Cet article sur 1 Jean 2.15-17 a pour sujet l'opposition entre le Royaume de Dieu, auquel le chrétien appartient pour l'éternité, et le monde qui passe. L'amour du monde et la convoitise de la chair sont incompatibles avec l'amour du Père.

Source: La certitude de la vie éternelle - Méditations sur les épîtres de Jean. 4 pages.

1 Jean 2 - Un homme pour l'éternité

« N’aimez pas le monde ni ce qui est dans le monde. Si quelqu’un aime le monde, l’amour du Père n’est pas en lui; car tout ce qui est dans le monde, la convoitise de la chair, la convoitise des yeux et l’orgueil de la vie, ne vient pas du Père, mais vient du monde. Et le monde passe, et sa convoitise aussi; mais celui qui fait la volonté de Dieu demeure éternellement. »

1 Jean 2.15-17

Le malentendu au sujet du monde n’est pas quelque chose qui est particulier à des chrétiens. Le monde antique se le représentait comme le champ de deux principes engagés dans un violent conflit. La religion du Zoroastre, par exemple, d’où est dérivé le manichéisme, avait fait de ce dualisme l’essentiel de sa doctrine. Pour cette religion de l’ancienne Perse, deux divinités ennemies s’opposaient à mort; d’une part le dieu de lumière, Ahura-Mazda, d’autre part celui des ténèbres, Ahura-Mainyu. De quel côté le mortel allait-il se ranger? Tel était la grande question. Chacun devait décider pour soi-même.

Pour les chrétiens, le clivage entre le monde et l’Église annonce un autre arrière-plan. Depuis l’apparition du Christ, c’est le temps qui est divisé : le temps avant le Christ et le temps après le Christ. En ce sens-là, le chrétien est « étranger et voyageur sur la terre ». Il n’appartient pas totalement ni définitivement au siècle passé. À aucun moment le monde temporel, ni rien qui soit en lui, ne représente pour lui le but dernier. La fin ultime pour sa foi est le Royaume qu’il recherche premièrement. Il appartient exclusivement au Seigneur du Royaume qui le possède définitivement et sans condition.

Cette appartenance au Royaume et la profession d’étranger et de voyageur marquent les limites de la vie du chrétien dans le monde présent. Parce qu’il est destiné à la gloire dans le Royaume, l’homme chrétien ne peut fonder sa gloire sur rien de temporel. Il ne peut se donner à rien, il ne peut adorer aucun des dieux des hommes. Il appartient à une patrie différente, il est devenu citoyen d’une nouvelle patrie. La limite de son attachement lui est donnée par le Royaume de Dieu qui vient et qui est sa patrie dernière. Ainsi il ne conférera à son propre pays aucune divinité, aucune éternité, il ne peut lui reconnaître de pouvoir dernier sur lui; le Royaume de Dieu seul est le dernier et marque la fin aussi de son pays.

Le Royaume de Dieu seul est le dernier. Tout le reste, tout ce que nous possédons sur terre, tout ce que nous sommes est toujours avant-dernier, relatif et entièrement soumis aux exigences du Royaume qui vient et de celui qui y régnera.

Il y a une opposition absolue entre le Royaume de Dieu qui vient et le monde, entre le siècle présent éphémère et l’âge nouveau imminent. La venue du Royaume de Dieu mettra fin au monde temporel. Ce monde-ci est le champ où sévit la force violente, où régit l’idolâtrie, où domine l’orgueil et où règne l’égoïsme; la haine, la guerre, l’injustice y sont les lois, celle de la jungle. Mais il en est autrement dans le Royaume; celui-ci appartient aux pauvres en esprit, à ceux qui pleurent, aux doux, aux miséricordieux, aux persécutés pour la justice!

Pourtant, la présence des chrétiens sur la terre devrait signaler la victoire du Royaume sur le monde du mal. Le chrétien apprendra à ne pas se conformer au siècle présent, à s’y opposer plutôt par obéissance à Dieu. Cette obéissance est le fruit mûri de l’Esprit Saint qui renouvelle nos esprits. Refuser de sacrifier au dieu du siècle, qu’il s’appelle la raison, l’argent, le sexe, en pensant et en se comportant au nom d’une morale et d’une religion fondées sur Jésus-Christ, c’est prendre garde à ne pas se laisser séduire par la philosophie et les vaines subtilités inspirées des traditions humaines et des principes du monde qui ne sont pas fondés sur l’enseignement du Christ (Col 2.2-8).

Ne pas se conformer au siècle présent, c’est être vraiment et à tous les moments méfiant à l’égard du monde, de ses maîtres, de ses chefs, de ses dieux, de ses habitudes. C’est vouloir rester libre vis-à-vis d’eux. De la même manière, être emprisonné dans une morale traditionnelle à partir de laquelle on juge de tout et tout le monde, ou la recherche systématique d’une pauvreté même spirituelle qui se passe fort bien de Jésus-Christ, sont aussi des signes de l’asservissement des hommes par le monde, certainement plus graves encore, parce que plus gros de conséquences que l’alcoolisme ou la prostitution.

Tout cela c’est le monde. Le Royaume et ceux qui le recherchent sont contre ces choses, dans la mesure où ils ont vraiment été libérés par rapport aux puissances de ce siècle, c’est-à-dire véritablement attachés à Jésus-Christ. L’Église et le chrétien individuel sont des puissances d’opposition au siècle présent. L’Église chrétienne et l’homme chrétien ne peuvent être qu’une Église ou un homme qui s’opposent au monde à cause du Royaume qui vient.

L’amour du monde est un amour subtil; car le « monde » exerce sur le chrétien une pression qui risque de l’entraîner. Or, ouvert à Dieu, tourné vers les frères, le croyant vit dans la condition toute nouvelle créée par la venue de Jésus-Christ. Mais il n’est pas à l’abri de la menace que le monde fait peser sur lui et le péril est si réel qu’il dicte à Jean sa mise en demeure. Les tendances qui inspirent la vie des hommes ont fait place nette dans le cœur du chrétien. Jésus n’a-t-il pas parlé du démon chassé qui revient en force investir la demeure remise en ordre? À regarder vivre les hommes, le chrétien risque de retomber dans leur genre de vie.

Cette menace est exposée en trois points. La première expression occupe une place spéciale. « Les yeux » sont des instruments dont la convoitise se sert pour arriver à ses fins. « La chair », elle, est autre chose que l’organe de l’envie et le moyen de la satisfaire. La chair est ce qui s’oppose à l’Esprit de Dieu. La chair c’est l’homme tel qu’il juge par lui-même et lorsqu’il s’en remet à ses propres convoitises. « La convoitise » est l’instinct qui pousse l’homme à se chercher lui-même; la force qui le contraint à vivre sa vie cramponné à sa propre personne en agissant pour son seul avantage, en ramenant tout à lui. Paul invite ses lecteurs à ne pas accomplir le désir de la chair. Accomplir la convoitise de la chair, c’est se laisser aller à la pente naturelle de l’homme, la tendance fondamentale de l’homme « charnel », l’homme tout entier, s’aimer lui-même au lieu d’aimer Dieu et le prochain. Amour de soi, les yeux jouent un rôle capital.

La convoitise naturelle de l’homme naturel le pousse à regarder autour de lui non pour contempler l’admirable création de Dieu, mais pour établir des comparaisons. Cette tendance fondamentale de l’homme naturel à s’aimer lui-même se dirige contre le prochain; elle est inhumaine. Elle prend la direction opposée au chemin qu’empruntent les pensées et l’action de Dieu. L’homme qui s’aime fait sa propre volonté. Mais une fois que l’amour de Dieu s’est manifesté à lui, Dieu devient le centre de sa vie et il n’a plus qu’une ambition, plus qu’une envie, plus qu’un orgueil, celui de manifester autour de lui, par son amour, l’amour dont il est l’objet.

Cet homme-là demeure pour l’éternité. Il a remis sa vie entre les mains de celui qui est, qui était et qui vient. Il est accroché au Dieu dont l’amour ne pâlira jamais; il vivra même au-delà de la mort, tandis que le monde passe et sa convoitise aussi. « La figure de ce monde passe », écrivait Paul (1 Co 7.31). C’est comme une figure de théâtre qui paraît sur scène pour la quitter aussitôt; figurant éphémère seulement. Le monde va terminer sa course. Un acte nouveau va se jouer dans des circonstances toutes différentes. À cette séquence qui ne connaîtra plus de fin, nous sommes certains de participer puisque nous suivons maintenant déjà les indications de celui qui va mettre en scène.