Vivre c'est espérer
Vivre c'est espérer
Vivre c’est espérer. À condition cependant qu’il s’agisse de la vie dans la foi. Dans la foi au Dieu révélé en Jésus-Christ qui, dans la communion de son Esprit, atteste par l’Écriture sainte, sa Parole inscripturée1, qu’il est le Dieu Créateur et le Dieu Rédempteur. Notre espérance, de même que notre foi, sont en lui, en Dieu qui a fait les cieux et la terre et qui est, qui était et qui vient.
En dehors de cette foi biblique, il n’existe nulle raison d’espérer. Le témoignage que lui rend l’Écriture sainte, de même que l’actualité quotidienne, ne confirme que cela.
La Bible, bibliothèque de la foi, de l’espérance et de la charité, fonde dans nos cœurs et dans nos esprits la seule espérance vivante. Certes, celle-ci comporte encore bien des points non éclairés, mais suffisamment perceptibles pour orienter nos regards vers le Dieu des origines, qui à travers tous les âges et jusqu’à la fin, reste le même.
Bibliothèque de la foi, la Bible s’est formée durant près de dix siècles. Elle est due à la plume de plus de quarante auteurs. Elle a été rédigée dans des circonstances historiques, sociales, culturelles et religieuses diverses. Si elle ne lève qu’un tout petit coin du voile en ce qui concerne l’accomplissement de notre glorieuse espérance, elle permet déjà à celui qui est animé par la foi au Dieu vivant de l’apercevoir, car elle chuchote assez distinctement qu’à l’étape présente succédera l’étape finale, celle dont nous avons déjà les arrhes.
Depuis l’Ancien jusqu’au Nouveau Testament, un fil conducteur, celui des grands actes rédempteurs de Dieu aboutissant à Jésus-Christ, en qui les deux Testaments trouvent leur unité, conduit vers l’espérance.
La perspective chrétienne de l’histoire est accompagnée d’un trait lumineux qui engendre dans nos cœurs une certitude sereine. « Tout concourt au bien de ceux qui aiment Dieu » (Rm 8.28). Bientôt se produira l’événement final et décisif. L’histoire des hommes ne se réduit pas à la simple narration d’escalades violentes et désordonnées, plus sauvages les unes que les autres. Dans sa providence mystérieuse, Dieu œuvre pour faire aboutir l’histoire à sa finalité, pour la faire parvenir au point culminant où l’actuelle tribulation sera transformée en triomphe.
À quel point du développement eschatologique du dessein de Dieu nous trouvons-nous? Il n’est pas aisé de le savoir, encore moins de l’indiquer. Mais en définitive, ce n’est pas cela qui importe. N’est importante que la décision irrévocable de Dieu.
Ainsi, la réponse chrétienne au désespoir moderne n’est pas essentiellement différente de celle qui fut donnée au début de notre ère, au cours du Moyen Âge, lors des grands moments de dépression du passé ou au siècle des Lumières. Elle sera la même chaque fois qu’un tourbillon s’abattra sur le monde. La réponse chrétienne est de nature eschatologique. Elle contient l’unique espérance. Mais notre attente de la fin, cette eschatologie inspirée de la Bible et fondée sur elle, confère au présent une dimension d’éternité qui lui accorde tout son sens et qui en trace la destinée. Dieu est présent. Plus intime que le prochain le plus proche. Le lecteur de la Bible, membre du seul organisme réellement vivant, animé par la Tête vivante, le Christ, clame sa victoire et offre la seule réponse positive et joyeuse, face aux plus sombres désespoirs et au sein des nihilismes les plus mortels, dans sa confrontation avec les comportements suicidaires des hommes « sans espérance et sans Dieu ».
Le Dieu trinitaire ontologique, Père, Fils et Saint-Esprit, donne chaque jour le mouvement, l’être et la vie. Le Dieu de l’avenir n’est autre que le Créateur des origines, l’Emmanuel, le Dieu avec nous. Ce monde est sorti d’entre ses mains; il fait tout selon son dessein éternel et bienveillant (Ép 1.11).
Toute créature dépend de lui (Ps 65.77; 104). L’incarnation de son Fils, sa passion et sa mort sur la croix, furent le prix exorbitant qu’il paya pour racheter sa création. La résurrection du Fils et l’effusion de l’Esprit ouvrirent également des brèches dans le monde tourmenté pour y injecter une force irrésistible, qui remportera la dernière manche du combat. Le Dieu de la Bible n’est pas un « Maître parti dans un pays lointain », laissant les siens déboussolés se débrouiller seuls dans des imbroglios de toutes sortes, spirituels et éthiques, sociaux et culturels, politiques et économiques, et gardant un lourd silence pour ne revenir qu’à la fin… (ce fameux « silence de Dieu » qui offre une occasion inespérée à certains paraprophètes modernes, de déverser partout et sans pudeur leur logorrhée).
Présent et actif, il établit son Royaume. Au sein de la situation tragique de ceux qui sont amputés de la foi, il fait naître l’espérance et une conviction inébranlable en sa présence et en son œuvre.
Sans cette espérance et cette conviction, le chrétien à son tour serait privé de Dieu, vivoterait tant bien que mal comme ceux qui sont encore dans les « ténèbres du dehors ». Il se priverait des bénéfices de l’œuvre « accomplie une fois pour toutes », contenant des prolongements encore inaperçus, mais réels et rassurants pour sa foi.
Espérer, c’est donc vivre de Dieu et avec lui. Mais l’espérance la plus robuste et la plus radieuse n’épargne ni la tribulation ni la crise. Seulement, dans la détresse ou la dépression, le fidèle chrétien tourne son regard vers le passé pour y discerner les traces innombrables de la fidélité de Dieu, et fixe son regard en avant, rempli d’espérance, à présent devenue la permanence de sa foi et dans la persévérance de sa foi, qui n’est rien d’autre que le contenu même de son espérance.
Ce n’est donc pas dans la crise, ou les crises, que nous chercherons l’essence de notre existence, mais dans cette espérance qui, fondée sur le passé, est sans cesse renouvelée par l’objet même qu’elle attend. Ainsi, l’espérance n’est pas une anticipation de ce que nous aurions désiré, le produit de notre raison ou de notre imagination, ou l’acquis des ressources humaines, l’objet d’une spéculation théorique, idéal d’utopie religieuse; pas même une intuition « historique ». À la question « Où va l’histoire? Quelle en est la finalité? », le chrétien répondra avec la certitude du Royaume qui vient. Christ, présent au cours de l’histoire, en est le Seigneur et il la fait aboutir à sa finalité.
Ainsi, au regard de la foi, l’histoire universelle pourra devenir une histoire révélationnelle. Elle possédera une dimension inconnue des historiens les plus experts. Rien de ce qui s’accomplit durant son cours n’est insignifiant. Tout événement possède un sens, qui sera révélé le jour fixé par Dieu.
Saint Paul lie l’espérance à la justification par la foi (Rm 5.1-2). L’exercice de celle-ci produit une plus grande espérance encore. À la suite de saint Paul, saint Pierre associe cette espérance à l’héritage impérissable réservé au ciel; ce qui possède des implications pour la création tout entière (1 Pi 1.4; 3.13). Dans les pages qui suivent, nous ne discourrons pas de l’espérance comme s’il s’agissait d’écouter une théorie supplémentaire venant s’ajouter à tant d’autres. Cette méditation nous invite à vivre grâce à elle et à combler utilement et efficacement, voire urgemment, le fossé qui peut se creuser entre la confession de l’espérance et la réalité quotidienne. Elle est placée sous nos yeux (Hé 6.9-19). Elle accordera la force, la stabilité et la puissance (Rm 8.26-39). Le jour vers lequel nous fait avancer notre espérance, l’œuvre de Dieu et toutes ses promesses encore non accomplies se transformeront en une réalité visible, en la plénitude même de toute son œuvre à laquelle nous sommes promis. C’est sans crainte et la tête haute que nous avancerons patiemment et sûrement.
L’intention de ces notes est de définir la nature de l’espérance biblique et d’analyser « les signes des temps » dans la mesure où ceux-ci encouragent l’Église à vivre et à témoigner en anticipant la victoire finale. C’est de manière positive qu’il convient donc de parler de l’eschatologie biblique.
Note
1. Inscripturée : terme emprunté à l’anglais, dans lequel il a été forgé; aucun auteur français ne peut en réclamer la paternité.