Lévitique 25 - Le Jubilé
Lévitique 25 - Le Jubilé
Lévitique 25
À première vue, il semblerait qu’il n’y ait aucun point commun entre les institutions sociales et économiques de l’Ancien Testament et la société moderne. Les lois et les règlements régissant la vie civile de l’Ancienne Alliance étaient destinés à un peuple d’agriculteurs, et la liberté dont celui-ci pouvait disposer et jouir nous paraîtra, à tort, presque dérisoire par rapport à celle que nous connaissons. À notre époque, en dépit de tant de peuples opprimés, la liberté ou la recherche de la liberté est devenue une priorité absolue, aussi bien pour les individus que pour les nations, les races et les classes.
On discourt avec beaucoup d’enthousiasme, mais avec un minimum de réalisme, de la liberté des femmes par rapport à celle des hommes. Dans le contexte actuel, la liberté de l’économie est un autre absolu pour beaucoup de sociétés et on n’ignore pas l’importance de celle-ci pour les structures modernes. Pourtant, quels que soient les avantages dont nous pourrions à juste titre être fiers, rien ne peut se comparer à l’institution du Jubilé dont nous parle l’Ancien Testament. Une lecture attentive du chapitre 25 du livre du Lévitique nous en convaincrait ici, s’il en était besoin. Le Jubilé est étroitement lié aux idées de libération et de restauration, et les contrastes entre cette institution et les structures oppressantes de la vie moderne sont véritablement frappants.
Le Jubilé était l’année de libération pour les membres de la communauté religieuse et nationale d’Israël. Tous les cinquante ans, venant immédiatement après la septième série des septennats, le peuple de l’Ancienne Alliance célébrait cette fête; il lui était interdit de planter et de moissonner durant cette année; il devait vivre sur les provisions ramassées les années précédentes, laissant la terre nourricière se reposer.
Ainsi, le Jubilé concernait à la fois l’homme et son environnement. Autre mesure importante : l’année du Jubilé, une propriété vendue revenait de nouveau à son ex-propriétaire. Avec un tel système, on n’avait pas besoin de réformes agraires, qui ont fait couler tant d’encre, si ce n’est de sang, à notre époque… En même temps, les esclaves devaient être affranchis. Trois mots expliquent la signification à la fois religieuse et économique de cette importante institution : libération, restauration, espérance.
Ces mots nous placent dans l’optique du Royaume de Dieu. Si, par exemple, une terre est restituée à son ancien propriétaire, la raison en est que Dieu seul en est le véritable et ultime propriétaire. Il ne pourrait exister, au sens rigoureux du terme, de propriétaire humain définitif. En fait, Israël était considéré comme l’administrateur plutôt que comme le propriétaire du pays et de ses biens, Dieu restant le Maître absolu et permanent de toutes les richesses. Ainsi, lorsqu’une parcelle de champ était vendue, la transaction n’était valable que jusqu’à l’année jubilaire. Au fond, l’acquéreur n’achetait qu’un certain nombre d’années de moisson, et cette mesure sociale et économique reste l’une des preuves les plus remarquables de la charité qui devait régir les relations sociales. L’année jubilaire effaçait les inégalités, en donnant aux moins privilégiés une chance nouvelle de repartir. Par ailleurs, tout esclave devait être affranchi, car les esclaves avaient été vendus eux aussi à cause de leur pauvreté matérielle. Lorsque le dixième jour du septième mois, le prêtre sonnait de la trompette, il annonçait par là l’affranchissement de tout homme ou femme vendus comme esclaves. Le Jubilé était donc acte de charité, en même temps que la mesure de justice par excellence.
Il nous faut souligner les deux aspects de cette institution, car nulle part dans la Bible, dans l’Ancien comme dans le Nouveau Testament, nous ne trouvons trace d’une charité sentimentale, désordonnée, chaotique. Au contraire, selon une expression imagée de l’Ancien Testament, « la bienveillance et la vérité se rencontrent, la justice et la paix s’embrassent » (Ps 85.11). Les riches et les nantis étaient invités à faire preuve de compassion à l’égard des pauvres et des malheureux.
Face aux nombreuses plaintes des hommes d’aujourd’hui, plaintes souvent justifiées, contre les oppressions de toute sorte, économiques et financières en particulier, il est remarquable de constater qu’une vieille institution comme celle du livre du Lévitique avait résolu le problème en protégeant l’individu et en lui rendant ses droits les plus élémentaires. Ce système de charité était en mesure de protéger efficacement contre la mise en place de tout système d’accumulation de richesses et d’injustice volontaire, ainsi que de remédier aux infortunes des malheureux.
Contre une structure sociale injuste, contre l’oppression, le manque d’amour, mais contre notamment la sécularisation, c’est-à-dire la prétention de se passer de Dieu, le système jubilaire apportait une réponse. Quiconque refusait de s’y conformer faisait preuve d’incrédulité par l’inobservance d’une mesure de justice établie par Dieu. Il fallait tenir compte des inégalités, des incapacités, des accidents, des maladies, de la mort même d’un chef de famille ou de celui qui en avait la charge. Les prophètes appelaient leurs concitoyens à pratiquer une telle justice et à vivre un tel amour pratique.
Parce que la terre était au Seigneur, le Jubilé commençait par un sacrifice offert en vue du pardon. Les bienfaits de cette institution dérivaient directement de la rédemption que Dieu accordait à son peuple. Alors le Jubilé signifiait l’espérance. Espérance de vivre dans le pays hérité, sous le regard de Dieu, sans l’ombre d’une menace. Il vaut vraiment la peine de lire ou de relire ces pages, parmi les plus méconnues de l’Ancien Testament sous prétexte que leur législation est périmée.
Reconnaissons que l’institution du Jubilé ne fut jamais pratiquée totalement et correctement. Cependant, la lecture d’un livre historique, le deuxième livre des Chroniques, nous informe que la raison principale de la déportation d’Israël, de sa chute et de l’anéantissement de son territoire national était le fait de la négligence de telles institutions, notamment de celle du Jubilé. L’exil babylonien permit, non simplement par la force des choses, mais par la volonté expresse du Seigneur, que la terre se reposât durant soixante-dix ans. En termes modernes, nous parlerions d’une mesure écologique radicale! Si seulement les dirigeants actuels et les spécialistes de l’écologie pouvaient se rendre compte de l’importance capitale, vitale, des lois et des règles que nous trouvons dans la Bible, bien des erreurs seraient évitées.
Israël, dans le passé, n’avait pas réussi à observer cette loi comme le Seigneur l’avait demandée. Mais Christ, lui, est l’accomplissement de la loi, de toutes les lois établies par Dieu. N’est-ce pas lui aussi qui est venu annoncer la liberté totale et apporter la restauration parfaite? Prenons garde à ne pas sous-estimer la portée de cette libération.
Certains chrétiens croient, avec raison, que Christ est le Sauveur. Mais ils risquent d’oublier que ce Sauveur est le Libérateur qui a sonné la trompette du Jubilé. À leur tour, ils peuvent s’imaginer que le Jubilé et d’autres institutions sociales étaient valables pour un peuple vivant il y a plus de 2000 ans. Peut-on les appliquer à notre société pluraliste et complexe? D’ailleurs, dira-t-on avec une certaine légèreté, « Christ est le Sauveur des âmes ». Dans ce cas, la libération apportée par Christ se limitera au seul domaine des péchés individuels. Or, le Jubilé concernait et englobait la totalité de la vie des fidèles.
Quelle erreur que de croire que la liberté de Christ n’a aucun rapport avec le commerce, l’industrie, les relations sociales et économiques! Quelle démission surtout, si l’on s’imagine que le salut chrétien de l’Évangile équivaut à une retraite intérieure uniquement spirituelle, une méditation tranquille et mystique, coupée de toute réalité extérieure! Du bouddhisme baptisé chrétien, mais non converti! Certes, nous ne préconiserons pas n’importe quel engagement politique pour l’Église et pour les chrétiens, à la manière de ces prédicateurs démagogues et de ces théologiens hérétiques dont les arguments souvent débiles, et bibliquement insoutenables, doivent plus à leurs maîtres athées et aux idoles au goût du jour qu’à la révélation de la Parole de Dieu. Pourtant, l’autorité de la Bible s’étend à tous les domaines de l’existence. Contre toute dilution de la foi, devant le danger de la voir disparaître, et contre une subjectivité aberrante, nous aurons donc à annoncer que la liberté que Christ nous apporte est une liberté qui remet les structures en cause. Elle concerne l’âme, mais aussi les affaires de la vie quotidienne.
La justice sociale fait partie de la justification accordée par Christ. Il vient nous sauver non pas de la société, mais afin de faire de nous une nouvelle humanité, pour nous donner un pouvoir par son Esprit et pour observer tous ses commandements.
En tant que peuple de Dieu, libérés du pouvoir et de la condamnation du péché, vivant par la foi, sous la direction de l’Esprit de Dieu, guidés par sa Parole, nous aurons à réfléchir et à agir en fonction de notre vocation. N’oublions pas que le péché s’introduit partout, qu’il est une réalité personnelle et sociale et qu’il continue à corrompre toutes les relations humaines et toutes les structures établies; aucune législation humaine ne pourrait l’empêcher totalement, encore moins l’éradiquer, l’anéantir. Pourtant, elle peut combattre certains de ses effets et permettre que la justice soit pratiquée sans entraves.
Nous avons une contribution importante à apporter en tant que chrétiens : Tout d’abord, faire en sorte que les éléments fondamentaux du Jubilé, à savoir la justice et la compassion, fonctionnent dans toutes les institutions. Ensuite, rappeler l’importance vitale des principes bibliques pour la libération, la restauration et l’espérance. Enfin, vivre par la foi, sous le regard de Dieu, ce qui ne nous autorise pas à vivre indifférents aux maux de nos contemporains.
Nous travaillerons en tant que chrétiens et nous témoignerons dans l’esprit du Jubilé. Nous proclamerons la seule autorité permanente, qui est celle de Dieu, et l’avènement de son Royaume tout proche. Alors, aucune parcelle de notre existence ne se trouvera en dehors de la souveraineté du Christ. Chrétiens, nous sommes invités à annoncer plus que jamais un Évangile global, l’Évangile du Jubilé.