Cet article a pour sujet la culture de la pornographie qui incite les garçons et les hommes à pratiquer l'étranglement des filles avec qui ils ont des rapports sexuels.

4 pages. Traduit par Paulin Bédard

La culture pornographique prend nos filles à la gorge

La consommation de pornographie est devenue la norme dans toutes les démocraties occidentales, et la violence sexuelle fait désormais partie de la routine des rencontres et des fréquentations au 21e siècle. Je parle et j’écris sur ce sujet depuis plus de dix ans, et les histoires que me racontent les étudiants me font franchement froid dans le dos. De nombreux comportements normalisés sont moins des violences sexuelles que des violences sexualisées, en ce sens que les jeunes sont de plus en plus excités par le simple fait d’infliger de la douleur ou de la peur à leur partenaire. La strangulation ou l’étouffement est un exemple de comportement pornographique devenu omniprésent presque du jour au lendemain. Lorsque j’ai commencé à parler de pornographie aux étudiants il y a plus de dix ans, ce comportement était pratiquement inconnu. Ce n’est plus le cas aujourd’hui.

Un article du Times du 12 octobre 2024, intitulé « Les garçons trouvent excitant, sexuellement, d’étrangler les femmes, avertissent les associations caritatives1 », nous adresse la plus récente missive au sujet de notre culture du viol en pleine métastase. Selon le Times, les conseillers de Beira’s Place, l’association caritative de J.K. Rowling à Édimbourg, rapportent que « la violence sexuelle s’est normalisée, avec un nombre croissant de jeunes femmes qui consultent après qu’un partenaire les a étranglées sans qu’elles le veuillent au cours d’un rapport sexuel ». Selon les conseillers, « la strangulation et “l’asphyxie érotique(“breath play”) sont devenues tellement omniprésentes dans la pornographie en ligne que les adolescents ont cru qu’ils devaient accomplir et apprécier cet acte sexuel de routine », y compris certains d’entre eux dès l’âge de 16 ans.

« On dirait bien que cette pratique est en train de se normaliser », a déclaré Isabelle Kerr, directrice générale de l’organisation caritative, qui travaille avec des victimes d’abus depuis des dizaines d’années.

« Non seulement les jeunes hommes pensent qu’ils devraient le faire, mais les jeunes femmes s’attendent à ce qu’on le fasse, même si elles n’en ont pas nécessairement envie ou ne l’aiment pas du tout. Pour beaucoup d’entre elles, c’est effrayant. »

Elle note que les vidéos de femmes étranglées et asphyxiées abondent sur les sites pornographiques gratuits et, de plus en plus, sur les médias sociaux tels que X et TikTok. Mme Kerr a déclaré :

« Les jeunes hommes regardent cela. Ils considèrent cela comme acceptable. […] Et bien sûr, l’étape suivante consiste à prendre plaisir à le faire. »

Le Times a relaté l’histoire tragique d’Emily Drouet, qui s’est suicidée à l’âge de 18 ans après avoir été maltraitée et étranglée par son ex-petit ami. Lorsque sa mère s’est déclarée choquée par la souffrance endurée par sa fille, l’une des amies d’Emily lui a dit : « Tu sais, Fiona, agir ainsi est en fait plus courant que de s’abstenir. » Malgré le danger extrême que représente l’étranglement, qui entrave la circulation de l’oxygène jusqu’au cerveau, la BBC Radio 5 Live a découvert en 2019 qu’« un tiers des femmes britanniques de moins de 30 ans avaient été giflées, étranglées, bâillonnées ou qu’on leur avait craché dessus pendant des rapports sexuels consensuels », et Kerr a déclaré que ces comportements n’ont fait qu’augmenter depuis.

En fait, cette tendance inspirée de la pornographie a augmenté depuis un certain temps. En 2019, un rapport publié dans The Atlantic a mis en garde contre une forte augmentation de la pratique de l’étranglement pendant les actes sexuels, 24 % des femmes américaines déclarant avoir ressenti de la peur pendant l’intimité en conséquence2. Une enquête de suivi publiée par The Insider en 2021 a brossé un tableau encore plus sombre, indiquant qu’une étudiante sur trois âgée de 18 à 24 ans dans une grande université américaine a déclaré que son partenaire l’a étranglée la dernière fois qu’elle a eu un rapport sexuel3. 58 % des étudiantes ont déclaré qu’un partenaire les avait étouffées, et près de 65 % d’entre elles ont indiqué que cela s’était produit lors de leur premier rapport sexuel ou de leur premier baiser.

Selon l’étude, la pratique se répand tellement chez la génération Z que la plupart n’en parlent même pas. Une autre étude publiée en juillet 2022 va dans le même sens. Voici les observations des auteurs de l’étude :

« Parmi les adultes américains, l’étouffement sexuel constitue désormais un élément fréquent et normal des rapports sexuels consensuels, une femme sur trois ayant subi cet acte lors de son dernier rapport sexuel.4 »

L’étude poursuit en observant ceci :

« Compte tenu de sa prévalence et de sa fréquence, l’étouffement sexuel constitue peut-être la forme la plus courante d’étouffement/de strangulation aux États-Unis, et il touche les femmes de manière disproportionnée. »

Puis, l’étude conclut en disant que « l’étouffement sexuel est désormais répandu ».

La situation ne s’améliore pas au Canada. Un article publié en 2019 dans le Toronto Star par Lyndsay Nyawira5 présentait des interviews de plusieurs femmes qui racontaient leur expérience. Une femme d’une trentaine d’années, s’exprimant sous un pseudonyme, raconte qu’elle s’est évanouie après que son partenaire lui a demandé la permission de l’étrangler. Lorsqu’elle est revenue à elle, l’homme s’est excusé. « Je suis désolé de m’être emporté », s’est-il excusé, « quand je t’ai vue souffrir, ça m’a vraiment excité ». Un réalisateur de films pornographiques a déclaré au Star que « les scènes de strangulation et d’étouffement dominent désormais l’industrie pornographique » et que cela produit un effet réel sur les relations et les interactions sexuelles dans la société en général.

Dame Rachel de Souza, commissaire à l’enfance en Angleterre, a mis en garde contre l’augmentation des cas de strangulation chez les enfants. « Je n’oublierai jamais la jeune fille qui m’a raconté son premier baiser avec son petit ami, âgé de 12 ans, qui l’a étranglée », a déclaré Mme de Souza. « Il avait vu cela dans la pornographie et pensait que c’était normal.6 » Il n’avait pas tort. Un récent rapport britannique indique que près de la moitié des filles âgées de 16 à 21 ans ont vécu une relation où leur partenaire s’attendait à ce que les rapports sexuels impliquent des agressions physiques telles que des gifles et des étranglements7. Comme l’a rapporté la BBC :

« Parmi les femmes qui ont subi l’un de ces actes, désirés ou non, 20 % ont déclaré que cela les avait bouleversées ou effrayées. Anna, 23 ans, dit avoir subi à trois reprises des actes de violence non désirés lors de rapports sexuels consensuels, avec des hommes différents. Pour elle, cela a commencé par des cheveux tirés et des gifles. Puis l’homme a essayé de mettre ses mains autour de son cou.
Elle a dit : “Je me suis sentie extrêmement mal à l’aise et intimidée. Si quelqu’un vous giflait ou vous étranglait dans la rue, cela constituerait une agression.” Ce n’est que lorsqu’Anna en a parlé à ses amis qu’elle a réalisé à quel point ce phénomène se produisait souvent. “À partir de ce moment-là, presque tous les hommes essayaient au moins une, voire plusieurs combinaisons de ces actes.” À une autre occasion, elle raconta qu’un homme l’avait étranglée au cours d’un rapport sexuel, et cela, sans consentement ni avertissement.8 »

Comme l’a récemment déclaré une conseillère au Times : « Nous avons permis aux pornographes et à l’industrie pornographique d’écrire ces scénarios sexuels pour nous. » Elle a raison. Au cours de la dernière décennie, les militants anti-pornographie ont essentiellement gagné l’argument public selon lequel la pornographie empoisonne notre société9. Les législateurs des deux côtés de l’Atlantique s’accordent à dire qu’on doit agir à ce sujet, même si leurs opinions divergent sur la forme que cela pourrait prendre. La réalité, cependant, est que rien ne changera si nous n’envisageons pas des mesures audacieuses. Après avoir examiné la pornographie grand public, une commission française nommée par le gouvernement a préconisé de poursuivre les pornographes10. Le temps est venu de commencer à discuter de la manière dont nous pouvons interdire la pornographie.

Et que dire à tous les progressistes sexuels et aux « libertaires » qui s’horrifient du monde que nous avons créé? Lorsque les histoires de jeunes filles étranglées par leurs partenaires nourris à la pornographie passent sur votre écran de télévision, ne détournez pas le regard. Augmentez le volume. Vous n’aimez peut-être pas l’histoire, mais vous avez aussi contribué à écrire le scénario. Nous avons accepté la pornographie comme une norme culturelle, et maintenant la culture pornographique prend nos filles à la gorge.

Notes

1. « Boys think strangling women is sexy, charities warn » [Les garçons trouvent excitant, sexuellement, d’étrangler les femmes, avertissent les associations caritatives], The Times, 12 octobre 2024.

2. Jonathon Van Maren, « Rise of violent porn is making women fear being intimate » [La montée de la pornographie violente fait craindre aux femmes des relations intimes], Life Site News, 28 juin 2019.

3. Julia Pugachevsky, « Choking without consent is a Gen Z hookup trend. Even if it doesn't bother you, it can be extremely dangerous » [L’étouffement sans consentement constitue une tendance de la génération Z. Même si cela ne vous dérange pas, cela peut représenter un grand danger], Business Insider, 9 novembre 2022.

4. Debby Herbenick et coll., « Prevalence and characteristics of choking/strangulation during sex: Findings from a probability survey of undergraduate students » [Prévalence et caractéristiques de l’étouffement et de la strangulation pendant les rapports sexuels : Résultats d’une enquête probabiliste auprès d’étudiants de premier cycle], Journal of American College Health, 9 juillet 2021.

5. Lyndsay Nyawira, « When pain during sex turns you on » [Quand la douleur pendant les rapports sexuels vous excite], Toronto Star, 18 novembre 2019.

6. Rachel de Souza, « “A lot of it is actually just abuse” – Young people and pornography » [Une grande partie de la pornographie constitue en réalité de la maltraitance – Les jeunes et la pornographie], Children’s Commissioner, 31 janvier 2023, p. 4.

7. « “A lot of it is actually just abuse” – Young people and pornography » [Une grande partie de la pornographie constitue en réalité de la maltraitance – Les jeunes et la pornographie], Children’s Commissioner, 31 janvier 2023, p. 8.

8. Alys Harte, « “A man tried to choke me during sex without warning” » [Un homme a essayé de m’étouffer sans avertissement pendant un rapport sexuel], BBC, 27 novembre 2019.

10. Angelique Chrisafis, « French equality watchdog finds 90% of online pornography abuses women » [L’agence de surveillance française sur l’égalité constate que 90 % de la pornographie en ligne abuse des femmes], The Guardian, 27 septembre 2023.