Cet article sur Habacuc 2.5-20 a pour sujet la puissance trompeuse des méchants; leur succès est de courte durée, avant la ruine certaine du jugement qui s'abattra sur eux et qui nous pousse à faire silence devant Dieu.

Source: Le juste vivra par la foi - Méditations sur le livre d'Habacuc. 6 pages.

Habacuc 2 - Silence devant le Seigneur Dieu

« Certes, le vin est traître : L’homme hautain ne reste pas tranquille. Il élargit sa gorge comme le séjour des morts. Comme la mort, il est insatiable. Il attire à lui toutes les nations, il assemble auprès de lui tous les peuples. Tous ceux-là ne vont-ils pas faire de lui une fable, un sujet de moqueries et d’énigmes? On dira : Malheur à celui qui accumule ce qui n’est pas à lui — Jusques à quand? — Et qui augmente le fardeau de ses dettes! Tes créanciers ne vont-ils pas soudain se lever? Ceux qui te secoueront ne vont-ils pas s’éveiller? Tu deviendras leur butin! Parce que tu as pillé beaucoup de nations, tout le reste des peuples te pillera, à cause du sang humain, à cause de la violence faite au pays, à la ville et à tous les habitants. Malheur à celui qui, pour sa maison, se taille un profit malhonnête afin de faire son nid sur les sommets, pour se préserver de l’atteinte du malheur. C’est la honte de ta maison que tu as décidée : En abattant de nombreux peuples, tu as manqué ta vie. Car la pierre crie de la muraille, et la poutre lui répond de la charpente : Malheur à celui qui construit une ville dans le sang, qui fonde une cité dans le crime! N’est-ce pas de l’Éternel des armées que vient ceci : Les peuples se fatiguent pour le feu, les foules peinent pour du vide? Car la terre sera remplie de la connaissance de la gloire de l’Éternel comme les eaux recouvrent le fond de la mer. Malheur à celui qui fait boire son prochain, à toi qui verses ton poison et qui l’enivres afin de voir sa nudité! Tu t’es rassasié de honte plutôt que de gloire; bois aussi toi-même et mets-toi à nu! La coupe de la droite de l’Éternel retournera vers toi : Honte sur ta gloire! Car la violence faite au Liban t’étouffera, et ce que tes troupeaux auront pillé les brisera de terreur, à cause du sang humain, à cause de la violence faite au pays, à la ville et à ses habitants. À quoi sert une statue pour que l’artisan la taille, une image de métal fondu, enseignant le mensonge, pour que l’artisan qui la façonne se confie en elle au point de fabriquer de faux dieux muets? Malheur à celui qui dit au bois : Lève-toi! À la pierre silencieuse : Réveille-toi! Enseigne-t-elle? La voilà plaquée d’or et d’argent, mais en elle pas le moindre esprit. En revanche, l’Éternel est dans son temple. Que toute la terre fasse silence devant lui! »

Habacuc 2.5-20

Nous avions vu dans un précédent passage du livre d’Habacuc que l’ennemi brutal avait atteint le sommet de son pouvoir et qu’il poursuivait une marche victorieuse, sanglante et irrésistible. Il recueille succès après succès; comme un ouragan balayant les feuilles mortes en automne, il balaie à son passage peuples et pays… La puissance chaldéenne n’est pas une force ordinaire. Elle est insatiable. Le prophète compare sa bouche à la gueule du séjour des morts; fière et orgueilleuse, elle engloutit tout ce qui se trouve sur son chemin.

Pourtant, le prophète avait aussi professé sa foi en Dieu. Il était le juste vivant par la foi seule. Par la foi en Dieu qui détient tous les pouvoirs et peut retenir captifs les plus puissants des conquérants. Habacuc, en politicien averti qui regarde les réalités contingentes du point de vue de Dieu, sait à quoi aboutissent les succès fulgurants des conquérants brutaux et combien éphémères sont leurs conquêtes. Il se rend compte qu’une puissance militaire, même de cette envergure, utilisant une stratégie géopolitique aux dimensions planétaires, est en fin de compte fragile et trompeuse; un tout petit mot suffira pour la faire basculer dans la ruine.

Si l’on est prophète, oracle porteur de messages éternels, on ne peut pas croire au succès durable des mortels. Les hommes à la vue courte, comme le sont si souvent ceux des médias de masse dévoreuses d’informations, peuvent rester bouche bée devant l’exhibition d’armements modernes, conventionnels ou neutroniques, chimiques ou bactériologiques; ils peuvent s’émerveiller sottement devant la possibilité d’une guerre menée à partir « des étoiles »… Le prophète, lui, solidement ancré sur la terre du Seigneur, monté à son poste d’observation sur la tour de garde, est le seul réellement bien informé et le véritable informateur de la situation ultime; le succès, tout succès de cette nature, a un temps court : celui d’un lever du soleil aussitôt suivi par une obscurité opaque; le temps de la vie d’une herbe des champs, qui pousse vite et qui est vite desséchée sous le soleil ardent; le temps qui fait paraître le jour, mais qui aussitôt plonge toute chair dans la longue nuit sans soleil de l’oubli.

Habacuc ne connaissait pas le latin, mais s’il l’avait connu, il se serait servi sans doute de la célèbre expression « sub specie aeternitatis » (à la lumière de l’éternité, conviendrait-il de traduire cette célèbre expression), observant les faits, les montées des puissances et la ruine des superpuissances depuis l’angle de l’éternité, à sa seule lumière. En effet, ce temps est venu, et même plus tôt que ne l’espéraient les Chaldéens.

Quelques années plus tard, le petit-fils de Nébucadnetsar, Belschatsar, fut emporté au milieu de son dernier festin, alors qu’il blasphémait le nom du Tout-Puissant au milieu de ses libations profanes, buvant le vin de son ivresse dans les calices volés au temple de Jérusalem (Dan. 5). Mais cette nuit de débauche devint une nuit tragique pour le maître de Babylone, lorsque devant ses yeux embués par l’alcool apparut, gravée sur le mur, l’effrayante inscription faite par les doigts d’une main invisible. Une sentence irrévocable venait de lui annoncer sa ruine. Ce fut un autre prophète, Daniel, exilé dans la cour babylonienne, qui traduisit la sentence et la communiqua :

« Mené mené téqel et parsîn. Et voici l’explication de ces mots. Mené : Dieu a compté ton règne et y a mis fin. Téqel : tu as été pesé dans la balance et tu as été trouvé léger. Parsîn : Ton royaume sera divisé et donné aux Mèdes et aux Perses » (Dn 5.25-28).

Belschatsar était l’épigone d’une célèbre dynastie. Mais même avant la conquête par les Mèdes sous Cyrus, en 539 avant notre ère, cette dynastie s’écroulait d’elle-même. L’ambition de Nébucadnetsar était d’établir une dynastie durable, de préparer un avenir tranquille pour sa descendance.

« Sur une muraille d’un palais babylonien, on a découvert une inscription qu’il avait fait graver et qui disait qu’un des buts principaux qu’il avait cherché à atteindre, en renforçant les immenses murailles de la capitale et en embellissant sa ville, était celui d’établir une renommée éternelle à son nom. Plutôt que d’établir sa dynastie, il en a préparé la ruine » (J.-P. Berthoud).

Belschatsar cueillera le fruit mortel de l’hybris, de la démesure violente contre Dieu. Cyrus mettra fin à l’arrogante avance des Chaldéens, à leurs crimes et à leurs oppressions. Le roi babylonien, ou chaldéen, sa cour et ses courtisanes seront rappelés par la postérité comme l’effrayante démonstration que « toute chair est comme l’herbe des champs ». Mortels d’aujourd’hui, lisez l’histoire du passé peu glorieux de vos prédécesseurs! Apprenez ce qu’elle en a retenu comme leçon salutaire…

Dieu est l’Alpha et l’Oméga. Aussi, avec un psalmiste de l’Ancien Testament, il faut rappeler aux princes qui nous gouvernent, même aux plus modérés :

« Et maintenant, rois, ayez du discernement. Recevez instruction, juges de la terre! Servez l’Éternel avec crainte, soyez dans l’allégresse, en tremblant. Embrassez le Fils, de peur qu’il ne se mette en colère, et que vous ne périssiez dans votre voie » (Ps 2.10-12).

On pourrait à cet endroit paraphraser la Bible :

« Vous avez arraché l’admiration servile des peuples et forcé la prosternation des veules et des pleutres. Ils sont restés bouche bée devant votre pouvoir, les médiocres et les lâches. Sachez que votre effondrement ne saurait tarder. »

Déjà, il se fait sentir par mille détails. La Chaldée toute-puissante et fière sera bientôt un objet de raillerie parmi les peuples, et les peuples asservis se vengeront de leurs oppresseurs. (Alexandre le Grand dit-on, ayant à ses pieds tous les royaumes du monde antique était inconsolable du fait qu’il existait encore d’autres mondes inaccessibles à ses conquêtes qu’il ne pourrait jamais les conquérir).

« Les choses de petite durée ont coutume de devenir fanées quand elles ont passé leur temps. Au règne du Christ, il n’y a que le nouvel homme qui soit florissant, qui ait de la vigueur et dont il faille faire cas.1 »

Même si le prophète ne sera pas le témoin oculaire de la ruine de l’ennemi, cela a peu d’importance. L’essentiel n’est pas qu’il trouve, lui, une satisfaction personnelle, mais que l’apparition et le déclin des empires, pour reprendre le titre d’un célèbre ouvrage d’un historien moderne, sont inexorables. Et déjà, de longs siècles avant l’auteur de cet ouvrage, un croyant de l’Ancien Testament déclarait : « Encore un peu de temps : plus de méchant! Tu examines le lieu où il était : plus personne! » (Ps 37.10).

Dieu est juste et sévère dans sa rétribution. Où fuirait-on loin de sa face? Si l’on monte aux cieux, il y est; si l’on descend aux séjours des morts, le voici encore… Aucun crime ne restera impuni, et il n’y aura nulle part où se cacher pour échapper au jugement.

D’où les retentissants quintuples malheurs prononcés sur le Chaldéen. Et par extension sur tous leurs épigones, anciens ou modernes. Malheur à…; malheur à…; malheur à…; malheur à… Quel frisson devrait traverser les fibres morales de l’humanité! Il devrait bouleverser, éveiller des consciences avilies.

J’entends les reproches contre cet Ancien Testament et ces anciens prophètes, qui furent des prophètes de malheur. Ne vivons-nous pas sous le signe de la grâce? Dieu n’est-il pas le Dieu d’amour? N’est-ce pas choquant d’entendre ces malédictions qui convenaient peut-être à un autre âge, à une ère à jamais révolue? Car nous, nous apprécions avant tout les propos apaisants! Je vous concède que ce sont là des paroles terrifiantes; pourtant, elles aussi font partie de l’Évangile de salut et de la révélation de la grâce. Nous ne comprendrions absolument rien à Jésus-Christ si nous n’entendions aussi les sentences implacables contre le mal. Ce sont les crimes odieux et les comportements ignobles des humains, anciens ou modernes, qui ont dressé la croix du Christ. C’est parce que Dieu demande aux humains de rendre compte de leur méchanceté qu’il a fait subir par le Fils unique le châtiment du mal dont tous, sans exception, sommes les auteurs inexcusables.

Dieu demandera des comptes à l’homme pour la souffrance qu’il fait subir à son prochain, mais également à la terre du Seigneur. Il demandera aussi des comptes pour tout le mal qu’il a infligé à l’animal, son compagnon, lui aussi créature de Dieu et dont la responsabilité lui avait été confiée. Toutes ces victimes crient à Dieu et réclament justice : les bêtes de la création, exterminées trop souvent sans autre raison qu’un gain rapace; la terre saccagée et les forêts dévastées; les océans pollués et l’atmosphère lourde de pluies acides…

Notre civilisation qui fait de sa technique et de ses énergies son dieu, qui tient si peu compte du Dieu vivant et saint, sera noyée elle aussi à son tour dans la honte. C’est elle-même qui met au service de sa ruine ses projets grandioses. Si elle méprise les lois divines, elle tombera dans la fosse qu’elle a creusée de ses propres mains. Qu’elle ne s’en étonne pas! Si les iniques parmi nous agissent comme si Dieu n’était pas; si des sots aveugles et malfaisants n’y voient pas au-delà de leur nez et ne savent, ou plutôt ne veulent pas savoir, que Dieu est présent et actif, qu’on ne s’étonne pas de voir s’abattre sur le monde, sous une forme ou une autre, le châtiment que mérite son iniquité. Il ne faut pas être grand clerc pour savoir que ces châtiments-là sont infligés à cause du mal sans frein et sans mesure que nous commettons tous les jours et de plusieurs manières, quoique, « imbéciles heureux » nous continuons de plus belle, comme si de rien n’était… Écoutons là-dessus Georges Bernanos :

« L’homme libre — c’est-à-dire l’homme chrétien, l’homme libre en Christ — n’a qu’un ennemi, c’est l’état païen, de quelque nom qu’on le nomme, qu’il s’affirme dans un tyran ou qu’il se dissimule au plus épais de la foule jouisseuse et lâche. Contre sa puissance matérielle, nous ne pouvons rien : il dispose déjà de notre travail et de nos vies… Mais du moins, nous pouvons refuser de plier le genou et de sacrifier aux dieux de la cité, comme l’ont fait nos pères d’il y a deux mille ans.2 »

Le prophète qui annonce le jugement est également celui qui proclame la délivrance. En cela il est précurseur du livre de l’Apocalypse qui entrevoit le renouvellement de l’univers tout entier, lorsque le pécheur rebelle, l’assassin brutal et l’exploiteur sans cœur céderont définitivement le pas au Dieu Créateur et Recréateur, Libérateur et Défenseur des droits de toutes ses créatures. Alors le prophète, déjà avant les apôtres, promet que la terre sera remplie de sa gloire et de sa connaissance, comme les eaux remplissent le fond des mers.

Heureux donc celui qui craint l’Éternel, écrivait le psalmiste (Ps 128.1-6).

Mais le péché suprême des Chaldéens n’est pas avant tout leur violence et les exactions commises sur le plan horizontal : c’est l’absurdité de leur idolâtrie. À la veille du désastre, toutes les idoles de la Chaldée ne lui ont servi à rien. L’immense statue que Nébucadnetsar avait fait élever dans la plaine de Schinéar, en tombant, allait pulvériser et détruire avec elle ses stupides adorateurs.

« À quoi peut profiter une image taillée faite de la main d’un ouvrier? C’est-à-dire, puisque l’origine et le commencement de cette sculpture part de la main et de l’artifice d’un ouvrier, à quoi peut-elle profiter? […] Puis donc qu’ainsi est sa nature n’est point muée ni changée par l’artifice, ou l’esprit de l’homme, par cela nous voyons-nous quelle folie et brutalité il y a en tous ceux qui mettent leur fiance aux images taillées. […] Les hommes s’abreuvent eux-mêmes de mensonge, tellement qu’ils n’osent pas juger librement de ce qu’ils voient. Car d’où vient cela que communément on nommera Dieu un morceau de bois ou de pierre? Si quelqu’un eut interrogé ces sages d’Athènes, ou de Rome, ou des autres villes qui estimaient toutes les autres nations barbares : Qu’est-ce là? Voyant Jupiter, ou d’argent, ou de bois, ou de pierre, c’est Jupiter, c’est Dieu; et comment cela? C’est néanmoins une pierre, c’est un lopin de bois ou d’argent : quoi qu’il en soit, ils eussent affirmé que c’était Dieu? Et d’où procède une telle forcénerie? Assavoir d’autant que les hommes sont ensorcelés, de sorte que voyant ils ne voient goute. […] Comment ne faut-il pas bien dire que telles gens sont privés de sens et de raison, qui mettent leur confiance en choses mortes? […] Les hommes sont par trop insensés, voire qu’il y a en eux une stupidité trop énorme, quand ils attribuent quelque divinité ou au bois, ou à la pierre, ou au métal.3 »

Contre l’idole impuissante et muette, le prophète exhorte qu’on fasse silence devant Dieu, qui est au-dessus de tous. Celui qui tout à l’heure implorait à grands cris « Jusques à quand, Seigneur? » observe à présent le silence devant la majesté divine. Car il est monté à son poste et il a observé. Que la terre observe le silence, parce que le Seigneur Dieu tient entre ses mains les barres du cosmos. Qu’on arrête tout bavardage impie en sa présence; que dans les sanctuaires chrétiens ne résonnent plus des cacophonies irresponsables sous prétexte de louange. Dieu au-dessus des tumultes, dans son temple, nous offre une occasion inespérée de tranquillité. Le silence qu’il propose est la grâce inouïe de l’entendre, lui; tout d’abord pour l’adorer, certes, mais aussi afin que dans le calme et la confiance nous méditions sur nous-mêmes, régénérés par sa Parole et illuminés par son Esprit de vérité.

Notes

1. Calvin, cité par Berthoud, p. 40.

2. Georges Bernanos, Lettres aux Anglais, p. 242-243; cité par J.-P. Berthoud

3. Jean Calvin, Commentaire sur le livre d’Habacuc.