Cet article a pour sujet la croissance de l'Église en maturité et en nombre. Elle se fait par la grâce agissante de Dieu, dans l'unité spirituelle, l'amour fraternel et la sainteté de vie.

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Le débordement de la grâce

« Les Églises se fortifiaient dans la foi et augmentaient en nombre de jour en jour. »

Actes 16.5

  1. La croissance en maturité
  2. L’unité spirituelle
  3. L’amour fraternel
  4. La sainteté de vie

1. La croissance en maturité🔗

Nous rêvons tous de temples pleins, n’est-ce pas? Pas que les trésoriers, je pense! Mais pourquoi, au fait? Est-ce pour de bonnes raisons? Est-ce une vision correcte? Est-ce que Jésus, par exemple, a cherché à rassembler le plus de monde possible autour de lui?

Plusieurs craignent que l’Église se replie sur elle-même si on privilégie les relations fraternelles (les droits et les devoirs spécifiques et réciproques propres aux membres du peuple de Dieu); ils craignent qu’en se distinguant nettement de la société, l’Église se trouve dans l’impossibilité d’accueillir de nouveaux membres et de grandir. Notre constat est que c’est plutôt le contraire qui se produit, d’une manière générale. Les Églises qui ont un discours humaniste et qui investissent dans le social ont sans doute beaucoup de contacts, mais l’assemblée des croyants ne grandit pas réellement. Leur message est souvent dilué, assez peu différent de ce qu’on entend partout. À l’inverse, les Églises qui grandissent sont celles qui osent dévoiler la spécificité — pour ne pas dire la radicalité — de la vocation et du message chrétiens.

La croissance numérique de l’Église est en partie conditionnée par sa croissance en maturité, comme cela apparaît dans le livre des Actes. « Les Églises se fortifiaient dans la foi et augmentaient en nombre de jour en jour » (Ac 16.5). Cette maturité se démontre notamment par l’attachement à trois dimensions de la vie du chrétien et de l’Église :

  • L’unité spirituelle : « Qu’ils soient un afin que le monde croie » (Jn 17.21).
  • L’amour fraternel : « À l’amour que vous aurez les uns pour les autres, tous sauront… » (Jn 13.35).
  • La sainteté de vie : « Ayez au milieu des païens une bonne conduite, afin qu’ils remarquent vos bonnes œuvres et glorifient Dieu le jour où il les visitera » (1 Pi 2.12).

Il est facile de constater que ces trois sujets occupent la majeure partie (quasiment l’intégralité) des lettres du Nouveau Testament.

On observe également qu’à chacune de ces trois réalités est attachée une promesse : « à cela, tous verront »; « afin que le monde croie »; « afin qu’ils glorifient Dieu »1. Il apparaît ainsi que si l’expérience chrétienne authentique est susceptible d’étonner voire de heurter bien des personnes, elle constitue également une démonstration convaincante pour beaucoup d’autres, disons pour ceux qui ont soif et que Dieu appelle.

Enfin, ce que nous sommes appelés à vivre en tant que chrétiens est le reflet exact de ce qui existe déjà dans le cœur même de Dieu.

2. L’unité spirituelle🔗

Le chapitre 17 de l’Évangile de Jean nous autorise à comparer l’unité qui existe entre les chrétiens à celle qui unit les trois personnes de la Trinité. Cela laisse songeur. Jésus ne parle pas de cela comme d’une parabole, mais comme d’une réalité! Cette unité est tout à la fois acquise, et appelée à être manifestée. Elle concerne précisément tous ceux qui se réclament de Christ comme de leur Sauveur et Seigneur, qui sont devenus les membres de son corps. Elle se traduit de manière pratique, exigeante, quotidienne. « Va d’abord te réconcilier avec ton frère » (Mt 5.24)2.

Le même souci est exprimé par cette expression de Romains 12 : « Par honneur, usez de prévenances réciproques » (Rm 12.10). Une transcription imagée de cette phrase donnerait ceci : À cause du prix élevé que vous avez, soyez précautionneux dans les contacts entre vous; comme des vases de porcelaine délicats, veillez à ne pas vous ébrécher les uns les autres en vous entrechoquant. Agissez avec douceur. Le contexte immédiat montre que ce prix élevé n’est pas seulement lié à l’humanité de chacun, mais bien à sa qualité de membre du corps de Christ (Rm 12.4-5).

Ces recommandations, il est vrai, pourraient aussi être entendues dans le cadre des rapports humains en général. Mais la visée de l’apôtre, ce sont bien les rapports entre chrétiens, comme le montre aussi le chapitre 14 de cette même lettre :

« Mais toi, pourquoi juges-tu ton frère ou pourquoi le méprises-tu? Si pour un aliment ton frère est attristé, tu ne marches plus selon l’amour : ne cause pas, par ton aliment, la perte de celui pour lequel Christ est mort » (Rm 14.10, 15).

Dans sa première lettre aux chrétiens de Corinthe, Paul traite de manière très pratique la question de l’unité spirituelle, en évoquant les querelles qui pouvaient exister entre frères (et sœurs) chrétiens.

« Un frère plaide contre un frère, et cela devant des infidèles! Pourquoi ne vous laissez-vous pas plutôt dépouiller? Mais c’est vous qui commettez l’injustice et qui dépouillez, et c’est envers des frères que vous agissez de la sorte! » (1 Co 6.6-8).

Paul s’étonne et déplore cet état de fait, comme s’il y voyait une négation de l’identité chrétienne. Dans ce passage, comme en beaucoup d’autres, il marque la différence de statut qui existe entre les chrétiens et « ceux du dehors », « les injustes », ceux « dont l’Église ne fait aucun cas », « les infidèles » (1 Co 6.1-6).

Cela nous montre combien cette unité spirituelle est importante aux yeux de Dieu. À la fin des temps de culte (à défaut que ce soit avant le culte!), il devrait y avoir des paroles de pardon, de réconciliation entre chrétiens (y compris entre chrétiens d’une même famille). De même avant ou après le repas du Seigneur. Nous ne voyons pas les fissures de la coupe, mais le Seigneur les voit, lui. Une coupe fissurée ne débordera jamais.

3. L’amour fraternel🔗

« Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres » (Jn 13.34; 1 Jn 3.16; 4.11). Comme beaucoup d’autres paroles « célèbres » de Jésus, celle-ci a souvent été comprise sur un mode universaliste, comme une manière de préfigurer la Déclaration des droits de l’homme. Qu’il suffise pourtant de se rappeler que l’expression « les uns les autres » s’applique toujours aux relations au sein du peuple de Dieu, Israël ou l’Église. Par ailleurs, le « comme » qui introduit ce verset n’indique pas une imitation, mais une conséquence de la grâce reçue. On pourrait transcrire ainsi : Si vous avez reçu mon amour, de cet amour-là aimez-vous les uns les autres, maintenant. C’est ce qui fait de la vie chrétienne une expérience de la grâce reçue et transmise, une démonstration de la vie de Christ et non une simple morale.

Cela est largement développé par l’apôtre Jean dans sa première lettre : le fait d’aimer les frères chrétiens n’est rien de moins — avec l’obéissance aux commandements — qu’une preuve, une démonstration de la vie nouvelle, de la vie de Christ dans le cœur du chrétien.

« Celui qui aime son frère demeure dans la lumière. […] Nous savons que nous sommes passés de la mort à la vie, parce que nous aimons les frères. Si quelqu’un n’aime pas, il demeure dans la mort » (1 Jn 2.10; 3.14).

C’est ainsi que nous retrouvons ce principe énoncé dans le sommaire de la loi : l’amour pour Dieu et l’amour pour ceux qui lui appartiennent sont indissociables. « Nous avons de lui ce commandement : que celui qui aime Dieu aime aussi son frère » (1 Jn 4.21). En un sens, ces « deux » amours n’en forment qu’un!

Enfin, il apparaît qu’il ne peut s’agir là de sentiments ou d’intentions seulement, mais bien d’une démonstration visible de quelque chose qui a sa source dans le cœur, par la vertu du Saint-Esprit : « Si quelqu’un possède les biens du monde, qu’il voit son frère dans le besoin et qu’il lui ferme son cœur, comment l’amour de Dieu demeurera-t-il en lui? » (1 Jn 3.17). « Priez sans cesse. Pourvoyez aux besoins des saints » (Rm 12.12-13). Quand j’aime mon frère chrétien, c’est Christ qui l’aime à travers moi; et c’est Christ que j’aime à travers lui! Cela est le propre des relations fraternelles : c’est une des vocations primordiales que Dieu accorde aux membres de son peuple; c’est un des signes actuels les plus tangibles de la réalité du Royaume de Dieu. « À ceci tous connaîtront que vous êtes mes disciples, si vous avez de l’amour les uns pour les autres » (Jn 13 35).

4. La sainteté de vie🔗

Nous ne pouvons pas dissocier l’unité, l’amour et la sainteté! L’enjeu, c’est la présence de Dieu, par son Esprit, au milieu de son peuple. Ne rien faire qui puisse attrister Dieu ou un frère; ne pas être pour le frère une occasion de chute. C’est la devise des infirmières : « Premièrement, ne pas nuire! » Ce qui implique de se laver les mains en entrant dans la chambre, par exemple. Mais aussi de s’abstenir de toute espèce de mal, même quand je suis seul (1 Th 5.22). Paul le dit ainsi, toujours dans le contexte des relations entre chrétiens : « L’amour ne fait pas de mal au prochain » (Rm 13.10). « Nous sommes membres les uns des autres » (Rm 12.5).

« Qu’il ne sorte de votre bouche aucune mauvaise parole. […] Que l’impudicité, qu’aucune espèce d’impureté, et que la cupidité ne soient même pas nommées parmi vous, ainsi qu’il convient à des saints » (Ép 4.29; 5.3; voir Ph 2.1-4).

Le chapitre 6 de la première lettre aux Corinthiens met en évidence les implications communautaires de la conduite personnelle de chacun. En somme, l’inconduite n’est recommandable pour personne; mais pour ceux qui ont été rachetés, elle devrait être inenvisageable. « Ne savez-vous pas que vos corps sont des membres de Christ? […] Fuyez l’impudicité. […] Ne savez-vous pas que votre corps est le temple du Saint-Esprit? » (1 Co 6.15, 18-19). Là encore, la raison n’est pas morale seulement, elle est liée à une appartenance, à une sainteté, c’est-à-dire à une mise à part et à une consécration. En d’autres termes, un non-chrétien qui ment, c’est mal; mais un chrétien qui ment, cela est bien plus grave! C’est dans ce contexte que l’on pourrait comprendre l’exhortation de l’épître aux Hébreux : « Vous n’avez pas encore résisté jusqu’au sang en luttant contre le péché » (Hé 12.4).

La Bible montre que l’amour n’est pas une vertu naturelle, immanente, un bon sentiment, mais qu’elle est indissociable de la foi et de l’espérance, c’est-à-dire de l’expérience de l’amour de Christ3. Quant à l’amour fraternel, il n’est pas dissociable de l’unité spirituelle et de la sainteté de vie (1 Th 4.9-12). L’apôtre Jean nous rappelle que l’unité et l’amour qui existent entre le Père, le Fils et l’Esprit caractérisent de même les relations entre les chrétiens. L’amour du chrétien, c’est l’amour de Christ pour lui et au travers de lui. C’est la raison pour laquelle le mot communion peut être appliqué à ces deux niveaux de relation.

Et ceux du dehors? Ils seront témoins de cela, même à notre insu, et chez certains d’entre eux, cela constituera un appel à se rapprocher du Seigneur sans lequel rien n’est possible. L’Église n’a pas besoin d’attirer ceux du dehors (ou ses enfants) en faisant de la publicité ou par tel ou tel artifice.

La croissance par débordement est un fruit naturel de la communion de chaque chrétien avec Dieu et avec ses frères et sœurs dans la foi. Tout chrétien « en bonne santé » désire ardemment cette double communion et se rend immédiatement compte quand elle est « abîmée ».

Si chaque chrétien, aimé de Dieu, aime ses frères et sœurs chrétiens de cet amour et si, en vertu de la réciprocité propre au peuple de Dieu, il est aussi aimé de cet amour, alors une sorte de perfection de la grâce se manifestera, qui sera la démonstration de la présence vivante et agissante du Seigneur au milieu de son peuple4. Par une telle démonstration, beaucoup seront touchés à salut, « en aussi grand nombre que le Seigneur notre Dieu les appellera » (Ac 2.39).

Notes

1. Jn 13.35; 17.21; 1 Pi 2.12. On peut d’ailleurs se demander qui sont ces « tous » qui verront, ou que faut-il entendre par « afin que le monde croie ». Une certaine logique voudrait que l’on voie là « ceux qui sont destinés à la vie éternelle », selon l’expression d’Actes 13.48.

2. Mt 18.19; 1 Co 1.10; 12.24-26; Ép 4.1-3; Ph 2.1-2; Co 2.2.

3. Rm 5.1-5; 1 Co 13.13; 1 Th 3.6; 2 Pi 1.3-7.

4. L’amour fraternel est une des marques visibles de la régénération (1 Jn 3.10; 4.7, 21-5.1; 1 Th 3.12-13; 1 Pi 4.8-10).