Cet article sur Matthieu 15.21-28 a pour sujet la guérison de la fille de la Syro-Phénicienne (païenne) qui a eu l'audace d'implorer la grâce du Seigneur. Le non-exaucement momentané de nos prières devrait nous inciter à persévérer.

Source: Les miracles de Jésus. 4 pages.

Matthieu 15 - Guérison de la fille de la Syro-Phénicienne - Une foi au-delà du mal

« Jésus partit de là pour se retirer dans le territoire de Tyr et de Sidon. Une femme cananéenne, qui venait de ces contrées, lui cria : Aie pitié de moi, Seigneur, Fils de David! Ma fille est cruellement tourmentée par le démon. Il ne lui répondit pas un mot, et ses disciples s’approchèrent et lui demandèrent : Renvoie-la, car elle crie derrière nous. Il répondit : Je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’lsraël. Mais elle vint se prosterner devant lui en disant : Seigneur, viens à mon secours. Il répondit : Il n’est pas bien de prendre le pain des enfants et de le jeter aux petits chiens. Oui Seigneur, dit-elle, pourtant les petits chiens mangent les miettes qui tombent de la table de leurs maîtres. Alors Jésus lui dit : Ô femme, ta foi est grande; qu’il te soit fait comme tu le veux. Et à l’heure même, sa fille fut guérie. »

Matthieu 15.21-28
Voir aussi Marc 7.24-30

Intitulons cet incident évangélique : Il était une foi qui regardait au-delà du mal!

L’insistance dramatique avec laquelle cette femme d’origine syro-phénicienne, donc païenne, implore la guérison de sa fille témoigne d’une foi qui dépasse de loin le pouvoir déchaîné du mal.

Regardez-la refuser la situation tragique de son enfant possédée, torturée, abattue, jetée à terre, toujours au bord de l’abîme où cherche à la précipiter le méchant démon… Elle ne se résignera pas devant une condition d’existence aussi inhumaine.

Avait-elle déjà consulté des médecins? s’était-elle adressée à des exorcistes de fortune, ou bien avait-elle eu recours aux services occultes d’un sorcier-guérisseur? Si c’est le cas, elle n’obtint d’eux même pas l’ombre d’une guérison. Si, dans son désarroi indescriptible, elle se tourna vers des amis et implora le réconfort des voisins, il est peu probable qu’elle eût reçu de leur part la moindre lueur d’espoir. Car chacun a son propre démon qui le torture, et comment chasser un démon par le pouvoir d’un autre?

D’ordinaire, la philosophie courante, celle des âmes faibles, atrophiées, vaincues d’avance, veut qu’on se résigne devant l’inéluctable, qu’on se courbe devant le verdict du destin. « Il est écrit », professe même une certaine religion, mektoub! Voilà la seule attitude raisonnable devant le mal!

Mais comment une mère qui durant neuf mois a porté dans son sein son enfant, l’a nourri de son propre sang, l’a traité comme son propre cœur, lui a donné le jour dans les douleurs déchirantes de l’enfantement, et qui à présent est le témoin de l’agonie de celle-ci, tolérerait-elle un tel mal, même si on le déclare incurable? Pourquoi devrait-elle se soumettre à la force aveugle, voire incriminer Dieu comme le seul responsable? Il est plus que certain qu’elle reconnut l’origine du mal, aperçut les griffes hideuses du malin agrippant son enfant chérie, et elle refusa de croiser les bras. Sa fille devait guérir, être libérée, rétablie, jouir de la vie en compagnie de ses camarades, danser avec de jeunes gens et même, pourquoi pas, connaître le bonheur d’être aimée par un jeune gaillard de Tyr ou de Sidon… On a beau être païenne, l’affection maternelle reste profondément inscrite par la loi du Créateur et dans les fibres du cœur d’une mère de cette trempe-là, superbe d’audace. Le même Créateur avait laissé rayonner, par une grâce que j’appellerai prévenante, l’élan d’une foi suffisante pour entreprendre une démarche inouïe et pour arracher l’exaucement. Au-delà du mal, sa foi voyait déjà la guérison recherchée, parce que quelqu’un d’autre pourrait l’atteindre et la secourir dans son malheur.

Il est fort possible qu’elle eût quelque connaissance de la religion israélite, même sous la forme quelque peu abâtardie du judaïsme contemporain. Sans doute avait-elle entendu parler du Dieu d’lsraël qu’on disait miséricordieux. Suprême privilège, elle avait appris qu’un Prophète exceptionnel guérissait les estropiés, affranchissait les possédés, avait redonné la vie à une fillette, compatissait sans distinction de personnes et soulageait les miséreux.

Pourrait-elle espérer une miette de compassion de sa part? Elle n’ignorait pas que ses chances étaient minces; lui, il était juif, elle originaire de la Phénicie, pays païen hors des frontières de la Palestine, représentante de la race maudite des Cananéens, au sein de laquelle lsraël avait dû soutenir une lutte séculaire contre l’idolâtrie. Mais peut-être avait-elle entendu de ses propres oreilles, l’incroyable : « Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et chargés, et je vous donnerai du repos. » (Mt 11.28). Ou bien lui avait-on encore rapporté l’incroyable invitation : « Je ne mettrai point dehors celui qui vient à moi. » (Jn 6.37).

Dès qu’elle apprit qu’il venait de pénétrer sur leur territoire, et bien que voulant se cacher, elle accourut vers lui, l’implora, cria au secours dans une démarche désespérée.

« Elle pousse vers Jésus un cri de détresse et le désigne comme “Fils de David”, c’est-à-dire comme le Messie annoncé par les prophètes. Elle accomplit sans le savoir la prophétie de l’Ancienne Alliance en vertu de laquelle les nations mettront leur espérance dans l’Éternel et se tourneront vers le rejeton d’lsraël. Comme toutes les nations de la terre doivent être bénies en la postérité d’Abraham, la prière de cette Cananéenne, quoique limitée à l’obtention d’une grâce particulière, révèle donc l’attente des nations païennes tournée vers celui qui vient pour être la lumière des nations.1 »

L’appel de la Syro-Phénicienne devrait être perçu comme le refus du mal dans la création de Dieu. Comme une sorte de corps à corps aussi avec la source de toute grâce, avec la puissance qui se trouve au-dessus de tout pouvoir maléfique. Sa foi cherche à briser là, dans cette maison où se trouve Jésus, là où il veut passer inaperçu, l’exécrable pouvoir du mal.

C’est de cette audace-là que nous manquons. Si souvent notre prière : « Que ta volonté soit faite » trahit davantage notre passive résignation, signale la défaite, dénote retraite ou fuite, plutôt qu’obéissance active de la foi. Nous avons confondu la soumission filiale avec la résignation des vaincus. La foi n’est pas acceptation passive du mal; ce serait accorder une délégation de pouvoir illégitime à Satan, l’usurpateur.

Je ne prétends pas que tous les combats de la foi mènent à la victoire et que nous avons toujours la force de terrasser le Malin. Pourtant, la foi reconnaîtra que le Malin a usurpé une autorité et elle ne lui accordera aucun crédit. Elle cherchera à aller au-delà de celui-ci. Le mal doit nous paraître comme un défi à exercer la foi, à nous engager dans le combat, à refuser l’adversaire, à résister à sa tyrannie. La foi évangélique n’est pas une attitude fataliste; elle sera appel au combat, ou alors elle n’est pas foi au Dieu Tout-Puissant.

Il semble cependant, à lire cet incident, que même une foi robuste, insistante, persistante, combative, n’obtient pas nécessairement de réponse sur-le-champ. Jésus accueille la Syro-Phénicienne avec une froide dureté, ce qui nous étonne. Il refuse de l’écouter. Comme si soudain il venait de changer de personnage. N’était-il plus celui dont on disait qu’il était plein de compassion? Ou bien voulait-il éprouver la foi de cette étrangère? À moins qu’il ait cherché à montrer à ses disciples jusqu’à quel point pouvait s’aventurer une foi véritable. Il reste sourd à ses appels, au point où ses disciples plaident pour qu’il la renvoie. Ils sont importunés et embarrassés. Et lorsqu’il choisit de répondre, il devient plus incompréhensible encore. Sa mission, déclare-t-il, se limite aux seuls Israélites. Accès de « fièvre chauviniste », doivent penser certains autour de lui… Les autres, Phéniciens ou Syriens, ceux de Tyr et de Sidon, sont comparés… à des chiens.

La mère de la fillette préfère se sentir encouragée par la dure réplique du Prophète plutôt que de perdre son courage. Car n’est-il pas vrai que même les petits chiens se nourrissent des miettes qui tombent de la table des enfants de la maison? Elle prend le Christ sur parole. Elle le surprend, presque! Sa foi, qui allait au-delà du mal, va à présent dépasser même la rebuffade divine. Car, ce qui compte pour elle ce n’est pas la rebuffade de circonstances, mais une parole infiniment supérieure à celle-ci, la parole divine, la gracieuse et généreuse invitation : « Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et chargés, et je vous donnerai du repos. »

Le silence momentané du Christ, sa dure réplique, l’incitent à aller au-delà, à faire preuve d’audace, à lutter. Ainsi que l’écrit Calvin dans son commentaire : « Elle sent qu’on lui ferme la porte, non pour l’empêcher du tout d’entrer, mais afin que d’un plus vif effort de la foi, elle y traverse comme par les fentes. » Cette illustration est parmi les plus belles et les plus touchantes de ce que devrait être notre foi, levant les yeux vers le trône de la puissance divine et implorant sa grâce toute suffisante. Ses silences nous découragent au lieu de nous stimuler. Ses reproches nous troublent quand ils devraient nous inciter à nous accrocher avec plus de force, de vigueur et d’acharnement à ses promesses. Le non-exaucement momentané de notre requête devrait nous rappeler ses promesses qui sont vraies et sûres, et dignes de notre foi. Nous avons l’impression d’avoir tout essayé… Nous avons prié Dieu, lu sa Parole, avons fréquenté l’Église; nous nous sommes montrés aussi pieux que pratiquants; hélas!, nous déplorons qu’il n’y ait pas eu de résultat… Il nous semble qu’il ne nous a pas répondu; peut-être ne nous a-t-il même pas entendus…

Il se pourrait qu’il nous réprimande, nous adressant une nouvelle épreuve; sachons qu’il châtie celui qu’il aime.

Ces moments et ces occasions, au lieu de nous jeter dans l’abîme du désespoir, devraient nous élever plus haut; nous amener à persévérer, à persister, à insister, à importuner. Dieu se cache parfois pour que nous allions avec un plus grand zèle à sa rencontre, le cherchions dans l’obscurité, frappions avec une plus grande insistance à la porte pour qu’elle s’ouvre. Pour convertir son non en un oui. Le cœur de Dieu est offert en son invitation : « Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués. » La réponse à la prière sera accordée avec l’émerveillement même du Fils de Dieu : « Ta foi est grande. » La foi avait forcé la main miséricordieuse de Dieu.

Puisse notre foi voir sans cesse au-delà du mal présent, qu’il soit individuel, collectif, national ou international, et forcer Dieu et apporter le changement; au lieu de résignation, acceptons le combat; à la place de la fuite, prenons la résolution de l’engagement; plutôt que de demeurer passifs, opposons une vive résistance, et que notre révolte, celle de la foi et de l’espérance, puisse secouer le joug de l’asservissement paresseux au mal sous toutes ses formes, aussi dégradantes ou avilissantes soient-elles. Convaincus que le dernier mot appartient déjà à Dieu et que c’est un mot de victoire, un mot de grâce accordé à notre foi, même avant que nous l’implorions.

Note

1. Hébert Roux.