Cet article a pour sujet la norme de la vie chrétienne qui est la loi de Dieu, notre Législateur. Ses commandements nous révèlent sa volonté résumée par l'amour. Ils sont permanents, concrets, vécus dans la communion de l'Église.

Source: L'Esprit de la loi - Éléments pour une éthique chrétienne et réformée. 19 pages.

La norme de la vie chrétienne

  1. La norme biblique
  2. Le Législateur et sa loi
  3. Les commandements
  4. La volonté de Dieu
  5. L’amour : sommaire de la loi
  6. La permanence du commandement
  7. La nature concrète du commandement
  8. Dans la communion de l’Église

1. La norme biblique🔗

Cherchons à présent à saisir la norme à laquelle se soumet l’obéissance chrétienne.

Nous avons rendu suffisamment clair, espérons-nous, que l’objet du jugement moral n’est pas seulement l’acte extérieur, mais l’homme dans sa totalité, appelé à être moralement bon. Si la vie morale n’est considérée que du point de vue de l’accomplissement comme un devoir, l’engagement chrétien est seulement d’apparence. Car Dieu ne demande pas seulement des actes bons, mais encore une disposition et notre volonté vis-à-vis de lui-même et de notre prochain qui soient également bonnes.

Une norme juridique se contenterait des actes qui lui sont conformes. Mais notre relation religieuse avec Dieu concerne certes des actes (la prière, la confession, le culte, etc.), cependant elle sera premièrement et principalement une relation entre le cœur humain et Dieu. C’est pourquoi des inclinations involontaires sont considérées comme des péchés, parce qu’elles révèlent le cœur détourné de Dieu. De telles inclinations ne seront pas l’objet d’un jugement juridique. La moralité n’est pas la même chose que l’éthique chrétienne religieuse telle que nous l’étudions, bien qu’elle possède son fondement dans la religion. La moralité que Dieu exige, comme la religion, doit être l’expression de la personne totale. Notre attitude vis-à-vis de notre prochain traduira notre relation avec Dieu. Dans notre moralité, nous serons des imitateurs de Dieu et du Christ. C’est pourquoi le jugement moral ne concerne pas seulement nos actes, mais suprêmement notre existence tout entière.

Nous définirons la norme morale comme la mesure par laquelle nous distinguons le bien et le mal. Nous avons affaire à bien des normes. Une norme est un critère de valeurs, indépendant de notre volonté et supérieur à celle-ci. Nous avons besoin d’une telle mesure pour juger ce qui est beau ou laid, efficace ou inefficace, logique ou illogique, bon ou mauvais.

Les normes nous donnent la possibilité de porter un jugement de valeur sur l’aspect de la validité qui correspond à la norme. L’ordre créationnel possède divers aspects. Par exemple, il a un aspect qui correspond à la norme esthétique. Nous devons nous servir de la norme esthétique si nous voulons juger cet aspect de la réalité. S’agissant donc de l’esthétique, nous ne nous adressons pas dans ce cas à la norme économique.

Pour ce qui est d’une chose bonne ou mauvaise, ce n’est pas la norme esthétique ni la norme économique, mais seulement la norme morale qui peut nous servir. La loi morale a son origine en Dieu comme les autres normes. Le Créateur décide quelles sont les lois auxquelles la création dans tous ses aspects doit obéir. Les Psaumes en particulier nous montrent les lois naturelles comme étant des « serviteurs » de Dieu (Ps. 148).

Les différentes normes données par Dieu ne peuvent être réduites l’une à l’autre, mais elles ont leur unité dans l’expression de la volonté de Dieu pour ses créatures. On ne peut pas réduire par exemple ce qui est logique à ce qui est moral, ou ce qui est esthétique à ce qui est efficace, etc. Le terrain moral est un terrain indépendant.

Nous rejetons, ainsi que nous l’avons fait plus haut, toute hétéronomie en éthique. Nous ne sommes pas davantage des partisans de l’autonomie. Ce n’est pas nous-mêmes qui décidons si un acte est bon ou mauvais. La normalité doit avoir un fondement dans la religion. Cela ne veut pas dire que la religion et la moralité sont des choses identiques. Mais cela signifie que c’est Dieu qui doit nous dire ce qui est bon et ce qui est mauvais relativement à notre attitude vis-à-vis des autres hommes. C’est pour une morale « théonome » que nous optons.

Le Dieu vivant qui est notre Père est celui qui nous dit ce qui est bon et ce qui est mauvais. Cela nous garantit que les normes qu’il nous donne doivent aussi atteindre leur destination et nous voulons faire en sorte que cela se fasse.

Nous avons rappelé quelques conceptions de moralité qui ont eu ou qui ont encore beaucoup d’influence. Elles s’occupent toutes du fondement de la moralité qui est une des questions les plus importantes dans chaque éthique philosophique. Ces conceptions contredisent à la fois le fait que la norme morale ne peut pas être réduite à une autre norme et le fait que la moralité doit être théonome.

Tous les systèmes d’éthique non chrétienne se distinguent par deux défauts essentiels. D’abord, la valeur de leur norme ne dérive pas de la volonté du Créateur, ensuite elle n’est pas davantage caractérisée par l’importance centrale qu’elle lui accorde.

La connaissance correcte que nous avons de nos devoirs et la pratique conforme à nos obligations précisées par les commandements soutiendront la vie dans la foi. Sans l’obéissance, nous n’avons pas le droit de nous considérer comme enfants de Dieu. Inversement, sans une connaissance correcte de nos obligations, nous risquons de substituer à la Parole de Dieu un code de vie humaniste autonome. Si le risque de rechercher une simple connaissance théorique est réel, il existe inversement une obéissance inutile, voire stérile, étrangère au commandement révélé. Cependant, il a plu à Dieu de nous en révéler la nature et de nous accorder la grâce de l’observer.

En étudiant la relation de l’ancien Israël avec Dieu, nous constatons que chaque Israélite a dû se laver rituellement avant de s’approcher de la présence de Dieu. Cette attitude devrait nous servir d’exemple et de modèle pour la manière dont nos esprits doivent se purifier, pour être en droit de nous présenter devant Dieu.

Le Nouveau Testament affirme que nous ne sommes plus sous la loi, mais sous la grâce; il n’oppose pourtant pas l’une à l’autre. Certes, lorsque Jésus et saint Paul soulignent toute l’importance qu’ils accordent à la loi, leur attitude ne trahit pas le légalisme si courant parmi leurs contemporains juifs. Jésus déclare qu’il est venu non pour abolir, mais pour accomplir la loi (Mt 5.17-18). La grande manifestation de Dieu sur le Sinaï exprimait sa sainteté et elle devenait également un appel adressé à l’homme pour qu’il observe sa Parole, dans sa totalité. Sur ce point apparaît déjà la conjonction de la loi et de l’Évangile, puisque le don des dix commandements a été précédé de l’annonce de la liberté accordée par le Dieu Libérateur. Ce don est fait sur la base de l’amour de Dieu; il n’y a à cet égard aucun doute et il ne peut subsister, dans l’esprit d’aucun chrétien, la moindre ambiguïté.

Le caractère permanent de la loi se voit dans le fait qu’elle est contraignante pour tout homme, à chaque génération, parce qu’elle est d’abord l’expression nécessaire et immuable de la droiture du caractère de Dieu.

Le Christ s’est soumis à la loi de manière substitutive, mais aussi pour nous laisser son exemple. Dans Romains 3.31, Paul souligne l’importance de ce fait. Finalement, le fait que Dieu l’inscrive dans les cœurs de « chair » atteste également le caractère permanent de la loi. Elle est spirituelle (Rm 7.14), non seulement parce que son donateur est Esprit, mais parce qu’elle exige, de notre part, plus qu’une observance extérieure; elle engage toutes nos dispositions intérieures. La loi nous atteint, au-delà de nos actes, dans nos pensées les plus intimes et nos désirs les plus secrets. Placés devant elle, nous nous savons pécheurs; tous les jours et de plusieurs manières nous la transgressons. Nous nous y découvrons tels que nous sommes, comme devant un miroir. Si aucune autre loi humaine n’a le droit de réclamer jusqu’au contrôle de nos imaginations, celle de Dieu sonde et met à découvert les pensées les plus intimes de notre personne (Ps 51.6,8,12,19; 139.23-24). Le Christ a mis à jour ce caractère « spirituel » de la loi, en soulignant que le regard de convoitise était l’équivalent d’un adultère, que le moindre emportement dans la colère était déjà un meurtre virtuel.

La loi fonctionne par conséquent pour nous révéler la sainteté infinie et la justice de Dieu, mais en même temps pour découvrir notre iniquité et notre injustice, bien qu’il soit possible, même sans se préoccuper de la gloire de Dieu, de ne pas commettre un acte extérieur, par pure crainte du châtiment! Mais une telle « observation » externe et formaliste ne plaira pas à Dieu, même si elle est bénéfique pour la communauté sociale et permet un certain ordre et une certaine décence dans un monde asservi au mal.

Mais Dieu ne se contente pas de nous accorder sa loi, il ajoute ses promesses et son jugement. « Je suis un Dieu jaloux », déclare-t-il.

La loi morale de Dieu est totale, elle embrasse toutes nos activités. Nous pourrons dire que le reste de l’Écriture n’est qu’un commentaire des dix commandements. Les préceptes et exhortations du Nouveau Testament sont des explications et des amplifications, comme aussi des applications de la loi et des commandements.

2. Le Législateur et sa loi🔗

La révélation biblique ne laisse pas supposer que la loi puisse posséder de fondement en elle-même, c’est-à-dire qu’elle est indépendante du Législateur. Dieu est libre en accordant sa loi morale et celle-ci ne saurait être étrangère à notre vie d’hommes. Dieu reste en rapport permanent avec sa création et il ne change pas les normes qu’il a établies une fois pour toutes. Il faut cependant veiller soigneusement à ne pas placer la loi entre nous et Dieu comme une entité indépendante et neutre. Un tel légalisme guette le chrétien s’il se permettait de tenir les commandements comme une loi indépendante posée entre lui et Dieu. Il s’éloignerait certainement de son Père céleste et la loi cesserait d’être pour lui l’Évangile régulateur et protecteur de sa vie dans la foi. Même si elle a son origine en Dieu, la loi risque, dans l’interprétation légaliste, d’exister comme une instance indépendante, par exemple dans la conception déiste, où elle est l’équivalent d’un impératif catégorique, et non comme le lien établi dans une Alliance de grâce entre Dieu et ses enfants.

C’est le Dieu vivant en personne qui donne ses commandements. Le chrétien, lui aussi, cherche à connaître ardemment le commandement de son Dieu. Il veut vivre comme enfant de Dieu, faire ce que le Christ lui demande d’accomplir. Or, ce qui n’est pas le produit de la foi est péché, ainsi que le déclare saint Paul (Rm 14.23). Le mot traduit par foi ici est « pistis », mais à cet endroit il possède le sens particulier de conviction. Ainsi, ce qui ne repose pas sur une conviction issue de la foi la contredit. Or, c’est par la foi que le fidèle sait que le Christ est son Seigneur. Ce ne sont pas ses idées, les opinions des hommes, ni même les pensées d’autres chrétiens, mais uniquement la volonté du Christ qui sera acceptée comme la norme de sa vie nouvelle. Même s’il n’a pas encore atteint la perfection de sa nouvelle situation en Christ, il a le bonheur de constater, dès à présent, la différence qualitative entre sa situation antérieure et son nouvel état. Il est devenu la propriété du Christ, et bien qu’il ne soit plus soumis à la loi, il n’est pas pour autant en dehors de la loi.

Il est appelé à plaire au Seigneur en toutes choses. Conduit par l’Esprit et éclairé par la Parole, il avancera pour s’édifier dans la très sainte foi, car pour lui, la vie tout entière est devenue une conversion permanente. Si le Christ l’a vraiment saisi jusqu’à la fin de son existence terrestre, il produira en lui une conversion quotidienne. Or, dans l’Évangile comme dans la loi, les promesses précèdent les exigences. Aussi l’obéissance est, elle aussi, une grâce. Dans la libre adhésion à la loi, l’homme retrouve sa liberté et la béatitude. Mais la recherche des « choses d’en haut » n’empêchera pas de s’adonner également, avec toute la consécration requise, aux devoirs d’ici-bas. Très souvent, une interprétation erronée du monde donne une idée fausse de la nature des « choses d’en haut ».

La loi que Dieu nous donne est l’expression de sa volonté, non celle de son essence. En nous donnant sa loi, Dieu reste libre. Il se trouve au-dessus d’elle, mais jamais sans elle. Elle n’est pas pour autant une loi capricieuse ou arbitraire. Dieu est déterminé dans sa liberté par toutes ses qualités. Il veut être en communion avec l’homme. La loi morale n’est pas une loi étrangère à la vie humaine. Elle est la loi qui nous indique comment nous pouvons vivre avec Dieu (voir Ps. 119). Le fait que la loi, en tant qu’expression de la volonté de Dieu, n’est pas arbitraire implique que Dieu ne donne pas tantôt telle norme pour la vie, tantôt telle autre. Dieu est le Dieu vivant, qui vit avec ses créatures et qui entre en relation vivante avec elles.

La norme morale ne peut pas subir de changements motivés par les mutations survenant dans la création et dans la société. Le rapport entre l’ordre de Dieu et notre situation donnée est invariablement un rapport concret. Le commandement de Dieu contient un élément constant qui est déterminé par la volonté divine. L’homme n’est pas habilité à décider, de son propre chef, du bien et du mal. C’est pourquoi la morale chrétienne est théonome, c’est-à-dire qu’elle a son origine en Dieu et qu’elle est dictée par lui. Autrement, l’homme finirait par changer le Dieu souverain en idole et ferait de lui le jouet de ses caprices. La vie et l’éthique chrétiennes ne sont pas régies par une conscience morale autonome.

À l’inverse, il faut refuser de concéder quoi que ce soit à la conception déterministe selon laquelle une morale normative serait tout à fait inconcevable. D’après cette idée, l’acte humain est la conséquence de sa situation particulière, de son hérédité, de sa culture. Certes, nous n’ignorons pas à quel point la chute a compromis la liberté de l’homme. Mais la chute n’a pas altéré la capacité de l’homme au point de l’empêcher de discerner entre le bien et le mal. Sa création à l’image de Dieu reste vraie même si cette image n’est pas restée intacte. L’homme est appelé par Dieu à lui répondre par la foi. Il reste toujours homme, création de Dieu, en dépit de la chute et de la corruption totale qui, précisément, n’est pas une corruption absolue.

Il nous faut, certes, tenir compte des effets physiques et psychiques produits par la chute originelle. On ne peut pas tenir inconditionnellement l’homme comme responsable de tous ses actes. D’autres facteurs que les seuls facteurs éthiques peuvent tenir un rôle dans certains comportements ou dans des actes concrets. La maladie, l’hérédité, des circonstances données, etc., peuvent atténuer la responsabilité morale de l’homme. Néanmoins, quelles que soient les circonstances dites atténuantes, la culpabilité morale de l’homme demeure intacte aux yeux de Dieu.

L’éthique chrétienne ne doit, certes pas, s’immiscer de manière décisive dans le domaine juridique ou psychologique, bien que nous devons reconnaître qu’il existe une certaine imbrication avec les deux derniers aspects de la réalité, à savoir l’aspect juridique ou l’aspect psychologique. Néanmoins, dans son domaine propre, elle reste la seule norme et le juge autonome des actes « coupables ». La psychologie ne doit pas se substituer à la morale ni la sociologie à l’éthique normative de la révélation biblique.

L’homme qui ne vit pas vraiment en communion avec Dieu veut être l’égal de Dieu. Cette attitude ne s’exprime pas nécessairement dans un refus d’obéir à la loi divine. Nous avons dans la Bible l’exemple du pharisien qui veut se justifier par les œuvres de la loi. L’homme qui veut obéir à la loi sans donner son cœur à Dieu réussit tout au plus à produire des œuvres qui ressemblent extérieurement seulement à celles que Dieu demande. Cependant, un tel homme, par son refus de reconnaître l’Évangile comme la révélation de Dieu, ne connaît pas vraiment ce que Dieu demande de lui dans la loi. Il méconnaît le sens de la loi, parce que son cœur est détourné de Dieu. On ne peut pas connaître la volonté de Dieu sans connaître Dieu lui-même. L’auteur du Psaume 119 a compris que la seule connaissance des commandements n’est pas suffisante. Il prie Dieu de lui donner aussi son Saint-Esprit. On peut assez facilement s’imaginer qu’on a accompli la loi si on sépare la loi du Législateur. Dans ce cas, on décide soi-même du bien et du mal. On détermine soi-même qui est ce Seigneur devant la face duquel il n’est pas permis d’avoir d’autres dieux… Le péché de ceux qui décident eux-mêmes du bien et du mal, quoiqu’ils semblent obéir à la loi de Dieu, est même souvent plus tenace que celui de ceux qui ne veulent pas avoir affaire à la loi. C’est pourquoi la conversion des pharisiens était tellement difficile.

Nous ne découvrirons pas la volonté de Dieu si nous séparons la loi du Dieu de l’alliance qui la donne. En agissant ainsi, nous transformerions la loi en un moyen qui, entre les mains de l’adversaire, nous servirait d’appât pour nous séduire et chercher à gagner par nous-mêmes le salut que Dieu offre gratuitement (Rm 5.20; 7.7-13; Ga 3.19). Nous n’avons aucune possibilité de connaître vraiment la volonté de Dieu sans connaître l’Évangile. Nous avons suffisamment démontré que la loi existe pour nous, au regard de notre foi, comme la loi du Christ, le Sauveur.

3. Les commandements🔗

L’Écriture nous exhorte à nous placer sous les commandements de Dieu à cause de notre état de pécheur. Cependant, Dieu ne nous donne pas ses commandements seulement parce que nous sommes des pécheurs. Notre vie chrétienne serait impossible sans la connaissance des commandements de Dieu, même si nous faisions abstraction du péché. Car nous sommes appelés à une vie d’obéissance à la volonté de Dieu, laquelle nous est connue par la Parole. Nous sommes devenus « des esclaves de la justice » ou « des esclaves de Dieu » (Rm 6.17-22). Nous sommes délivrés du péché par l’œuvre rédemptrice du Christ. Cela ne veut pas dire que nous soyons maintenant sans un Seigneur à qui nous devons obéir.

Toutefois, cette obéissance n’est pas une menace pour la joie que procure l’Évangile. Les commandements auxquels nous devons obéir sont ceux du Père Libérateur qui nous aime. Il ne faut pas oublier que le commandement suppose l’Évangile dans la vie du peuple de Dieu. C’est pourquoi le Décalogue ne commence pas par les commandements, mais par l’Évangile : « Je suis l’Éternel, ton Dieu, qui t’ai fait sortir du pays d’Égypte, de la maison de servitude » (Ex 20.2). De même, le Sermon sur la Montagne contient les béatitudes qui précèdent la loi. Le croyant est heureux de connaître Dieu. Il l’est en premier lieu parce que les commandements lui rendent possible la vie de reconnaissance. Mais il l’est aussi parce que les commandements de son Père sont une lampe à ses pieds et une lumière sur son sentier (Ps 119.105). Le croyant sait qu’il s’égarerait si Dieu ne lui montrait pas le chemin. Ainsi Adam et Ève ont perdu le chemin parce qu’ils voulaient choisir eux-mêmes ce qui était le bien et ce qui était le mal (Gn 3.5). L’enfant de Dieu sait que la voie des commandements de Dieu n’est pas seulement la voie d’obéissance, mais aussi la voie de la félicité véritable parce qu’elle est la voie qui nous a été montrée par le Père qui nous aime.

Le Psaume 119 chante la richesse de celui qui connaît la loi de Dieu; ce psaume n’est pas seulement le cantique d’Israël, mais aussi le psaume de l’Église de la Nouvelle Alliance. De son côté, le livre des Proverbes a sa place dans la vie du chrétien. Ce livre nous enseigne que nous avons à nous laisser conduire quotidiennement par la sagesse de Dieu. Nous comprenons alors que Paul puisse parler d’une obéissance de cœur (Rm 6.17; Col 3.23).

L’amour des commandements de Dieu a donc deux raisons. Premièrement, ces commandements rendent possible la vie de la reconnaissance; deuxièmement, ces commandements nous indiquent la voie sur laquelle nous pouvons aller sans crainte de nous égarer.

Cette deuxième raison s’explique du fait que notre Père nous donne ses commandements avec amour et avec sagesse. Ses commandements ne peuvent être étrangers à la nature de notre vie.

Le Christ donne la liberté véritable (Jn 8.36). Cette liberté n’est pas le dérèglement, mais la liberté de marcher sur la voie de Dieu. Les brebis véritables ne souhaitent pas être sans Berger. Elles entendent la voix du Berger et le suivent. Elles savent qu’en le suivant elles ne périront jamais. Satan, le péché et la mort n’ont pas de puissance lorsqu’on est avec le Christ (Jn 10.27-29).

Les croyants ne suivent pas la voie des commandements parce qu’ils veulent mériter la bienveillance de Dieu. Qu’ils cherchent cette vie exprime simplement leur conviction que la vie n’est sûre que près du Père. L’obéissance n’est pas quelque chose qui soit à côté de la foi, elle est l’expression de la foi dans les promesses de Dieu. Parce qu’ils croient et sont affranchis du péché en vue de la liberté (Ga 5.1), ils veulent désormais vivre comme des hommes libres. Leur foi dans leur liberté se montre dans leur désir d’appliquer tous les commandements de Dieu. Ils veulent voir dans leur vie la manifestation de ce qu’ils sont d’après la promesse.

La vie chrétienne est donc une vie d’obéissance. Il faut cependant y ajouter une vie d’obéissance à notre Père céleste, à Jésus-Christ notre Sauveur. Il faut faire très attention de ne pas placer une loi entre Dieu et ses enfants. Les pharisiens ont considéré la loi comme étant entre eux et Dieu, ce qui les a séparés de lui, le Législateur. Ils l’ont expliquée à la manière d’une loi politique et juridique. Ce même légalisme guette les chrétiens qui considèrent les commandements de Dieu comme une loi indépendante entre Dieu et eux-mêmes. Alors la loi menace l’Évangile, rompt la communion filiale, éloigne du Père céleste, empêche d’avoir une relation véritable avec Dieu. Ce n’est plus Dieu qui dirige personnellement et constamment la vie, mais une loi impersonnelle. Une telle loi, qui a peut-être son origine en Dieu, existe maintenant comme une instance indépendante, elle peut entrer dans une conception déiste, mais elle contredit ce que la Bible nous dit de la relation entre Dieu le Père, et ses enfants. Or le Dieu vivant leur donne lui-même ses commandements.

L’auteur du Psaume 119 demande à Dieu de ne pas vouloir cacher ses commandements. Les commandements de Dieu y sont considérés comme la Parole vivante de Dieu. Le fait que l’on entende ce commandement de Dieu est lié à la présence de Dieu lui-même dans la vie.

4. La volonté de Dieu🔗

La dogmatique chrétienne affirme avec raison que nul ne peut se soustraire à la révélation générale. Toutefois, cette révélation est « retenue captive » par les incroyants. Ils la tiennent captive de plusieurs manières.

L’Écriture sainte rend clair le fait que toute relation avec la loi de Dieu n’était pas absente de la vie des païens. Le passage de Romains 2.12-16 nous paraît suffisamment probant à cet égard. Paul a remarqué dans ce texte contre les juifs que la chose la plus importante n’est pas d’avoir la loi, mais d’agir selon la loi. Les païens n’ont pas la loi de Moïse. On trouve cependant parmi eux quelquefois « l’œuvre de la loi » (comme action extérieure). C’est pourquoi les juifs ne doivent pas s’élever au-dessus des païens.

Paul se sert ensuite du fait que « l’œuvre de la loi » est trouvée parmi les actes des païens pour démontrer sa thèse selon laquelle ceux qui ont péché sans la loi de Moïse périront aussi bien que les juifs. Car les païens certainement n’ont pas connu la loi comme les juifs. Ils ne sont cependant pas innocents. Ils ne sont pas totalement sans la connaissance de la volonté de Dieu. « Ils sont une loi pour eux-mêmes. » Ils montrent par leurs actions, par le témoignage de leur conscience et par leurs pensées s’accusant et se défendant que l’œuvre de la loi est écrite dans leurs cœurs.

L’apôtre n’affirme pas qu’on trouve une certaine bonté naturelle dictant les actions des païens. Telle n’est pas son intention, qui aurait contredit tout son enseignement relatif à la chute et la perdition de l’homme en dehors de la grâce qui sauve. Il ne veut pas davantage laisser entendre que la révélation générale (Rm 1.18-20) accorde une connaissance sincère de Dieu, mais une connaissance qui serait « naturelle ».

Tous, Juifs et Grecs, sont sous l’empire du péché. Il n’y a point de juste (Rm 3.9-18). La révélation générale rend cependant inexcusables aussi ceux qui ne connaissent pas la révélation spéciale (Rm 1.20).

L’objet de la révélation générale est Dieu lui-même. Dieu se fait connaître par la révélation générale. Cette révélation de Dieu lui-même n’implique pas seulement une manifestation de quelque chose de la puissance de Dieu (Rm 1.20), mais quelque chose aussi de sa volonté. Les incroyants refoulent la connaissance qui est le résultat de cette manifestation générale (Rm 1.18). Nous ne devons cependant pas nier qu’il y ait des « œuvres de la loi » parmi les actes des incroyants. Cela serait en contradiction avec l’affirmation paulinienne. Ses mots sont d’ailleurs confirmés par ce que nous remarquons dans la vie des incroyants.

Grâce à la révélation générale et à la bonté de Dieu envers tous, il y a une certaine obéissance à la volonté de Dieu parmi les incroyants. Ainsi, la vie sociale est encore possible. Il n’y aurait pas de vie sociale sans morale. Nous ne nions pas, cependant, ce que nous avons dit de la corruption totale. Il ne s’agit pas d’une obéissance véritable, d’une obéissance qui serait agréable à Dieu, dans les œuvres des incroyants, correspondant extérieurement à la volonté de Dieu. (Cela est naturellement la même chose pour les œuvres des croyants qui ne sont pas vraiment des œuvres de la foi, bien qu’elles soient extérieurement selon la loi!). Nous n’avons pas ici affaire à un reste de bonté naturelle ou de bonté ontologique, mais à la force supérieure de Dieu par laquelle l’homme est contraint de faire « l’œuvre de la loi » malgré sa chute. Dieu fait que l’homme aperçoit encore la fonction de la loi au milieu de la vie corrompue, bien qu’il ne perçoive pas cette loi comme la loi de Dieu. La loi est séparée de Dieu. L’homme se sert des normes de Dieu comme si elles étaient ses normes. Il peut construire une morale autonome, une morale hétéronome athée ou une morale qu’il lie avec l’image de Dieu qu’il s’est formée.

Dieu rend la vie possible sur la terre en se faisant obéir également de ceux qui ne le connaissent pas. Ne limitons pas cela à l’obéissance à la loi morale seulement, mais aussi à la soumission aux autres prescriptions de Dieu données à sa création. Dieu règle la vie sous certaines formes : le mariage, la famille, etc. On accepte plus ou moins ces cadres imposés par Dieu, non par amour pour Dieu, mais parce que Dieu lui-même crée cette obéissance de fait; car il veut en user pour l’exécution de ses projets. Aussi Paul peut-il écrire que l’État est le ministre de Dieu (Rm 13.6). Dieu se sert de l’État qui obéit aux ordres que Dieu a donnés pour lui. Dieu crée cette obéissance des magistrats qui ne veulent pourtant pas le connaître lui-même; il le fait par la force supérieure de la révélation de ses normes. Il ne s’agit pas ici d’une bonté immanente. On voit clairement pourquoi la Bible nous décrit l’État d’Apocalypse 13 à côté de l’État de Romains 13. Il apparaît aussi qu’on ne se soumet pas aux ordres de Dieu par une bonté ontologique lorsque Dieu retire sa grâce commune (générale).

C’est de cette façon-là que nous devons comprendre toute « obéissance » naturelle à une norme quelconque de Dieu : norme morale, norme de justice extérieure (l’État), norme de la vie familiale ou de la vie dans le mariage, etc. La vie de famille, la vie dans le mariage, l’État qui maintient la justice extérieure, etc. disparaîtront si la grâce commune de Dieu se retire (Rm 1.24-32).

Ceci explique l’unanimité des incroyants sur certaines normes auxquelles chacun doit obéir. Mais ce que nous disons explique aussi qu’il y a beaucoup de différences entre les incroyants sur les normes. Essentiellement, la révélation générale de Dieu ne change pas, mais la réaction des hommes corrompus n’est pas toujours la même, car Dieu peut aussi retirer sa grâce commune aux hommes et les livrer à l’impureté et à une vie contraire aux normes auxquelles ils devraient être soumis (Rm 1.24-32).

N’oublions pas que la vie des incroyants selon les normes n’est pas seulement causée par la révélation générale de Dieu, mais aussi par certaines traditions qui ont leur origine dans la révélation spéciale. Beaucoup d’incroyants dans les pays qui furent chrétiens admettent par exemple que le mariage soit monogame. Cette idée n’a pas son origine seulement dans la révélation générale de Dieu, mais elle est due à l’influence du christianisme qui reste même après la disparition de la foi vivante.

Pour notre connaissance de la volonté de Dieu, la révélation générale ne doit pas être considérée comme une source indépendante.

L’homme ne peut pas trouver de critère en lui-même pour distinguer entre les ordres de Dieu et les règles selon lesquelles le diable veut faire évoluer la création. Certes, l’homme a une conscience qui fonctionne plus ou moins. Cette conscience est un don de Dieu; elle a certainement sa valeur pour la distinction du bien et du mal. La Bible nous parle de la marque de la flétrissure dans la conscience de quelques personnes (1 Tm 4.2). On trouve cependant aussi une conscience qui fonctionne beaucoup mieux que celle dont Paul parle ici. Cependant, cela n’implique pas que ceux qui ont une conscience qui fonctionne mieux aient en eux-mêmes une possibilité de distinguer entre le bien et le mal.

On considère la conscience le plus souvent comme la faculté de l’homme de se juger lui-même. On dit souvent que la conscience n’indique que les actions qui ne sont pas selon la norme. Dans ce cas, on pourrait dire que la conscience est la faculté de se condamner soi-même. Quoi qu’il en soit, il est clair que la conscience a besoin d’une norme qui soit reconnue en elle-même. Elle juge selon la norme qui est reconnue par celui à qui cette conscience appartient. C’est pourquoi la conscience de l’un réagit d’une façon autre que celle d’un autre. Tout dépend ici de la norme qui est reconnue. Le cannibalisme ne heurte pas la conscience de certains hommes, alors que la conscience de certains autres est heurtée si on bat les « vaches sacrées ».

Ce que nous venons de dire n’ôte rien à la grande importance de la révélation générale pour la vie chrétienne. Le fait que Dieu se révèle encore à tous les hommes rend la vie sur la terre possible pour le chrétien.

Cette utilité, ou plutôt cette nécessité, de la révélation générale ne repose pas seulement sur le fait que le chrétien ne peut pas collaborer avec des incrédules sans la révélation générale, mais aussi sur ce fait que la Bible ne nous parle pas explicitement de toutes les normes dont nous avons besoin pour agir concrètement selon la volonté de Dieu. Cependant, il est aussi devenu clair que le chrétien doit essayer de « lire le livre de la nature avec les lunettes de la Bible », en tenant compte de ce que la Bible nous dit du Christ qui est le commencement de la création, celui en qui toutes choses existent (Col 1.15-16; Jn 1.1-2; Ap 3.14).

Faisons encore remarquer que l’on ne doit pas confondre les différentes normes qui sont spécifiques pour les différentes structures de la vie avec ces structures elles-mêmes. La norme économique est autre chose que la structure économique. La norme se trouve au-dessus du terrain pour lequel elle est valable. L’idéal chrétien ne peut donc jamais être le souci de conserver le plus possible les différentes structures de la vie dans leur état actuel. S’il décide, à la lumière de la Bible, qu’il doit servir Dieu sur tel ou tel terrain de la vie, il doit naturellement faire déterminer ses actions aussi par la norme qui est valable pour un tel terrain. Nous devons essayer de trouver sous la lumière de la Bible quel est le contenu exact des points de vue économiques, esthétiques, etc., dont nous devons tenir compte quand nous essayons de trouver le commandement de Dieu pour telle ou telle situation.

Notons que les éléments économiques, etc. dans le commandement concret de Dieu ne sont pas constants. Ils sont reliés à la situation du moment. Les structures de la vie évoluent selon la providence de Dieu. La société d’aujourd’hui n’est plus celle du temps de saint Paul. Il devait par exemple tenir compte du fait que le chrétien ne pouvait pas vivre selon la volonté de Dieu sans tenir compte du fait de l’esclavage. Ce fait a son importance si on veut connaître l’élément social et économique dans le commandement concret de Dieu. Cet élément n’est plus le même dans une société sans esclaves.

Nous rejetons la pensée selon laquelle certains commandements du Christ n’étaient que des conseils qui ne seraient pas valables pour chacun. Le Sermon sur la Montagne est pour tous.

Nous nous opposons également à la pensée selon laquelle le Sermon sur la Montagne serait valable pour tout le monde, mais que cette validité se restreindrait à certains terrains seulement de la vie. On trouve spécialement, dans certains milieux luthériens, la pensée que la vie « d’office » ne serait pas soumise au commandement du Christ. Il s’agirait ici seulement d’obéissance au Créateur et non au Sauveur. Il faudrait obéir ici aux lois qui peuvent être connues par la raison. Il y aurait un terrain « personnel » à côté du terrain « d’office » où on devrait vivre entièrement selon le Sermon sur la Montagne.

Il est vrai que le Christ n’illustre pas la pensée par des commandements qui sont spécialement destinés à la vie dans l’État ou dans la société. Mais le commandement d’aimer les ennemis (Mt 5.43-44) nous montre déjà suffisamment que le Christ ne veut pas dispenser les hommes de l’obéissance au commandement de l’amour sur un terrain de la vie, par exemple dans le commerce.

Nous rappelons que le Christ ne veut pas supprimer de la vie les structures qui sont données. Il considère le mariage comme une institution de Dieu (Mt 19.6-9) et il commande aussi de rendre à César ce qui est à César (Mt 22.21). L’État a son origine en Dieu. Dieu a donné les lois spécifiques pour tous ces terrains, lois qu’on doit chercher dans la lumière du Christ. Ces lois modifient la façon dont il faut aimer Dieu et le prochain sur un certain terrain. Mais cela n’exclut pas qu’on doive aimer Dieu et son prochain sur tous les terrains de la vie.

Un de ceux-ci est par exemple la vie dans la famille. C’est selon la volonté de Dieu que les parents élèvent leurs enfants. Dieu a donné certaines normes pour l’éducation. Le châtiment sera quelquefois nécessaire selon les normes spécifiques de ce terrain. Il faut cependant vivre aussi ici par l’obéissance au commandement de l’amour. Mais la manière dont on doit aimer ici est déterminée par la loi spécifique de ce terrain. L’amour n’exclut pas le châtiment. Mais le commandement de l’amour exige que les parents ne châtient jamais sans amour.

On peut poser la question s’il n’y a jamais un conflit entre les différents devoirs du chrétien, un conflit entre l’obéissance au commandement de l’amour et l’obéissance à une autre norme. Nous en parlerons plus loin.

On peut directement obéir au commandement de l’amour dans la vie « personnelle ». Il n’y a pas seulement la relation officielle entre le juge et l’accusé, par exemple, mais il y a aussi la relation personnelle. On ne peut pas la distinguer très nettement ici. Personne n’est jamais seulement homme, alors que personne n’est jamais seulement dans l’office. Les lois de structure laissent une place pour l’action personnelle du chrétien ou de la communauté chrétienne.

Les chrétiens coopèrent donc en premier lieu avec les incroyants dans les « ordonnances »; ils essaient deuxièmement d’améliorer les « ordonnances » en relation avec les incroyants qui aperçoivent aussi les défauts d’un certain ordre. Ils montrent troisièmement comme chrétiens que la vie selon les « ordonnances » n’est pas leur seul idéal et qu’il y a encore une autre vie. Ils le montrent par exemple par l’œuvre du diaconat et par les œuvres de miséricorde chrétienne en général. Ces troisièmes groupes d’actions sont des œuvres spécifiquement chrétiennes. Selon Brunner ici, on ne peut pas coopérer avec les incroyants. Ces œuvres spécialement chrétiennes ont leur norme dans le Sermon sur la Montagne.

On doit donc employer chaque possibilité de vivre selon le commandement de l’amour. Mais cette vie de l’amour ne doit pas nuire à l’obéissance aux ordonnances précisément à cause de l’amour. La main de Dieu est aussi dans les « ordonnances ». La tâche première du chrétien n’est pas de faire éclater le tonneau, mais de le remplir. Il est cependant possible qu’il y ait des situations dans lesquelles l’obéissance aux « ordonnances » est impossible à cause de l’obéissance au commandement de l’amour. Selon Brunner, on ne peut toutefois jamais surmonter la dualité entre les lois des « ordonnances » et le commandement de l’amour.

5. L’amour : sommaire de la loi🔗

L’amour envers Dieu et envers notre prochain constitue l’essence de la loi. Dieu nous rencontre directement et personnellement, mais aussi indirectement en la personne du prochain. Le premier commandement ne peut pas être réduit au second ni le second ne peut remplacer le premier. L’amour est possible, même dans un monde déchu. Il est l’effet de la grâce préventive de Dieu. Mais un amour « horizontaliste » ne signifie pas l’obéissance et l’observation du deuxième commandement. Toute « bonne œuvre », y compris l’amour, devra être strictement motivée par l’amour envers Dieu.

Celui qui oppose l’amour à la loi se fait une fausse idée de celle-ci, comme si elle était un élément étranger à la grâce et non pas naturellement associée à elle. La loi ainsi comprise est forcément amputée de son « introduction ». Il s’agit pourtant de briser l’orgueil et la suffisance de l’homme et non d’abroger la loi. L’amour chrétien n’est rien d’autre que l’accomplissement de la loi de Dieu.

On a reproché à la théologie réformée de porter un intérêt excessif, sinon illégitime, à la loi. Si la théologie réformée est « légaliste », les Évangiles et Paul le sont aussi, lui qui affirme se placer « sous la loi du Christ » et qui demande aux convertis de l’observer parce « qu’elle est juste, bonne et sainte… » L’Évangile confirme la loi. Autrement, il faudrait dire aussi que Jésus était légaliste…

Lorsque nous avons rencontré dans le Nouveau Testament des références négatives concernant la loi, nous les avons comprises comme des critiques adressées à son rôle (lorsqu’il est exclusif) de pédagogue. Ailleurs, ces références concernaient la mauvaise interprétation de la loi par les juifs.

Le Catéchisme de Heidelberg souligne parfaitement le rôle positif de la loi dans les questions et réponses 114 et 115 :

« Mais ceux qui sont convertis à Dieu peuvent-ils observer parfaitement ce commandement? Non, car même les plus saints, tant qu’ils sont en cette vie, n’ont qu’un petit commencement de cette obéissance. Mais ils commencent pourtant à vivre avec une sérieuse application, non seulement selon quelques-uns, mais selon tous les commandements de Dieu.
Pourquoi Dieu veut-il qu’on nous prêche si exactement les dix commandements, s’il n’y a personne qui peut les observer en cette vie? C’est d’abord, afin que pendant toute notre vie, nous reconnaissions toujours mieux, combien notre nature est pécheresse et que nous cherchions avec d’autant plus d’ardeur le pardon des péchés et la justice, qui est en Christ. C’est ensuite, afin que nous nous appliquions sans relâche à demander à Dieu la grâce du Saint-Esprit, pour être renouvelés toujours plus à son image, jusqu’à ce qu’après cette vie, nous atteignions la perfection qui est notre but. »

Ces questions du Catéchisme témoignent à quel point le chrétien reste sensible au péché et de quelle manière il cherche sa sanctification. La loi de Dieu lui sert de guide durant son « pèlerinage » terrestre. Il regarde vers Jésus-Christ qui a marché sur la même voie. À la suite du psalmiste, il peut s’écrier : « Oh! combien j’aime ta loi! »

Le danger du légalisme le guette sans cesse, car nul n’en est à l’abri si jamais il se détache du Législateur, car alors la loi peut devenir absolue, une loi en soi, remplaçant la relation vivante et personnelle avec le Christ. Le salut est alors considéré comme l’œuvre de l’homme, à la manière des chrétiens Galates. Cependant, la loi demeure, selon l’intention de Dieu, le miroir parfait dans lequel le chrétien observe son visage et sa condition d’homme déchu. Mais dans la nouvelle dispensation, la loi, hier encore son ennemie, deviendra la plus fidèle et la plus constante de ses alliées.

Jésus demande ici à ses disciples d’être « téléioi », « parfaits » dans l’amour comme leur Père céleste (Mt 5.48). Cela veut dire qu’ils ne doivent pas restreindre leur amour aux amis, comme les pharisiens l’enseignaient. Mais cet amour des pharisiens n’est pas conséquent. Jésus demande un amour conséquent, un amour qui ne s’arrête pas à mi-chemin, comme le Père céleste ne s’arrête pas à mi-chemin, mais est conséquent dans l’amour. C’est ce que Jésus veut dire, quand il demande aux disciples d’être « téléioi ». Il ne demande pas ici qu’ils soient égaux au Père dans un sens matériel, mais qu’ils ressemblent au Père dans un sens formel et qu’ils ne limitent pas leur amour à leurs amis. Ce qui est « téléios » n’est donc pas ici quelque chose au-dessus de ce que la loi demande, mais c’est une obéissance conséquente, totale, sans restriction.

Jésus ne veut pas demander non plus au jeune homme riche quelque chose au-dessus de l’exigence de la loi. Il lui dit que dans son cas particulier, lorsque le Christ lui demande de le suivre, l’obéissance conséquente à la loi de Dieu, la soumission au commandement de Dieu sans aucune restriction, doit se manifester par la vente de ses biens. Il y a aussi des cas dans lesquels l’obéissance conséquente implique qu’on renonce au mariage à cause du Royaume de Dieu. Mais il ne s’agit pas alors d’un conseil à côté du commandement, mais de la forme dans laquelle le commandement se révèle, comme l’obéissance au commandement peut aussi impliquer qu’on arrache l’œil ou qu’on coupe la main (Mt 5.29-30).

L’amour peut-il être commandé? Notons que l’« agapè » dont le Christ parle est moins une attitude du sentiment qu’un acte de la volonté. Il cherche ce qui est bon pour le prochain.

Selon 1 Jn 4.9-11, nous avons un grand exemple de l’amour du prochain dans l’amour de Dieu envers nous. La Bible emploie le mot « agapè ». « Agapè » n’est pas l’amour non médité (« philè »), mais elle n’est pas non plus l’amour qui a sa cause dans son objet (« éros »). L’amour de Dieu a son fondement exclusivement dans sa volonté. Dieu nous ordonne d’exprimer aussi cet amour désintéressé. Cela ne veut pas dire qu’il n’est pas permis d’aimer ce qui est beau, ceux qui nous aiment et qui nous rendent en retour le même amour; cela implique certainement que l’amour chrétien montre sa nature spécifique surtout où il se révèle par l’amour pour le malheureux.

Nous pouvons résumer la loi de Dieu pour notre vie en disant que Dieu nous demande d’imiter Dieu en Christ (Ph 2.5-8; 1 Pi 1.15-16; 2.19-24; 3.17-18; 4.1; voir aussi Dt 5.14-15; 16.11-12; 24.17-18). La loi de l’amour que Dieu nous donne n’est pas étrangère à notre vie. Car notre essence reflète l’image de Dieu. Dieu nous demande par sa loi de nous conduire à son image envers notre prochain. Cela ne nous dispense pas de la loi de Dieu, sous prétexte que nous l’aurions trouvée en nous-mêmes. Car il est nécessaire que Dieu nous dise d’un moment à l’autre ce qu’implique concrètement l’obligation de nous conduire selon son image.

Il est donc clair que nous ne pouvons bénéficier de l’amour de Dieu sans aimer à notre tour notre prochain. On ne peut pas être enfant de Dieu sans se conduire comme son enfant (Mt 18.23-35; 1 Jn 4.7). D’un autre côté, nous ne pouvons pas aimer Dieu sans aimer notre prochain. Cela ne signifie pas que l’amour pour Dieu sera absorbé dans l’amour du prochain. Le premier commandement n’est pas le deuxième. Il existe, nous l’avons dit, un amour direct pour Dieu. Mais l’amour pour le prochain est toutefois aussi une forme de l’amour pour Dieu. Dieu nous rencontre dans le prochain, spécialement dans le prochain misérable (Mt 25.40; 1 Jn 4.19-21; 3.14-17). Les exigences que la situation de notre prochain pose sont des exigences de Dieu.

La vie nouvelle de conversion et de sanctification s’exprime par la nouveauté qui caractérise nos rapports avec le prochain.

Nous n’avons pas établi de distinction entre le renouvellement de notre relation religieuse avec Dieu et celui de notre relation morale avec le prochain. Il est évident que les deux relations sont liées, la seconde étant entièrement dépendante de la première. Dieu ne veut pas seulement être servi directement par notre adoration. Il attend aussi notre service indirect dans nos rapports avec le prochain. Le manque d’amour pour le prochain est la preuve du manque d’amour pour Dieu (1 Jn 4.20). D’autre part, cet amour du prochain fondé sur l’amour de Dieu n’est pas possible si la possibilité de l’amour de Dieu manque. L’un et l’autre sont nécessairement ensemble. Le Christ nous a libérés pour l’amour direct de Dieu et aussi pour l’amour indirect envers autrui. Celui qui croit en l’Évangile montrera cela par une nouvelle vie religieuse. Il le montrera aussi par une nouvelle attitude vis-à-vis de son prochain. Sa reconnaissance s’exprimera en observant les deux tables de la loi : l’une qui règle sa relation avec Dieu, l’autre qui règle ses rapports avec le prochain. Il n’y a pas de sanctification et pas de conversion véritables sans le renouvellement de la vie morale au sens de la vie en relation avec le prochain.

Ce que nous avons dit sur la sanctification n’a donc pas seulement une importance décisive pour la vie chrétienne comme étant une vie en communion avec Dieu, mais cela détermine aussi notre rapport avec le prochain, rapport d’habitude considéré comme l’objet proprement dit de l’éthique.

Dans Matthieu 22.36-40, le Christ peut donc parler du deuxième commandement qui est semblable au premier. Le contenu du deuxième est entièrement dépendant du premier. Notre amour du prochain est totalement déterminé par l’amour de Dieu envers nous et par notre amour envers Dieu. C’est pourquoi l’amour du prochain qu’on trouve chez les incroyants n’est pas la même chose que l’amour chrétien ni une préparation de l’amour chrétien, bien que l’amour des humanistes soit l’effet de la révélation générale et de la grâce générale de Dieu.

6. La permanence du commandement🔗

Il est certain que chacun des commandements bibliques n’est pas relié à notre situation concrète, et le quatrième commandement en offre le parfait exemple. Celui-ci ne s’adresse pas à nous de la même manière qu’aux Israélites. De même, les commandements de ne pas voler ou de ne pas tuer n’avaient pas exactement la même signification pour les fidèles de l’Ancienne Alliance que pour l’Église de la Nouvelle Alliance. N’en déduisons pas à la légère que les commandements divins sont flexibles et sans portée ou sans force pour notre marche actuelle dans la foi. Les lignes qui précèdent ont souligné fortement le caractère permanent de la loi. L’élément permanent de la loi existe parce que les ordres de Dieu ne sont pas arbitraires. Ils reflètent la véritable nature de sa personne. C’est la raison pour laquelle la loi comme telle reste valable pour nous comme elle l’était pour les hommes de l’Ancienne Alliance.

Dieu fait connaître encore aujourd’hui sa volonté dans les dix commandements et, bien que nous, croyants de la Nouvelle Alliance, devions appliquer le Décalogue d’une façon plus radicale, le principe en demeure identique. Ce terme ne doit pas être pris au sens d’un principe moral général, car l’ordre de Dieu et son principe désignent ce qui y est stable. La façon de manifester l’amour envers Dieu ou le prochain pourra varier. En plus du principe, Dieu nous donne aussi des ordres précis pour des situations concrètes, et l’examen de la Bible nous permettra de découvrir tel ou tel commandement pour notre situation personnelle. L’étude de la Parole de Dieu nous aidera à découvrir le facteur qui doit influencer l’application de la volonté permanente de Dieu dans notre propre situation. L’Écriture nous aidera à saisir et à appliquer le commandement permanent et le commandement concret de la loi de Dieu. Certains détails sont donnés en vue de notre instruction et de notre édification, ainsi que pour annoncer les desseins de Dieu (Rm 15.4). Notre vie tout entière devant être réglée par la Parole de Dieu, nous aurons à y chercher les passages qui parlent explicitement de celle-ci, mais également ceux qui nous aident implicitement à découvrir ce qui constitue l’élément permanent de la loi.

La Bible contient un grand nombre de commandements concrets, valables pour des situations très spéciales, par exemple celui à Noé de construire une arche, à Abraham de quitter son pays, au jeune homme riche de vendre tout ce qu’il avait. On peut même dire que tous les commandements que nous trouvons dans la Bible sont reliés à la situation. Pensons au Décalogue. Ainsi nous voyons que le quatrième commandement parle de la célébration du septième jour, un commandement qui n’est plus adressé littéralement à nous. Mais n’oublions pas non plus que les commandements qui interdisaient de tuer, de ne pas commettre d’adultère, de ne pas voler n’avaient pas pour les Israélites exactement le même contenu que pour nous : la vengeance du sang, par exemple, qui serait pour nous un péché contre le sixième commandement, n’était pas considérée de la même manière par la loi de l’Ancien Testament. Nous avons déjà vu que même le commandement de l’amour avait une autre place dans l’Ancienne Alliance que dans la Nouvelle et donc aussi un autre contenu.

Cependant, cela n’annule pas l’élément stable et permanent dans les commandements de Dieu. Au contraire, cet élément existe, parce que Dieu commande toujours conformément à ce qu’il est. C’est pourquoi, la loi de l’Ancien Testament non pas l’application qui est spécifique pour l’économie de l’Ancienne Alliance, est encore la loi aussi de la Nouvelle Alliance. Nous pouvons donc connaître la volonté de Dieu par le Décalogue, bien que nous ne puissions dire que le Décalogue nous commande exactement la même chose qu’aux Israélites de l’Ancienne Alliance. Le changement de la situation, à cause de l’histoire du salut, n’empêche pas que les grands « principes » des commandements de Dieu restent. Naturellement, il ne faut pas mal interpréter ce terme « principe ». Il ne s’agit pas des principes moraux éternels, comme certaines philosophies les affirment. Il s’agit de principes pour désigner cet élément stable qui est toujours à la base de tous les commandements de Dieu, à cause du fait que Dieu reste toujours le même.

Dieu veut toujours que nous aimions nos frères. Certes, le mode de cet amour est relié à la situation historique, il est aussi relié aux structures dans lesquelles nous devons aimer : l’état, la famille, le mariage, etc. Cette dernière circonstance, le fait que le commandement de Dieu est différencié par les structures dans lesquelles se trouve celui qui doit obéir, nous permet de parler au pluriel des « principes généraux ». Car il n’y a pas seulement le fait que le commandement de Dieu dans chaque situation matrimoniale dépende de la condition très concrète de tel ou tel mariage. Il y a aussi un élément stable dans tous les commandements de Dieu qui envisage n’importe quelle situation matrimoniale, parce qu’il y a aussi un élément dans la structure du mariage qui ne doit pas changer.

Nous ne pouvons pas seulement parler de certains « principes généraux » qui sont toujours à la base des commandements de Dieu. On parle aussi des « principes moyens », des « règles » qui ont une place entre les « principes généraux » et les commandements concrets. Il s’agit des « principes » qui sont toujours à la base de la volonté de Dieu pendant une certaine période. Il peut sembler que, selon la Bible, une certaine chose est toujours interdite dans telle situation historique, sociale, économique, etc. Pensons au fait que l’Église au Moyen Âge a condamné tout intérêt et que beaucoup de théologiens, qui ne veulent pas nier qu’une telle condamnation générale fut justifiée dans la situation médiévale, s’opposeraient certainement à ceux qui voudraient la maintenir dans la situation économique actuelle.

7. La nature concrète du commandement🔗

La connaissance du commandement concret de Dieu suppose la foi et la prière. Ce n’est pas par des principes généraux, par le bon sens dit naturel, que nous pourrions le comprendre et l’appliquer.

Dans Foi et sanctification, le professeur Berkouwer, d’Amsterdam, rappelle que la théologie réformée ne tient pas la loi de Dieu comme une force extérieure qui s’opposerait à la spontanéité de la foi. Celui qui a été greffé sur le Christ devra nécessairement produire des fruits dignes de la foi. Ce n’est pas entre spontanéité et loi qu’il faut chercher l’opposition, mais entre spontanéité et contrainte non évangélique. Calvin le démontre bien dans sa discussion du troisième usage de la loi1. Selon le réformateur, il s’agit de la promptitude interne inspirée par l’Esprit qui, au lieu de s’éloigner de l’accomplissement de la loi, l’incite et l’engage davantage à l’observer. Une telle promptitude va jusqu’à vouloir mieux comprendre la volonté de Dieu et aspire à une meilleure obéissance. Foi, loi et amour sont des alliés inséparables.

Ainsi comprise, la loi n’est pas à nos yeux un exacteur rigide et tyrannique. Au contraire, elle montre l’objectif à atteindre. Berkouwer reconnaît qu’il peut exister un danger de légalisme dans le troisième usage de la loi. Ce danger est réel si l’on accorde à la loi une signification et une valeur indépendantes, comme si elle tenait d’elle-même l’autorité pour régler la conduite chrétienne. Or, la vie et l’expérience chrétiennes sont la réponse de notre cœur reconnaissant, offert tout entier à Dieu. Ainsi comprise, la loi cesse d’être vue avec des yeux légalistes. Mais les possibles dangers ne doivent pas ôter, même pas une parcelle, de l’insistance avec laquelle la foi réformée précise le rapport entre l’amour spontané et l’accomplissement des commandements divins.

Les commandements concrets de la Bible nous concernent directement, quoique d’une autre manière. Ils ne nous demandent pas exactement la réplique de l’obéissance d’Abraham, Moïse, Pierre, puisque notre situation est tellement différente de la leur. Cependant, les commandements que Dieu nous donne dans notre situation nous demandent de nous insérer avec eux dans l’histoire de l’Alliance de la grâce. Ce qu’il nous est demandé de faire n’est nullement une nouveauté, mais la confirmation de ce que les anciens faisaient déjà avant nous.

Le Sermon sur la Montagne ne veut pas seulement désigner l’espace dans lequel on peut obéir, mais veut nous enseigner aussi le contenu des commandements. Le Christ ne dit pas seulement que ceux qui obéissent sont la lumière et le sel de la terre, mais aussi qu’ils doivent l’être. Certes, il ne s’agit pas dans le Sermon sur la Montagne d’une loi nouvelle. Mais aussi bien dans le Décalogue que dans le Sermon sur la Montagne il ne s’agit pas seulement d’une « loi » qui désigne où nous devons obéir, mais également du contenu de notre obéissance. Dans le Sermon sur la Montagne, le Christ déclare qu’il est venu pour accomplir la loi, c’est-à-dire la loi de l’Ancien Testament. Certes, l’accomplissement de la loi est un don de Dieu.

Il nous semble que ce qui vient d’être dit prouve qu’il y a certainement des « principes généraux » que Dieu a mis à la base de tous ses commandements concrets et qui doivent y rester aussi quand la Nouvelle Alliance a succédé à l’Ancienne. On peut donc parler d’unité dans les commandements de Dieu, par conséquent d’une « loi » parce qu’ils supposent toujours sa grâce et parce que Dieu commande toujours dans l’espace de l’Alliance de la grâce. L’Écriture nous parle aussi de la loi de Dieu parce que les commandements concrets sont des « applications » de règles plus générales; nous devons alors examiner à la lumière de la Bible la situation spéciale dans laquelle nous devons obéir; ainsi pouvons-nous découvrir quels facteurs doivent influencer selon la volonté de Dieu l’application de ce qui est « stable » dans sa volonté. La totalité de la Bible devra donc nous aider à découvrir le commandement concret de Dieu.

Même les commandements les plus concrets de l’Ancienne Alliance ont été écrits pour notre instruction (Rm 15.4). Ils sont pour nous des exemples de la manière selon laquelle Dieu « applique » ce que nous avons appelé les principes généraux, de même que les illustrations que le Christ a données dans le Sermon sur la Montagne. Ces commandements concrets et ces illustrations ne nous aident pas seulement à savoir comment nous devons appliquer la loi de Dieu, mais aussi à discerner ce qui est vraiment l’élément stable dans les commandements.

N’oublions pas que ce ne sont pas seulement les passages bibliques qui parlent explicitement des commandements de Dieu qui sont importants pour notre conduite morale. Toute notre vie doit être réglée par la Bible. Ainsi Dieu donne-t-il encore lui-même les commandements concrets aujourd’hui. La Bible ne nous donne donc pas seulement des règles générales, mais aussi les commandements concrets. Il est important de savoir qu’il existe des « principes généraux » à la base des commandements concrets, parce que ce fait nous aide à comprendre plus facilement les commandements concrets. La conviction qu’il y a de tels principes généraux ne doit cependant pas mener à la conviction que l’application de ces principes est notre œuvre, que ce n’est plus Dieu qui donne aujourd’hui, comme dans la période biblique, les commandements concrets.

Nous insistons sur le fait que la connaissance du commandement concret de Dieu suppose la foi et la prière. Nous n’avons pas de principes généraux qui doivent être appliqués par l’intelligence naturelle. C’est le Saint-Esprit qui doit nous faire trouver par la Bible le commandement concret de Dieu. Cela n’empêche pas que notre intelligence a ici aussi une fonction. La relation entre l’œuvre du Saint-Esprit et celle de notre intelligence est la même quand nous voulons comprendre son Évangile. L’Esprit doit renouveler notre intelligence. La réflexion sur l’Évangile qui n’est pas la réflexion de la foi mènerait directement à l’hérésie. La réflexion sur la loi de Dieu qui n’est pas une réflexion sous la direction de l’Esprit de Dieu ne nous fait pas vraiment trouver la volonté concrète de Dieu pour notre vie. Ce que nous avons dit confirme que nous ne pouvons jamais comprendre la loi de Dieu si nous l’isolons de celui qui l’a donnée. Tout membre de l’Église du Nouveau Testament est « majeur » et donc tout membre a sa responsabilité personnelle vis-à-vis de la vérité, une responsabilité qu’il ne peut pas transférer à une autre personne ou instance. Cela est aussi valable quant à la vérité normale, quant au commandement de Dieu.

Il en résulte que la vie chrétienne n’est pas possible en dehors de la relation vécue entre Dieu et l’homme, sans que l’homme continue à écouter Dieu qui lui montre la voie à travers des situations qui changent. On ne peut pas se contenter d’avoir écouté autrefois. Si nous ne continuons de prier pour que Dieu nous montre la voie et si nous cessons d’écouter la Parole de Dieu, notre cœur tortueux l’emportera. Tout cela n’empêche pas que la volonté de Dieu pour une situation identique est toujours la même.

8. Dans la communion de l’Église🔗

L’une des conditions essentielles de la connaissance de la volonté de Dieu c’est la communion que nous avons dans l’Église.

La clarté de l’Écriture n’implique pas seulement que chaque enfant de Dieu y puisse trouver les promesses de Dieu dont il a besoin, mais aussi les commandements nécessaires. S’il n’est pas nécessaire qu’il y ait un intermédiaire entre Dieu et l’homme en ce qui concerne les promesses, il n’est pas non plus nécessaire qu’il y en ait un lorsqu’il s’agit de connaître la volonté de Dieu. Cela ne veut cependant pas dire que le chrétien soit seul avec l’Écriture, aussi bien pour la connaissance du commandement de Dieu que pour celle de la promesse de Dieu. Nous reconnaissons la valeur de la tradition de l’Église pour la compréhension de la Bible. Cette tradition (pensons par exemple aux catéchismes) concerne aussi la compréhension de la loi divine. Le chrétien est également aidé par la prédication de l’Église de son époque. Nous devons aussi penser ici à la signification des mœurs chrétiennes. Ces mœurs ont certes encore moins d’autorité que les confessions de l’Église, cependant elles ont leur valeur. Ces mœurs se sont développées là où habite le Saint-Esprit. Il faut naturellement éprouver les esprits. Mais on apprend à mieux connaître la volonté de Dieu en communion avec les frères et sœurs en Christ, comme on pénètre aussi plus profondément dans la vérité de l’Évangile avec leur aide.

Certes, tout croyant à titre individuel reçoit l’Esprit pour en être guidé. Mais le croyant individuel pourrait comprendre cette direction ou l’exposer de manière erronée. Par bonheur, il fait aussi partie d’un cercle plus grand, la communauté de la foi. Il n’a pas reçu seul l’Esprit. C’est pourquoi le jugement collectif de l’Église dans le passé et dans le présent est d’une importance suprême au croyant particulier en vue des décisions éthiques. Les dangers de l’individualisme seront ainsi évités.

Note

1. Voir J. Calvin, Institution chrétienne, II.7.12.