Cet article a pour sujet l'oeuvre du Saint-Esprit dans nos coeurs (illumination) qui s'exprime dans la Parole de Dieu sans ajouter de nouvelles révélations, comme le prétendent le spiritualisme, le mysticisme, le pentecôtisme.

Source: La doctrine de l'Écriture. 4 pages.

La doctrine de l'Écriture (7) - À l'école de l'Esprit

La Réforme ne s’est pas contentée d’affirmer l’autorité suprême des Écritures; elle a signalé et confessé, ce qui lui est conjoint, l’autorité du Saint-Esprit. Il y a ainsi une interdépendance, si on ose dire, en ce sens que l’autorité de la première lui vient du second; inversement l’autorité de l’Esprit se manifestera désormais, clairement et suffisamment, avec toute son efficace, dans les pages de la seconde. Il n’y aura pas de Bible sans l’Esprit Saint. Inversement, nous ne discourons pas du Saint-Esprit sans nous référer à la Bible. C’est poussés par l’Esprit que les prophètes ont parlé et écrit. L’ensemble du corps doctrinal du Nouveau Testament dérive directement du Christ, soit, après l’ascension, de son Esprit, promis et envoyé. L’œuvre initiale de l’Esprit fut poursuivie par le témoignage intérieur de l’Esprit qui accorda l’assurance que les Écritures saintes étaient bien la Parole de Dieu. La Réforme a également soutenu que l’assistance de l’Esprit était indispensable pour rendre la Parole efficace comme moyen de grâce et pour appliquer à l’âme enténébrée de l’homme pécheur l’illumination et l’énergie régénératrice faisant toutes choses nouvelles. Il s’agit par conséquent de ne pas voiler l’autorité de l’une par celle de l’autre. Ce sont les deux conjointement qui permettent d’avoir confiance en l’Écriture comme Parole de Dieu.

Si nous croyons l’Esprit quand il garantit que la Bible est la Parole de Dieu, il mérite également notre confiance lorsqu’il nous assure sur d’autres points relatifs à notre salut, lorsqu’ainsi il accompagne notre expérience régénératrice. L’Esprit de Dieu souffle en toute liberté, aussi nous ne le priverons pas de sa liberté de vouloir œuvrer à travers des instruments humains, quoique pas au même degré, de la même manière ou avec la même autorité quand il s’est agi des premiers témoins bibliques. Certes, des excès furent commis en insistant exclusivement sur l’œuvre de l’Esprit1. D’une part, en insistant sur l’Esprit seul, on aboutit à la manie libérale, dans la démesure de récuser tout soi-disant asservissement de l’esprit humain à l’autorité de la lettre (des Écritures); d’autre part, on sombrera dans les élucubrations spiritualistes sous prétexte de nouvelle Pentecôte et de pléthore des charismes spirituels. Libéralisme ou mysticisme, extravagances ou refus d’autorité biblique ont fleuri et prospéré, hélas! au cours des siècles, sous les auspices de l’exclusive « école de l’Esprit ».

Limitons-nous ici à examiner les sectes et les hérésies qui, sous prétexte d’action de l’Esprit, se réclament de continuelles révélations spéciales, Rome n’étant pas la moindre des incidences systématisées, dogmatisées, rigidifiées du même genre. Ces prétendues révélations renouvelées, affirme-t-on, ont leur place à côté de la révélation scripturaire communiquée au moyen exceptionnel de la Bible. L’école de l’Esprit ne date pas de la Réforme, puisque son prototype se trouve déjà au 2siècle, dans le montanisme, lequel se réclamait d’une illumination particulière, réfutant l’autorité de la tradition apostolique. À la Réforme, ce furent notamment les anabaptistes ou, selon le mot de Calvin, les katabaptistes que l’orthodoxie réformée, tant luthérienne que calvinienne, a combattus avec raison, même si à l’occasion avec un excès de zèle intempestif très peu évangélique. Mais ces spirituels dégradaient la Parole, la ramenant au niveau de leurs propres imaginations, et, subsidiairement, offrant au gouvernement civil le prétexte de combattre la Réforme, prenant prétexte leurs projets visionnaires et les bouleversements dans l’ordre social qu’ils provoquaient (pour ne rien dire de leur licence éthique). Nous ne mentionnerons pas les variétés des anabaptismes illuministes ou la secte des enthousiastes enragés, encore selon le mot de Calvin, qui troublèrent l’Église de la Réforme.

L’école de l’Esprit est devenue le foyer des théologies subjectives, sans fondement et nulle garantie biblique. Elles ont été marquées par leur affirmation de la possibilité de nouvelles révélations dans le domaine de la foi, bien que reconnaissant qu’elles ne jouiraient pas du même degré d’autorité que l’Écriture. Elles attribuaient cette autorité seconde à diverses interprétations quant à la personne l’ayant reçue, quant au mode de sa manifestation, quant au rapport précis avec les Écritures canoniques.

Pour la première, on exaltait la révélation faite intérieurement à l’homme en tant qu’homme. La connaissance de Dieu et du devoir que l’on peut largement reconnaître dans toute société civilisée fut interprétée non pas comme le résultat du raisonnement ou du pouvoir intuitif de l’esprit, mais comme le don de l’illumination de l’Esprit. Selon les anabaptistes, l’âme naturellement porte témoignage à la justice et à l’amour de Dieu. Par le même Esprit les croyants reçoivent l’assistance pour des problèmes surgis dans le domaine intellectuel et les perplexités de la vie pratique. Certains n’ont admis l’illumination que pour une certaine catégorie seulement de croyants. Les prophètes montanistes du 2siècle et leurs successeurs de Zwickau, en Allemagne au 16siècle, sont du nombre de ces illuminés spirituels, une classe à part d’hommes croyants. Il est certain que jusqu’au sein des Églises réformées il y eut des personnalités considérées comme telles, appartenant à cette classe d’élites de l’Esprit; mais telle ne sera pas la règle réformée générale.

Il existe également une différence considérable quant au mode de la révélation divine. La principale distinction est le type d’expérience en laquelle les conditions normales de la vie de l’esprit ou intellectuelle sont suspendues et supplémentées et celle dans laquelle l’illumination supérieure est mélangée, confuse, avec le fonctionnement ordinaire de la pensée et de la volonté. Il y a une tendance naturelle à regarder les conditions psychiques anormales comme plus dignes de foi et comme critère valable de l’influence de l’Esprit divin sur l’esprit fini de l’homme (extases en Israël, prophéties dans l’Église de Corinthe, actuellement expériences extravagantes dans une catégorie de charismatiques, à la manière montaniste, etc.). Nous ne ferons pas l’inventaire de ces variations.

Quant à la matière de ce que sont les prétendues révélations, une distinction est faite, selon qu’on les suppose une reproduction indépendante de doctrines bibliques, ou un supplément à la connaissance transmise dans la révélation chrétienne, ou la révision et l’amendement du système doctrinal chrétien. Chez les anabaptistes, une expression était donnée à l’idée que les révélations privées étaient la republication de la substance même des Écritures. Ils prétendaient que ces révélations étaient suffisantes pour le salut et que par conséquent on pouvait se dispenser des Écritures, bien que sans contredire les deux. On leur a plutôt reproché non pas la place moindre accordée à l’Écriture, mais celle excessive à leur propre imagination enflammée par l’Évangile social et leurs visions prophétiques, selon lesquelles Royaume de Dieu et fraternité humaine pouvaient se réaliser concrètement dans les institutions politiques, dans la vie économique et sociale.

Le litige principal se trouvait dans le débat entamé autour du prétendu privilège de jouir de l’assistance gracieuse de l’Esprit en appliquant des principes chrétiens dans le monde concret de la politique, celui des affaires sociales, en prenant de nombreuses décisions appelées par les circonstances et les événements quotidiens. Mais ces révélations privées ont plus souvent servi à jeter le discrédit sur la théologie orthodoxe. Elles étaient en contradiction avec les articles fondamentaux du credo évangélique. Chez des anabaptistes, chez certains au moins, la lumière intérieure s’opposa à la doctrine de la justification par la foi seule. L’accent fut déplacé du Christ de la croix au Christ intérieur (le mouvement dit d’Oxford en fut un autre exemple typique, sans toutefois atteindre aux outrances des anabaptistes). Sous prétexte d’interprétation plus profonde et complète, l’on s’imaginait corriger les erreurs dans lesquelles se seraient égarés Luther et Calvin. Le montanisme avait prétendu ramener l’Église à sa pureté initiale. Les anabaptistes rêvèrent d’un millénium qui marquerait l’instauration d’un ordre politico-social concrètement régi par des principes du Christ.

Un autre développement radical fut le puritanisme anglais qui, malgré ses intuitions calviniennes, n’a pas manqué de produire des bandes de fanatiques, avec leur credo panthéiste, niant jusqu’à la personnalité de Dieu la doctrine de l’immortalité de l’âme, soulignant que l’objectif du développement religieux était l’émancipation par rapport aux exigences de la loi morale. Le quakerisme, dans l’une de ses variations extrémistes, opta pour le rationalisme logique et prôna un monothéisme éthique en rupture avec le surnaturel ou la transcendance de l’orthodoxie biblique et réformée.

Dans son ensemble, l’école de l’Esprit eut certes le mérite de considérer un certain aspect des faits chrétiens et de prendre plus sérieusement certaines vérités, ce qui n’était pas toujours le cas dans l’orthodoxie du siècle après la Réforme. En affirmant que l’autorité suprême était celle de Dieu et de son Saint-Esprit, elle insista sur le fait que la foi chrétienne n’est pas pure religion de la lettre, dans laquelle un livre servirait de code et le travail théologique consisterait à en reproduire servilement la lettre. Elle releva l’importance des rapports entre l’Église et l’État. Elle remit en évidence la révélation chrétienne imposant de sérieuses responsabilités à l’homme croyant, aussi bien pour la pensée que pour l’application des principes éthiques, dans toutes les sphères de l’activité humaine. Malgré ses bonnes intentions, elle causait une grave préoccupation due à ses prétentions de révélations nouvelles dont elle serait la récipiendaire. Son argument principal était tiré des origines du christianisme, et elle a établi une analogie entre le présent et ces origines. À ses yeux, il serait bien étonnant que Dieu ait pu parler il y a deux mille ans, mais que depuis il ait gardé le silence. Mais dans un tel cas, tout hypothétique, bien entendu, Dieu est-il encore un Dieu vivant?

La théologie orthodoxe réformée n’a jamais prétendu que Dieu n’ait plus jamais parlé depuis lors. L’Esprit a rendu capables les esprits d’hommes de parler de la part de Dieu. Sinon comment expliquer la célèbre formule de la Confession helvétique postérieure, selon laquelle la prédication de la Parole de Dieu est Parole de Dieu, bien qu’en un sens dérivé. Aussi, dans des situations particulières données, il a accordé la direction, cependant invariablement en conjonction avec l’Écriture et la prière de la foi.

La question essentielle ne réside pas à savoir si l’Esprit de Dieu demeure toujours parmi les hommes pour éclairer leur esprit en vue de la connaissance des choses de Dieu, mais plutôt s’il continue à le faire de la même manière immédiate, comme lors de la rédaction des livres bibliques, avec le même résultat et une autorité universelle identique. Or, toute littérature et tout discours ultérieur sont dans une position dérivative, secondaire, sorte de « norma normata » (norme normée), mais non « norma normans » (norme normante), comme dans le cas des credo et des confessions de foi. La révélation originale ne fut jamais répétée de la même manière. Il faut noter que la doctrine de la lumière intérieure a été discréditée souvent par des positions outrancières, telles que dans l’antinomisme et toutes les objections à la morale biblique. Mais la question décisive est de savoir si ces prétendues révélations dont on se réclame constituent une addition à la connaissance religieuse qui nous est indispensable, comme un supplément indépendant à la révélation originale.

On peut affirmer avec une totale assurance que, dans l’esprit de la Réforme, cela n’était pas le cas. On soutiendra certes que l’Esprit aide à interpréter la révélation originale, mais non à la compléter. Il n’y a pas d’amélioration du Nouveau Testament qui serait l’œuvre successive de l’Esprit, une sorte de parallèle à « l’Ecclesia Reformata quia semper Reformanda » (l’Église réformée est celle qui se réforme toujours). La parole du Christ (Jn 16.13-14) affirme qu’il y a une date limite de la révélation. Ce n’est que sur la base de la révélation de Dieu en Christ et cherchant à mieux connaître les œuvres rédemptrices de Dieu que la promesse d’une illumination accrue nous est faite. L’Esprit n’opère pas de manière mécanique par la lettre, mais la condition de l’illumination spirituelle pour la pensée et la vie est que notre pensée doit être ancrée et fondée en l’Esprit, tel qu’il s’exprime dans la Parole de Dieu, la Bible, en rendant principalement témoignage au Christ, Parole éternelle de Dieu, prononcée par le Christ. Toute pensée théologique et toute expérience spirituelle qui s’isolent de la révélation historique et scripturaire, qui majorent la spéculation et des jugements subjectifs, en les taxant de sources nouvelles et complémentaires de révélations, rendront la Bible superflue et la proie facile aux illusions les plus fantaisistes. Ou encore elle cherchera une certaine consolation pour l’humiliation en ayant recours dans un rationalisme dénivellateur du transcendant, compromettant même l’immanence de Dieu, pour le salut et pour la foi.

Note

1. Notre séries d’articles intitulée Essai sur le Saint-Esprit et l’expérience chrétienne en a signalé les dérives.