leur soumission à des forces régissant cet ordre de manière arbitraire et, surtout, la crainte ressentie en présence de ces puissances enveloppées de mystère, exigeant hommage et inspirant la terreur; toute cette pratique religieuse broyait l’homme et était l’occasion d’une effrayante exaction de ses forces vitales.

Le Dieu de la révélation, celui dont saint Paul est le témoin et le disciple, le Dieu de la promesse et de la puissance, a inauguré l’ère dans laquelle les exactions, la fatalité des destins et les terreurs aveugles ont été balayées une fois pour toutes. Nul besoin de ployer le genou devant l’idole inerte ni de croire que les étoiles tracent notre destin. L’homme libéré de ses pseudo-dieux peut entendre désormais la voix du Dieu véritable, l’écouter, renouer une relation filiale avec lui et se laisser envelopper par ses compassions et par sa sollicitude paternelle. Dans l’adoration, cet homme qui ne connaissait autrefois qu’un effroi mortel s’appuie désormais sur les sûres promesses de son Père céleste. Dans l’adoration, il annonce le règne nouveau et entonne l’hymne de dédicace de sa personne.

Mais pour des millions d’hommes et de femmes de notre génération, celle-ci semble dénuée de tout sens. Même dans les Églises, sa signification ne cesse de décroître. Pour l’homme sécularisé, il ne peut exister d’autre horizon que le monde perçu empiriquement, d’autre langage que celui de sa télématique, de conquêtes que celles de ses micro-ordinateurs et autres prouesses technoélectroniques. Dans la mesure où le terme d’adoration survit ici et là, il suscite des réminiscences d’usages antiques et périmés, de coutumes ecclésiastiques désuètes, des pratiques d’où, je ne sais par quel jeu d’alchimie, l’actualité et l’à-propos se seraient évadés… N’est-ce pas là l’image d’un quotidien auquel nous nous sommes tellement accoutumés qu’il ne nous choque plus?

L’homme a dressé son portrait géant contre le ciel et, comme jadis, il se déclare avec arrogance la mesure de toutes choses. La science et la technologie modernes lui procurent une chance inespérée pour de nouveaux avancements et l’encouragent à rêver de la maîtrise glorieuse de son univers. Depuis le dix-septième siècle et les grands prêtres de la science moderne, nos contemporains prétendent avoir reculé toujours plus loin les horizons autrefois limités du savoir et du pouvoir. Tendant à son émancipation totale, à s’affranchir de toute contingence et à l’abri des ravages causés jadis par les épidémies, l’humanité veut savourer son bonheur ailleurs qu’en Dieu. Notre époque est la dernière étape d’une longue période aboutissant à une convoitise agressive et néfaste, c’est-à-dire à l’accomplissement du programme humaniste établi depuis la Renaissance. L’homme se croit parvenu à « l’âge adulte » et un théologien des années 30 affirmait : « Il faut vivre dans le monde présent comme si Dieu n’était pas ».

Pragmatisme, utilité, jouissance, exploitation tous azimuts, voilà les « schibboleths » modernes. Leur objectif principal est la suprématie de l’homme sur tout ce qui existe et sa course effrénée pour atteindre une nouvelle utopie. La sécularisation moderne est la conséquence de la tentative prométhéenne de déformer la mission culturelle reçue de la part du Créateur et l’usurpation des droits qui reviennent au seul Maître de la vie.

Pourtant, le fruit qu’il en récolte n’est que l’absurdité de son existence, ce qui rend perplexes les esprits les plus lucides et laisse sur leur faim les cœurs épris de vérité. L’esprit conquérant de l’homme a été asservi à la chose inerte. Ses vocables modernes dissimulent mal sa vieille condition, et il continue à se sentir menacé par la même fatalité d’autrefois.

L’homme moderne, comme celui des générations précédentes, cherche par tous les moyens à échapper à sa condition. A-t-il le moindre espoir d’y parvenir? Si l’adoration n’est pas le but ultime de sa vie, la fin de l’homme ne sera que résignation fataliste, absurdité et désespoir. Si la plate-forme sur laquelle il se tient n’est que son matérialisme empirique, rien d’étonnant qu’il s’enfonce dans son « océan de hasard » et rejoigne le vide.

Or, le but principal de tout homme c’est de connaître Dieu et de se plaire en lui. « Permets-moi de te connaître, ô Dieu, tel que je suis connu de toi. » Saint Augustin, le plus moderne des hommes, exprime l’attachement essentiel de l’être humain durant son existence. Si l’Écriture tout entière nous révèle la vérité sur nous-mêmes et sur Dieu, alors l’adoration nous permettra de commencer la vie nouvelle à laquelle nous aspirons. Elle sera le témoignage de notre gratitude et confiance envers Dieu, venant remplacer les folles défiances à son égard dont nous nous étions rendus coupables. Elle nous permettra de le connaître et de nous défaire des fausses images que nous avons de lui…

Le sanctuaire dans lequel elle peut s’élever vers Dieu est la croix du Calvaire, autel exclusif sur lequel tout sacrifice d’adoration peut être agréé. Notre culte chrétien est essentiellement culte d’adoration et de reconnaissance, une action de grâces profonde à cause des bienfaits du Sauveur.

L’hymnologie chrétienne, dès l’origine, depuis les cantiques d’inspiration modeste aux « Glorias » les plus majestueux, a été l’expression musicale d’un vœu millénaire : « Oh cieux, répandez sur nous votre rosée » (És 45.8).

Gloire donc; gloire à Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit. Cette doxologie sera notre programme de vie. La révélation du Dieu trois fois saint qui nous a été accordée n’est pas un produit de notre folle imagination, la lumière qui nous éclaire ne jaillit pas de notre esprit; ce sont des réalités objectives qui n’ont pas leur source en nous-mêmes.

Gloire! Gloire! Cette note retentit à présent triomphalement dans presque toutes les pages de l’Écriture et elle est contagieuse.

Aussi, quelle que soit notre situation de chrétiens et en dépit des assauts d’une sécularisation virulente, du matraquage d’un matérialisme actif et du foisonnement d’idéologies utopiques et de cultes chaotiques dans lesquels l’homme est à la fois idole et officiant, nous prendrons notre place, sans interruption ni fausse note, dans le chœur des confesseurs et des martyrs, pour célébrer la liturgie à laquelle Dieu nous convie. Exultant de joie, remplis de gratitude, profondément ancrés dans la certitude qui croit et qui espère, nous chanterons jour après jour : À Dieu seul la gloire!