Cet article sur Amos 7.10-17 a pour sujet la violente réaction du sacrificateur Amatsia au message d'Amos et la réponse du prophète qui a expliqué l'origine divine de sa vocation et l'authenticité de la révélation qu'il a reçue.

Source: Un prophète pour quoi faire? - Méditations sur le livre d'Amos. 4 pages.

Amos 7 - Persona non grata

« Alors Amatsia, sacrificateur de Béthel, envoya dire à Jéroboam, roi d’Israël : Amos conspire contre toi au milieu de la maison d’Israël; le pays ne peut supporter toutes ses paroles. Car voici ce que dit Amos : Jéroboam mourra par l’épée, et Israël sera déporté loin de sa terre. Amatsia dit à Amos : Visionnaire, va-t’en, enfuis-toi dans le pays de Juda; manges-y ton pain, et là tu prophétiseras. Mais ne continue pas à prophétiser à Béthel, car c’est un sanctuaire du roi, et c’est une maison royale. Amos répondit à Amatsia : Je ne suis ni prophète, ni fils de prophète; mais je suis bouvier et je cultive des sycomores. L’Éternel m’a pris derrière le troupeau, et l’Éternel m’a dit : Va, prophétise à mon peuple d’Israël. Écoute maintenant la parole de l’Éternel, toi qui dis : Ne prophétise pas sur Israël et ne bavarde pas sur la maison d’Isaac. À cause de cela, voici ce que dit l’Éternel : Ta femme se prostituera dans la ville, tes fils et tes filles tomberont par l’épée, ta terre sera partagée au cordeau; toi, tu mourras sur une terre impure, et Israël sera déporté loin de sa terre. »

Amos 7.10-17

L’expression latine bien connue, « persona non grata », signifiant une personne indésirable, voire celui qui subit l’ostracisme social s’appliquerait parfaitement au prophète Amos, bouvier fermier promu soudain, après un appel spécial, prophète de Dieu il a 28 siècles.

Un incident dramatique vient opposer Amos à un adversaire peu ordinaire, le prêtre Amatsia. La lecture de ce passage du chapitre 7, entrecoupé par des récits, des visions et un dialogue entre le prophète et le prêtre, nous révèle qu’enfin une réaction violente s’était déchaînée contre l’homme de Tékoa. Sa prédication était devenue intolérable.

Ayant rassemblé leurs forces, ses opposants songèrent avec fermeté et détermination à défendre surtout leurs intérêts. « Halte, ça suffit! », dirent-ils en cœur, et ils le firent savoir sans ambages à leur importun dénonciateur. « Tu n’iras pas plus loin! Assez d’outrecuidances! » Un sursaut général fit réagir notables et sacrificateurs. Peut-être Amos avait-il guetté cet instant-là. Finalement, il obtenait une réponse, même si elle n’était pas la bonne. L’opposition violente est parfois préférable aux silences feutrés, et l’attitude farouche vaut mieux qu’une lâche neutralité. Toute âme prophétique trempée dans le combat refuserait cette molle indifférence qui est pire qu’une trahison ouverte, puisque mortelle sans le savoir.

L’opposition s’était cristallisée dans les propos d’un sacrificateur nommé Amatsia. Officiant dans un haut lieu cultuel pourtant illégitime, Amatsia vint trouver le prophète. Dans son commentaire sur ce passage, Jean Calvin précise : « Satan tente de déprimer l’esprit du prophète pour l’empêcher d’accomplir son office prophétique. » Le stratagème consiste à utiliser un délateur dénonçant Amos auprès du souverain comme un homme séditieux, tenant des propos turbulents, mettant des bâtons dans les roues des affaires royales et nationales, au risque de faire péricliter les réussites accomplies. Il conseille à Amos de retourner à vive allure dans son pays natal, pour y vivre en sécurité, y manger son pain sans trouble… et même y prophétiser si cela lui chante! Amatsia insinue donc qu’Amos court un réel danger et qu’il serait sage de sa part de se mettre à l’abri aussi vite que possible. Perfide et rusé, il ne choisit pas la violence et l’opposition ouvertes. Il cherche à exciter le roi contre cet outsider. Homme du Midi, il devait parler avec un accent rocailleux. Peut-être prononçait-il sibboleth au lieu de schibboleth, trahissant par là ses origines. Mais, comme tout le monde sait, il n’y a de pire accent que celui de la vérité pour celui qui ne veut pas l’entendre.

Amatsia, comme nombre de nos contemporains, a été davantage incommodé par l’accent de celui qui dénonça, s’accrochant obstinément à la vérité, quitte à passer pour persona non grata, les intrigues, l’arrivisme et la cruauté d’homme médiocres, sans principes ni honnêteté, cueillant les flagorneries et goûtant aux flatteries. Ils sont encore nombreux, même dans les Églises, ceux qui volent bas, très bas…

Amatsia croyait-il vraiment à ce qu’il disait? Il est plus normal de supposer qu’il se souciait surtout de la sauvegarde de ses intérêts, mis en questions par le ministère sans concession du prophète. Aussi il use d’artifices malicieux. Calvin, qui a le génie d’actualiser le texte biblique tout en s’attachant à en exposer fidèlement le sens, saisit l’occasion pour tenir à cet endroit des propos sévères contre la hiérarchie ecclésiastique de son temps, qu’il assimile aux prêtres du type d’Amatsia. Celui-ci, comme plus tard les hiérarchies du temps de Calvin, luttait, comme dit le réformateur, « pour sa propre cuisine ».

Si le roi, impie comme il l’était, ne se laissa pas trop exciter par la dénonciation de ce valet d’Amatsia, la raison en est peut-être qu’Amos, en dépit de tout, jouissait d’une certaine popularité. L’officiant cultuel sournois et malveillant qui conseillait au prophète de « s’enfuir, d’aller manger son pain ailleurs et d’y prophétiser » aurait probablement voulu voir le Temple officiel de Jérusalem rasé et les prêtres de la lignée légitime périr dans un bain de sang. On peut imaginer qu’un nationalisme étroit s’était emparé même des gens de la religion.

L’identification entre les intérêts personnels et une prétendue sauvegarde de l’ordre public n’a pas manqué au cours de l’histoire. Amatsia, le prêtre de Béthel, est l’un des plus tristes représentants de cette mentalité. Il nous rappelle quelque peu le grand Inquisiteur de Dostoïevski dans les Frères Karamazov, qui alla jusqu’à mépriser et chasser le Christ, venu troubler l’ordre public et les consciences. Ces dévoyés, soit par fanatisme soit par un matérialisme de bas étage, chassent le Messie et ses prophètes pour mieux asseoir leur pouvoir. Il faudra une bonne dose de prudence et d’intrépidité, écrit encore Calvin, pour fuir, non le devoir, mais les ruses perfides des adversaires autant que leur violence et leur cruauté.

N’entrons pas dans tous les détails de cet incident dramatique durant lequel nous apercevons pour la première fois le prophète indigné expliquer sa conduite et exposer l’origine de sa vocation surprenante; il défend sa mission d’oracle de Dieu. Une fois n’est pas coutume. À la rusée injonction « Va, enfuis-toi, et prophétise ailleurs », Amos se dresse de toute la force de son âme zélée pour la cause de son Dieu, que ses adversaires s’acharnent à éteindre. « Je n’étais pas prophète ni fils de prophète. » Il indique ainsi la nature exceptionnelle de sa vocation.

Une véritable leçon de théologie pratique se dégage de ce texte pour tous les ministres du culte préoccupés excessivement de leurs intérêts personnels ou plus simplement polarisés autour de leur ego. Amos est une leçon vivante pour ceux qui, déclarés de nos jours persona non grata, semblent paradoxalement fort bien se porter dans cet état d’ostracisme providentiel! Cet ostracisme les fait apparaître à la première page de tous les journaux. Dans ces procès théologiques qui secouent actuellement tel ou tel secteur de l’Église chrétienne, le délit d’opinion paraît plutôt une aubaine pour ceux qui, flanqués d’innombrables partisans déchaînés, passent d’un interview à l’autre, signent des articles en toute liberté, voyagent sans restriction et publient même des livres qui rapportent gros. Il est vrai que les Martin Luther et les Jean Calvin, ostracisés et honnis pour une juste cause, ne naissent pas tous les jours dans notre « pauvrette Église ».

C’est peut-être le moment de poser une question : Quelle est la nature essentielle de la vocation prophétique? La voix des grands prophètes émerge dans la littérature biblique et mondiale comme le rocher dans l’océan des temps. Qu’est-ce qui leur a valu cette place prééminente? Pourquoi sont-ils les classiques de la religion? Sans doute parce qu’ils font sentir vigoureusement le souffle de l’Esprit divin et parce qu’ils nous font directement pénétrer dans la perspective de la religion authentique. L’humble mortel est ici véritablement et incontestablement sollicité par l’absolu.

Amos, lui aussi, nous place dans un face-à-face immédiat avec Dieu. Il est le messager d’une volonté supérieure. Il a autorité et compétence pour proclamer son intervention. Nous n’avons aucun droit de contester la légitimité de son message et nous ne sommes pas autorisés à en transformer le contenu, à le transposer dans un monde situé en dehors de la réalité, dans le domaine de « l’âme » et des vœux pieux, tout en refusant l’urgence de faire face aux situations réelles, à l’actualité immédiate. Amos proclama un message pour ici et maintenant; il ne parla pas de Dieu en laissant l’humanité livrée à elle-même. Sa prédication fut la mise en accusation, la réfutation d’un monde qui prétendait et prétend encore se régler sur des lois immanentes et autonomes. La révélation dont il fut porteur est vraie dans les choses ordinaires comme dans les grandes choses. La conviction que l’on parle au nom du Dieu de la vérité ne tolère pas qu’on se bouche les yeux et qu’on refuse toute lucidité sur soi-même.

Amos était l’ennemi du mensonge, de la tromperie, des faux semblants, de la vanité… Il combattait contre la prétention folle de connaître Dieu en dehors de Dieu et contre l’usurpation de la dignité prophétique. Son critère d’authenticité est la fidélité à la gloire de Dieu. Cependant, la révélation dont il est le messager et le porte-parole se trouve à la portée de l’homme. Elle est accessible à son esprit, autrement elle le blesserait à mort dans sa condition créaturelle. Comme tout prophète véritable, Amos n’est ni diseur de bonne aventure, ni oracle mystique, ni annonciateur de fatums, ni évocateur de puissances surnaturelles, bénéfiques ou maléfiques. Il est l’interprète de la vie sous le regard de Dieu, l’explorateur du destin individuel et national, un guide pointant vers un avenir lumineux. Nulle part le prophète n’exprime l’idée selon laquelle l’homme, à cause de sa grande détresse, peut faire germer en lui-même son propre salut.

L’importance du prophète Amos, et ceci peut se dire également des autres prophètes de l’Ancien Testament, provient de ce qu’il a dévoilé le sens réel du monde. Il a mis fin au mystère de l’histoire, à la confusion des événements.

Aussi conserve-t-il une actualité totale en tout temps. Il ne divinise pas l’homme et ne ravale pas Dieu à la condition humaine. Le prophète reste tendu vers l’infini, dans cette tension qui exige une entière abnégation et un total esprit de sacrifice; il porte en lui une force écrasante qui subjugue tout sentiment et toute pensée. Son âme est empoignée par les questions, pressentiments et visions qui nous frôlent tous, mais qu’en général nous nous hâtons de rejeter.

L’incident dramatique qui opposa Amos à Amatsia montre la différence essentielle entre le prophète, oracle de Dieu, et le faux messager. Cette rencontre décidera, en dernier ressort, si Dieu s’est révélé ou non, et sa révélation, lorsqu’elle est authentique, accordera à l’âme croyante, par le témoignage intérieur du Saint-Esprit, la certitude définitive de son existence et de la réalité de ses interventions.