Cet article sur 1 Jean 3.4-10 a pour sujet le débat entre Pélage qui disait que l'homme est bon (pélagianisme) et Augustin d’Hippone qui enseignait la corruption de l'homme asservi au péché et au diable, et le besoin que Jésus nous délivre.

Source: La certitude de la vie éternelle - Méditations sur les épîtres de Jean. 5 pages.

1 Jean 3 - Le grand débat

« Quiconque commet le péché commet aussi la violation de la loi, et le péché, c’est la violation de la loi. Or, vous le savez, lui, le Seigneur, est apparu pour ôter les péchés; et il n’y a pas de péché en lui. Quiconque demeure en lui ne pèche pas; quiconque pèche ne l’a pas vu et ne l’a pas connu. Petits enfants, que personne ne vous séduise. Celui qui pratique la justice est juste, comme lui, le Seigneur, est juste. Celui qui commet le péché est du diable, car le diable pèche dès le commencement. Le Fils de Dieu est apparu, afin de détruire les œuvres du diable. Quiconque est né de Dieu ne commet pas le péché, parce que la semence de Dieu demeure en lui, et il ne peut pécher, puisqu’il est né de Dieu. C’est par là que se manifestent les enfants de Dieu et les enfants du diable. Quiconque ne pratique pas la justice n’est pas de Dieu, non plus que celui qui n’aime pas son frère. »

1 Jean 3.4-10

Au 5siècle de notre ère, une très grande controverse théologique secouait de nouveau l’Église chrétienne. On aurait pu penser qu’avec le temps, et surtout grâce aux décisions synodales et conciliaires, elle aurait trouvé sa solution, et que le conflit qu’elle engendra ne serait plus actuellement qu’un simple souvenir et matière pour recherches et études érudites. Or, il n’en est rien. À ce jour, même si le conflit et les débats à son sujet ne passionnent plus autant, il reste tout aussi actuel, continuant à diviser l’Église en deux camps; les chrétiens appartiennent soit à l’un soit à l’autre de ces deux positions théologiques : ils sont soit partisans de Pélage, soit adhérents des doctrines défendues par saint Augustin.

J’espère qu’avec moi vous comprendrez l’enjeu pour la pratique de notre foi et que vous n’enverrez pas ce sujet, d’un revers de la main, rejoindre le musée des antiquités ecclésiastiques.

Pélage, théologien et homme d’Église irlandais, par ailleurs chrétien d’une grande moralité, d’un sérieux que pourraient envier nombre de nos vedettes superficielles de la scène ecclésiastique moderne, soutenait que l’homme n’était pas, ainsi que le déclare l’Écriture sainte et que confesse l’Église universelle, entièrement corrompu par le péché. Descendant de parents dont la chute a été, certes, réelle, il n’en reste pas moins capable, par un effort moral sincère, de réaliser son propre salut. Je dois nécessairement résumer sa thèse, mais l’essentiel se trouve dans cet énoncé.

Augustin, évêque d’Hippone, en Afrique du Nord, se dressa contre elle, la tenant, avec raison, pour être en contradiction avec l’enseignement biblique. En adoptant la thèse pélagienne, on anéantissait du coup aussi bien la nécessité de l’incarnation que l’impérieux besoin de salut tel que Dieu l’avait conçu et achevé en Christ, son Fils incarné, notre Sauveur. Avant la chute, l’homme pouvait ne pas pécher, déclarait Augustin, avec une formule latine : Posse non peccare; tandis qu’après la chute il lui est impossible de ne pas pécher, toujours avec la célèbre formule latine : Non posse non peccare.

Depuis le 5siècle, nombre d’Églises qui, avec Augustin, avaient pris position contre les thèses considérées comme hérétiques de Pélage finirent par trouver un compromis, une solution prétendument médiane qui préconisait ce qu’on appelle le semi-pélagianisme. À ce propos, il me vient à l’esprit une fameuse phrase d’un politicien français contemporain : bonnet blanc, blanc bonnet!

Mon propos ici n’est pas d’entrer dans le détail historique de la controverse, mais à la lumière du passage de saint Jean que nous venons de lire, d’examiner ce qu’il en est, à savoir si l’homme est bon par nature ou bien si, au contraire, il est tragiquement assujetti à une condition dans laquelle il ne peut pas s’empêcher de faire le mal. À mon sens, le passage de saint Jean donne amplement raison à saint Augustin. Si l’Église chrétienne veut rester fidèle et se réclamer de l’authentique tradition apostolique et de celle des Pères de l’Église, elle doit, sans réserve ni compromission, souscrire à la théologie augustinienne. Ni pélagianisme donc, ni semi-pélagianisme, et c’est bien ce que la Réforme protestante du 16siècle, à la lumière de la Bible et forte de l’appui de saint Augustin, a fait comprendre. Mais plus que la Réforme et Augustin, c’est saint Jean, inspiré par le Saint-Esprit, qui est l’autorité suprême en la matière.

Vous aurez remarqué les deux thèmes principaux exposés dans ce bref passage. D’une part le péché, d’autre part celui qui en est à l’origine, l’instigateur et le grand maître d’œuvre, à savoir Satan. Péché, diable, thèmes auxquels j’aimerais ajouter de ma part un troisième dont j’espère prouver aussi, quoique brièvement, l’actualité et la pertinence pour notre propos.

L’apôtre vient de faire à nouveau son profond et irrécusable diagnostic. Notre condition est telle que nous ne pouvons pas ne pas pécher. Et si nous commettons le péché, nous transgressons la loi, celle de Dieu, nous nous opposons à ses saints commandements. Le péché existe donc, il n’est pas « mignon » et notre désinvolture, nos stupides plaisanteries, notre insouciance, voire notre protestation que de tels concepts sont archaïques et dépassés, que nous avons d’autres chats à fouetter maintenant, ne sont que l’idéologie de l’autruche.

On me dira : Voyez plutôt l’actualité mondiale, la situation de notre planète… Les cris au secours des verts et autres écologistes nous font sombrer dans la panique; lorsque la pollution, la surpopulation, le réchauffement de la planète, sans compter la menace nucléaire, nous menacent à court ou à long terme, qu’avons-nous à faire de vos balivernes pélagiennes et augustiniennes relatives au péché! Franchement, vous autres chrétiens, vous ne serez jamais à la page! Ah! Parlez-moi de chrétiens à la page! Les pages ne suffisent plus à les contenir, tellement il y en a, tellement ils en occupent toute la surface… Ignorent-ils qu’ils les jaunissent et ternissent plus vite que ne se couche le soleil? Qu’ils prennent le risque de ne laisser aucune trace, sinon dans l’histoire éphémère, en tout cas dans les registres éternels.

Mais occupons-nous plutôt du thème essentiel : L’homme est-il bon ou ne l’est-il pas? La condition tragique de l’homme de tous les temps, du 5siècle ou de la fin du 2millénaire, nous pose la question et exige une réponse sans faux fuyants. L’homme est-il bon? Drôle de question, me direz-vous. Il y en a des bons et il y en a des mauvais, comme chacun sait. Va-t-on maintenant les mettre tous dans le même sac? Il y a, certes, ceux qui sont inspirés par un haut idéal et sont disposés à se sacrifier pour leur prochain. Tandis que d’autres, chenapans égoïstes qu’ils sont, ne se manifestent que lorsque leur intérêt personnel est en jeu ou même pour faire le mal gratuitement. Tout n’est pas rouge et noir, il y a des nuances, du gris au vert, du blanc au violet… Voyons, ne soyons pas si pessimistes quant à la bonté naturelle et la générosité spontanée des hommes.

Saint Jean nous parle autrement. Il y a ceux qui pèchent, et en cela il fait écho à toute la Bible : « Il n’y en a aucun un qui fasse le bien, pas même un seul » (Rm 3.12). L’homme est mauvais, dit saint Paul avant que Pélage ne dise le contraire. Mais le péché n’est pas une imperfection dont, avec un peu de bonne volonté et un effort soutenu, on pourrait se défaire. Ce n’est pas que la pelure du fruit soit gâtée ou qu’un quartier seulement soit entamé. Non, déclare la Bible, c’est le fruit tout entier qui est pourri, depuis le centre jusqu’à la surface. Telle est l’appréciation de Dieu, non l’évaluation superficielle des hommes. Dieu seul voit la différence entre ce qui est bon et mauvais. Car le péché signifie engager son existence dans la fausse direction, celle qui éloigne de Dieu. Et pourquoi parler des hommes en général et de l’humanité dans son ensemble? Si nous parlions de vous et de moi, pécheurs, qui sans doute voulons faire le bien, mais qui faisons plutôt le mal, même sans le vouloir.

Le péché est un acte d’insoumission, il s’oppose à la loi, à l’énoncé de la volonté divine. Insubordination, révolte dans laquelle est contestée l’autorité même de Dieu, il explique ce que nous sommes, ce que nous subissons, ce qui gâche le beau, anéantit le bien, détruit l’humanité. L’affaire est tellement sérieuse qu’elle nécessita l’incarnation du Fils de Dieu, venu parmi les humains, pour mettre fin à la tyrannie dégradante de péché. Le Christ n’est pas apparu ici-bas comme une magnifique et resplendissante manifestation du divin pour nous enseigner de sublimes vérités que nous pourrions cueillir déjà ailleurs, dévoiler le mystère de l’au-delà, nous initier à des connaissances métaphysiques, nous entraîner dans les dédales d’une religion ésotérique. Laissons cela aux swamis, gourous et autres chamans, si ce n’est aux sorciers d’Afrique.

Jésus, lui, est venu comme « l’Agneau de Dieu qui ôte le péché du monde », ainsi que le déclarait Jean-Baptiste au seuil même du ministère terrestre du Sauveur (Jn 1.19). Lui-même n’a pas laissé la moindre ambiguïté quant à l’essentiel de sa mission : « Le Fils de l’homme est venu […] pour donner sa vie en rançon pour beaucoup », déclarait-il (Mc 10.45). En effaçant nos fautes, il a montré combien le péché est insupportable à Dieu, qui ne peut pas le tolérer. Foudroyé par la malédiction divine, le Christ pendu au bois a révélé que le péché fait de nous des maudits. La croix du Calvaire exprime la loi de Dieu. Dieu veut l’homme soumis et docile, et il ne peut admettre que sa créature sorte du rang. À la croix, Jésus a porté à notre place notre malédiction, il a anéanti le péché. Il a supprimé l’insupportable. Le péché c’est cela, et nous en savons la gravité depuis la croix du Calvaire.

À présent, l’autre thème : la source de ce mal. Si nous étions des adeptes du pélagianisme, nous récuserions l’idée d’une servile dépendance envers une source indépendante de notre volonté. Saint Jean signale pourtant qu’il existe une source, un personnage portant un nom : le diable. Quiconque commet le péché est du diable, car dès le commencement il commet le péché. C’est pour cela qu’a paru le Fils de Dieu, afin de détruire les œuvres du diable.

Le diable! Voilà encore, diront les esprits forts — et ils sont foule parmi nous —, une autre survivance de croyances et de superstitions archaïques. Qui encore, de nos jours, croit au diable? Au cours de son enfance, l’humanité avait fabriqué cette figure emblématique plutôt que réalité concrète. D’après L’Histoire générale du diable de Gérald Messadié, la Bible aurait emprunté l’idée à la religion iranienne comme une sorte de location à court terme, jusqu’au moment où les hommes, ayant atteint leur maturité, peuvent se débarrasser du sinistre personnage happé de noir, velu et repoussant, parcourant villes et campagnes cornes dressées et queue au vent, une fourche entre les griffes… Aujourd’hui, il ne sert plus qu’à effrayer des galopins turbulents. Et encore! Vous et moi, au seuil du 3millénaire, nous ne pouvons qu’en rire, n’est-ce pas? Quoique, soit dit en passant, au seuil du 3millénaire on persiste à plonger dans l’occulte, à croire aux extra-terrestres, à évoquer les morts, à s’engouffrer dans mille superstitions, plus grossières que celles du Moyen Âge, tout en souriant à l’idée du diable. Et au seuil du prochain millénaire, les nouveaux clercs religieux, ceux du néo-paganisme, nous invitent quand même vers les dieux de l’antiquité, les Thor et les Wotan, les Apollon et les Bacchus.

Mais la Bible, elle, croit au diable en tant qu’un être personnel rival de Dieu, qui cherche de haute lutte à lui arracher ses créatures. Les hommes de la Bible lui donnent divers noms : Satan, le Mauvais ou Malin, le Tentateur, l’Accusateur, le Prince des démons, le Prince de ce monde, Béelzébul, Bélial, le Dragon, le Serpent… Certes, ces nombreuses appellations sont le signe d’un mystère, et un seul terme ne suffit pas pour cerner la réalité que l’on cherche à désigner.

Le Nouveau Testament constate que « la lumière brille dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont pas accueillie » (Jn 1.5). Il y a dans l’humanité, derrière elle, au-dessus d’elle, une puissance inquiétante, malfaisante, qui s’acharne à compromettre son bonheur et l’incite à s’insurger contre l’ordre de Dieu. Qu’on l’appelle diable ou Malin ne change rien à cette réalité : une force inexplicable et insaisissable est à l’œuvre détruisant l’harmonie entre l’homme et Dieu.

Si la Bible en parle, ce n’est nullement pour nous égarer dans les avenues d’insaisissables mystères, mais dans un but bien précis, pratique et pastoral, pour proclamer la défaite et l’écrasement de Satan. Jésus a repoussé la tentation au désert. En envoyant ses disciples en mission, il les informe qu’il a vu « Satan tomber du ciel comme un éclair » (Lc 10.18). À la veille de sa passion, il annonce que le prince de ce monde va être jeté dehors (Jn 12.31). Dieu a dépouillé les dominations et les a livrées publiquement en spectacle en triomphant d’elles par la croix (Col 2.15). C’est de cette victoire-là que nous entretient l’apôtre Jean. Avec le Christ commence une nouvelle histoire, celle de la nouvelle création. Si l’humanité, entraînée par l’orgueil et la présomption, continue à s’enfoncer, le Christ a détruit les œuvres du suprême tentateur, du séducteur de nos âmes, du démolisseur de l’œuvre divine. Depuis la croix, le diable est vaincu. Il a trouvé plus fort que lui. Il fait croire à l’homme que la liberté en Christ est une prison et il divise pour régner, mais le Christ, lui, allie Dieu et les hommes. Dieu et l’homme sont réunis en sa croix.

C’est en se situant par rapport au Christ, étant désormais incorporé à son corps, dépendant par la foi de son Sauveur, que le chrétien ne pèche plus volontairement. Soulignons que saint Jean ne cultive pas une religion de la perfection, qu’il ne nous berce pas d’illusions d’après lesquelles nous serions par nature impeccables. Mais à cause de l’œuvre de la rédemption et de son œuvre de régénération en nous, Dieu peut nous soustraire désormais au pouvoir mortel du péché et à la soumission de l’adversaire.

Quelle est l’actualité de ces deux thèmes pour notre époque? Un mot très rapidement. Le péché est transgression de la loi de Dieu, disions-nous plus haut. L’actualité de cette vérité biblique saute aux yeux si nous examinons les efforts, nobles certes, que déploient les chrétiens et nombre de non-chrétiens pour combattre les diverses manifestations du mal, et les maigres résultats obtenus. Les hommes continuent à être attachés à la vieille et indéracinable conception d’après laquelle ils ont reçu suffisamment de lumière naturelle pour régler eux-mêmes leurs problèmes, même, à la rigueur, ayant recours à ce qu’ils appellent la loi naturelle ou aux impératifs de la conscience morale. Chrétiens et non-chrétiens unis pourraient, dit-on, combattre les fléaux sociaux, puisqu’ils possèdent un terrain commun. Grave erreur, mes amis, une loi fragmentée dans une conscience aveuglée ne pourra jamais nous aider à trouver la solution à nos misères. Seul le commandement clair, explicite, nécessaire et suffisant de Dieu pourra nous faire accomplir la justice.