Cet article a pour sujet la nouvelle création à venir, objet de notre espérance qui s'accomplira lors du renouvellement des cieux et de la terre au retour du Christ dans la gloire.

Source: Espérer contre toute espérance. 7 pages.

Toutes choses nouvelles

Deux dangers menacent sans cesse notre espérance. L’un et l’autre cherchent, par des voies différentes, parfois opposées, à la ramener à une dimension qui n’est pas la sienne. Le premier cherche à la spiritualiser à l’excès. Le second, avec une obsession chiliaste (millénariste) l’identifie à une restauration matérielle de la réalité créée, accomplie à la suite d’une violente révolution politique.

Éviter ces deux dangers ne signifie pas, pour nous, faire de notre espérance vivante une pure représentation figurative. Elle n’est pas une foi mythique en un avenir hypothétique.

Dans le langage biblique, les termes de « cieux et terre » désignent une réalité matérielle concrète, même si le langage pour décrire celle-ci est imagé. Ainsi, la transfiguration de l’univers matériel se trouve en corrélation avec la résurrection des morts. Elle est annoncée, incluse dans le « Voici je fais toutes choses nouvelles » (Ap 21.5), bien que la résurrection du Christ et celle de ses fidèles ne soient que le début seulement de la restauration universelle. « Nous attendons de nouveaux cieux et une nouvelle terre où régnera la justice », écrit l’apôtre Pierre (2 Pi 3.13). L’apôtre faisait écho à Ésaïe 65.17 et 66.22. Sur ce point, l’expérience actuelle de la foi au Christ Seigneur constitue une anticipation même de cette fin. Selon Romains 8.18-23, cette nouvelle création attend son achèvement. Alors seulement, les corps ressuscités vivront dans la nouvelle création dans laquelle Dieu sera honoré, son nom sanctifié et sa volonté accomplie sur terre comme au ciel.

Si la mythologie antique divinisait la terre en la représentant sous les traits de la mère, l’espérance biblique, elle, en renverse les termes. La terre mère est démythisée, mais elle verra quand même la naissance d’une humanité nouvelle, affranchie de la corruption et de toute la servitude qu’elle entraîne, afin d’habiter cette terre nouvelle. La distance, actuellement infranchissable, entre la terre et le ciel, disparaîtra à jamais. Car Dieu l’habitera comme il le faisait au lendemain de la création, avant la chute. L’eschatologie biblique perçoit le dessein cosmique de la rédemption. Celle-ci embrasse non seulement des âmes, mais aussi des corps, et tout l’univers. La création qui pour l’instant soupire, à cause de la servitude qu’a entraînée la chute, est destinée à l’affranchissement définitif. Dieu n’aura point de cesse qu’il n’ait achevé sa nouvelle création.

Déjà, le prophète conviait ses contemporains à élargir l’horizon de leur espérance. Les larmes, annonçait-il, seront séchées, les peines disparaîtront, le mal sera vaincu. Cette espérance faisait vibrer le cœur du laboureur qui semait avec des larmes; il pouvait s’attendre à moissonner en abondance. L’espérance rassurait les plus timides et les plus désemparés. Le jour eschatologique verra l’agneau et le loup paître ensemble.

Le ciel biblique n’est pas un espace vague et lointain, sans lien avec la terre. Le ciel et la terre forment un univers indivis, s’il est permis d’avoir recours à ce pléonasme. C’est pourquoi la foi de l’Église qui discerne dans l’œuvre du Christ l’accomplissement des antiques prophéties fixe son regard vers l’avant. La foi devient espérance, elle sait que le « pas encore » deviendra bientôt une réalité.

Lisons encore le livre des origines. Le livre de la Genèse souligne l’importance de la terre et les promesses qui lui ont été attachées. Il parle d’un jardin. L’Éden est un endroit situé quelque part sur notre terre. L’homme investi de sa mission culturelle y exercera un pouvoir et dominera l’ensemble de la création. Inversement, s’il venait à ne pas respecter, non seulement l’ordre reçu, mais encore l’équilibre écologique, sa faute affecterait aussi sûrement la terre que sa propre personne. On sait ce qu’il en fut! Depuis la faute originelle, la terre a cessé de produire librement, abondamment et joyeusement les fruits de ses entrailles. Sur elle pèse une lourde malédiction. Toutefois, même ainsi, c’est la promesse de la grâce qui y occupe le devant de la scène. La tête du serpent sera écrasée. Le pouvoir usurpateur de l’Adversaire prendra fin. Ce n’est pas lui, instigateur de la rébellion, qui prononcera le mot final. La victoire ultime appartient donc à notre Dieu et à son Christ. C’est pourquoi la terre n’est pas abandonnée à son sort. Adam et ses descendants devront la cultiver et la dominer en dépit des conséquences de la chute.

Les promesses qui furent faites plus tard à Israël n’ont pas eu un autre dessein. Elles aussi renfermaient l’assurance de la victoire divine. La terre maudite sera transformée. Ce sont Abraham et ses descendants spirituels — pas forcément physiques — qui l’hériteront. Pour l’heure, la terre de Canaan n’est qu’une petite parcelle de terre. Cependant, elle constitue le symbole de la totalité de la création. À cet égard, la lettre aux Hébreux répond à une question légitime; de son vivant, Abraham ne put obtenir qu’un lopin de terre, pour lui-même et pour Sara, comme lieu de sépulture. Il s’attendait cependant à recevoir une cité dont Dieu en personne est l’architecte (Hé 11.9-16). Le patriarche de l’Ancien Testament ne pouvait pas vivre dans l’indifférence, encore moins dans le désespoir. La même lettre explique que Canaan était l’image du repos éternel que Dieu préparait pour son peuple (Hé 4). Ce pays minuscule du Proche-Orient antique ne pouvait donc constituer le terminus du pèlerinage spirituel d’Abraham. Il n’était qu’un relais sur le long parcours devant aboutir au règne de Dieu. On peut penser avec raison que l’occupation de Canaan par les tribus israélites annonçait prophétiquement l’héritage incorruptible que l’Église attend des cieux. Le paradis retrouvé n’est autre que la terre nouvelle, transfigurée. Peu nous importe d’ailleurs le langage symbolique qui le décrit. L’essentiel de notre lecture de l’Écriture nous permet de saisir, sans laisser le moindre doute, la matérialité de la nouvelle terre que surplomberont de nouveaux cieux.

Contrairement à d’autres théologies, notamment la théologie luthérienne, qui s’attendent à une fin cataclysmique de la terre, la théologie réformée parle en termes de renouvellement de l’actuel univers. Le terme grec de kainos (nouveau) donne raison à cette espérance. La terre sera kainè et non pas néa. Car neos signifie nouveau, total, au sens d’original, tandis que dans la Bible, kainos comporte l’idée du renouvellement de ce qui existe déjà. Apocalypse 21 corrobore cette conviction. Il n’est pas question de l’émergence d’un univers totalement nouveau, mais du renouvellement radical de ce qui a existé déjà. C’est la création qui souffre actuellement les douleurs de l’enfantement qui est prête à la délivrance. Romains 8 appuie de son côté la même conviction. L’apôtre ne laisse nulle part entendre qu’il s’agira d’une création ex nihilo.

Nous pouvons parler d’une analogie existant entre la résurrection des corps et la restauration-transfiguration de la terre et des cieux. De même que notre corps mortel revêtira l’immortalité et le corps semé corruptible recevra l’incorruptibilité, de même la terre, actuellement soumise à la vanité, connaîtra l’affranchissement, et son identité ancienne se retrouvera sous des traits totalement changés dans la nouvelle.

S’il fallait attendre l’annihilation totale de la terre ancienne, on ne pourrait plus parler de la victoire divine, mais plutôt de celle de l’Adversaire. Car alors le rusé ennemi de Dieu et de sa bonne création aurait le dernier mot; il serait parvenu à anéantir l’œuvre de Dieu. Nous pouvons alors emprunter une illustration biblique et comparer son œuvre finale de destruction à celle de Samson, lequel en mourant entraîna derrière lui plus de victimes chez les Philistins que lors des plus grands exploits de sa prodigieuse carrière! Or, nous sommes assurés ici comme sur tous les autres points, de la parfaite et totale victoire de Dieu. Créateur il demeure, en dépit de l’oppression exercée par le Malin, et le destructeur n’a plus aucune chance d’infléchir la fin décidée souverainement par lui.

Hoekema cite les lignes suivantes d’Édouard Thurneysen :

« Le monde dans lequel nous entrerons lors de la parousie de Jésus-Christ n’est autre que notre monde. Ce monde-ci et les cieux que nous connaissons, car ils ne seront pas anéantis, mais renouvelés. Ce seront les mêmes champs, les mêmes villes, les mêmes rues et les mêmes gens qui seront la scène et l’objet de la rédemption. À présent, ce sont des champs de bataille baignés de sang, mais alors ils seront des champs de victoire et de moisson. Les grains semés avec angoisse et larmes seront moissonnés dans un engrangement abondant, éternel. »

Si nous pouvions saisir correctement cette idée, plusieurs passages bibliques s’éclaireraient d’un jour nouveau : par exemple le Sermon sur la Montagne ou le Psaume 37, ou encore Actes 3.19-21 où Pierre fait état de l’apokatastasis pantôn, du renouvellement universel qui suivra l’avènement du Christ.

Il ne nous est point possible d’examiner tous les passages ayant trait à l’avènement final. Tous laissent pourtant entendre que la terre actuelle déchue sera délivrée pour laisser apparaître la terre nouvelle. Le kainos d’Apocalypse 21.1-4 décrit cette nouveauté-là. L’apôtre Jean apercevait un univers qui, sous des traits nouveaux, n’était autre que l’ancien, mais dans cet univers la mer ne sera plus. Faut-il s’attendre à la disparition matérielle de celle-ci? Il est probable que, dans le langage biblique, la mer symbolisant l’élément d’angoisse, celle-ci ne présentera désormais aucune menace. Jérusalem la nouvelle apparaîtra comme une ville sans tache, telle une épouse parée pour accueillir son époux. Dieu y séjournera. Sa proximité est assurée. Ce qui explique pourquoi les cieux et la terre ne seront plus jamais dissociés. Dieu habitera parmi les hommes, son tabernacle y séjournera (Gn 17.7; Ex 19.5-6; Jr 31.33; Éz 34.30; 2 Co 6.16; Hé 8.10; 1 Pi 2.9-10).

À l’abolition du mal et de toutes ses conséquences, qui causèrent la souffrance et arrachèrent des larmes, suivra la joie faisant vibrer jusqu’au profond de ses entrailles la terre enfin libérée. Les noms des douze tribus d’Israël et ceux des douze apôtres du Christ seront inscrits dans Jérusalem. Le peuple fidèle des deux Testaments sera réuni. L’une des caractéristiques, et non des moindres, de la terre nouvelle sera l’exposition de toutes les gloires et de toutes les richesses anciennes. Ceux qui, durant l’histoire, auront exercé une mission éminente au service du Royaume et accompli des œuvres en l’honneur de Dieu, seront exposés et connus de tous. Dieu se souviendra d’eux et de leurs labeurs. À l’heure actuelle, ils ne peinent pas en vain. Dieu n’est pas ingrat pour oublier leurs travaux. Enfin, la paix régnera entre toutes les nations. Tous et toutes verront Dieu face à face.

L’humanité avait été créée à la suite des cieux et de la terre. Elle sera achevée à la métamorphose des cieux et de la terre actuels, dont la splendeur dernière dépassera infiniment celle de l’ancienne terre. L’Agneau immolé se trouvera au centre, en tant que son Roi. Le peuple racheté réuni en sa présence le rencontrera comme tel. Il jettera à ses pieds toutes les couronnes qu’il aura méritées durant son persévérant combat mené à l’ombre de la croix, combat sans cesse éclairé par la lumière de la résurrection. Dans un amour infini et une incessante louange, l’Église du Christ vivra par la foi seule. La vue de son Seigneur deviendra alors une réalité parfaite. Sur ce point aussi, prenons garde à ne pas isoler la vision béatifique à venir de la vie de la foi et de l’espérance.

Certains interprètes ont conclu que l’invisibilité absolue de Dieu ferait partie de ses attributs éternels, essentiels. Dans le chapitre consacré à Visio Dei1, le professeur G.C. Berkouwer rappelle que l’Écriture ne rend pas absolument impossible la vision de Dieu dès la vie présente. Elle prend même l’initiative de parler de la vision béatifique comme d’un sujet de joie par excellence, comme d’un message rayonnant et réconfortant, lequel nous convie à aspirer avec plus d’ardeur à cette vision. Toutefois, cette vision s’attache à la qualité morale présente, à la pureté du cœur, à la pratique de la justice et au service de l’amour. Dès à présent, le fidèle peut rencontrer Dieu et le « voir ». L’invisibilité de Dieu ne fait pas partie de ses attributs essentiels et éternels. C’est la raison pour laquelle l’Écriture affirme qu’on ne peut pas voir Dieu à n’importe quel prix. La vision dont il s’agit est celle que nous aurons de lui à l’avenir. Vision de sa gloire dans la Cité de lumière éclairée par l’Agneau. Cette perspective à venir est liée à une promesse qui est simultanément une proclamation, l’annonce que les puissances du siècle à venir sont déjà à l’œuvre (Hé 6.4). La vision de Dieu n’est pas une théorie, mais exhortation à mener chaque jour une vie de sainteté et de pureté. À cette condition seulement, nous le verrons tel qu’il est. La connaissance que nous en avons par la Parole, quoique vraie, reste encore incomplète.

L’apôtre Jean attire notre attention sur ce point par ces mots bien familiers : « Ce que nous serons n’a pas encore été manifesté » (1 Jn 3.2). Il souligne cependant notre appartenance à Dieu, et cette incomplétude ne diminue ni n’atténue notre impatience de voir Dieu tel qu’il est. Terminons le présent chapitre par des extraits d’un des chapitres de La vie triomphante de Marc Boegner :

« La vocation à la gloire : La gloire! Ce mot qui, à travers les siècles, a éveillé tant d’ambitions, déchaîné tant de violences, fait couler tant de sang et de larmes, nous le rencontrons bien souvent dans l’Écriture sainte. Il y est question de gloire humaine. […] Cependant, c’est avant tout la gloire de Dieu qui rayonne à travers la Bible. Pas plus que Moïse nous ne pourrions en soutenir l’éclat. […] La gloire de Dieu c’est tout d’abord le rayonnement qui se dégage de sa personne, rayonnement qui éblouit, aveugle et inspire à tous crainte, respect, admiration et adoration. Elle se manifeste tantôt dans une nuée lumineuse tantôt avec l’éclat de l’arc-en-ciel. Nul ne peut contempler la gloire de Dieu et vivre! […] Qu’entrevoyons-nous donc sous le mot gloire? L’essence divine elle-même qu’est la perfection absolue. Dieu est sa gloire, il est la Gloire, comme il est l’Être, la Vérité, l’Éternité. […]
Appelés à la gloire! Comment ne reculerions-nous pas devant une telle vocation? Le souvenir d’Ésaïe s’impose à mon esprit. Alors que dans le Temple de Jérusalem, la vision de la gloire du Dieu trois fois saint lui est accordée, il est accablé par la conscience de son impureté. “Malheur à moi, je suis perdu!”, s’écrie-t-il. “Nous nous glorifions dans l’espérance de la gloire de Dieu”, écrivait saint Paul aux chrétiens de Rome (Rm 5.2). C’est là, dans notre vocation à la gloire, l’un des éléments essentiels. Et cette espérance, qui nous porte sur le chemin de la vie triomphante, nous la nourrissons, nous la fortifions en nous enracinant chaque jour davantage, par la méditation et la prière, dans la communion du Christ. C’est alors que, dans la lumière du Saint-Esprit, répandue par Dieu dans nos cœurs, nous voyons resplendir dans la personne de Jésus-Christ la connaissance de la gloire de Dieu. […]
“Si tu crois, tu verras la gloire de Dieu” (Jn 11.40), dit le Christ à Marthe, sœur de Lazare. Promesse qui signifie pour nous que le triomphe de la vie incorruptible, dont Jésus-Christ est le grand artisan, nous sera, nous est déjà révélé dans la mesure où nous persévérons dans la foi en Jésus-Christ, cherchant dans sa parole et, à l’heure de la sainte Cène, dans la présence vivifiante de sa personne vivante, la nourriture de notre vie spirituelle, appelée à devenir la substance même de notre être intérieur. Certes, nous voyons aujourd’hui confusément comme dans un miroir […] et nous connaissons imparfaitement. Que Dieu nous garde donc de chercher à voir dès à présent ce que nous ne pouvons encore que croire. Mais toutes les limitations que notre vie dans une chair mortelle impose à l’impatience de nos espoirs n’ont pas empêché saint Paul d’ajouter, aussitôt après avoir confessé son imperfection :
“Alors nous verrons face à face […] alors, je connaîtrai comme j’ai été connu!” Soyons sobres! Je le répète, mais en rendant grâces à Dieu de nous contraindre, par sa Parole, à regarder aux réalités éternelles qui seront nôtres un jour. “Nous sommes enfants de Dieu”, a écrit saint Jean, “et ce que nous serons n’a pas encore été manifesté. Nous savons que lorsque s’en fera la manifestation nous lui serons semblables parce que nous le verrons tel qu’il est”.
Ainsi, la gloire à laquelle nous sommes appelés résidera d’abord dans la vision de Dieu; pour le connaître comme il est, il faut qu’il habite lui-même dans notre esprit.
Ne me dites pas que ce ne sont là que visions trompeuses ou imaginations malsaines. Pour ma part, avec saint Paul, avec saint Jean, avec l’Église de tous les siècles, j’adore le Dieu qui a voulu que, par son Saint-Esprit, nous soyons sans cesse replacés devant la fin véritable que son éternel dessein d’amour assigne à notre vie, “Remplis de toute la plénitude de Dieu!” Y pensez-vous jamais? Savez-vous que là, et pas ailleurs, est notre destinée d’hommes et de femmes reçus en grâce, s’efforçant — oh! bien difficilement — de mourir à eux-mêmes, et balbutiant les premiers mots du chant triomphal de la vie dans le Christ? Savez-vous, pour l’avoir appris de l’épître aux Hébreux, que Dieu veut conduire beaucoup de fils à la gloire? Savez-vous, enfin, que le Christ a lui-même promis à ses disciples qu’ils seront un jour fils de Dieu parce que fils de la résurrection? Nous sommes appelés à posséder la gloire du Seigneur Jésus-Christ, et c’est pour que nous le sachions que l’Évangile est prêché.
Cette marche, chose étrange, est souvent accompagnée de souffrance. Une dernière fois, il importe de nous laisser convaincre. C’est par un chemin de dépouillement et de mort que nous nous avançons vers la vie; si nous y marchons avec le Christ; car là où est le Christ, pendant les jours de notre pèlerinage terrestre, apparaît nécessairement la souffrance. Le disciple n’est pas plus grand que son Maître… Une fois encore, au centre le plus intime de la réalité chrétienne, nous entendons l’affirmation apostolique : “Si nous souffrons avec le Christ, nous serons glorifiés avec lui…” (Rm 8.17).
De la vie de la gloire à laquelle nous sommes appelés, pouvons-nous, en écoutant les enseignements de la Bible, acquérir, dès ici-bas, une connaissance plus détaillée? Ne nous laissons pas séduire par certains écrivains qui n’hésitent pas à nous décrire en détail la béatitude des élus. Résistons à la tentation de vouloir faire venir jusqu’à nous ceux qui vivent dans l’invisible et de chercher ailleurs que dans les certitudes de la foi, l’assurance décisive de leur vie et de leur bonheur éternels. Notre vocation à la gloire porte en elle la promesse de la vie éternelle. “Nous sommes héritiers de Dieu”, écrivait saint Paul, “cohéritiers du Christ, si toutefois nous souffrons avec lui pour être glorifiés avec lui. Nous sommes héritiers parce que nous sommes fils, car nous avons été prédestinés par Dieu à être conformes à l’image de son Fils, afin que celui-ci soit le premier-né d’un grand nombre de frères. Et notre héritage est la vie éternelle…”
Une vie ou la grâce de Dieu, qui n’est autre que son amour éternel accomplissant en nous son dessein, introduit une nouvelle profondeur en l’unissant à la vie même du Christ. Et c’est pour cela que, dès ici-bas, nous participons à l’éternité. Parce que nous nous savons aimés d’un amour qui ne peut périr, nous croyons que Dieu ne veut pas que périssent ceux qu’il aime d’un amour éternel. Ce qui garantit notre vie éternelle et nous y fait accéder dès maintenant, c’est la certitude, reçue au pied de la croix, que Dieu nous aime pour l’éternité. Et la vie éternelle, selon l’étymologie même du terme, est la vie de l’âge à venir, du temps vers lequel l’Église s’avance dans l’attente et la prière, du temps qu’inaugurera l’avènement glorieux de celui qui est notre vie et avec qui nous paraîtrons nous aussi dans la gloire, du temps du Royaume éternel où Dieu sera tout en tous.2 »

Avec Wilfred Monod, nous pourrions jeter dans l’espace un hymne à l’Éternel pour le renouvellement de toutes choses, celui de la terre aussi :

« Elle a porté ta croix et portera ta gloire,
Notre terre, promise à ton sceptre de roi;
Échappant pour toujours à l’iniquité noire
Elle resplendira sous l’aube de ta loi.
Elle est belle, aujourd’hui, mais malgré sa tristesse,
Malgré ses cruautés, la peste et le volcan,
La faim, la maladie et la maigre vieillesse
Et les cris des noyés roulés dans l’ouragan.
Mais ton amour est fort, splendide, irrésistible, Jésus!
Tu sculpteras ton nom dans le sol dur;
Frappée à ton image, ô Prince inamovible!
Du lingot sortira la médaille d’or pur.
Alors le but sacré d’un labeur éphémère,
Luira sur notre globe en sa maturité :
Le ciel, au dernier jour, descendra sur la terre
Comme un rayon d’en-haut par un clair soleil d’été.3 »

Ces notes sur l’espérance chrétienne s’arrêteront ici. Bien que très imparfaitement, elles ont cherché à rappeler la nature ainsi que le caractère décisif de celle-ci pour notre marche dans la foi.

Le chemin parcouru souvent avec hésitations, dans la faiblesse — voire la lassitude — reste placé sous le signe de l’espérance vivante et radieuse. Elle l’entourera et l’éclairera même aux tournants les plus dangereux.

À la question : « Quelle assurance te donne l’affirmation de la vie éternelle? », le Catéchisme de Heidelberg répond :

« Si, à présent, j’éprouve dans mon cœur le commencement de la joie éternelle, j’en aurai la plénitude après cette vie — ce que l’œil n’a pas vu, ce que l’oreille n’a pas entendu, ce qui n’est monté au cœur d’aucun homme — et cela pour louer Dieu éternellement » (Question et réponse 58).

Notes

1. G.C. Berkouwer, The Return of Christ.

2. Marc Boegner, La vie triomphante, p. 118 ss.

3. Wilfrid Monod, Pleine des plus beaux dons.