Cet article a pour sujet le temps, ce mystère qui nous place devant l'inconnu, car nous ne savons pas de quoi demain sera fait. La vie en Jésus aujourd'hui est précieuse. Après la mort inéluctable, nous vivrons avec lui dans l'éternité.

Source: Méditations sur les fêtes chrétiennes. 3 pages.

Le temps Message du Nouvel An

D’ordinaire, les hommes ont une profonde aversion pour l’inconnu. Ils n’admettront pas volontiers qu’il puisse exister des mystères qui les dépassent… Pourtant, comment y échapper, puisque l’inconnu et le mystérieux font partie, une partie essentielle, de notre existence humaine?

L’un de ces inconnus est le temps, l’invisible par excellence. Le connaissons-nous vraiment? Nous ignorons l’instant qui succédera à la minute présente. Il échappe à notre regard. Derrière chacune des secondes qui constituent l’heure fugace s’étire un rideau noir sur la scène de la vie. Derrière chaque heure, derrière chacune de nos journées, se trouve tracée une ligne obscure. L’âme impatiente, qui cherche à lire le secret dissimulé derrière le temps inconnu et mystérieux s’étalant devant elle, soupire désemparée ou découragée; « il faut se courber dans l’humilité; il faut faire patience, endurer encore »…

Le temps, quant à lui, se présente devant nos âmes comme un maître dispensant l’une des leçons les plus précieuses et les plus décisives de l’existence : la leçon de la patience. Il est impensable de nous en passer. Pourtant, l’instant d’après, le temps encore inconnu est comme la vapeur de l’esprit. En effet, si souvent la vie nous rappelle un nuage fugitif, la vapeur qui nous propulse en avant… Le temps dresse nos oreilles, il les rend attentives, il aiguise notre attention, car l’œil n’aperçoit que ce qui est devant lui. Tel est le secret de l’apprentissage dans la vie, et il est conforme à la pédagogie divine.

Le temps enferme des promesses. Les attendre, regarder, espérer s’appelle croire, avoir la foi. Le temps futur, comme d’autres grandes et puissantes lois de la nature, influence profondément notre existence. Malheur à celui qui n’a point d’avenir lointain à contempler, dont l’horizon s’arrête devant une pierre froide, devant une pierre tombale, le monceau de terre qui couvrira le cercueil…

Si c’est ainsi, ne nous vantons pas du lendemain, comme s’il nous appartenait sans condition. Nous n’en serons jamais les maîtres. Le lendemain est comme un secret scellé et impénétrable qui attend son heure. Ne prononçons pas trop vite : « demain j’accomplirai ceci ou cela ». Son Seigneur ne nous l’a pas encore confié. Il ne l’offre pas d’avance. Nous ne connaissons pas ce que sera demain (voir Jc 4.13-15). Si nous le savions, il cesserait d’être demain. Certes à notre esprit ce demain paraît si proche, mais il est devancé par une réalité plus proche encore, elle qui s’appelle éternité. Car, selon une règle immuable qui dépasse notre entendement logique, n’est vraiment proche, plus probable et même certain que ce qui semble le plus éloigné, voire incroyable, et que nous appelons la mort. Entre celle-ci et nous, un seul pas nous sépare.

La trésorerie du temps ne nous prête qu’une seule journée à la fois, l’aujourd’hui. Prenons-le, faisons-le fructifier par l’œuvre d’amour et de renoncement, enrichissons-le et rendons-le au divin Prêteur. Il se peut qu’il nous en confie un autre et que notre fidélité nous amène vers les siècles des siècles de son éternité.

On n’a le droit que d’ouvrir une seule page à la fois du livre appelé le temps, la page de l’aujourd’hui. Demain s’inscrit sur une autre page, qui reste une page scellée. Ne griffonnons pas la feuille blanche par une écriture insensée, confuse et décousue. Nous pouvons y inscrire ce que notre bon vouloir nous dicte; sachons seulement que ce que nous y aurons écrit ne sera plus effacé.

Comment aimerions-nous accueillir le temps à venir? Sans doute de la même manière que le présent. Car c’est au cours du présent que nous construisons l’avenir. Aussi, employons bien notre journée d’aujourd’hui, si nous voulons attendre et recevoir un lendemain qui soit prometteur.

Nous sommes tous engagés sur la voie du vieillissement. Chacun est engagé sur la route qui le mène vers l’inéluctable : la mort. Telle est la loi de la vie physique. Mais sachons que l’esprit peut enjamber l’étape de la jeunesse et ne pas céder devant le vieillissement.

Qu’est-ce que notre vie? Considérons les nuages qui, tels des écheveaux floconneux, s’étirent sur l’étendue azur du ciel. Considérons aussi l’immaculée couche de neige sur la crête des hautes montagnes; mais puisse notre émerveillement devant la splendeur de la nature ne pas se changer en transports d’exaltation. Car les nuages se dissiperont au moindre vent; la neige fondra sous le soleil. Il en va de même de notre existence qui, comme un simple nuage, une pure vapeur, fondra comme neige au soleil… Le sablier de l’existence s’épuise vite. Nos journées sont mesurées. Le soleil de ce matin pourrait ne pas se lever demain. Viendra le jour où ses rayons ne pénétreront pas au-delà de la fosse qui accueillera le cercueil. Ses rayons ne réveilleront pas celui qui s’est endormi pour toujours. Pour certains, l’année nouvelle viendra pour préparer leur lit mortuaire. Soyons donc sages; la sagesse vraie, celle du cœur, sait compter le nombre de nos jours.

Il n’est point difficile de se remémorer des fautes commises dans le passé. Mais il est plus difficile de ne pas les répéter à l’avenir. Si nous savons devenir des hommes, des vrais, la difficulté n’est pas une raison suffisante pour répéter les erreurs passées. Achopper deux fois sur la même pierre est une disgrâce, dit-on.

Avez-vous entendu parler de l’échelle augustinienne? Selon le grand Docteur de l’Église, les erreurs commises rappellent les marches d’une échelle. Les grands esprits les montent en mettant le pied sur leurs erreurs; les découragés, eux, s’arrêtent devant la première marche. L’avenir est incertain; pourtant, c’est nous qui le forgerons. Agissons bien, et nous le rendrons meilleur que le jour d’hier. Sur le front de chacun est inscrit « il est grand », à moins que de ses propres mains et par ses maladresses, il n’annule sa vocation.

Voulez-vous prendre une nouvelle résolution au seuil d’une nouvelle année? Il y a deux choses dont on ne devrait à aucun moment se séparer : Dieu et la conscience morale.

Nous gémissons pour des pertes matérielles, mais nous lamentons-nous pour des occasions manquées ou gaspillées? « Ô homme », écrivait Sénèque, le penseur romain, « jouis bien des plaisirs présents, mais prends garde qu’ils ne nuisent à ceux de demain ». Carpe diem, suggérait un autre Latin, « jouis de ta journée »; il ferait pourtant bien de prendre l’avis de son compatriote. Alors, n’écoutons pas même les mélodies angéliques si elles causent la perte de l’ouïe. N’admirons pas la reine des beautés si notre vue doit être à jamais perdue. Ne goûtons pas aux fruits exotiques si leur parfum doit nous être nuisible; ceci équivaudrait à tuer l’âme pour gagner le monde.

Si nous regardons en arrière sur les douleurs du passé et les souffrances endurées, nous pourrons cueillir des bénédictions futures, comme l’on cueille la fleur au milieu des épines. Les souffrances sont des messagers, comme les anges. À nous d’accueillir l’ange de l’épreuve pour ne pas succomber au démon de la tentation. Saisissons-en le sens, car chaque peine veut prononcer une parole; tendons-lui l’oreille, apprenons-en le langage.

La vie est précieuse, le temps cher, l’une et l’autre sont des articles de consommation rares. Ne regrettons pas la brièveté de l’existence; car elle emportera rapidement les douleurs pour nous amener la gloire. Si une absence nous fait souffrir, si notre cœur est vide d’une absence parce que le temps nous a arraché un être bien-aimé, rappelons-nous que nous leur sommes plus proches, en cette année nouvelle. Essuyons nos larmes, hommes de peu de foi que nous sommes tous…

La vie présente n’est pas tout; elle ne s’épuise pas par le décompte de nos journées et de nos années, par le chiffre des années de notre vie présente. Elle n’est qu’une partie seulement, une partie minime de la vie, le commencement de l’autre vie, de celle qui ne connaîtra point de fin. Quelle que soit la situation présente, qu’il s’agisse d’un roman heureux ou d’un psautier de louanges, d’une tragédie ou d’une idylle, une chose est certaine, l’ange de la mort, qui a quitté le trône du Très-Haut, s’envole pour en sceller le dernier chapitre.

La vie est incertaine, certainement incertaine, a-t-on dit; la mort, elle, est la seule certitude absolue. Pourtant, la mort n’est pas la fin. Elle n’est qu’une sorte d’éveil; le passage sûr de la vie éphémère présente vers la vie lumineuse appelée éternité; une autre dimension de notre vie; une vie pour qui la mort est étrangère, associée à la vie présente, claire et pure, illuminant le passé, le sanctifiant aussi de ses noirceurs, remettant les offenses, rendant féconde la vie future, l’ennoblissant, la glorifiant, la rendant immortelle. Cette vie se trouve en celui qui a déclaré « Je suis la vie », c’est-à-dire Jésus-Christ, le Fils incarné de Dieu, le Seigneur universel, le Sauveur de nos vies mortelles.