Introduction au catholicisme romain
Introduction au catholicisme romain
« Je crois la sainte Église universelle. »
Symbole des apôtres
« Je crois l’Église une, sainte, universelle et apostolique. »
Symbole de Nicée
- Unité et division
- Le sens et l’usage du mot « catholique »
- La doctrine romaine
-
Les signes de l’Église
a. L’apostolicité
b. La sainteté
c. L’unité
d. L’autorité - L’influence de la tradition
- Quelle doit être notre réponse?
1. Unité et division⤒🔗
Nous confessons qu’il n’y a qu’une seule Église. Aux temps apostoliques déjà, il n’y avait qu’une seule Église, qui était à Rome, à Corinthe, en Galatie, à Éphèse, etc. Pour que cette unité fût sauvegardée, les apôtres avaient multiplié les appels, les objurgations, les mises en garde. « Il y a un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême, un seul Dieu et Père… », écrivait saint Paul (Ép 4.5).
Nos divisions actuelles doivent donc être tenues comme de graves infidélités à l’enseignement biblique. Mais il y a plus. Le Diable, le Malin, contrairement à Dieu qui par son amour unit ses enfants rachetés à lui et entre eux, divise, puisque Diable, « diabolos » en grec, signifie diviseur. Le morcellement de l’Église est son œuvre et une conséquence de notre péché.
L’Église est le corps du Christ (1 Co 12). Un corps qui se déchire ne saurait vivre longtemps. Il est voué à la mort. En serait-il de même pour l’Église? Ajoutons que le Christ est la Tête de ce corps dont nous sommes les membres. En morcelant le corps, ne blessons-nous pas aussi le Christ? Cela suffit à manifester le scandale de nos divisions et l’urgence de nous comprendre et de nous parler sans hostilité. Nombre de mouvements ont cherché, notamment depuis les débuts de notre siècle, une organisation sur le plan ecclésiastique pouvant rapprocher les différentes divisions du christianisme; plus tard, ils ont réuni leurs efforts dans le cadre du Conseil œcuménique des Églises. En connaissant tout d’abord les fondements de notre propre foi, nous devrions chercher ensuite à surmonter certains partis-pris traditionnels s’ils ne concernent pas l’essentiel.
Cet effort est difficile, inutile de se le dissimuler. Car les divisions de l’Église ont surgi avant tout par souci de fidélité à la seule autorité de Dieu. Or cette fidélité, parce qu’elle est à la fois sincère et se veut d’une totale obéissance, est intransigeante. Il ne nous est guère possible d’appartenir sincèrement à notre Église sans partager, sur les points essentiels tout au moins, sa fermeté intransigeante. Mais ce qui fut une décision de foi des réformateurs est devenu peu à peu, dans les Églises qu’ils ont créées, une tradition et parfois même une habitude de pensée sclérosée. Les traditions assurent à la vie de nos Églises une certaine continuité, mais elles risquent aussi de constituer une source permanente d’incompréhension et de malentendus avec d’autres Églises. Le souvenir d’anciennes persécutions ou de motifs d’ordre politique avive parfois encore nos partis-pris. C’est évidemment à l’obéissance de la foi, dont il a été premièrement question, qu’achoppent surtout nos efforts d’unité. Il faut que nous ressentions cet échec comme le drame le plus douloureux de la destinée terrestre de la sainte Église universelle.
2. Le sens et l’usage du mot « catholique »←⤒🔗
Le terme catholique dérive du grec « kath-olikos », qui peut signifier à la fois général et universel (il avait déjà chez les auteurs grecs le sens d’universel). À l’origine, il comporte un sens géographique et s’applique à l’Église universelle pour la distinguer des Églises ou communautés locales. La lettre aux chrétiens de Smyrne désigne l’Église de Jésus-Christ comme catholique. « Catholique », en grec « selon tout », signifie donc l’universalité et la totalité dans le temps et dans l’espace (s’achevant dans l’éternité du Royaume de Dieu où l’Église est triomphante). C’est à partir de cet emploi géographique que dériva le sens doctrinal. Catholique devint synonyme d’orthodoxe, s’opposant à l’hérésie. Cyrille de Jérusalem pouvait écrire :
« L’Église est ainsi appelée catholique parce qu’elle s’étend à travers le monde entier, d’un extrême de la terre à l’autre, car elle ne cesse jamais d’enseigner dans son intégralité chacune des doctrines que l’homme doit être amené à connaître, […] car cela amène à l’obéissance religieuse toutes sortes d’hommes.1 »
Jésus-Christ n’a point qualifié lui-même l’Église de catholique. Ce vocable convenait si bien à la communauté chrétienne que, dans la règle de foi du Concile de Constantinople (381), encore en usage parmi les chrétiens d’aujourd’hui, il est dit : « Nous croyons l’Église une, sainte, catholique. » Les premiers chrétiens avaient une vive conscience de l’originalité de leur religion : non point une religion de plus, au milieu des autres, non point une secte ésotérique, ni un système particulier de pensée, mais l’événement absolu dans l’histoire, celui de l’incarnation du Fils de Dieu; événement unique, total, universel. Dieu ne peut se reprendre, ni se corriger, ni se compléter, ayant prononcé sa Parole définitive, qu’il adresse aux hommes en Jésus-Christ, son Fils unique.
C’est donc la foi en la révélation qui est catholique, et c’est cette conscience dont la réalité concerne tous les hommes et tout l’homme qui anime l’existence humaine que recouvre le terme de catholique. Et à la suite de cette religion catholique, l’Église, communauté des croyants, s’est appelée aussi catholique. Tous les chrétiens, quelle que soit leur confession, reconnaissent l’Église de Jésus-Christ comme catholique et sont d’accord pour le confesser dans leur profession de foi. Pourtant, seule l’Église dont le siège se trouve à Rome et qui prétend être pleinement l’Église du Christ a retenu ce titre ancien. Elle se distingue ainsi des Églises orthodoxes et des Églises issues de la Réforme du 16e siècle.
Vincent de Lérins, dans son célèbre « canon », définit l’enseignement comme ce qui a été cru « partout, depuis toujours et par tous » (« quod ubique, quod semper, quod ab omnibus »). L’Église catholique s’étend dans l’espace et dans le temps. On devrait en déduire un autre point encore (bien qu’il ne soit pas toujours remarqué) de la première expression, à savoir, comme le dit Ignace d’Antioche, Père apostolique : « Partout où est Jésus-Christ, là est aussi l’Église catholique. » Le christianisme se trouve donc dans une relation vitale avec Jésus-Christ. Son essence est par conséquent spirituelle. Le protestant Leon Morris fait alors remarquer que « catholique romain » et « partie catholique » sont des termes contradictoires en soi. Seul ce qui est véritablement universel a droit à ce terme2.
3. La doctrine romaine←⤒🔗
Selon le cardinal Bellarmin (saint Robert Bellarmin, docteur de l’Église, 17e siècle), l’incontestable autorité dans l’Église romaine est l’Église, laquelle consiste en membres qui confessent la foi véritable, communient aux vrais sacrements et se soumettent à la règle du pape en tant que chef de l’Église. La première de ces marques exclut tous les hérétiques, ainsi que les juifs et les musulmans; la seconde exclut les catéchumènes et les excommuniés; la troisième les schismatiques, c’est-à-dire les Grecs et les Églises orientales qui essentiellement confessent la même foi et pratiquent ou observent les sept sacrements, mais refusent la soumission au pape. N’appartiennent à la vraie Église que ceux qui admettent ces marques. Ainsi définie, l’Église selon Bellarmin est visible et palpable, comme la République vénitienne ou le Royaume de France. Le célèbre cardinal-théologien refuse la distinction entre Église visible et invisible. On a encore défini l’Église comme la communion de ceux qui sont placés sous un seul chef, le Christ, et son vice-gérant visible, le pape, pour confesser la même foi et participer aux mêmes moyens de grâce.
L’une des qualités fondamentales de l’Église est sa visibilité, et le nom complet de la communion romaine est : « Église sainte, catholique, apostolique et romaine ». Son système de doctrine est contenu dans les credo œcuméniques : le Symbole des apôtres, le Credo de Nicée, avec le célèbre Filioque3, et le Symbole dit d’Athanase, dans les décisions dogmatiques des conciles œcuméniques et les décrets ou déclarations ex cathedra des papes.
Le meilleur résumé des principaux articles de la foi romaine se trouve dans le Credo de Pie IV, qui fait autorité pour tous les prêtres et enseignants et doit être confessé par tout converti. Il contient le Credo de Nicée et 11 articles, auxquels il convient d’ajouter actuellement le dogme de l’infaillibilité du pape, celui de l’Immaculée Conception et celui de l’Assomption corporelle de Marie.
La doctrine romaine, affirme-t-on, a été préparée et élaborée par les Pères ecclésiastiques, parmi lesquels les plus célèbres : Irénée, Cyprien, Augustin, Jérôme, Léon I, Grégoire le Grand; elle a été analysée logiquement, définie et défendue par les théologiens du Moyen Âge : Anselme, Alexandre de Halle, Pierre Lombard, Thomas d’Aquin, Duns Scot, et plus tard Bellarmin, Bossuet et d’autres encore parmi des docteurs plus récents. Une question qui a été résolue une fois lie pour toujours la foi de l’Église et exclut toute possibilité de réforme doctrinale; elle ne peut plus être rouverte. Cependant, l’autorité qui l’a résolue peut ajouter de nouveaux dogmes (« Roma locuta, causa finita est »).
Notons que notre attitude vis-à-vis du catholicisme romain n’est pas la même qu’à l’égard des sectes. Nos Églises occidentales se sont séparées, ou plutôt ont été rejetées du catholicisme, alors que la plupart des sectes sont nées d’une fausse interprétation des principes évangéliques exposés et défendus par la Réforme. Dans le mot secte (comme celui d’hérésie), il y a l’idée d’un choix, d’une limitation. D’un côté, le catholicisme, dont la prétendue universalité, croyons-nous, s’affirme au détriment de la fidélité à la Parole de Dieu révélée dans les saintes Écritures; de l’autre, les sectes, qui insistent sur un point de doctrine particulier authentiquement évangélique au détriment d’autres vérités bibliques, et finalement, de l’ensemble de la révélation.
Sous le terme de catholicisme, il convient d’englober les Églises catholique romaine et orientale, et aussi les Églises historiquement les plus anciennes, groupant aujourd’hui une forte majorité des chrétiens du monde entier. Cependant, on trouve dans ces Églises de notables divergences dogmatiques et ecclésiastiques.
Les Églises d’Orient rejettent la primauté du pape de Rome. Elles sont davantage des Églises nationales. Leur théologie ne s’est guère développée à partir du 8e siècle. Le culte des images (icônes) y est très développé (iconomaches). Plus que l’Église romaine encore, les Orientaux pensent que la « divinisation » (« theiosis ») progressive du monde s’opère par la grâce des sacrements. Cela explique qu’ils aient moins que les Occidentaux le goût de la mission et de l’évangélisation.
Il est difficile de parler de l’anglicanisme qui, à l’origine, fut surtout un rejet de l’obédience au pape, mais qui souscrit aussi à des articles de foi (les trente-neuf articles) et à des principes bibliques et évangéliques qui furent ceux de la Réforme sur le continent. Actuellement, il y coexiste des usages, des rites et des courants d’idées très divers, les uns purement réformés, les autres nettement catholiques, avec même une certaine vénération de Marie. Ces étonnantes coexistences pourraient être aux yeux de certains du plus haut intérêt, à condition qu’elles ne sacrifient pas l’essentiel de l’héritage authentiquement réformé dont a bénéficié l’Église anglicane.
Notre étude sera consacrée au catholicisme romain. Pourquoi romain? À la suite de divers événements historiques (dont les principaux furent le départ, au 4e siècle, de l’empereur de Rome pour Constantinople, et dès le siècle suivant l’anarchie qui suivit les invasions successives des barbares), l’évêque de Rome devint peu à peu le chef spirituel de l’Occident, en même temps que le souverain d’une partie de l’Italie. Il existait en Orient des évêques (patriarches) dont l’autorité, au début, était la même que celle de l’évêque de Rome et qui refusèrent toujours de reconnaître la suprématie du pape, jusqu’au jour (1054) où la rupture (schisme) fut inévitable. On appela désormais « romaine » les parties de l’Église qui se soumirent à l’autorité pontificale.
La prétention romaine à la catholicité est absolue. Le pape ne peut pas discuter avec les réformés comme appartenant à la véritable Église, car il s’opposerait alors à toute la théologie romaine. On comprend ainsi pourquoi Rome se tient, officiellement, à l’écart de tout mouvement de rapprochement entre Églises, même si depuis Vatican II un dialogue a été établi avec certaines d’entre elles.
4. Les signes de l’Église←⤒🔗
L’Église romaine fait grand cas des signes d’authenticité d’une Église, qui sont : l’apostolicité, la sainteté, l’unité, l’autorité. Nous nous trouvons pleinement d’accord avec de tels signes. Mais si la Réforme évangélique appliquait intégralement ces signes et les interprétait pour ce qu’ils sont, elle devrait condamner sans appel l’Église romaine, car celle-ci ne peut se justifier d’après un tel critère.
a. L’apostolicité←↰⤒🔗
Ne peut se considérer comme apostolique que l’Église qui persévère dans l’enseignement des apôtres. Or, l’Église romaine s’en est déviée sur plusieurs points essentiels, dont l’interprétation des sacrements, non seulement en en ajoutant cinq aux deux institués par le Seigneur, mais encore en déformant les deux originaux.
b. La sainteté←↰⤒🔗
Elle est bien un signe d’authenticité de l’Église, et le livre des Actes, ainsi que la littérature extracanonique de l’Église apostolique, montre l’éclat avec lequel brilla l’Église primitive au sein de la société païenne. Mais avec l’avènement de la papauté, cette gloire et cette pureté se fanèrent et disparurent. À tel point qu’au temps de la Réforme tout le monde savait que ce qu’on appelait le Siège apostolique était occupé par des hommes d’une incroyable iniquité, par des individus parmi les plus vils de toute la chrétienté! Certes, ce fait embarrasse encore aujourd’hui l’Église de Rome. Elle explique cependant ce passé sous prétexte que l’Église aussi fait partie de la société humaine; aussi souligne-t-elle que par moments les papes, bien que successeurs de Pierre et investis d’une mesure spéciale d’autorité par le Saint-Esprit, afin de rester infaillibles pour la défense et l’interprétation correcte de la doctrine biblique, n’ont pas été à la même hauteur que le saint apôtre.
c. L’unité←↰⤒🔗
Quoique nous soyons d’accord, en principe, sur la nécessité de l’unité de l’Église, nous nous trouvons à ce sujet aux antipodes de la conception romaine de l’unité. Pour Rome, l’unité ne peut se faire que sous l’autorité papale. Pour la Réforme, l’unité consiste à se placer sous le Pasteur suprême de l’Église, Jésus-Christ. Pour Rome, l’unité se fait au moyen du baptême et par l’acquiescement à ses formules doctrinales. Pour la Réforme, l’unité sera atteinte par le Saint-Esprit, lors de la régénération selon le texte de Jean 17. Cette unité ne peut pas s’opérer à travers un assentiment imposé par la force, l’épée ou le bûcher. Elle est le fait de l’Esprit réalisé par les liens de la paix.
d. L’autorité←↰⤒🔗
Nous admettons aisément la nécessité d’une autorité ecclésiastique, mais l’auto-exaltation d’une Église ne saurait s’imposer à la conscience de ceux qui veulent rester fidèles à l’Esprit et à la Parole comme à l’ultime autorité.
5. L’influence de la tradition←⤒🔗
Il faut préciser que c’est contre la tradition que la Réforme s’est surtout élevée. Relevons trois aspects du romanisme qui lui doivent leur importance.
1. Le culte de vénération voué aux saints, à la Vierge Marie en tout premier lieu, des reliques (membres ou objets ayant appartenu à un saint), et tous les cultes locaux leur étant rendus, bénédictions d’objets divers, offrandes de cierges, messes privées, pèlerinages auxquels, depuis le plus haut Moyen Âge, la piété populaire a été fort attachée. À certaines époques, ces pratiques ont pris une extension telle que le magistère (autorité doctrinale de l’Église) a été obligé de lutter contre les plus superstitieuses.
2. Le mysticisme, propre à toute nature contemplative, connut de tout temps un grand succès, notamment dans les ordres religieux. Le besoin d’ascétisme et de silence, auquel le monachisme (de « moine ») s’efforce de répondre, n’est pas d’origine purement évangélique. Il relève certainement, en grande partie, des traditions gréco-orientales païennes.
3. Ajoutons, enfin, un goût de la précision juridique et de la légifération ecclésiastique, de la codification morale et rituelle; goût qui nous est particulièrement étranger, souvent même désagréable. Nous avons chargé les termes en « isme » qui l’expriment d’un tel mépris, que l’usage en est devenu presque injurieux. Quel que soit notre attachement à une certaine liberté de l’Esprit, pour ne pas nous faire une conception totalement injuste de l’Église romaine, apprenons à prononcer ces termes sans y mettre plus de nuances péjoratives que ne le fait le dictionnaire.
Le romanisme, en effet, contrairement à notre tendance générale, est ritualiste (fixité séculaire du déroulement des cérémonies religieuses), clérical (pouvoir accordé au clergé dans la direction de l’Église et des âmes), légaliste (distinctions précises entre diverses catégories de péchés et des moyens pour obtenir le pardon de Dieu), dogmatique (fixité et précision des articles de la foi). Ce caractère juridique du romanisme n’est pas l’héritage du légalisme juif de l’Ancienne Alliance, mais de l’Empire déclinant, dont les célèbres juristes aidèrent l’Église à organiser un monde abandonné au désordre des invasions barbares.
La Réforme protesta contre ce légalisme au nom de la souveraineté de Dieu, laquelle fonde la liberté inaliénable de l’homme. Ce n’est pas en raison de nos efforts ou « mérites », mais par sa libre grâce que Dieu pardonne notre péché. Seule la foi nous donne la certitude du pardon gratuit. Mais il serait injuste de prétendre que la doctrine du « salut par la foi seule », si chère à la Réforme, est inconnue du romanisme. En réalité, la position romaine sur le sujet est très nuancée. Tout en faisant une place (que nous jugeons excessive) à la théologie des œuvres méritoires, elle admet toutefois que le salut est le don gratuit de Dieu.
À cause du respect qu’elle porte au sacré, l’Église romaine éprouve la nécessité de multiplier les consécrations : mise à part des personnes et des objets destinés au culte et aux sacrements, ordination des prêtres, dédicace des églises, consécration du pain et du vin de la messe, de l’eau du baptême, des huiles, des cierges, etc., ainsi que les bénédictions (grâces accordées en des circonstances particulières : bénédiction du corps des morts, des récoltes, des bateaux, d’une foule, etc.).
L’Église, par la pompe de ses cérémonies, la richesse de ses sanctuaires et l’autorité de son clergé, cherche à inspirer aux fidèles le respect du sacré. Elle estime qu’il n’y a pas de crainte de l’Éternel sans respect des choses saintes, pas plus qu’il n’est possible de recevoir le salut sans participer aux sacrements. Nous sommes bien loin de la simplicité du culte évangélique, de sa familiarité aussi. L’abondance des statues et des images, ainsi que l’atmosphère de mystère qui plane au-dessus des sanctuaires romains, nous mettent souvent mal à l’aise.
La cristallisation de la piété populaire en dogme officiel, à laquelle on assista aux 19e et 20e siècles, n’a que creusé davantage l’écart entre catholiques et protestants. Notons la bulle Conception de Pie IX, en 1854, qui consolide la mariolâtrie et hisse celle-ci au niveau d’un dogme officiel. De même la déclaration de l’Assomption corporelle de la bienheureuse Vierge Marie en 1950. Selon Pie XII, trois jours après son ensevelissement, la mère de notre Seigneur serait glorieusement montée au ciel pour y occuper son trône et y intercéder en faveur de ceux qui, à travers le monde, implorent son secours.
Certes, Vatican II a fait quelques concessions mineures, par des aggiornamentos, c’est-à-dire des mises à jour, par exemple la célébration de la messe en langue populaire et non plus uniquement en latin, la possibilité de le faire sur un autel en bois et non de pierre, etc. Mais Vatican II n’a pas renoncé à aucune des erreurs doctrinales que la Réforme avait dénoncées avec tant de vigueur. À la fin du 20e siècle, l’Église romaine se trouve immergée dans les mêmes eaux troubles qu’au Moyen Âge. Le seul signe d’espoir reste la possibilité offerte aux fidèles de lire les Écritures, bien que l’on insiste toujours sur la conformité qu’il doit y avoir entre la lecture de celle-ci et l’interprétation officielle imposée par le magistère.
En dépit des preuves de bonne foi données pour la réunification des Églises, Vatican II a fait clairement comprendre qu’il ne saurait y avoir d’autre réunion que celle effectuée par le retour à Rome et la soumission à l’autorité papale des « frères séparés ». Le décret sur l’œcuménisme le dit bien : C’est par l’intermédiaire de l’Église, qui est aide et moyen universel de salut, que le salut peut être atteint pleinement. De telles déclarations, et il en existe d’autres, démontrent que Rome ne s’est nullement départie des positions affirmées par la Unam Sanctum de 1302 d’après lequel il n’existe qu’une seule Église, la romaine, avec le pape comme successeur de Pierre et comme son chef terrestre, et qu’en dehors de cette Église il n’y a point de salut. Même le théologien catholique Hans Küng, qui se fait actuellement le champion d’un certain libéralisme, ébranlant les certitudes de ses coreligionnaires par ses véhémentes critiques à l’égard de l’Église-Mère, reconnaît que l’office de Pierre assure, seul, l’unité de l’Église au service de la charité et en vue de fortifier la foi.
6. Quelle doit être notre réponse?←⤒🔗
Tels sont rapidement esquissés les traits principaux de l’Église romaine à la fin du 20e siècle. Elle ne saurait changer sans se renier et se détruire elle-même. Aussi est-elle déterminée à persister dans son autoritarisme, ce qui est une menace constante pour la liberté chrétienne, voire pour celle du citoyen. Comment faire face à cette menace? Les compromissions sont dangereuses. Toutes celles qui ont été faites dans la cause de Dieu n’ont réussi qu’à conforter les positions d’erreur, à détruire même la vérité, à rendre les fidèles vulnérables à l’erreur. La réponse reste encore l’ordre missionnaire de proclamer l’Évangile seul, confié à l’Église par son Seigneur. Cet Évangile dissipa les ténèbres du paganisme, ainsi que celles qui s’étaient de nouveau abattues sur l’Europe à l’époque de la Réforme; il fut le puissant instrument qui déclencha l’insurrection contre la démoralisation individuelle et sociale et redonna à l’Église sa conscience, lui faisant découvrir son identité de corps du Christ. Ce qu’il accomplit dans le passé il peut encore l’accomplir aujourd’hui et au cours des siècles à venir, si le peuple de Dieu s’attache à la Sola Scriptura (l’Écriture seule).
Il aurait été tout à fait indiqué de commencer notre étude par la théorie, caractérisée par son habituelle précision, perfection et fermeté, par laquelle l’Église romaine justifie et défend son inaltérable et résolu dogmatisme, et qui marque chacune de ses déclarations sur le moindre point de foi et de morale. Certes, la question relative au siège de l’autorité avait déjà été posée et largement débattue à l’époque patristique; elle a occasionnellement resurgi lors de débats et controverses théologiques et ecclésiastiques ultérieurs; mais ce ne fut qu’à la Réforme que les problèmes furent aussi amplement examinés et leur nature précisée.
Plus loin, nous examinerons l’évolution du dogme, qui se déroula en deux étapes : d’abord par les décrets du Concile de Trente, qui définirent les sources de révélation, ensuite par ceux de Vatican I et, dans un moindre degré, de Vatican II. Vatican I a fixé une fois pour toutes la question de l’autorité ou de l’organe ecclésiastique à qui revient l’autorité et la suprême responsabilité pour garder l’interprétation du dépôt de la foi.
Pour des raisons de commodité, nous commencerons par l’examen de l’organisation de ses aspects extérieurs et par quelques approches modernes du catholicisme. Ce n’est qu’ensuite que nous aborderons l’examen de la nature du dogme et de toute la pratique de l’Église romaine; nous conclurons avec une évaluation biblique et réformée de sa présence et de son action. Nous voudrions conclure cette introduction par une citation de Franz J. Leenhardt :
« Aussi certains protestants, qui se laissent aller aux attraits d’un romantisme religieux qu’ils prennent pour de la charité chrétienne, ont l’horreur de tout ce qui met en lumière les contrariétés dogmatiques par lesquelles le catholicisme et le protestantisme s’opposent. Ils préfèrent taire la vérité, plutôt que de reconnaître que l’unité n’existe réellement pas. Ils s’imaginent servir utilement la cause de l’unité en gardant le silence sur ce qui la rend impossible. L’unité devient chez eux l’embrassement de deux ombres. Pour nous […] nous préférons une vérité cruelle aux facilités de ce romantisme. Nous n’avons aucune animosité contre Rome à cause de la rigueur avec laquelle elle professe ce qu’elle croit être la vérité. […] Elle est conséquente avec elle-même quand elle parle le langage clair que parlent les papes et les conciles. Par contre, certains catholiques et même théologiens paraissent s’engager dans les brumes de ce romantisme. […] Ils tiennent un langage confus qui s’appuie en porte-à-faux sur le dogme, qu’ils professent cependant avec la même fidélité et avec sincérité. À leurs yeux aussi la vérité, parfois cruelle, n’est pas bonne à dire. Ils font un choix arbitraire dans les exigences de leur Église et retiennent ce qui flatte leur sentimentalité, prétendant ne voir dans le reste que scories sans importance. C’est se mentir à soi-même et c’est tromper les autres, que d’accepter l’une ou l’autre de ces attitudes. Les choses de la foi sont trop sérieuses, trop capitales pour que l’on consente à ces fourberies inconscientes. La charité n’exige pas ces mensonges, et la vérité les condamne.4 »
Notes
1. Cyrille de Jérusalem, Catéchèses baptismales, 18, 23.
2. Encyclopedia of Christianity, vol. 2, article « Catholic ».
3. Filioque : contrairement aux orthodoxes grecs, les romains, comme d’ailleurs les réformés, admettent que le Saint-Esprit procède et du Père et du Fils.
4. F.J. Leenhardt, Le Protestantisme tel que Rome le voit, Labor et Fides, Genève, 1942, p. 13-14.