Cet article a pour sujet la doctrine du catholicisme sur la justification et la sanctification opposée à la doctrine biblique et réformée de la justification par la grâce seule au moyen de la foi seule.

Source: Perspectives réformées sur le catholicisme romain. 14 pages.

Le catholicisme contre la sola gratia et la sola fide

  1. Introduction
  2. La doctrine biblique
  3. La théologie réformée
  4. La doctrine romaine de la grâce
  5. La différence entre les conceptions romaine et réformée

1. Introduction🔗

La doctrine biblique et la théologie romaine de la grâce et de la foi, traitées dans le présent article, et celle des œuvres dans l’article intitulé Le catholicisme et les œuvres, sont assurément des thèmes théologiques parmi les plus familiers aux chrétiens réformés. En effet, ils touchent au nerf central du salut, à ce que la Réforme déclare sola gratia et sola fide.

Nous tâcherons de rendre compte aussi fidèlement que possible de la doctrine romaine et de la comparer aux données bibliques. Comme dans les articles précédents sur le catholicisme, nous présenterons de préférence la doctrine officielle de Rome, avec laquelle pourrait légèrement varier telle ou telle position d’un théologien particulier. Car s’il fallait mentionner toutes ces interprétations romaines, nous nous trouverions devant un magma de positions contradictoires tel qu’il serait bien pire que celui que les romains reprochent aux protestants…

2. La doctrine biblique🔗

Le rôle déterminant que la lettre de Paul aux Romains a joué dans chaque grand mouvement de réforme de l’Église n’a pas besoin d’être souligné. Augustin et Luther, Barth et Brunner — quoiqu’avec de légitimes réserves pour la théologie dite dialectique du 20e siècle — y ont rendu un témoignage précis, dans la ligne traditionnelle de la confession de foi universelle.

Saint Paul a, une fois pour toutes, rejeté vigoureusement toute tentative d’autorédemption, contestant et dénonçant la moindre inclination vers toute religion naturelle de cette espèce. La lettre aux Romains, cathédrale de la foi selon F. Godet, demeurera jusqu’à la fin le déni catégorique de toute prétention de l’homme naturel à forger son salut, ou même à chercher à y contribuer aussi peu que ce soit. Le pivot central est ce que la Réforme redécouvrit avec émerveillement, la doctrine de la justification par la grâce seule, au moyen de la foi seule.

« Jésus-Christ a été fait péché pour nous, afin que nous devenions en lui justice de Dieu », écrira l’apôtre, en reprenant le même thème dans une autre de ses épîtres (2 Co 5.21). Il ne faut certes pas comprendre cela comme si le Christ était devenu un pécheur comme nous. Paul voulait simplement dire que notre péché lui a été imputé. Lors de son baptême dans le Jourdain, il a manifesté sa solidarité avec la race humaine déchue, dont la culpabilité tombe sous le jugement de Dieu : Il s’y est soumis afin d’accomplir toute justice (Mt 3.15). Il a suivi ce chemin jusqu’à la croix, s’offrant à notre place et en notre faveur en sacrifice, comme « l’Agneau de Dieu qui ôte le péché du monde » (Jn 1.29).

C’est à la suite de telles affirmations du Nouveau Testament — que l’Ancien Testament avait déjà prédit à sa manière, quoique partiellement, néanmoins avec certitude — que pour la Réforme la doctrine de la justification par la foi seule offrait l’entrée principale de l’édifice biblique et la clé de sa lecture, éclairant l’ensemble de son message. Écoutons pour commencer ce que l’Écriture déclare relativement à ces deux points fondamentaux de notre foi et de la rédemption. Un rappel de la condition de l’homme déchu et de la manifestation de la grâce salvatrice, nous le pensons, sera utile.

Le Seigneur Dieu est saint. Le Seigneur Dieu est bon et vrai. Le Seigneur Dieu a les yeux trop purs pour voir le mal, il a donc de la haine pour toute forme de mensonge, de ruse, de tromperie. Les lèvres menteuses lui sont en horreur (Pr 12.22). Dieu veut que nous connaissions la vérité au sujet de nous-mêmes, même si elle est confondante et humiliante pour nous. Que Dieu soit reconnu pour vrai et tout homme menteur (Rm 3.4). Nous sommes les enfants de la colère, déclare l’Écriture. Nous sommes tous, sans exception, sous le péché (Rm 3.9-18). Tel est l’homme, incapable d’accomplir quoique ce soit de bien et toujours « enclin au mal, incapable par lui-même de faire le bien, et qui tous les jours et de plusieurs manières, transgresse ses saints commandements, attirant sur lui la juste colère de Dieu et la condamnation », selon l’admirable prière de confession calvinienne. Nous ne pouvons que rougir de honte et nous couvrir le visage, nous effondrer à la vue de notre misère en face de sa sainteté et de sa majesté.

Cependant, imbus de nous-mêmes et de nos propres mérites, nous recherchons toujours notre avantage, et si nous faisons une bonne action, celle-ci sera encore souillée par notre orgueil. Nous sommes conçus dans le péché et nés dans la corruption totale, qu’il ne faut pas confondre avec corruption absolue! Sommes-nous disposés à nous reconnaître totalement pécheurs aux yeux du Dieu saint?

C’est dans cette condition-là que Dieu intervient, dès le début, immédiatement à la suite du péché originel, au lieu de nous juger et de nous anéantir définitivement. Car sa sainteté et sa justice réclament le salaire du péché aussi bien dans le temps présent que pour toute l’éternité, parce que « Dieu ne tient pas pour innocent le coupable ». La Bonne Nouvelle nous annonce : Dieu, en son Fils unique, Victime et Médiateur, Homme innocent et Sauveur, prit notre péché sur son compte. Il se présente comme le Dieu d’amour. S’il nous est impossible de payer la dette et de nous délivrer de la juste colère divine, le Christ a été fait péché, il nous a rachetés de la malédiction de la loi, étant devenu lui-même malédiction pour nous, car il est écrit : « maudit soit quiconque est pendu au bois » (Ga 3.13). À présent, nous pouvons nous reposer entièrement sur cette œuvre de rédemption. Elle nous est offerte par pure grâce, elle nous est imputée et nous en devenons les bénéficiaires par la seule foi. Par la foi seule. « Christ est mort pour nos péchés et il est ressuscité pour notre justification » (Rm 4.25).

Le rôle de la foi consiste à accepter cette grâce. « Celui qui croit a la vie éternelle » (Jn 6.47). Telle est la merveilleuse annonce de l’Évangile de la libre grâce. Ainsi que l’écrit saint Pierre :

« Vous tressaillez d’allégresse […] afin que votre foi éprouvée, plus précieuse que l’or périssable, cependant éprouvé par le feu, se trouve être un sujet de louange de gloire et d’honneur lors de la révélation de Jésus-Christ. Vous l’aimez sans l’avoir vu, sans le voir encore, vous croyez en lui et tressaillez d’une allégresse indicible et glorieuse, car vous obtiendrez le salut de vos âmes pour prix de votre foi » (1 Pi 1.7-9).

L’événement de la croix, voilà la grâce que Dieu nous a offerte! Jésus-Christ se charge de notre péché, afin que son obéissance et sa justice nous soient imputées. Il se substitue à nous autres pécheurs, et cette substitution nous apporte notre éternel salut. Dans le Fils, qui devient notre frère, nous sommes adoptés comme enfants de Dieu (2 Co 5.19; És 53). Considérée comme l’envers du sacrifice de Jésus-Christ, la grâce de Dieu est l’acte par lequel un condamné à mort est gracié; elle est pardon et adoption, l’acte non obligé et immérité de son acquittement. Cette grâce est le point central de la révélation divine; l’Écriture sainte est pleine de telles déclarations. Saint Paul a nommé ce miracle la justification s’opposant à la condamnation ou à la réprobation, il exprime la décision par laquelle Dieu acquitte celui qui a mérité une mort éternelle.

À cet acte central de la part de Dieu, l’homme répond par ce qui est également pour lui l’acte central de sa vie : c’est-à-dire par la foi. Non que la foi soit le fondement de notre justification, elle n’est que l’instrument au moyen duquel nous recevons le bienfait de Dieu. L’homme est appelé à croire à la promesse de Dieu afin de tenir Dieu pour vrai dans ce miracle qu’est pour lui la déclaration divine qui le justifie, afin de ne pas regarder plus longtemps à soi-même, ni à ses propres péchés, ni à ses propres œuvres, mais seulement et entièrement à Jésus-Christ, qui, par ses œuvres, a couvert nos péchés (Rm 5.1).

Il s’agit ici de la foi seule, mais cette foi ne reste pourtant jamais seule. Elle est la foi agissante par l’amour (Ga 5.6), celle qui prouve par l’amour son efficacité (nous développerons cet aspect dans l’article intitulé Le catholicisme et les œuvres). La grâce de Dieu ne consiste pas seulement en la justification, mais aussi en la sanctification. Son œuvre envers nous tend également à ce qu’elle porte des fruits en nous. Il est certes possible de distinguer la justification de la sanctification; elles ne peuvent toutefois être jamais séparés. La sanctification consiste en ce que, par la justification, Dieu nous maîtrise de plus en plus, et que nous apprenons à vivre comme ses enfants. C’est seulement quand un homme accepte avec une foi joyeuse la parole libératrice que Dieu a prononcée à son sujet, que la sanctification s’épanouit en lui. Dans la lutte contre le péché, seule la certitude de la victoire acquise une fois pour toutes en Jésus-Christ est notre stimulant véritable (Rm 6).

Nous avons en effet ici-bas un combat à livrer. Aussi longtemps que nous restons « dans la chair », nous ne sommes pas affranchis de notre nature pécheresse. Ici-bas, le Saint-Esprit reste un gage (Ép 1.14). Les prémices qui nous font soupirer après la véritable plénitude (Rm 8.23), ce qui se passe en nous dès lors, ne peuvent jamais être le fondement ultime de la certitude de notre salut. Non que nous puissions désormais nous passer du pardon! Mais c’est dans l’œuvre parfaite accomplie pour nous par le Christ que nous possédons l’essentiel (1 Co 1.30), et ce n’est qu’en nous abandonnant sans cesse à celui qui a accompli toute l’œuvre de la rédemption que peut s’épanouir en nous la sanctification, dont même les plus saints ne réalisent, selon le Catéchisme de Heidelberg, qu’un modeste commencement ici-bas.

La théologie réformée cherche le centre des Écritures en la personne et en l’œuvre du Christ, le Christ crucifié, ressuscité et élevé à la droite de Dieu, et dont les deux doctrines pivot mentionnées reçoivent leur légitimation. Mais la transposition, rappelle R. Mehl, n’atténue en rien la force de la doctrine de la justification par la foi1.

3. La théologie réformée🔗

Pour les réformés, la justification par la foi seule n’est pas une doctrine parmi d’autres. Elle sert de fondement à l’assurance du salut et pour la vie de sanctification. Calvin l’appelle admirablement le principe axial dans le livre III de l’Institution et dans les chapitres qui y sont consacrés (III.11.1ss). Il la décrit comme étant le pivot sur lequel tourne l’ensemble de la « religion ». De son côté, la Confession de foi de La Rochelle, une admirable pièce de théologie biblique, due principalement au grand réformateur genevois, dans son article 20, déclare :

« Nous croyons que Dieu nous fait participer à cette justice (art. 18) par la foi seule, puisqu’il est dit que Jésus-Christ a souffert pour obtenir notre salut, afin que quiconque croit en lui ne périsse point.
Nous croyons que nous participons à la justice de Jésus-Christ parce que les promesses de vie, qui nous sont données en lui, sont adaptées à notre usage et que nous en sentons l’effet quand nous les acceptons; car nous sommes convaincus, la bouche même de Dieu nous en donnant la formelle assurance, que nous ne serons pas frustrés de ce qu’elles promettent.
Ainsi, la justice que nous obtenons par la foi dépend des promesses gratuites par lesquelles Dieu nous déclare et nous atteste qu’il nous aime. »

Depuis la Réformation, la doctrine de la justification par la foi seule est constamment réapparue comme le point crucial de la confrontation entre Rome et la Réforme évangélique. Calvin déclarera qu’est justifié celui qui, excluant toute œuvre de justice obtenue par les œuvres, saisit par la foi la justice du Christ et, vêtu d’elle, apparaît au regard de Dieu non plus comme un pécheur, mais comme un homme justifié. Notre justification par la foi seule ne signifie rien d’autre que l’acquittement de la faute du coupable accusé, comme si son innocence a été prouvée et confirmée. Puisque Dieu justifie par l’intercession du Christ, il nous absout non seulement par la confirmation de notre innocence, mais encore par l’imputation de la justice, de manière à ce que nous, qui en nous-mêmes n’avons aucune justice propre, nous puissions à présent être reconnus comme tels en Christ.

Voici dans sa version en français modernisé, des extraits de l’Institution de Jean Calvin :

« Tous les hommes étant, comme nous l’avons vu, placés sous la malédiction de la Loi, ils n’ont nulle voie de salut que la foi seule. […] J’ai dit en substance que par la foi nous recevons et possédons Jésus-Christ tel qu’il nous est donné par la bonté de Dieu et que cette communion avec le Christ nous confère une double grâce. En premier lieu, étant par sa justice réconciliés avec Dieu, nous avons au ciel, non un juge prêt à nous condamner, mais un Père très clément. En second lieu, étant sanctifiés par son Esprit, nous nous appliquons à mener une vie pure et sainte. […] De la justification nous avons parlé plus brièvement parce qu’il fallait d’abord montrer que la foi n’est pas passive et qu’elle s’accompagne d’œuvres bonnes quoique la miséricorde de Dieu nous justifie gratuitement par elle seule. Il fallait aussi étudier la nature de ces œuvres, car cette étude est liée à la question que nous exposons maintenant. À cet exposé, nous donnerons un développement important, puisque la justification par la foi constitue le point capital de la doctrine chrétienne. […]
Afin de ne pas achopper dès le premier pas, il est nécessaire de définir d’abord les expressions être justifié devant Dieu et être justifié par la foi, ou par les œuvres. On dit qu’est justifié devant Dieu celui qui est estimé juste au jugement de Dieu et que Dieu agrée pour sa justice. […] Est justifié celui qui est considéré non comme pécheur, mais comme juste et qui pour cette raison reste debout au tribunal de Dieu, où tous les pécheurs sont abattus et confondus. […] Nous dirons donc qu’est “justifié devant Dieu” par ses œuvres l’homme dont la vie aura une telle pureté, une telle sainteté, qu’elle méritera d’être déclarée juste au tribunal de Dieu, dont les œuvres manifestent une si parfaite intégrité qu’il pourra par ses œuvres satisfaire à la justice de Dieu. Nous disons au contraire qu’est “justifié par la foi” celui qui, étant exclu de la justice des œuvres, saisit par la foi la justice de Jésus-Christ et qui, revêtu de cette justice, se présente au regard de Dieu non pas comme pécheur, mais comme juste. Nous disons, en somme, que notre justice devant Dieu est une acceptation par laquelle Dieu nous reçoit dans sa grâce et nous considère comme justes. En fait, il nous remet nos péchés et nous attribue la justice de Jésus-Christ. Ceci nous est confirmé par des témoignages nombreux et indiscutables de l’Écriture. […]
Pourtant, comme la plupart des hommes imaginent une justice mêlée, où interviendraient la foi et les œuvres, il est nécessaire de montrer, avant d’aller plus loin, que la justice de la foi est tellement différente de la justice des œuvres qu’on ne peut établir l’une sans renverser l’autre. […] S’il est vrai qu’en édifiant notre propre justice nous rejetons celle de Dieu, il s’ensuit que nous ne pouvons obtenir la justice de Dieu que si nous renonçons entièrement à la nôtre. […] Aussi longtemps qu’il reste une goutte de justice dans nos œuvres, nous avons de quoi nous glorifier. Mais comme la foi exclut toute glorification, la justice de la foi est totalement incompatible avec celle des œuvres. […] Il est donc extravagant d’imaginer une justice obtenue par la foi, associée aux œuvres. […] L’attitude de la foi, par laquelle un homme entre en possession de son salut, consiste à reconnaître, conformément à l’Évangile, qu’il est réconcilié avec Dieu parce qu’il est justifié par le moyen de la justice du Christ, par qui il a obtenu la rémission de ses péchés. Bien qu’il soit régénéré par l’Esprit de Dieu, il ne se repose pas sur les bonnes œuvres qu’il fait, mais il a la conviction que sa justice perpétuelle consiste uniquement dans la justice du Christ.2 »

Et l’article 14 de la Confession de foi des Pays-Bas (Belgica) déclare :

« Nous croyons que Dieu a créé l’homme du limon de la terre et l’a fait et formé à son image et à sa ressemblance, bon, juste et saint, pouvant par son vouloir s’accorder en tout au vouloir de Dieu. Mais quand il a été en honneur, il ne l’a pas compris et n’a pas reconnu son excellence; mais s’est volontairement assujetti au péché, et par conséquent à la mort et à la malédiction, en prêtant l’oreille à la parole du diable. Car il a transgressé le commandement de vie, qu’il avait reçu, et par son péché, s’est retranché de Dieu, qui était sa vraie vie, ayant corrompu toute sa nature. Par-là il s’est rendu coupable de mort corporelle et spirituelle, et étant devenu méchant, pervers et corrompu en toutes ses voies, il a perdu tous les dons excellents qu’il avait reçus de Dieu, et il ne lui est demeuré de reste que de petites traces de ceux-ci qui sont suffisantes pour rendre l’homme inexcusable, attendu que tout ce qu’il y a de lumière en nous est converti en ténèbres, comme l’Écriture nous l’enseigne en disant : “La lumière luit dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont point reçue” (Jn 1.5), passage où saint Jean appelle les hommes ténèbres. C’est pourquoi nous rejetons tout ce qu’on enseigne du libre arbitre de l’homme, parce qu’il n’est qu’un esclave du péché, et ne peut faire quelque chose si cela ne lui est donné du ciel (Jn 3.27). Car qui se vantera de pouvoir faire quelque bien de soi-même, puisque le Christ dit : “Nul ne peut venir à moi si mon Père, qui m’a envoyé, ne l’attire” (Jn 6.44). Qui alléguera sa volonté, entendant que l’affection de la chair est inimitié contre Dieu (Rm 8.7)? Qui parlera de sa connaissance, voyant que l’homme sensuel ne comprend point des choses qui sont de l’Esprit de Dieu (1 Co 2.14)? Bref, qui mettra en avant une seule pensée, vu qu’il entend que nous ne sommes pas capables de penser quelque chose de nous-mêmes, mais que notre capacité est de Dieu (2 Co 3.5)? C’est pourquoi ce que dit l’apôtre, à bon droit, demeure ferme et arrêté : que Dieu fait en nous le vouloir et le faire selon son bon plaisir (Ph 2.13). Car il n’y a ni entendement ni volonté conforme à celle de Dieu, si le Christ n’y a opéré, ce qu’il nous enseigne en disant : “Sans moi vous ne pouvez rien faire” (Jn 15.5). »

4. La doctrine romaine de la grâce🔗

L’Église romaine, elle aussi, se sert de la terminologie et de concepts identiques pour décrire l’essence et les effets de la grâce de Dieu. Toutefois, elle emploie plusieurs de ces termes bibliques dans une acception différente, notamment celui de « justification » qui vise précisément à décrire l’œuvre de Dieu en nous. Le terme devient ainsi presque synonyme de « sanctification », et dans sa forme latine il désigne la « justification », c’est-à-dire plutôt le processus d’une justification progressivement acquise, et non pas, comme chez Paul, une déclaration forensique d’acquittement.

Il ne faut toutefois pas laisser penser que dans la conception de la grâce, l’Église romaine négligerait entièrement les notions d’acquittement et de pardon dont nous parle l’Écriture. Elle les considère comme l’un des aspects du sacrement du baptême et estime notamment leur faire droit dans le sacrement de la confession et de l’absolution. Mais alors le pardon que Dieu nous accorde dans sa miséricorde n’est plus que le point de départ, toujours à nouveau nécessaire, de la vie chrétienne, et non son point central. Pardon et acquittement ne sont plus que le vestibule de l’œuvre de Dieu, dont l’essentiel consisterait dans la sanctification ou encore dans une justification qui ne s’actualiserait que progressivement. La grâce, en tant que pardon, prépare le chemin à la grâce, en tant que force, infusée par les sacrements, au moyen desquels la vie de l’homme est intérieurement et réellement changée.

En doctrine et en pratique, l’Église romaine met entièrement l’accent sur l’œuvre de Dieu en nous, cependant que l’œuvre de Dieu pour la faveur libératrice qu’il nous offre n’a plus qu’une simple signification de préparation. Ce faisant, le contenu et la place de la foi changent tout naturellement de caractère. Selon Rome, la foi est tout d’abord un acte de l’intellect, par lequel on accepte tout ce que l’Église nous prescrit de croire. Ceci n’implique pas que nous ne puissions retrouver ailleurs dans le système doctrinal romain une certaine richesse, mais très sérieusement appauvrie. La foi n’est plus qu’une adhésion à des vérités, tout au plus un acte préparatoire frayant l’accès à la vie chrétienne. En elle-même, la foi est insuffisante; elle doit être achevée par l’amour; elle ne possède aucun caractère sanctifiant. En même temps et dans la même mesure où son caractère de confiance et d’abandon est rejeté à l’arrière-plan, la foi devient chez ceux qui sont justifiés un acte propre et une œuvre méritoire.

Ces doctrines sont exposées dans plusieurs textes officiels, notamment dans les canons du Concile de Trente. Ceux-ci sont dirigés contre la Réforme, et tout en faisant preuve d’une incompréhension profonde à son égard (par exemple lorsqu’ils insinuent que nous aurions nié l’œuvre de Dieu dans l’homme), ils expriment clairement ce que l’Église pense de la grâce et de l’œuvre de Dieu pour nous et en nous.

T. Vanhuysse, dans un opuscule consacré à l’assurance du salut, rappelle les décisions ecclésiastiques prises déjà au Concile d’Orange (529) :

« Celui qui lit les décisions d’Orange pourrait penser qu’il a devant lui un témoignage paulinien. À ce concile fut clairement établi, comme doctrine de l’Église, que l’homme tout entier est corrompu par le péché et que la foi en son début tout comme en son développement ne peut être rapportée à nous-mêmes, mais à la grâce de Dieu. Le libre arbitre est atténué et on parle même d’une telle atténuation que personne ne peut aimer Dieu comme il convient, ni croire en Dieu, ou faire le bien sans la grâce préalable de la miséricorde de Dieu.
Si quelqu’un disait que par ses ressources naturelles il peut concevoir ou désirer quelque chose de bien qui le mène à la vie éternelle; ou qu’il peut croire à la prédication salutaire, celle de l’Évangile, sans l’illumination et le témoignage intérieur du Saint-Esprit, […] alors il se perd dans un égarement hérétique, sans avoir compris la parole divine de l’Évangile : “Sans moi, vous ne pouvez rien faire”.3 »

Mais ce même concile d’Orange parle ailleurs de l’aide et de la coopération que le Christ accorde aux baptisés, afin d’atteindre au salut, « s’ils veulent eux-mêmes y travailler » (décision 200). Cela résonne comme une coopération humaine. Le salut est dépendant de deux facteurs, à savoir de la grâce divine et de la liberté humaine. La grâce de Dieu n’est donc plus souveraine. La doctrine romaine porte déjà une atteinte à son essence. Car, si la « grâce » et le « libre arbitre » sont considérés selon Rome comme des facteurs indépendants et coopérants, alors le mérite humain est pris en compte à côté de l’opération divine. Il apparaît donc que l’homme est capable par lui-même de travailler à son salut. Ainsi, la grâce de Dieu est-elle dépouillée de son contenu le plus profond tant que quelque chose de la nature humaine est considéré comme valable.

Le Concile de Trente confirme cette position. Une disposition, ou une préparation, est suivie de la justification elle-même, qui ne consiste pas seulement dans la rémission des péchés, mais encore dans la sanctification et le renouvellement de l’homme intérieur par la réception volontaire de la grâce et des dons, par quoi l’homme d’injuste devient juste et d’ennemi ami, pour qu’il soit héritier selon l’espérance de la vie éternelle :

« Enfin, l’unique cause formelle est la justice de Dieu, non pas celle par laquelle il est juste en lui-même, mais celle par laquelle il nous rend justes, c’est-à-dire celle qu’il nous donne et qui renouvelle l’esprit de notre âme, de manière à ce que non seulement nous soyons réputés justes, mais vraiment appelés et constitués tels par le fait que nous recevons en nous la justice, chacun la sienne, suivant la mesure que le Saint-Esprit accorde à chacun comme il veut, et selon les propres dispositions et la coopération de chacun.4 »
« Si quelqu’un dit que les hommes sont justifiés ou bien par la seule imputation de la justice du Christ, ou bien par la seule rémission des péchés, à l’exclusion de toute grâce et charité qui serait répandue dans leurs cœurs par le Saint-Esprit et leur deviendrait inhérente, ou encore que la grâce qui nous justifie est seulement la faveur de Dieu : qu’il soit anathème.
Quiconque affirme que la foi justifiante n’est rien d’autre que la confiance en la divine miséricorde, nous remettant nos péchés à cause du Christ, ou que cette confiance seule nous justifie : qu’il soit anathème.5 »

Vatican I, quant à lui, déclarait :

« Et cette foi, qui est pour tous les hommes le commencement du salut, l’Église catholique professe qu’elle est une vertu surnaturelle par laquelle, au souffle de Dieu et aidés par sa grâce, nous croyons vrai ce qu’il nous révèle. […]
Aussi la foi, considérée en elle-même et quand même elle n’opère point par la charité, est un don de Dieu et son acte est une œuvre qui appartient au salut, acte par lequel l’homme rend à Dieu même une obéissance libre, en consentant et en coopérant à sa grâce, à laquelle il pourrait résister.
Il doit croire de foi divine et catholique toutes les vérités qui se trouvent contenues dans la Parole de Dieu, écrite ou traditionnelle, et que l’Église propose pour qu’on les croie comme divinement révélées…6 »

Notre époque a accusé un changement surprenant de la part des théologiens romains par rapport aux affirmations de la Réforme. Il existe actuellement une étonnante ouverture à cet égard. La justification, de Hans Küng, parue en 1957, donc antérieure à Vatican II, a été parmi les tentatives les plus significatives cherchant à réévaluer la position traditionnelle romaine pour ôter, selon l’auteur, l’équivoque entre Rome et la Réforme. Nous avons perdu 500 ans de malentendus, écrira le célèbre théologien suisse. Selon lui, bien comprises, les positions romaine et réformée coïncideraient!

Karl Barth écrivit une lettre qui fut publiée comme introduction à cet ouvrage. Le théologien de Bâle y notait entre autres :

« Vous pouvez imaginer mon grand étonnement à l’ouïe de ces nouvelles. Je suppose que nombre de catholiques romains le seront aussi. Bien entendu, le problème est de savoir si ce que vous avez présenté est réellement l’enseignement de votre Église. […] Si les choses que vous citez de l’Écriture, des théologies anciennes et modernes, de Denziger, et donc du texte de Trente, représentent réellement l’enseignement de votre Église et peuvent être établis comme tels, […] alors, ayant déjà été deux fois à l’église Santa Maria Maggiore de Trente, pour communier avec l’esprit du lieu, je devrais m’y précipiter une troisième fois pour y faire une confession de contrition et dire : “Pères j’ai péché”. Mais si je prends les déclarations de la sixième session telles que nous les avons présentement devant nous — déclarations formulées incorrectement pour des raisons qui à l’époque étaient considérées comme contraignantes — ne serez-vous pas d’accord que j’aurais des difficultés considérables à découvrir dans ce texte ce que vous avez trouvé dans la doctrine catholique? »

On sera d’accord avec Barth sur ce point, lorsqu’il contredit H. Küng et rappelle que la position de Trente s’oppose radicalement à celle de la Réforme.

Citons toutefois Hans Küng :

« De même qu’il existe des pseudo-saints et des pseudo-justes, il existe aussi une pseudo-justification et une pseudo-sanctification. Toute religion offre justification et sanctification à l’homme pécheur, que ce soit par magie naturelle, par immersion panthéiste, par péché cultuel et ritualiste ou par une morale d’obligation. Mais nous ne parlons pas ici d’une quelconque justification ni d’une quelconque sanctification. Encore moins de la justification et de la sanctification de l’homme pécheur par Dieu, c’est-à-dire au sens de la Parole de l’Écriture qui engage le chrétien et qui est norme de grâce libératrice pour son action comme pour sa parole. L’Écriture sainte ne nous transmet pas seulement des “idées”, mais des paroles pleines d’idées. Une “philosophie religieuse” indépendante peut à la rigueur se permettre de chercher des idées en marge des paroles bibliques, mais non pas la théologie chrétienne qui veut expliquer la Parole de Dieu et qui, dans ce but, n’épargnera aucun effort pour examiner la terminologie biblique, les mots et leur emploi. Le rapport entre la justification et la sanctification est susceptible d’explications diverses, mais si nous voulons prendre ici pour point de départ de notre réflexion la Parole de Dieu, c’est la terminologie biblique qui nous instruira. Non pas qu’il faille exclure les catégories bibliques. Que nous disent donc des notions de justification et de sanctification à la lumière de l’Écriture? Considérons-les dans l’unité de leur diversité.7 »

Ces développements récents surprenants n’ont pourtant pas atteint un stade déterminant pour modifier le dogme et le fléchir vers les données bibliques, telles que la Réforme les redécouvrait et les mettait en valeur. C’est ainsi que, dans une déclaration commune luthéro-romaine, on lira :

« Notre espérance totale de justification et de salut réside en Jésus-Christ et en l’Évangile par lesquels les bonnes œuvres de l’action miséricordieuse de Dieu en Christ nous sont connues. Nous ne plaçons notre ultime confiance en rien d’autre que dans les promesses de Dieu et en l’œuvre rédemptrice du Christ. »

Si à première vue la déclaration pouvait nous réjouir, nous ressentons toutefois un malaise en présence de la clause restrictive ultime. En outre, la nature de la justification (s’agit-il d’une déclaration de justice ou de fait juste par une grâce infuse) n’est pas rendue claire.

On discernera l’effort louable de nombreux romains de rejoindre l’Écriture et de s’approcher de la Réforme. Cependant, on se demande s’il est possible que Rome puisse définitivement s’affranchir du poids mort de son héritage et se défaire de l’idée de coopération dans l’acte de justification. En outre, ces développements ne mettent-ils pas en cause la prétention d’infaillibilité romaine?

Or, les déclarations de Trente persistent comme l’inébranlable fondement de la doctrine romaine, aussi bien dans ses déclarations dogmatiques que par ses anathèmes. Vatican I n’y avait rien changé. Vatican II n’a pas placé la justification par la foi seule sur son ordre du jour comme d’un point essentiel à discuter. Ses documents ne font que de rares références obliques à cette doctrine pivot. Ils ne s’avancent pas sur un terrain nouveau, ne font aucun pas vers le fondement biblique. Mis à part une nouvelle déclaration romaine sur la justification par la foi, la position tridentine demeure toujours l’obstacle majeur entre les réformés et Rome.

5. La différence entre les conceptions romaine et réformée🔗

« La doctrine romaine de la grâce revient à prétendre que l’homme ne peut vivre par la seule grâce. […] La préoccupation du Concile d’Orange était surtout la relation entre la souveraine grâce de Dieu et la caducité du libre arbitre humain. […] C’est là, je pense, que se situe le problème d’Orange et de Trente à savoir les mérites sur la base de la grâce. […] Des milliers de chrétiens (réformés) à cause de cette erreur ont été traqués jusqu’au bûcher. […] Rome est-elle donc aveugle à l’Évangile de la grâce? Elle continue son optimisme à l’égard de la nature humaine. Or, selon Augustin :
“Comment de misérables humains osent-ils se réclamer du libre arbitre, avant même que leur volonté soit affranchie, ou s’appuyer sur leurs propres forces, comme si elles étaient déjà libres? Ils ne prennent pas attention que dans l’expression libre arbitre il est déjà question de liberté. Car là ou est l’Esprit du Seigneur, là est la liberté”.8 »

Ce qui précède suffit amplement pour montrer clairement que nous décelons, ici encore, une très profonde différence entre l’enseignement de l’Écriture et la doctrine de l’Église romaine.

« Cette différence consiste en un déplacement des accents, qui a pour conséquence un changement radical de la signification des concepts fondamentaux de justification, de sanctification, de foi, etc. La justification et la sanctification, que l’Écriture nous décrit comme deux réalités intimement liées et se recouvrant l’une l’autre, se trouvent, dans la doctrine romaine, si nettement différenciées que la justification doit céder à la sanctification la place centrale qu’elle doit occuper dans la vie chrétienne. Ce qui était le fondement et le centre de la vie de la foi n’en est plus que le préambule et le vestibule; ce qui n’était que la conséquence et la répercussion de l’abandon à la miséricorde libératrice de Dieu devient le centre et le but même de l’attention chrétienne.
Il nous est impossible de considérer ce déplacement des accents toniques comme une question d’intérêt secondaire, car, dans la même mesure où l’œuvre accomplie pour nous par Jésus-Christ et la justification divine qu’elle apporte à l’impie sont écartées de leur place centrale véritable, la foi perd son fondement immuable, et, déracinée, s’éloigne de la source où elle aurait dû puiser sa consolation, sa joie et son assurance du salut. Dans la même mesure encore où l’œuvre de Dieu en nous devient le centre de la vie chrétienne, notre salut est rendu dépendant de la manière dont nous nous y préparons et dont nous y coopérons; ainsi l’attention est détournée de la grâce seule pour être dirigée sur l’homme considéré comme cause coopérante du salut. Dans la même mesure, enfin, la libre grâce de Dieu à l’égard des pécheurs est obscurcie dans son caractère inconditionnel et de grâce pure. Au lieu d’être un renoncement à toutes nos œuvres pour nous reposer uniquement en l’œuvre de Dieu, la foi devient une nouvelle œuvre de l’homme. Dès lors, la vie d’ici-bas n’est plus qu’un incessant effort, et tout en reconnaissant l’existence de la grâce, elle n’en revient pas moins pourtant à la maison de servitude de la loi, puisqu’elle doit se passer de toute assurance du salut.
Il devient désormais impossible de parvenir à la vraie sanctification, qui ne peut être que le fruit de notre joie envers la miséricorde inconditionnelle que Dieu nous témoigne grâce à l’œuvre accomplie en Jésus-Christ. C’est pourquoi nous devons considérer cette infidélité à l’égard de l’Écriture, qui a trouvé droit de cité dans la doctrine romaine, comme profondément préjudiciable à la libre grâce et à la consolation des âmes bataillant contre le péché.9 »

Rome distingue clairement deux aspects de la grâce, à savoir la grâce sanctifiante et la grâce immédiate, ou « gratia actualis ».

La grâce immédiate est une aide surnaturelle passagère, qui éclaire notre intelligence et fortifie notre volonté afin d’accomplir le bien et de rejeter le mal. Cette aide surnaturelle est une illumination immédiate de l’intelligence et un renforcement immédiat de la volonté. Dans l’enseignement romain, on déclare que pour chaque pas qui nous rapproche de Dieu et renforce nos liens d’amour avec lui (le chemin de la sanctification), il faut une action immédiate de Dieu. Or, selon le témoignage de l’Écriture, tout croyant, par sa nouvelle naissance, a immédiatement part à la communion avec Dieu.

Selon Rome, il existe une action surnaturelle de Dieu sur les puissances psychiques de l’homme précédant toutes décisions de la libre volonté. Elle déclare, certes, que Dieu est le responsable de la sanctification. Ensuite, la volonté qui est fortifiée doit continuer seule à avancer sur le chemin de la sanctification. Ainsi, nous nous trouvons dans l’impasse romaine (qu’il soit dit en passant que nombre de branches dissidentes du protestantisme, étrangères à la théologie réformée, conduisent l’homme vers la même impasse, celle de la sanctification comme une œuvre indépendante du croyant!).

La grâce coopérante serait due à la coopération entre Dieu et l’homme. L’œuvre de sanctification qui a lieu est le fruit d’une coopération entre la grâce de Dieu et la volonté de l’homme. La grâce soutient et conduit l’action de la libre volonté humaine; selon Trente, le pécheur prépare sa conversion, il approuve librement et coopère librement avec la grâce. Pour soutenir cette interprétation, on invoque 1 Corinthiens 15.10 : « Par la grâce de Dieu je suis ce que je suis et sa grâce envers moi n’a pas été vaine. Loin de là, j’ai travaillé plus qu’eux tous. Non pas moi toutefois, mais la grâce de Dieu qui est avec moi. » Rome voit dans ces paroles un possible synergisme. La grâce travaille avec Paul et Paul travaille avec la grâce.

En ce qui concerne la grâce sanctifiante, elle est une qualité surnaturelle et permanente donnée à notre âme et nous rendant participants de la vie divine. Elle nous sanctifie et fait de nous des enfants de Dieu et des héritiers du ciel. Rome affirme la chose suivante :

« Le dialogue œcuménique de la dernière décennie a fait beaucoup de progrès dans l’enseignement touchant de la justification. Beaucoup de théologiens catholiques et protestants sont aujourd’hui d’accord pour dire que cet enseignement ne doit pas être une cause de division entre les deux Églises, et qu’il est possible de donner une réponse à cette question qui soit satisfaisante pour les deux partis. L’enseignement catholique et l’enseignement protestant au sujet de la relation existant entre la grâce et les œuvres ne sont pas contradictoires et exclusifs; il est vrai qu’ils ne sont pas tout à fait semblables, mais peuvent avoir un point commun, ils peuvent rester ouverts l’un pour l’autre.10 »

Il semble qu’en ce qui concerne le contenu de l’enseignement, il n’y ait pas tellement de différence, et que les variantes ne sont que superficielles! Rien n’est moins vrai! Il s’agit d’une différence fondamentale. En fait, il s’agit soit de « la grâce souveraine », soit « des mérites par la puissance de la grâce ». Il s’agit de vivre par Dieu ou par la chair. Faut-il croire pour être en communion avec Dieu ou bien œuvrer par nos seuls moyens?

Quant à la justification infuse, le Concile de Trente déclarait :

« Si quelqu’un dit que le pécheur n’est justifié que par la foi, déclarant ainsi qu’aucune autre exigence n’est nécessaire à l’obtention de la justification et qu’il n’est pas nécessaire de se préparer volontairement à cela, qu’il soit anathème.11 »

Or, nous avons rappelé que la Bonne Nouvelle nous annonce le salut gratuit, par la seule grâce au moyen de la seule foi.

Toujours selon Trente :

« La justification n’est pas seulement le pardon des péchés, mais aussi la sanctification, le renouvellement de l’homme intérieur par la réception volontaire de la grâce et des dons. C’est ainsi que l’homme injuste devient juste, qu’un ennemi devient un ami.12 »

Par la grâce infuse, le pécheur est justifié, il est devenu juste, c’est un fait dans son existence, cela est réel et effectif et il ne doit plus être considéré comme injuste, il est devenu juste. Rome déclare que la grâce sanctifiante m’a rendu si parfait et bon qu’à partir de ce fait je suis rendu capable de bâtir une existence qui plaise à Dieu. J’en suis dès lors capable. Sur la base de la grâce, je suis rendu capable d’avoir des mérites devant Dieu. Je peux ainsi faire valoir mes droits devant lui. L’homme étant si profondément et réellement transformé par cette grâce infuse possède alors le pouvoir de plaire à Dieu.

L’homme n’est donc plus agréable à Dieu à cause du fait que Dieu le voit en Christ et que Dieu lui accorde la justice du Christ, mais en dehors de l’œuvre du Christ l’homme devient bon. La grâce n’est plus considérée comme un don de Dieu extérieur à l’homme, mais comme une force surnaturelle élevant notre nature humaine à un niveau supérieur, à un niveau divin. L’homme nouveau devient ainsi capable d’accumuler des mérites devant Dieu. Par la justification infusée (le baptême catholique romain), l’homme est renouvelé; il devient juste. La base sur laquelle Dieu est satisfait ne se trouve plus en Christ, mais en l’homme transformé lui-même. La transformation d’un pécheur en un homme juste est l’œuvre du Christ, par ses souffrances et par sa mort. C’est ainsi que Rome l’enseigne. Mais lorsque le pécheur, justifié une fois pour toutes sur la base de l’œuvre et des mérites de Jésus-Christ, est devenu un homme juste, selon Rome, alors Dieu est satisfait non pas à cause d’une justice extérieure à l’homme et qui lui serait imputée, mais il trouve son plaisir en l’homme « lui-même ». Voilà une conséquence terrible de cet enseignement de la « justification infusée ». Puissent les yeux s’ouvrir et discerner ce que la Bible enseigne à ce sujet. La Bible démasque l’enseignement de Trente comme une distorsion volontaire de l’Évangile.

Pour une présentation plus systématique de la doctrine biblique et réformée de la justification par la foi seule, nous renvoyons le lecteur à notre étude Essai sur le Saint-Esprit et l’expérience chrétienne. Ici même, après avoir relu des textes officiels et suivi des commentateurs réformés, nous estimons que nous avons suffisamment éclairé les divergences fondamentales entre la doctrine romaine et la théologie biblique et réformée.

Notes

1. Roger Mehl, Du catholicisme romain. Cahiers théologiques no 40, Delachaux et Niestlé, 1957, p. 65.

2. Jean Calvin, L’Institution chrétienne. Édition abrégée en français moderne, P.B.U., Lausanne, 1985, 3/11:2-3, p. 120ss.

3. Concile d’Orange, canon 7, décision 180. T. Vanhuysse, L’assurance du salut. Éditions Marnix, 1985.

4. Concile de Trente, 6e session, chapitre 7.

5. Concile de Trente, 6e session, canons 11 et 12.

6. Concile Vatican I, 3e session, chapitre 3 sur la foi.

7. Hans Küng, Catholiques et protestants. Éditions du Seuil, p. 290.

8. T. Vanhuysse, L’assurance du salut. Éditions Marnix, 1985, p. 18.

9Lettre Pastorale, p. 43ss.

10Catéchisme catholique pour adultes, p. 244.

11. Concile de Trente, 6e session, canon 9.

12. Concile de Trente, 6e session, chapitre 7.