Cet article sur Genèse 3 et Romains 8.18-23 a pour sujet la souffrance de la création provoquée par la chute de l'homme et la malédiction de Dieu, causant des crises d'écologie. Mais la création espère sa rédemption par Jésus-Christ.

Source: Pour une écologie biblique. 5 pages.

Genèse 3 et Romains 8 - Le soupir de la création

« Il dit à l’homme : Parce que tu as écouté la voix de ta femme et que tu as mangé de l’arbre dont je t’avais défendu de manger, le sol sera maudit à cause de toi; c’est avec peine que tu en tireras ta nourriture tous les jours de ta vie, il te produira des chardons et des broussailles, et tu mangeras l’herbe de la campagne. C’est à la sueur de ton visage que tu mangeras du pain, jusqu’à ce que tu retournes dans le sol, d’où tu as été pris; car tu es poussière, et tu retourneras à la poussière. »

Genèse 3.17-19

« J’estime qu’il n’y a pas de commune mesure entre les souffrances du temps présent et la gloire à venir qui sera révélée pour nous. Aussi la création attend-elle avec un ardent désir la révélation des fils de Dieu. Car la création a été soumise à la vanité — non de son gré, mais à cause de celui qui l’y a soumise — avec une espérance : cette même création sera libérée de la servitude de la corruption, pour avoir part à la liberté glorieuse des enfants de Dieu. Or, nous savons que, jusqu’à ce jour, la création tout entière soupire et souffre les douleurs de l’enfantement. Bien plus : nous aussi, qui avons les prémices de l’Esprit, nous aussi nous soupirons en nous-mêmes, en attendant l’adoption, la rédemption de notre corps. »

Romains 8.18-23

En commençant notre série d’études consacrée à l’écologie et aux problèmes aigus qu’elle soulève, nous avons énoncé un grand principe chrétien et réformé : celui de l’autorité absolue des saintes Écritures. Mais il ne suffirait pas de reconnaître et de déclarer cette autorité, il faudrait encore en préciser l’idée exacte. Aurions-nous dans les pages de la Bible un recueil religieux des opinions humaines au sujet de Dieu ou bien au contraire — ainsi que je le crois avec toute la Réforme du 16siècle — la Parole même de Dieu? Parole révélée aux hommes annonçant la personne de Dieu, la nature de l’homme et le sens de la création?

La Bible est le livre du Royaume de Dieu. Rien de plus et rien de moins. Et ceci suppose une clé, la clé de l’interprétation de la Bible. Hélas!, les fausses clés ne manquent pas, et parfois nous avons recours à l’une ou l’autre de ces clés pour déchiffrer ce que nous imaginons être le contenu de la Bible. Pour certains, ce sera la clé du moralisme, pour d’autres la clé d’un dogmatisme de tradition. À cet égard, n’incriminons pas seulement les sectes pernicieuses d’utilisation abusive de la Parole de Dieu. Des Églises apparemment respectables sont tombées dans le même travers. Je ne nie pas que la Bible contient aussi un message moral ni qu’elle puisse fournir tous les éléments et tous les matériaux indispensables pour formuler une doctrine systématique, nécessaire et cohérente. Mais accepter la Bible du seul point de vue moral et dogmatique revient à opter pour une vue réductionniste de la Parole de Dieu.

La Bible est alors réduite à un seul de ses multiples et riches aspects. Or, elle présente un mode de vie global et non pas des règles ou des formes doctrinales sclérosées. Elle communique avant tout le message rédempteur de Dieu adressé en la personne et la mission de Jésus-Christ; message éminemment actuel, car ce qu’elle contient c’est Dieu lui-même qui le déclare. Et l’attitude que devrait prendre tout esprit humain captant ce message est celle de ne pas se contenter uniquement de l’entendre, mais encore de se conformer à ses directives salutaires pour un mode d’existence viable. Alors l’intelligence ou la raison autonome de l’homme cessera de se poser en juge et en inquisiteur de la Bible pour se laisser examiner, corriger et parfois juger par elle.

Nul n’a donc le droit de manipuler le contenu de la Bible. Car seule la Parole vivante, efficace, dynamique et féconde de Dieu peut accorder paix et vérité, ainsi que foi, espérance et amour. Malheureusement, la raison de l’homme veut interpréter la Parole sans se laisser interpréter par elle. Or, ce n’est que dans un deuxième temps qu’un examen honnête de la Bible pourra avoir lieu. Dans ce cas, nous aurons besoin d’une clé qui n’ouvrira pas seulement des antichambres, mais la grande et majestueuse salle du trône elle-même.

Le monde, nous le savons et nous le déclarons, est l’œuvre de l’intelligence divine. C’est par la foi que nous confessons cette grande vérité biblique. Jésus-Christ a été désigné comme Maître universel. C’est encore par la foi que nous reconnaissons et déclarons cet article du credo chrétien. Il régit la création tout entière. Par son œuvre de rédemption, il emmène le Shalom, la paix et l’intégrité dans une nature qui est tourmentée par le mal.

Nous voulons examiner à présent la nature de ce mal qui jette dans les affres de l’angoisse la création tout entière. L’origine en remonte à la malédiction prononcée par Dieu. Ce monde que Dieu a créé, qu’il aime et qu’il vient même affranchir de ses servitudes, est celui qui, à l’ère présente, est soumis au jugement et subit la colère divine. Aussi soupire-t-il comme une femme sur le point d’accoucher? L’homme n’est pas seul à souffrir. La nature, elle aussi, connaît « les douleurs de l’enfantement » (Rm 8.22). Un mouvement centripète de tous les problèmes humains fait converger toutes choses vers le centre de l’existence de celui-ci, vers l’homme qui est en relation — ou plutôt en rupture de relation — avec Dieu. C’est à cette lumière que nous pourrons considérer à présent le rapport de l’homme avec son prochain et sa relation avec la nature. Nature ou monde physique placé en face du monde de la surnature; celui de la grâce. Le mot nature est dans notre usage la traduction du grec « ktisis » du texte original. Elle est cette partie de la création qui reste distincte de l’homme. Nous pouvons employer aussi, interchangeable, le terme d’environnement.

La nature est un mélange d’opposés. D’une part, elle déclare la gloire majestueuse de son Créateur, d’autre part elle semble démentir le pouvoir absolu de Dieu. Elle fait souffler la douce brise, mais elle déchaîne aussi des tornades dévastatrices. Elle arrose la terre assoiffée par ses pluies rafraîchissantes, mais elle ouvre aussi les écluses du ciel pour déverser sur elle les déluges destructeurs. C’est dans un mystère qui nous échappe encore qu’elle donne naissance et prend soin des créatures les plus fragiles et, en même temps, de manière soudaine et cruelle, les écrase. Elle est à la fois la vitrine où s’étale devant nos yeux admiratifs toute la richesse de la bonté divine et un étalage repoussant ou s’accumulent les cimetières de la vie.

Ce même mélange d’opposés et de contradictions se retrouve en l’homme. L’homme extérieur se détériore, mais l’homme intérieur se renouvelle. Ce parallèle est admirablement décrit par Paul dans sa lettre aux Romains.

« Or, nous savons que, jusqu’à ce jour, la création tout entière soupire et souffre les douleurs de l’enfantement. Bien plus, nous aussi, qui avons les prémices de l’Esprit, nous aussi nous soupirons en nous-mêmes, en attendant l’adoption, la rédemption de notre corps » (Rm 8.22-23).

Ainsi, l’homme et la nature connaissent et partagent le même sort. Ce serait tout à fait irréaliste que de se mettre à chanter la beauté de la nature sans décrire aussi ses humeurs méchantes. Pourriez-vous exalter la beauté du Sahara si vous le survoliez au moins pendant deux heures? D’où vient cette étendue aride et interminable? Dieu l’aurait-il voulue? Aurait-il déclaré que ce désert qui s’étend à l’infini est une création bonne et même excellente? Et puis, que dire de nos pollutions? Avec des expressions imagées, l’Évangile parle quelque part du feu qui ne s’éteint jamais et des vers qui rongent tout, sans cesse. Notre poésie sentimentale et utopique n’est souvent que demi-vérité, et plus souvent encore mensonge par omission.

La « douce nature » des rêves et des poètes n’existe pas, et les pages de la Bible nous permettent de saisir la dure réalité. La Bible n’est pas le chantre naïf de « la bonne mère nature », et nous ne sommes pas obligés de chanter la longue nuit du pôle Nord pas plus que les sables brûlants des déserts inhospitaliers! Elle nous fait part « des soupirs de la création » et ne dissimule pas pudiquement les côtés sombres introduits par la chute dans la vie créée. Elle n’offre pas davantage des solutions faciles et ne veut pas inspirer des sentiments généreux mais utopiques qui nous laisseraient, en fin de compte, avec nos problèmes et avec nos énigmes insolubles.

Elle met à jour la racine du mal et le mal, avec sa racine, se trouve en l’homme lui-même. Mais la Bible ne reste pas cantonnée à ce point. Elle annonce aussi l’espérance.

Rappelons brièvement sa description du côté sombre de la vie.

Aussitôt après sa chute, l’homme est chassé loin de l’Éden, là où ne poussent que des ronces et des épines. Désormais, il gagnera son pain à la sueur de son front et la femme enfantera dans la douleur. Ensuite, il est question du premier homicide (un fratricide même), et suit la longue liste des tristes faits divers perpétrés par des hommes iniques : usurpations, meurtres, oppression, violence, appropriations frauduleuses des biens d’autrui… La liste en serait interminable. Dès le début, l’homme se trouve dans une cassure totale avec son environnement. Les signes de sa mauvaise administration apparaissent partout. Jésus-Christ a prononcé à ce sujet d’inquiétantes paroles qui devraient nous faire réfléchir. Il a parlé de guerres, de famines, de séismes, voire de signes et de phénomènes se produisant dans le ciel et d’une fin du monde arrivant, non plus par un déluge, mais par l’embrasement des éléments de l’univers et le consumant dans un feu universel.

Nous sommes donc vraiment loin dans la Bible d’un tableau idyllique montrant une nature parfaitement harmonieuse. C’est parce que la Bible dirige nos regards vers l’homme qu’elle nous permet de saisir la situation de misère de toute la création, cette création qui n’est pas responsable de sa misère et qui souffre à cause de l’homme et de ses fautes, de ses abus et de ses gaspillages. Parfois, elle profite aussi de son labeur et de ses talents. Entre les mains de l’homme, la nature aurait pu devenir un splendide jardin. Elle a dégénéré le plus souvent en désert. Les villes auraient pu ressembler à Sion la Sainte. Elles sont devenues plutôt des hideuses concentrations urbaines semblables à Sodome. Dieu veut que l’homme embellisse sa bonne création par son imagination et par son intelligence. La terre tout entière aurait dû être cultivée au sens large du terme, car nulle part, la religion biblique n’exalte ni ne préconise la vie naturelle en soi, c’est-à-dire l’utopie du « bon sauvage ». Il n’y a aucun fondement pour un naturisme biblique.

Mais actuellement, c’est le contraire qui se produit. Le récit de la chute de l’homme rapporté par le livre de la Genèse reste la seule explication de la longue souffrance et des douloureux soupirs de la création. La terre tout entière a été maudite à cause de l’homme, et bien que celui-ci ait réussi à soumettre une partie des éléments de la nature et à domestiquer des animaux, les tables sont renversées. À présent, la nature devrait être protégée des agissements insensés de l’homme. Les décennies qui ont marqué le développement industriel et technologique nous ont laissé une nature défigurée, spoliée, avilie.

Hélas!, certaines personnes aux idées courtes et à l’ignorance énorme incriminent l’éthique protestante de la crise écologique moderne, ce qui est une grave erreur. Nulle part, l’éthique protestante n’encourage un développement sans limites de la technologie et encore moins l’exploitation démentielle des ressources naturelles. Que de mauvaises lectures de la Bible et de mauvais chrétiens aient donné de mauvaises éthiques, nous ne le nierons pas. Mais ni la Bible ni la Réforme protestante ne sont responsables, ni de près ni de loin, de la crise écologique actuelle.

Concluons cependant sur une note d’espérance. La création « qui soupire » attend aussi sa délivrance. Elle aussi, sera placée à son tour au bénéfice de la rédemption acquise et placée par Jésus-Christ. La femme qui éprouve les douleurs de l’enfantement sait qu’elle donnera naissance à une vie nouvelle. L’espérance d’une nouvelle terre et de nouveaux cieux habite le cœur de tout lecteur de la Bible. Le futur avènement de Jésus-Christ amènera la « palingenèse » c’est-à-dire le rétablissement cosmique. Alors il n’y aura ni pollution atmosphérique, ni inflation économique, ni violence fratricide, ni maladies mortelles, ni bombes à neutrons, ni armes bactériologiques. Le jour vient, et même il est sans doute proche, où les gémissements se transformeront en chants de triomphe, en Te Deum exalté à la louange de Dieu. Les cœurs célestes, unis aux vois humaines, magnifieront Jésus-Christ le Roi, à qui a été remise toute autorité dans les cieux et sur la terre.

Dans cette attente, nous autres chrétiens, nous devrions d’abord reconnaître nos manquements et nos fautes. Avouons nos déficiences jusque dans le domaine de l’écologie. Dieu ne nous a pas laissés sans instruction. Chrétiens présents dans le monde, nous devrions agir comme des accoucheurs en aidant la nature en travail à enfanter ce dont elle reçut l’ordre.

Que cette espérance, qui est la nôtre, remplisse nos esprits jusqu’au milieu des cris de douleurs les plus terribles et au milieu d’une humanité qui connaît l’angoisse d’être vouée à une destruction irrémédiable. Notre espérance n’est pas fondée sur nos labeurs, mais sur la grande œuvre que Dieu a entreprise et qu’il mènera à son terme. Soyons humbles pour reconnaître nos fautes. Nous n’avons pas les moyens de remédier de manière efficace à la crise écologique, mais le Seigneur de l’univers — et nous sommes son peuple — nous accorde les gages d’une future et vaste moisson en nous donnant son Saint-Esprit, celui qui nous garde humbles, confiants et même pleins de joie, et qui nous conduit dans la vérité. Aussi pouvons-nous espérer contre toute espérance.