Cet article a pour sujet la liberté d'aimer Dieu, notre prochain, notre mari ou notre épouse d'un amour fidèle et indéfectible par la grâce de celui qui nous a aimés le premier.

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Libres d'aimer

Sommes-nous libres d’aimer? Devant cette question vitale, plusieurs répondront avec assurance : « Oui, bien sûr, je suis libre d’aimer, libre d’aimer qui je veux et de la manière que je veux, selon mes préférences et selon les affinités qui nous unissent l’un à l’autre, les uns aux autres; et surtout, je suis libre d’aimer parce que je suis libre de cesser d’aimer, lorsque les circonstances deviennent défavorables, si l’autre semble devenir une entrave à mon épanouissement, à partir du jour où je n’éprouve plus les mêmes sentiments qu’autrefois à son égard, ou lorsque l’autre devient une menace à mon bonheur et que sa simple présence me remet en question. Je suis libre d’aimer, car en tout temps je peux cesser d’aimer et me tourner vers d’autres, vers un autre ou une autre. »

D’autres hésiteront avant de répondre, et surtout avant de s’engager, ne sachant plus ce qu’est le véritable amour ni la vraie liberté, puisque tant de gâchis nous en ont fait perdre la beauté et la profondeur : « Je préfère garder ma liberté et ne pas m’aventurer à aimer, de peur d’ouvrir de vieilles blessures ou d’en créer de nouvelles. Ne suis-je pas libre de ne pas aimer et de rester à l’écart? »

Dans un cas comme dans l’autre, des mots comme engagement, promesse, fidélité, loyauté, fiabilité, service, don de soi, pardon, aveu de ses torts, souffrance, contentement, patience, persévérance, courage, vérité, honneur — et j’en passe — n’ont plus grande signification et ont cessé d’éclairer l’image que nous nous faisons de l’amour, devenu trop égoïste.

Il semble que nous ne pouvons plus nous attendre à ce qu’un homme et une femme prennent au sérieux les vœux qu’ils prononcent le jour de leur mariage (lorsqu’il y a encore mariage!). Ces vœux sont l’engagement solennel devant Dieu de s’aimer et de demeurer unis dans les bons et dans les mauvais jours, dans la richesse et dans la pauvreté, dans la santé et dans la maladie, « jusqu’à ce que la mort nous sépare ». Ces promesses ont pourtant été échangées dans la meilleure des dispositions, en toute liberté, mais de nouvelles circonstances et des faits nouveaux (les mauvais jours qui étaient bel et bien prévus au programme) accorderaient aux époux la liberté nouvelle de « changer d’option ». Nous voulons bien du meilleur, mais lorsque vient le pire, et même avant, cela ne paraît pas pouvoir entrer dans les considérations de l’amour…

La même réalité n’existe-t-elle pas aussi dans nos rapports avec nos frères et sœurs dans la foi? C’est avec beaucoup de peine et d’hésitation que nous parvenons tout d’abord à confesser publiquement notre foi et à nous engager comme membres actifs à l’intérieur de la communauté chrétienne. Et une fois ce grand pas accompli, la loyauté, la ténacité, la consécration entière de nos personnes restent des qualités rares dans l’Église moderne, qui finit par se prêter au jeu de la société de consommation : pour attirer ses clients, au lieu de simplement et fidèlement annoncer l’Évangile, elle se met à offrir ses divers « services »; le culte d’adoration, par exemple dans certaines Églises, risque ainsi de ressembler davantage à un spectacle, une représentation théâtrale, plutôt qu’à une véritable rencontre entre Dieu et son peuple. Si les produits offerts ne sont pas assez attrayants, si la qualité de la marchandise ne rencontre pas les normes, la tentation surgit de se dire que « personne ne pourra m’obliger à rester attaché à une Église qui ne fait plus mon affaire ». Et même lorsque notre service chrétien aura été longuement éprouvé, que reste-t-il de ces nombreuses années d’engagement fidèle si je ne suis plus capable de tolérer à mes côtés la présence de l’un de mes frères ou de « voir la face » de l’une de mes sœurs qui, le dimanche, vient aussi prier notre même Dieu et s’avancer à la même table du Seigneur?

Rupture, abandon, délaissement, envie, indifférence, mais aussi déchirements, infidélité, haine, larmes, solitude, incompréhension deviennent trop souvent les principales caractéristiques, sinon les principaux résultats de cette fameuse « liberté d’aimer ». Pourquoi alors ne pas laisser tomber notre orgueil et reconnaître l’esclavage de notre péché dans lequel nous sommes empêtrés et qui nous empêche d’aimer réellement, fidèlement, sincèrement?

Cette problématique de la liberté dans l’amour frappe de plein fouet le chrétien qui reçoit de son Dieu cette parole de vie et de liberté : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta pensée et de toute ta force » (Mc 12.30), et encore : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés » (Jn 13.34), et aussi : « Que l’homme ne sépare pas ce que Dieu a uni » (Mt 19.6). Il semble de prime abord que, de liberté, nous n’en ayons guère, car cette parole nous est imposée « d’en haut »; elle ne nous est pas présentée comme une suggestion, une façon de vivre parmi d’autres, un choix démocratique, encore moins une option temporaire, échangeable au besoin. Cette parole vient à nous sous forme de commandement, de la part du Tout-Puissant qui réclame en premier lieu pour lui-même, mais aussi pour ses créatures faites à son image, un amour entier et indéfectible.

Mais la liberté fait-elle réellement défaut? Tout d’abord, la liberté de Dieu même brille ici de son plus bel éclat. C’est lui qui, librement, a pris l’initiative de l’amour. C’est lui qui, dans sa liberté souveraine, nous a créés, hommes et femmes, en vue de partager ensemble et sous son regard une même destinée dans sa création. Il est notre Créateur, l’Auteur de la vie, le Concepteur du mariage, ainsi que le grand Rédempteur de son Église. Et c’est ainsi qu’il se présente à nous avant de nous transmettre sa loi. « Je t’ai créé, je t’ai sorti d’Égypte, je suis mort pour toi afin de te racheter du péché, je t’ai aimé le premier, alors voici quelles sont tes obligations… » Le mariage n’appartient ni à l’homme ni à la femme, la vie non plus, pas plus que la terre sur laquelle nous marchons, ni encore l’Église que Jésus-Christ s’affaire à bâtir et de laquelle il nous a gracieusement faits membres. Nous ne sommes que gérants des bienfaits qu’il nous accorde et nous aurons à répondre devant lui de notre gérance, alors pourquoi se croire les propriétaires qui peuvent agir à leur guise?

Mais dans la réponse d’amour que nous sommes appelés à donner à notre Dieu et à notre prochain, la liberté divine n’est pourtant pas seule en cause. Son amour même brise les chaînes de notre péché et vient nous apporter la liberté tant souhaitée, mais tant mécomprise. Sa loi d’amour, par son Esprit Saint, pénètre en nos cœurs afin d’y enlever la pierre et d’y mettre la chair, afin qu’à notre tour nous aimions aussi d’un amour authentique, plus fort que la mort.

La question vitale sera donc non pas : Sommes-nous libres d’aimer? mais bien : Sommes-nous libres d’aimer jusqu’au bout? Demeurerons-nous fidèles à nos promesses? Aimerons-nous notre mari ou notre femme même et surtout dans les mauvais jours? Honorerons-nous nos sœurs et nos frères chrétiens d’un amour sensible, d’un engagement serviable et d’une loyauté à toute épreuve? Leur offrirons-nous le même accueil au lendemain d’une défaillance de leur part et même d’un échec lamentable à aimer? Aurons-nous pour nous-mêmes cette humilité de reconnaître nos échecs, gardant l’espérance d’un monde meilleur dans son Royaume? Serons-nous disposés à recevoir chez nous l’étranger et même à bénir nos ennemis et à prier pour eux? Et par-dessus tout, garderons-nous sur notre bouche et dans notre cœur les commandements du Seigneur, jusqu’à la mort? Car le véritable amour est celui qui dure et qui persévère, qui endure et se renouvelle, qui résiste à l’usure du temps et à l’érosion de l’adversité. Cet amour est, en somme, celui qui est allé jusqu’à la croix, pour ensuite rejaillir de la force nouvelle de la résurrection qui nous est communiquée par sa Parole et par son Esprit Saint agissant dans nos cœurs.

Lorsque nous voyons fléchir notre liberté d’aimer, n’oublions pas de le confesser à notre Dieu et de lui demander sa force d’aimer. Car même si nous lui sommes infidèles, lui reste fidèle à nous pardonner, à nous aimer jusqu’au bout et à renouveler sans cesse notre liberté d’aimer comme lui nous a aimés.

Lectures bibliques proposées pour prolonger la réflexion :

Ex 20.1-17; Lv 19.9-18; Dt 10.12-22; Dt 11.1-9; Jos 24.1-24; És 54.1-8; Os 2.4-25; Mt 19.1-9; Jn 8.31-36; Jn 13.34-35; Rm 6.1-23; Rm 8.1-13; Rm 12.9-21; Ga 5.1,13-26; Ép 5.21-33; Col 3.1-14; 2 Tm 2.11-13; 1 Jn 1.8-9; 1 Jn 2.9-17; 1 Jn 3.11-18; 1 Jn 4.7-21; Hé 10.19-25; Ap 2.8-11.