Le travail pourquoi faire?
Le travail pourquoi faire?
La fête du travail que nous célébrons une fois par an avait, à l’origine, le noble dessein d’attirer l’attention sur les difficultés et problèmes qui se posaient aux travailleurs manuels.
Mais en dépit des immenses progrès accomplis en faveur des travailleurs depuis la Révolution industrielle, les problèmes liés au travail des hommes n’ont pas pour autant disparu. Les formes en ont changé depuis le 19e siècle, mais le fond de la question demeure. Certes, le travailleur reçoit de nos jours un meilleur salaire et ses horaires de travail sont, en règle générale, strictement réglementés.
Bien entendu, je n’ai pas de solution miracle à proposer pour résoudre les problèmes, véritable casse-tête dans leur extrême complexité, attachés au monde contemporain du travail. D’ailleurs, qui oserait tenir un langage simple et rassurant à ce sujet? J’aimerais plus simplement poser une question : Pourquoi travaille-t-on? Est-ce uniquement pour gagner de l’argent ou même pour percevoir simplement un salaire?
Il est à craindre que, d’une manière générale, ce soit là le but du travail pour la plupart de nos contemporains et je le déplore. Certainement, ce n’est pas par naïveté que je m’afflige de voir tant de matérialisme lié à nos occupations, et même à nos préoccupations. Ne chercher dans le travail rien d’autre qu’un gagne-pain, n’est-ce pas ramener l’homme au rang d’une bête de somme? Il m’est arrivé, dans tel pays européen, de visiter des cimetières et de lire des inscriptions tombales comme celle-ci : « le travail fut sa vie »… et cela a fait naître en moi une pensée absurde : si cela était, le ciel devrait surtout être peuplé d’ânes et de bœufs, car le travail n’est-il pas aussi leur vie? Passer toute une existence à consacrer ses énergies à se procurer des avantages matériels, même nécessaires, c’est appauvrir l’existence humaine et vivre au niveau du sous-développement spirituel.
Et je reste peiné. Combien d’énergies gaspillées, que de puissantes organisations pour revendiquer et pour réclamer toujours davantage, pour inciter même les masses à la haine des classes, quelquefois par pur amour de l’argent, lequel, selon la Bible, reste la racine de tout péché.
Mais je tiens à ajouter immédiatement que Jésus-Christ, qui est mon Maître exclusif et l’unique Seigneur de l’univers, a prononcé à propos du travail une parole décisive et définitive. Écoutez-le : « Travaillez, non en vue de la nourriture qui périt, mais en vue de la nourriture qui subsiste pour la vie éternelle, celle que le Fils de l’homme vous donnera » (Jn 6.27).
Il avait tenu ce langage devant des gens qui étaient pour la plupart des travailleurs manuels et des journaliers; devant ceux qui devaient travailler, chaque jour, pour satisfaire leurs besoins vitaux et ceux de leur famille, pour manger chaque jour à leur faim… D’ailleurs, ces gens s’étaient empressés auprès de lui dans cette intention-là. Juste la veille, Jésus avait, de manière mystérieuse, nourri 5000 personnes. Si seulement il pouvait répéter un tel geste! Mais lui, il leur dit une vérité dure à avaler : « Vous me cherchez […] parce que vous avez mangé des pains et que vous avez été rassasiés » (Jn 6.26).
Serait-il soudain devenu insensible aux besoins élémentaires de ces hommes? Aurait-il fermé son cœur à leur misère matérielle? Certainement pas, car il savait parfaitement ce que c’est que d’avoir faim, d’avoir un estomac vide et de chercher à abreuver un gosier sec. Il connaissait la misère de ses compatriotes et les brimades qu’ils subissaient sous l’occupant romain. Si seulement il avait poussé la foule à la revendication, organisé des manifestations dans les rues ou encore des mutineries, je suis persuadé qu’il aurait été aussitôt plébiscité! S’il avait pu dire un mot seulement sur les droits de l’homme juif et la libération des femmes, proposer l’augmentation de salaire et la diminution de la semaine de travail, quelle popularité n’aurait-il pas atteint! S’il avait préconisé la redistribution des richesses, s’était mis à la tête d’un syndicat, ou même avait poussé la foule affamée sur les barricades… Quel succès, mes amis, pour ce jeune Galiléen! Car c’est là la voie qu’empruntent les démagogues pour être reconnus, pour être proclamés grands leaders politiques et économistes de génie.
Jésus se contente de parler d’une faim spirituelle et de la nourriture de l’âme. Lui, le Fils de Dieu, était venu offrir sa personne divine pour satisfaire cette faim fondamentale, pour sauver l’homme égaré, qu’il soit sous-alimenté ou repu dans l’abondance matérielle.
L’Évangile nous rapporte que la foule qui entourait Jésus lui posa quand même une question : « Que ferons-nous afin de travailler pour les œuvres de Dieu? Jésus leur répondit : Ce qui est l’œuvre de Dieu, c’est que vous croyiez en celui qu’il a envoyé » (Jn 6.28-29). Quel étrange discours devant ceux qui, tôt le matin, s’étaient mis en quête de Jésus pour obtenir un morceau de pain supplémentaire et du poisson frais!
Peut-être si nous nous étions trouvés à la place de Jésus, nous autres, gens modernes, aurions-nous organisé séance tenante des secours, mis la marmite sur le feu, distribué la soupe. Nous nous serions cotisés pour envoyer un chèque généreux. Ou encore aurions-nous établi des statistiques sur la faim dans le monde, formé un comité spécial et rédigé de volumineux rapports sur la sous-alimentation endémique du Quart-Monde.
Je n’ai rien contre de telles activités, surtout si elles sont accomplies avec sincérité et honnêteté, ce qui est bien souvent, hélas!, loin d’être le cas. Car derrière de tels remue-ménage philanthropiques, que d’arrière-pensées! Notamment celles qui craignent que les millions d’affamés des pays pauvres ne basculent dans le camp idéologique opposé et que nous, citoyens des démocraties libérales, nous soyons menacés par un raz-de-marée de révolutionnaires impossible à endiguer. Ce n’est pas sans égoïsme que nous tendons une main secourable, sociale ou politique, vers le pauvre! Et de l’autre côté de la barrière, dans le camp opposé, quelle rapacité! Que de manipulations idéologiques, que d’arrière-pensées machiavéliques poussent les gouvernements et les individus vers cette même activité frénétique d’où la charité évangélique et la véritable générosité sont totalement absentes!
Outre la fausse philanthropie que nous venons d’évoquer, il y a aussi parfois quelque chose de louche lorsque nous voulons apaiser notre propre conscience en apaisant provisoirement la faim du pauvre.
Il se pourrait que mon analyse vous paraisse compliquée ou que vous me trouviez excessivement sévère devant la bonne volonté de personnes qui ont quand même bon cœur! Je continue à penser que, hélas!, nous avons besoin de notre Tiers-Monde et de notre Quart-Monde pour nous autoflageller à bon compte. Ce qui m’afflige le plus dans cette situation, c’est de savoir que certains, tout en se disant chrétiens, ont abandonné le langage de Jésus ou tiennent même ses propos comme « aliénants », pour parler le langage des hommes.
Jésus-Christ est venu nous parler d’abord de la faim spirituelle. Sa compassion réelle et sa tendresse divine ne pouvaient pas se satisfaire d’offrir une tranche de pain. Au contraire, il offrit à l’homme, quelle que soit sa situation, une nouvelle raison de vivre et une nourriture qui ne périt point.
Et ceci me ramène au thème de notre méditation : c’est à cause de cela qu’il peut aussi faire redécouvrir à l’homme, à vous et à moi, la véritable raison de travailler, celle d’obéir à l’ordre donné par le Dieu Créateur et d’œuvrer pour sa gloire; de savoir aussi que notre travail en lui « n’est pas vain » (1 Co 15.58), si nous plaçons notre travail et toutes nos œuvres sous sa seigneurie et à la lumière de son règne qui vient.
Dans un autre discours, il avait déclaré : « Cherchez premièrement son royaume et sa justice, et tout cela vous sera donné par-dessus » (Mt 6.33). « L’homme ne vivra pas de pain seulement », avait-il jeté à la face du tentateur (Mt 4.4). S’il revenait parmi nous, il ne changerait pas de langage et peut-être que son programme d’action sociale n’intéresserait personne, absolument personne. Mais il poserait encore la question essentielle : Quel est le but pour lequel vous travaillez? Seulement pour gagner du pain qui périt? Pour posséder toujours plus de biens matériels? Pour vous offrir deux semaines de vacances sur une île exotique, choisie à travers votre agence de voyages? Pourquoi vous épuiser aussi dans des luttes de classes qui finiront par creuser votre propre tombe? Pourquoi vendez-vous votre âme si bon marché?
Jésus en personne a été un travailleur manuel. En tant que fils aîné, il avait sans doute dû subvenir aux besoins de sa famille; il avait manié le marteau et la scie du charpentier. Il dut connaître une vie très austère à cause d’un travail ne pouvant lui procurer que des ressources modestes… Ce n’est pas un capitaliste sans cœur qui adressa aux Galiléens les paroles que je vous ai rappelées. Il ne voulut surtout pas tromper leur faim par des discours dépourvus de réalité. Mais pour pouvoir apporter cette vérité, pour être le Pain de vie capable de nourrir nos âmes, il dut choisir la porte étroite, renoncer à beaucoup d’avantages personnels, gravir la colline du Calvaire après un procès inique et subir l’exécution capitale comme un paria et comme un maudit. Il vint sauver le pécheur que je suis et que vous êtes; il vint nous arracher aux illusions d’un bien-être matériel qui nourrit peut-être le corps et ses convoitises, mais qui laisse périr l’âme de soif et d’inanition.
C’est ainsi qu’il peut transformer l’esprit des hommes, qu’il peut leur donner une nouvelle raison de vivre et un fondement nouveau pour le travail. Au lieu de faire de celui-ci un simple gagne-pain ou encore un moyen pour accumuler des richesses, il le transforme en la noble vocation qui se trouvait dans le plan initial de Dieu.
C’est pourquoi voici un appel : Travailleurs du monde entier, unissez-vous autour de Jésus-Christ! Afin de faire de votre profession un témoignage rendu à la gloire de Dieu et un service d’amour à votre prochain. Alors, vous saurez que votre travail ne sera pas vain dans le Seigneur.