L'amour et la sainteté
L'amour et la sainteté
L’idée même de discipline ne s’oppose-t-elle pas au principe de l’amour et de la grâce qui sont au cœur de l’Évangile? L’idée de discipline ne va-t-elle pas nous replacer « sous la loi », dans la logique des mérites, face à la tentation du jugement? Aujourd’hui, on préfère l’amour, c’est net! « Dieu est amour, tout amour » dit le théologien allemand Eugène Drewerman. On ne peut pas dire que c’est faux! En Dieu cependant, il y a un rapport entre l’amour et la sainteté qui ne peut pas être évacué. C’est l’objet d’un article du professeur William Edgar, L’hérésie de l’amour et la discipline biblique1, dont je reprends ici quelques extraits :
« À l’heure actuelle, dans un cadre culturel qui n’est pas spécialement remarquable, l’hérésie correspond au double phénomène de la pluralisation et de la psychologisation de la société. Elle a pour nom “l’amour”. La déviation hérétique ne se présente pas sous la forme d’une doctrine toute nouvelle, absolument fausse; elle apparaît comme le “choix” fait de majorer abusivement un aspect de la vérité aux dépens des autres. À notre époque, on parle de l’amour de Dieu de façon telle que sa justice ou sa sainteté semblent oubliées.
Cela apparaît avec d’autant plus d’évidence que notre environnement culturel favorise le développement des sentiments doux comme la tolérance, le plaisir, et ceci au point que l’amour en perd sa force naturelle… Il est bien vrai que l’amour est central dans l’enseignement biblique, mais cet amour s’exprime toujours dans le cadre d’autres réalités bibliques telles que le jugement, la colère, la sainteté… »
Après une analyse des Psaumes d’imprécation (Ps 7, 35, 55, 59, 69, 109 et 137), William Edgar rappelle le principe de l’unité de la révélation biblique. Certes, le Nouveau Testament apporte une dimension nouvelle, mais :
« L’idée que le “Dieu de colère” de l’AT serait étranger au “Dieu de l’amour” du NT n’est certainement pas fondée. Un des effets de l’hérésie de l’amour, qui suppose que l’amour est la seule norme, est de considérer que tout autre sentiment, même de justice, ne peut qu’être en conflit avec l’amour. Ainsi, l’esprit de jugement, la colère, les imprécations seraient des entorses à la “règle” de l’amour. À la limite, ils gênent. Aussi, n’y a-t-il qu’à les ignorer. Mais un autre effet de cette hérésie est d’attribuer à Jésus un enseignement qui n’est pas le sien. On veut tellement voir en lui l’initiateur de l’ère de l’amour qu’on oublie volontiers qu’il n’y a pas que l’amour dans son enseignement ou dans celui des apôtres… »
« “S’il est possible, dit saint Paul, autant que cela dépend de vous, soyez en paix avec tous les hommes.” (Rm 12.18). Or, justement, il n’est pas toujours possible de s’entendre avec autrui. En tant qu’individus, nous n’avons pas le droit de rendre la pareille à nos ennemis. Mais il existe des situations dans lesquelles la paix n’est pas possible lorsque les exigences du devoir, de la vérité sont prioritaires. Notre Seigneur le dit aussi : “Je ne suis pas venu apporter la paix, mais l’épée” (Mt 10.34). La recherche de la paix est liée à celle de la sainteté (Hé 12.14). Les deux ne s’opposent pas. »
L’amour, selon la Bible, n’est pas une tolérance passive, mais un ardent désir de faire du bien aux autres. Il n’y a aucune contradiction entre châtier ses enfants et les aimer. La discipline de l’Église peut être sévère dans son souci constant de récupérer le pécheur : « S’il t’écoute, tu as gagné ton frère » (Mt 18.15). « Car le Seigneur corrige celui qu’il aime » (Hé 12.4-11; Pr 3.11-12)… La justice de Dieu est également absolue. Et les hommes, s’ils veulent être les enfants de leur Père céleste, doivent apprendre à refléter tous les attributs de Dieu, et pas seulement l’amour.
« Il n’est pas question d’amoindrir l’importance de l’amour, mais de renoncer à gommer la diversité des attitudes chrétiennes », dit encore W. Edgar qui tente de tirer des leçons de ces Psaumes imprécatoires qui nous paraissent difficiles à accepter. Quatre leçons sont proposées :
1. La dimension du combat du chrétien
« Le combat de l’Église, s’il est “spirituel”, n’est pas abstrait pour autant. La discipline de l’Église n’a pas à être confondue avec la loi civile de l’ancienne disposition, mais elle y est liée. Le NT n’envisage-t-il pas d’aller jusqu’à la séparation d’avec les faux frères pour éviter toute souillure? (Jn 7.1; 11.53-54, 57; Ac 8.4; 9.24; 12.1-2; Hé 11.35- 38; Jude 1.23). »
2. La colère juste
S’il est écrit que « la colère n’accomplit pas la justice de Dieu » (Jc 4.11), il y a place aussi pour la juste colère qui n’est pas rancunière et qui reflète la pensée de Dieu (Mc 3-5; Ac 7.51-53, 59; Ép 4.26).
3. L’amour refusé
Cela n’est pas aisé à comprendre, mais divers passages bibliques parlent de refuser, de se détourner, de s’abstenir (Mt 12.31-32; 1 Jn 5.16-17).
« Le NT traite assez souvent de cette catégorie de personnes : les faux frères (Ph 3.2; 2 Co 11.13), les pourceaux (Mt 7.6), les enfants de malédiction (Ac 13.46; 2 Pi 2.14)… Ceux-là n’entreront pas dans le ciel. Il ne faut même pas les approcher (Tt 3.10; 2 Jn 1.10-11). Cette séparation n’entre pas dans le cadre de l’exercice “normal” de la discipline à l’intérieur de l’Église, exercice qui tend toujours à obtenir la repentance du pécheur (Rm 16.17; 2 Th 3.6). Il s’agit de cas tout à fait spéciaux où aimer est interdit. »
4. Les imprécations en tant que telles
« S’il arrive parfois que nous devions nous abstenir de prier “pour” certaines personnes, peut-il y avoir des cas où nous devions prier “contre” quelqu’un? »
William Edgar établit un parallèle entre la prière et la prédication qui est « pour les uns odeur de vie et odeur de mort pour les autres ». Cette attitude qui ne cherche pas à plaire aux hommes (Ga 1.10; 1 Th 2.4) est en même temps annonciatrice d’une bonne nouvelle et d’un jugement. Pour cela, elle est tout à la fois pleine de grâce et de sévérité (Ac 18.6; Ga 1.8-9; Ap 22.18-19).
Le Nouveau Testament cite les Psaumes imprécatoires que nous sommes tentés d’éviter, les appliquant notamment aux incroyants obstinés (2 Th 1.8; Ap 6.10; 16.1; 18.6; 19.2).
« Qui peut aimer vraiment? Seul, celui qui respecte la justice. Qui peut pardonner vraiment? Seul, celui qui connaît les exigences de la loi. L’amour est non pas faible, mais fort. Dieu, dans l’unité de sa nature, est à la fois celui qui accomplit des “actes de justice” et qui fait “grâce” (Ps 103.6, 8). Dans la Bible, la tolérance inconditionnelle n’a rien à voir avec l’amour dont on doit aimer ses ennemis.
En insistant sur la justice de Dieu, et aussi sur le devoir qui est le nôtre d’exprimer cette justice dans notre comportement, nous n’écartons pas le commandement d’aimer. Nous écartons seulement l’hérésie de l’amour, l’amour hérétique qui est incapable d’aider, de sauver. »
Note
1. La Revue Réformée, no 137, 1984/1.