Cet article a pour sujet l'adoration que nous devons rendre à Dieu, le Maître de nos existences, au milieu de la sécularisation et de l'incrédulité. Nous avons besoin d'un renouveau de la piété fondée sur la saine doctrine.

Source: Le culte réformé. 4 pages.

Adorer Dieu aujourd'hui

« C’est de l’abondance du cœur que parle la bouche », disait celui qui connaît parfaitement nos cœurs, qu’il a créés pour lui et à qui nous rendrons compte de chaque vain mot que nous aurons proféré.

Le Maître de nos existences doit demeurer également l’unique objet de notre adoration. Son Esprit et sa Parole — seules sources de piété et de louange — rempliront nos cœurs, animeront et purifieront nos lèvres.

Nous avons tous appris, depuis longtemps, que notre époque est celle de « la crise de la foi ». Si la foi existe ici ou là, elle végète. À moins que, tout à fait spéculative, elle ait cessé d’être une expérience du « cœur ». Au regard d’une certaine foi chrétienne, la réalité même de Dieu, si elle n’est pas totalement hypothétique, apparaît comme tout à fait problématique. Certains chrétiens contemporains discourent sur « le silence de Dieu », prédisent ses « éclipses » et affirment ex cathedra « son absence ». Avec quelle précipitation ne nous avait-on pas fait parvenir, il n’y a pas si longtemps, le faire-part de sa « mort »… La nouvelle schizophrénie théologique nous place devant l’alternative de « croire ou douter ». Bien entendu, il est de bon ton parmi nos modernes bien pensants de douter solidement…

Hélas!, les abondances du cœur sont multiples et contradictoires chez un certain nombre de chrétiens, et leurs bouches bavardes ne sont plus en mesure d’entonner l’universel Te Deum laudamus.

L’abondance moderne du cœur déborde du côté de la sécularisation et de la mondanisation, et beaucoup de bouches chrétiennes sont devenues des spécialistes pour déclarer la profanité (au sens originel du mot, qui signifie « hors sanctuaire »), si ce n’est la profanation (au sens courant), du nom même de Dieu. Mais si Dieu est mort, ou même s’il est vivant, mais absent, quel sens peuvent revêtir la piété chrétienne et les prières des fidèles?

Les lunettes teintées du rose de la « modernité » de certains porte-parole du christianisme — qui n’apportent d’ailleurs que leurs propres paroles dépourvues d’autorité — ont purement et simplement identifié le sacré et le profane. Le cœur de l’homme, « boutique pour forger des idoles », selon l’admirable expression de Calvin, s’est une fois de plus détourné de Dieu, le Dieu saint, pour s’engager pour le monde.

Rien de répréhensible en soi à ce que le chrétien s’intéresse au monde présent. N’y est-il pas placé comme une sentinelle, envoyé comme l’ambassadeur chargé du message qui annonce la fin de toutes les aliénations, la guérison de toutes les détresses et angoisses humaines? Mais si le chrétien reste exclusivement préoccupé par ce monde temporel qui est destiné « à passer » et dont la gloire se fanera irrémédiablement, n’insiste-t-il pas inutilement sur ce qui est « pénultième » au lieu de souligner ce qui est « ultime »? C’est ainsi qu’ont été rétrécies et finalement anéanties les dimensions de sa vie spirituelle, et l’abondance des bouches modernes trahit tragiquement la vacuité d’un cœur incrédule.

Certaines Églises, obsédées par les apparences et engagées, avec quelle fureur, dans leurs propres œuvres qui les dévorent sans les édifier, se sont aliénées de l’Esprit vivifiant et de la Parole nourrissante du Dieu vivant. « Elles ne font plus leurs prières. » Séduites et attachées comme des courtisanes infidèles à l’idéologie culturelle moderne humaniste et radicalement athée, ces Églises-là ont fini par prendre comme signe de fidélité authentique leurs amours coupables avec des amants profanes. Telle est, reprenons l’expression de Jean Brun, la catastrophe de la sécularisation.

Mais au fur et à mesure que l’on déclare l’absence de Dieu et que l’on pense et vit comme s’il était réellement absent, les démons, eux, viennent peupler les habitacles. Experts en squatterisation, ils reviennent chaque fois plus forts et plus nombreux pour occuper la maison balayée et nettoyée.

Plus l’homme s’égosille à déclarer qu’il a atteint sa maturité, plus il descend vers de nouvelles formes d’infantilisme. Les idoles, même lorsqu’elles portent un chapeau chrétien, sont l’indication la plus sûre de l’évolution régressive de l’homme prétendu adulte.

Le renouveau de la piété spirituelle chrétienne s’impose aussi bien pour la vie personnelle qu’en vue de la réforme de l’Église. Quel est le culte à rendre au Dieu trois fois saint et comment entonner de nouveau le Te Deum? Telle devra être notre préoccupation majeure.

Un tel renouveau ne sera jamais indifférent envers le prochain, mais il cherchera tout d’abord ses assises. L’Esprit Saint fait remonter du fond de nos cœurs des soupirs parfois inexprimables et met sur nos lèvres un cantique nouveau. Lui seul donne un sens à notre foi, qui est informée, nourrie et fortifiée par la seule Parole révélée. C’est grâce à lui et dans sa lumière que nous verrons la lumière.

Prenons garde pourtant à ne pas dissocier dangereusement le renouvellement de la piété spirituelle de la réforme et de la doctrine biblique. Aucune dévotion à Jésus-Christ ne peut se maintenir à moins d’être nourrie par une constante fidélité théologique. Autrement, elle se fige, se sclérose et reste mortellement stérile. Inversement, une doctrine même très orthodoxe qui renoncerait à se manifester dans une vie de consécration se figerait en un intellectualisme prétentieux et aride. On a dit avec une imprudente légèreté que ce qui compte ce n’est pas la doctrine, mais la vie. Peu importe ce que vous croyez, pourvu que vous pratiquiez correctement votre foi! Avec les chrétiens du passé et du présent, nous apprenons qu’à moins d’être attachés existentiellement à la vérité chrétienne, nous ne saurons pas ce qu’est la vie « vécue ». Aussi orthodoxe soit-elle, la doctrine restera lettre morte si elle ne communique pas avec l’engagement intérieur. En revanche, une piété sans ossature doctrinale et privée de l’enseignement riche et salutaire de la Parole dégénérera vite en son contraire. Au lieu d’exalter la majesté divine et de chanter les grandes œuvres de Dieu, elle se complaira dans ses propres expériences et se vantera de ses dons spirituels.

Ce fut contre l’impossible divorce entre la théologie et la piété pratique que s’élevèrent nos pères dans la foi, les réformateurs du 16e siècle. Aussi bien Luther que Calvin se sont battus, Bible en main et avec une sainte ardeur, pour démontrer que la foi n’était pas uniquement un assentiment intellectuel, mais la confiance du cœur et l’assurance en le Sauveur vivant (« fiducia cordis »).

La foi, ainsi comprise et vécue, rendra effectif dans nos vies le salut en Christ. L’équilibre entre la théologie dogmatique et la pratique de la foi s’établira à l’avantage de la première, qui se précisera et s’éclairera mieux, et aussi de la seconde, qui se ranimera et s’affermira davantage.

Il existe un lien intime entre le salut achevé jadis et la foi qui se l’approprie aujourd’hui. Non pas que le salut puisse être réduit à une expérience existentielle, de sorte qu’on ne serait sauvé qu’à condition de s’engager personnellement, sans tenir compte ni de l’élection divine ni de l’expiation rédemptrice en Christ. Toutefois, l’existence chrétienne reste le champ de bataille où se livre le combat de la libération et où s’opère l’actualisation du salut. Ainsi notre foi gagne sans cesse l’assurance de son salut. Celui-ci est l’œuvre de la justification par la foi, mais la justification met en branle toute notre personne. Bien que nul ne soit sauvé par ses propres bonnes œuvres, « afin que personne ne se glorifie », la foi ne peut jamais être divorcée de celles-ci.

Ainsi, contre tous les synergismes (collaboration pélagienne et semi-pélagienne avec leurs dérivés théologico-ecclésiastiques), la Réforme du 16e siècle nous a appris la nécessité de la complémentarité biblique de la foi et de l’action. Nous insistons sur l’urgence du renouveau de la piété, qui doit nous conduire sur le chemin de la louange dans des cultes célébrés en Esprit et en vérité. Nous devons rester très attentifs pour en distinguer les contrefaçons.

La piété conduira sur le chemin de la repentance quotidienne, nous maintiendra sous la croix de Jésus-Christ et renouvellera notre consécration intérieure au Sauveur et notre fidèle soumission à sa volonté, se manifestant dans tous les domaines de l’existence. Plus nous nous approcherons de Dieu, mieux nous distinguerons le faux du vrai, le mensonge de la vérité, le mal du bien.

Amour chrétien et discernement des esprits vont de pair. Nous scruterons toutes choses à la lumière de la Parole révélée. Or, un type de piété ouvert à tous les courants et s’accommodant de toutes les humeurs vagabondes de l’esprit de l’homme pécheur ne possède pas d’amarres bibliques, tandis que la piété chrétienne authentique s’ancre dans la foi transmise une fois pour toutes.

Dans une telle piété, il ne s’agit pas d’une simple dépendance de nos sentiments par rapport à Dieu ni d’une résignation ou d’un abandon fataliste, mais de la soumission active, d’une obéissance éthique, voire d’une explication systématique de la révélation chrétienne. L’expérience religieuse comme telle ne sera pas la règle absolue de la foi, elle n’en sera que le canal qui médiatise et communique l’alimentation de celle-ci. La norme de l’expérience chrétienne ne se trouve nulle part ailleurs que dans la Bible, Ancien et Nouveau Testaments. Les pages de celle-ci nous font rencontrer le Sauveur crucifié et nous font découvrir notre misère de pécheurs. Moyen de grâce, elle nous exhorte à rendre gloire au seul Dieu de nos vies et de l’univers, à le craindre, à l’honorer et à œuvrer à notre propre salut « avec crainte et tremblement ».

Théocentrique et anthropocentrique simultanément, sans dissociation et sans confusion, cette piété chrétienne rendra la gloire à Dieu en cherchant la réconciliation de l’homme avec son Créateur. Se confier à Dieu, s’approcher de la source de tout bien spirituel dans la foi, par la prière, imiter le Seigneur dans son amour et dans son service, c’est ainsi que notre cœur proclamera les louanges du Dieu qu’il adore et qu’il sert. Notre vie de chrétiens connaîtra la puissance de la résurrection du Christ et l’Église saura ce qu’est la plénitude de l’Esprit. Alors, au sein de la sécularisation la plus opaque et la plus meurtrière, l’Église et chaque chrétien pourront, comme jadis, dans la véritable continuité de l’Église universelle, adresser au Dieu de leur salut, Père, Fils et Saint-Esprit, un vibrant Te Deum laudamus.