Le mariage chrétien, image et réalité
Le mariage chrétien, image et réalité
Nous avons de bonnes et solides raisons d’entreprendre ce plaidoyer offert ici pour le mariage. N’est-il pas la plus originale et la plus claire des illustrations de l’amour divin envers nous, ainsi que la réponse que nous lui offrons dans la foi? En effet, tel un miroir, le mariage humain reflète la grâce de Dieu manifestée à notre égard et, parce que Dieu a été le premier à nous aimer, à notre tour nous pouvons aussi l’aimer.
Je me propose de parler non pas du mariage en général, et surtout pas du mariage en tant que problème aigu, qu’institution devenue malade, que rapports humains conflictuels… On en entend suffisamment parler ailleurs pour que je n’abuse de votre temps et ne rappelle ce qui est déjà bien familier. Je suppose que vous êtes saturés d’analyses sociologiques, voire ecclésiastiques, faites par tous les spécialistes se penchant sur le chevet du malade sans toutefois arriver à établir un bon diagnostic ni à prescrire le remède qui s’impose…
Parlons-en donc de manière positive et parlons non pas en ayant en vue le mariage en général, mais votre mariage en particulier. Celui-ci a supposé, a présupposé en tout cas, l’amour. En effet, sans celui-ci, on ne peut concevoir d’union conjugale saine et solide. J’entends par là le mariage selon la conception biblique et certes non ses caricatures. Nous en trouverons l’exemple de cette caricature dans des pages saisissantes du récit de François Mauriac, Ce qui était perdu. Quelle abomination que le rôle d’époux de cet Hervé de Blénauge, et quelle situation tragique que celle d’Irène, l’épouse souffrante, mourant dans l’égoïste indifférence de son conjoint. Le mariage chrétien, lui, ne conçoit et ne tolère ce genre de situation. Dieu nous chérit tendrement, nous le savons par le message qu’il nous adresse dans la Bible, et, tel un reflet de cet amour divin, l’homme et la femme, unis devant sa face, s’aiment à leur tour tendrement, sans réserve.
L’amour divin s’est concrétisé par son élection souveraine. Dieu a décidé notre bien-être, celui des personnes qu’il aime; de même, époux et épouse s’offrent mutuellement leur personne et leur vie, dans ses moindres expressions, pour leur bien-être réciproque.
Énumérons, ne serait-ce que sommairement, les diverses facettes de l’amour électif de Dieu qui devrait se refléter dans notre union conjugale. Pensons pour commencer à ce qui en constitue le fondement, je veux dire à l’alliance de grâce. L’alliance divine est un accord conclu entre notre divin partenaire et les hommes mortels que nous sommes, désormais réunis à lui pour toujours. À sa manière, le mariage est principalement une alliance entre deux personnes de sexe opposé. De même que l’alliance de Dieu change notre statut et fait de nous ses enfants adoptifs, de même l’alliance contractée entre un homme et une femme change leur statut et fait des deux individus dissemblables un seul être. Dieu ne rompt jamais son alliance, même si nous-mêmes, toujours ingrats et bornés, nous cherchons parfois à la mépriser. Dieu reste fidèle à son engagement. Ainsi, de même que Dieu s’allie indissolublement à son peuple élu, c’est-à-dire à l’Église chrétienne, l’homme et la femme aussi, devenus une seule chair, demeurent unis à jamais, jusqu’à ce que la mort les sépare, comme le déclare saint Paul dans sa lettre aux Éphésiens.
Une autre manière dont le mariage humain illustre notre relation avec Dieu est l’idée de la grâce. La grâce divine n’est certes pas une substance surnaturelle qui nous surplombe sans nous affecter. Bien au contraire, elle est la relation personnelle et gracieuse dont notre Dieu souverain nous entoure afin de nous amener à notre complétude. Au lieu de peser sur nous, comme si elle fut une force impersonnelle coercitive, elle se déploie telle une puissance qui nous arrache à toutes nos pesanteurs pour nous accorder, enfin, cette liberté réelle que nous cherchons vainement ailleurs. D’ailleurs, soit dit en passant, le mot grâce dans la Bible est synonyme de puissance. Dans cet aspect également, la grâce sera merveilleusement reflétée dans le rapport conjugal. En effet, l’un des principaux devoirs des conjoints est de se soutenir mutuellement; l’union conjugale est une société mutuelle par excellence, une association d’assistance réciproque, une entreprise de réconfort en commun, une présence constante, sans faille, aussi bien dans la pauvreté que dans l’abondance.
Vous remarquerez que la relation conjugale est unique en son genre. Elle ne ressemble pas à celle entre deux amis; elle ne se limite pas à une relation purement légale dans laquelle deux personnes mariées s’offriraient le luxe de sauvegarder à tout prix leur individualité. L’union conjugale unit tellement intimement les époux que, sans être oblitérée, la personnalité de l’un s’enrichit par celle de l’autre pour le bénéfice mutuel des conjoints.
Certes, nous sommes des êtres imparfaits; nos unions, comme toutes nos relations sociales, immanquablement refléteront cette imperfection. Pourtant, sous l’effet de la grâce divine, ni l’un ni l’autre des conjoints ne doit menacer l’intégrité ni la liberté de son partenaire.
Une autre analogie entre le mariage et la vie chrétienne est visible dans l’usage d’un signe extérieur signifiant ce qui est intérieur et spirituel. Dans le mariage chrétien, le sexe devient l’expression de l’amour intérieur. Pour un non-chrétien, le sexe aura une autre fonction, il sera vu sous un autre jour, il servira de moyen pour satisfaire purement l’instinct naturel. Dans le cas du couple chrétien, le sexe devient le miroir d’une grâce intérieure, une sorte d’illustration de ce qu’est le sacrement biblique dans la pratique ecclésiale. Le sacrement chrétien, rappelons-le, est le signe et le sceau extérieur, tout matériel, d’une grâce intérieure, un moyen mettant le croyant en communion avec son Dieu Sauveur. C’est ainsi que nous interprétons également la fonction du sexe dans le mariage chrétien.
Voyons également la corrélation du mariage chrétien avec l’œuvre créatrice divine. La doctrine chrétienne de la sainte Trinité atteste que l’amour de Dieu le Père est complet envers le Fils et qu’inversement le Fils aime le Père. La théologie chrétienne attribue cette relation d’amour à l’instrumentalité du Saint-Esprit. Elle a à cet égard parlé du Saint-Esprit comme du « vinculum caritatis », du lien d’amour entre le Père et le Fils. Cette idée nous mène droit vers l’autre conviction biblique, celle de la création. Bien que l’amour divin en soi est complet, néanmoins il se répand, il enveloppe et il enrichit la création, qu’il conduit vers la vie éternelle.
Il ressort de nouveau l’analogie que nous proposions d’établir entre l’amour intérieur à la sainte Trinité et notre amour conjugal. L’amour entre l’homme et la femme est un amour complet; il n’a pas besoin de compléments. Pourtant, il se manifeste aussi extérieurement et en cela, il prend part, il participe à l’œuvre de la création. Cette participation devient concrète par la naissance des enfants qui viennent enrichir le foyer et témoignent de l’amour comme don et comme rayonnement. Il fait des enfants qui naissent les bénéficiaires d’un amour non pas égocentrique, mais altruiste et généreux.
Signalons pour conclure un dernier point qui, dans notre union conjugale, reflète de nouveau l’amour divin, celui de la foi. Nous avons commencé par affirmer que, sans l’amour, le mariage est inconcevable. Ajoutons à ceci que, sans la foi, il ne le serait pas davantage. Si cette dernière en fait défaut, mieux vaut s’abstenir du mariage. Remarquons que nous soulignons ici la présence de la foi et non de la fidélité. Certes, celle-ci est aussi un élément de l’alliance dont nous parlions il y a un instant. Sans la constance de la fidélité, il n’y a point de garantie d’union conjugale. Pourtant, la foi est plus que fidélité. Notre foi en Dieu illustrera encore celle que nous devons témoigner envers notre conjoint. Notre foi comme confiance en Dieu est bien plus et autre chose qu’une expérience tangible. À première vue, cela pourrait paraître impossible, voire irresponsable si ce n’est faux. Mais l’expérience de la foi dans le mariage nous vient en aide. Rappelons-nous que, fiancé, vous ne saviez pas tout à fait exactement à qui vous alliez lier votre sort! À cet endroit, faisons le plaidoyer du mariage sans essai! Car ce que l’on appelle « mariage à essai » n’est que la grossière caricature d’un mariage sain et stable. C’est avec une foi, non certes aveugle, mais aimante que nous répondrons à celui ou à celle qui déclare nous aimer et vouloir lier pour toujours sa vie avec notre destinée. De même que nous avons fait confiance en l’amour de Dieu manifesté en Christ, de même nous croirons sur parole à l’amour que l’on déclare pour nous.
Dieu nous accepte tels que nous sommes, même et surtout lorsque nous sommes inacceptables. La même règle devra jouer dans le mariage. Nous n’étions pas parfaits, celui ou celle avec qui nous nous engageons pour la vie ne l’était pas davantage. Cependant, nous avons la quasi-certitude absolue que notre vie en commun nous rendra tous les deux meilleurs.
Voici le mariage chrétien comme miroir qui est à la fois image et réalité de nos rapports avec Dieu. Dès lors, comment ne pas s’aventurer avec conviction et joie à entreprendre, contre vents et marées, un solide plaidoyer pour le mariage chrétien?
Nous ne nous dissimulerons certes pas les problèmes, les écueils, les dangers. Nous n’avons pas parlé d’un mariage de rêve, idéalisé, mais d’une réalité. En raison de notre expérience pastorale, nous connaissons nombre de mariages qui sont de véritables cloaques où surnagent des couples de misère. La réalité conjugale peut parfois devenir sordide. Mais le mariage sous le regard du divin Inventeur et Ordonnateur peut envisager les difficultés comme les défis à se surpasser, à mieux vivre, à surmonter les tentations, à approfondir les rapports entre époux et épouses. Soyons reconnaissants à notre Dieu de nous permettre de commencer la plus grande aventure de la vie, non avec des appréhensions, des pressentiments, des idées négatives, mais comme l’illustration de ce qu’il fait lorsqu’il nous traite comme ses enfants, comme ses partenaires, comme les cohéritiers de sa gloire éternelle. Il y a donc de l’espérance pour le mariage et de la joie pour le couple chrétien.