Cet article a pour sujet la grande différence entre le christianisme, qui annonce la rédemption et la grâce de restauration par Jésus-Christ, et toutes les autres religions, incluant le libéralisme protestant, qui mettent leur confiance dans l'homme.

Source: Le salut et la conversion. 4 pages.

Jésus nous régénère (1)

Cur Deus Homo? Pourquoi Dieu s’est-il incarné?, s’interrogeait saint Anselme, le grand théologien du Moyen Âge. La réponse évidente est : pour la rédemption du genre humain. Jésus-Christ est venu chercher et sauver le pécheur; nous affranchir non seulement des conséquences de la faute, mais encore, ce qui est primordial à cette œuvre de rédemption, nous libérer du pouvoir et de la domination du péché, afin de nous restaurer dans son Royaume de paix, de justice et de sainteté. Cela implique que son objectif n’aurait pas été atteint à moins que ceux qu’il destine à ce salut, des membres de la race humaine déchue, puissent être façonnés d’après le modèle original et se retrouvent selon l’archétype de l’humanité qu’est Jésus-Christ en personne.

Si nous avons compris ce point essentiel de la révélation biblique, alors nous serons aussi en mesure de saisir la différence radicale qui sépare notre foi chrétienne des autres religions de l’humanité, fussent-elles ces religions qu’on appelle supérieures ou spirituelles…

Statistiquement parlant, on peut dénombrer une grande variété et diversité de religions. Toutefois, si nous nous plaçons du point de vue de l’objectif atteint par le Christ, il n’existe en définitive que deux types de religion. La première cherche et s’imagine trouver le salut à travers les efforts de l’homme. À ses yeux, l’homme devient l’architecte de son propre salut et de sa destinée, aussi bien terrestre qu’éternelle. L’autre religion déclare que le salut se trouve en dehors de l’homme et au-dessus de lui, qu’il dépend d’une puissance qui le transcende; pour le dire autrement, il n’existe pas de « self-made-man », un homme qui forgerait lui-même sa personnalité religieuse ou spirituelle. L’exemple le plus clair de ce type de religion nous est offert par saint Paul, qui dans l’un de ses textes déclare : « Par la grâce de Dieu je suis ce que je suis » (1 Co 15.10).

Le contraste entre ces deux types de religion n’est ni d’apparence ni superficiel, mais fondamental; l’une est anthropocentrique, l’autre théocentrique, et l’abîme qui les sépare est infranchissable. La première est une philosophie moraliste, peut-être très élevée, mais irréaliste, tout en se voulant morale, volontariste et respectueuse des capacités humaines. Elle abondera en conseils sages et en admonestations positives; elle fera appel aux bons sentiments et tentera de créer des intentions positives chez son adepte. Hélas!, elle ignore où se trouve exactement la seule source capable de faire couler les puissants courants pouvant balayer tout obstacle, l’origine de la seule révélation vraie donnée aux hommes.

L’autre type de religion, celle que nous appelons théocentrique — elle aussi riche en spiritualité et en sagesse — a comme marque distinctive, non pas la confiance dans le pouvoir humain, mais en une grâce restauratrice et réformatrice, grâce qui — faut-il le souligner — descend d’en haut, de la source de toute vie, de toute bonté, de toute puissance. À ses yeux, seul un Rédempteur tout-puissant et un Seigneur vivant peut transformer la nature humaine et orienter le cours de son existence.

Est-il besoin de démontrer à quel type de religion appartient la foi chrétienne? Qu’il soit seulement précisé qu’elle fait partie d’une catégorie unique, exceptionnelle, de religion. Même à l’intérieur des religions qui se réclameront, à tort à notre avis, du théocentrisme, la révélation chrétienne, selon l’Ancien et le Nouveau Testament, est une exception.

C’est à ce titre de religion révélée exceptionnelle qu’elle proclame, propose et offre la rédemption divine. Parce qu’elle reconnaît un autre comme Seigneur et Sauveur, la foi biblique chrétienne se présente comme le type même de la religion théocentrique. C’est à ce même titre encore qu’elle est capable de susciter en l’homme, objet de la grâce, une nouvelle conscience transformée et mettre en branle des forces nouvelles en vue d’une action rénovatrice.

Sans doute, les interprétations de la foi chrétienne ont été, au cours des siècles, nombreuses et variées, et parfois, hélas!, contradictoires. Ici même, je signalerai, non tant les divergences entre Églises et confessions, mais un certain courant théologique qui traverse, aussi étonnant que cela puisse paraître, différentes Églises.

Le courant théologique auquel je songe est appelé libéral dans le protestantisme; c’est une branche du christianisme qui cherche à gommer, à oblitérer la différence fondamentale, essentielle et vitale entre la religion évangélique et les autres religions; ce faisant, ce courant réduit le Jésus des Évangiles et le Christ de notre foi universelle aux dimensions d’une grande figure religieuse, pionnier de l’universalité religieuse, messager d’une paternité divine s’étendant indistinctement à tous les hommes, apôtre de la fraternité humaine, et peut-être même — temps modernes obligent — premier révolutionnaire prônant l’égalité absolue entre tous les êtres!

Nonobstant ces déclarations généreuses, le Christ authentique comme le christianisme originel sont, l’un comme l’autre, ceux que l’Église apostolique avait saisis et proclamés; l’Église des premiers siècles, celle qui a formulé nos grandes doctrines, les a fidèlement recueillies de la tradition primitive et, à son tour, les a transmises aux générations futures. Aussi pouvons-nous déclarer avec certitude que le Jésus des courants libéraux est totalement étranger au Christ de notre foi; il n’est certainement pas le Sauveur divin que nous adorons, et le salut que nous devons obtenir n’est pas le fruit de sa grande œuvre, mais plus simplement une idée généreuse, mais chimérique, issue de la pensée humaine tragiquement insuffisante…

Ce courant théologique, cette interprétation libérale du protestantisme, ne nous offre point de Sauveur capable de compatir à nos misères, point de Seigneur réellement ressuscité du tombeau, aucune autorité remise entre ses mains, nul Paraclet qui soit notre Défenseur, donc pas de Saint-Esprit… Une telle théologie, avec ses variantes et ses multiples colorations, veut donner les traits d’un personnage historique nommé Jésus comme modèle et inspirateur d’une morale élevée, exemple de celui qui non seulement proclame de grands idéaux, mais qui est encore capable de sacrifier sa personne pour les réaliser. Pourtant, force nous est de constater qu’un tel Christ serait simplement un Jésus qui, en présence d’un paralysé, même plein de bonnes et généreuses intentions à son égard, lui tiendrait un discours du genre : Mon enfant, ne vois-tu pas que si tu m’imitais tu ferais à ton tour de grands bonds, tu sautillerais gaiement au lieu de rester accroupi sur ta civière de misère? Que serait-il advenu aux nombreux paralysés, aveugles, malades, à ceux possédés du démon, à tous ceux et celles dont l’Évangile nous retrace la guérison miraculeuse, si le Christ Sauveur ne les avait pas effectivement arrachés à leur tragique situation; s’il ne s’était contenté que de leur prêcher une morale spirituelle et l’exemple d’un modèle émouvant…

Où en serions-nous nous-mêmes s’il n’avait pas baissé des yeux de compassion sur notre mal, étendu son bras de secours, descendu dans notre propre abîme existentiel pour nous arracher à notre incurable maladie? Et nous savons à quel prix il a effectué ce salut qui est plus qu’un sauvetage, cette rédemption qui est plus qu’une émancipation… S’il n’avait pas fait don de sa divine personne, où en serions-nous actuellement? Sans espérance et sans Dieu dans le monde! Non, mille fois non, nous ne voulons pas d’un Christ peut-être merveilleux et idéalisé, mais dont le cadavre serait toujours gisant quelque part dans une tombe palestinienne anonyme… Nous voulons, au contraire, du Christ selon les Évangiles, celui de la prédication apostolique, le Christ du dogme de l’Église, de Nicée et de Chalcédoine, le Christ de la tradition universelle, le Christ des saints et des martyrs.

Pas plus qu’un Christ modèle, un Christ simple prophète ne nous serait guère plus secourable. En matière de prophètes — qu’il s’agisse de « nabi » selon l’original hébreu, ou de « prophètès » selon la version grecque — et surtout de gourous, de swamis et autres marabouts, l’humanité en regorge; à tel point que, paraphrasant une célèbre parole de Jean Calvin, nous pouvons affirmer que l’esprit de l’homme est une boutique pour forger des prophètes de cette espèce, et ce depuis toujours! Le Christ qu’il nous faut n’est pas celui de la morale ni celui d’oracles exaltés, mais le Fils de Dieu, l’Agneau sans tache qui, pour nous hommes et pour notre salut, a effectué l’expiation des péchés.

Je comprends fort bien que, pour l’esprit humain, arrogant et autosuffisant, une telle idée d’expiation soit inadmissible, si ce n’est inconcevable. Mais si le Christ n’est pas cette victime expiatoire, le Substitut et le Médiateur, le Prêtre qui est simultanément le Sacrifice, il n’a pas grand-chose à apporter à l’humanité malheureuse, égarée et dévoyée dont nous faisons tous partie sans exception. Mais grâces soient rendues à Dieu, il l’est! Telle est, mon ami, la Bonne Nouvelle qui depuis vingt siècles a retenti pour réjouir des myriades de cœurs, pour arracher à leur perdition des hommes et des femmes autrement voués à une éternelle perdition.

Désormais, et il n’est jamais trop tard pour personne, nous verrons en lui, non quelqu’un qui dispense des conseils de sagesse, un maître-rabbi qui luit par l’originalité de son enseignement ou le philanthrope qui nous émeut par son admirable générosité, mais l’Agneau de Dieu qui ôte les péchés du monde; celui qui, après avoir effectué l’œuvre principale, c’est-à-dire nous avoir arrachés à la mort spirituelle et transportés au Royaume de son admirable lumière, nous inculque également ses vérités éternelles.

Et voici le second volet de notre religion théocentrique : Savoir que le Christ, qui a vécu une existence sans péché, dont nul n’a pu mettre en doute la pureté, en qui ne s’est trouvé rien de blâmable et qui fut au-dessus de tout soupçon, est celui qui veut et peut nous élever jusqu’à sa propre hauteur. De sorte que, lorsqu’il apparaîtra de nouveau pour prendre avec lui les siens, il les transportera définitivement dans son Royaume éternel, il les présentera à leur tour sans blâme et sans reproche, comme lui est sans reproche, sans ride ni tache, purs et propres, saints et glorifiés.

Telle est la mission rédemptrice de notre Christ. Nous ne l’échangerons pas contre les portraits chimériques qu’en font les théologies-fictions produites par des alchimistes qui rejettent l’or pur de l’Évangile pour n’en tirer que des gadgets en matière plastique… Nous voulons nous en tenir au Christ qui nous sauve et nous restitue l’image d’après laquelle nous avions originellement été conçus. Et seulement lorsqu’au préalable il aura été notre divin Sauveur, il deviendra aussi notre modèle céleste. Il régénérera notre personne tout entière. Il effectuera en nous la transformation radicale qu’il nous faut et détruira la nature soumise à la vanité pour en créer une autre, destinée à la béatitude éternelle. De cet arbre nouveau, l’on cueillera de bons fruits; il donnera ses moissons en saison et hors saison; il verdira sans cesse, été comme hiver; il fleurira pour la gloire même de notre Dieu et Sauveur.