Jésus à la recherche des hommes
Jésus à la recherche des hommes
Les Évangiles nous rapportent souvent le cas d’hommes qui, ayant pénétré dans le champ magnétique du Christ, subirent une transformation puissante. Saisis et subjugués par lui, ils découvrirent ce qui était essentiel pour chacun d’entre eux. À partir de cette rencontre, leur existence revêtit un sens nouveau et suivit une orientation radicalement différente. Ce fut leur conversion.
Voyez par exemple la femme de Samarie. Au milieu de la journée, sous un soleil accablant, elle se rend au puits situé en dehors de son village pour y puiser de l’eau. Elle y rencontre un inconnu avec qui elle engage une conversation inattendue, aussi bien sur des questions métaphysiques que sur celles concernant l’actualité. Le culte religieux, l’eau-de-vie, le mariage, voire les rapports entre deux peuples ennemis… Tous ces sujets font l’objet de cet entretien passionnant. À tel point qu’elle en vient à oublier l’objet même de sa présence au bord de ce puits, et, y abandonnant sa cruche, court vers son village pour crier : « Venez voir un homme qui m’a dit tout ce que j’ai fait! » (Jn 4.29). Cette femme de Samarie venait de découvrir une identité nouvelle à travers la présence du Christ-Jésus.
Lévi est une autre figure des Évangiles illustrant la même expérience. Il est collecteur d’impôts pour les Romains, donc un collaborateur des Romains, ce qui lui vaut le mépris de ses concitoyens. Je l’imagine très peu scrupuleux, exploitant à fond les avantages de sa position privilégiée. Un jour, il se trouve sur le passage de Jésus et de ses disciples, entouré de ces gens religieux qui le méprisent. Ce sera pourtant à cette occasion-là que Lévi entendra l’une de ces phrases prononcées par Jésus qui nous bouleversent encore deux mille ans après : « Je ne suis pas venu appeler des justes, mais des pécheurs » (Mt 9.13). Dans le cadre social et religieux de l’époque, cela voulait simplement dire que Jésus s’intéressait au sort et à la transformation de tous ceux que l’opinion des bien-pensants considérait comme irrécupérables.
Surpris et bouleversé par une telle déclaration, Lévi quitte son bureau et ses subordonnés pour suivre le Christ. Nous possédons très peu de renseignements sur Lévi, surnommé Matthieu, qui est sans doute l’auteur de l’Évangile qui porte son nom. Pourtant, cet homme, frappé d’ostracisme, mauvais patriote et fonctionnaire ne s’embarrassant pas de scrupules, fera soudain un virage à 180 degrés… Aussitôt, nous disent les Évangiles, il organisa un festin pour inviter Jésus ainsi que ses anciens compagnons, profiteurs comme lui et du même acabit. Une simple note de l’Évangile nous révèle cette transformation radicale. Lévi ressentit une joie indicible. L’ancien fonctionnaire véreux devint une personne nouvelle.
Voyez encore Zachée, un autre officier du fisc. Celui-ci a une qualité, celle d’être curieux! Il cherche à tout voir et à tout savoir. Est-ce son instinct professionnel qui le pousse à chercher à voir ce rabbi juif qui doit traverser la rue où est installé son bureau? Mais Zachée a un désavantage physique : il est de petite taille. La foule l’empêchera certainement de s’approcher du Christ, car Jésus ne circulait pas en « Jésus mobile »… Aussi, décide-t-il de grimper sur un arbre. Perché sur un sycomore, il pourra observer à loisir les mouvements et la progression du célèbre visiteur. Mais les événements prendront une tournure inattendue, car le regard pénétrant de Jésus s’arrêtera précisément sur ce petit bout d’homme, lui aussi fils d’Abraham et brebis égarée. Il est urgent de laisser dans leur confortable sécurité les 99 brebis pour aller à la recherche de la brebis perdue. Et il y aura alors cette demande pressante de la part du Christ qui dit à Zachée : « Hâte-toi de descendre, car il faut que je demeure aujourd’hui dans ta maison » (Lc 19.5).
J’imagine qu’en entendant cette requête d’hospitalité, Zachée dut tomber à la renverse! L’évangéliste nous informe qu’il se dépêcha de descendre de son sycomore et qu’il prépara un grand festin. Et voici que cet homme jusque là sans foi ni loi veut maintenant accomplir l’exigence de la loi de l’Ancien Testament; le changement est si subit, si profond et authentique qu’il déclare solennellement qu’il restituera le quadruple à tous ceux qu’il avait escroqués jusqu’à présent, ainsi que le prescrit la loi.
Ma fille Alix (elle devait avoir à l’époque entre cinq et six ans) à qui j’enseignais le catéchisme fut très impressionnée par ce récit. À la fin de la leçon, je l’interrogeai : « Dis-moi, que s’est-il passé lors de la rencontre de Jésus avec Zachée? » « Zachée, me dit-elle avec le plus parfait aplomb, était un homme très petit; et lorsqu’il rencontra Jésus, il grandit tout d’un coup! » Elle savait que lorsqu’on rencontre Jésus, il se passe toujours quelque chose d’important dans la vie des gens. Aux yeux d’une petite fille, ce qui pouvait arriver de mieux à Zachée, si petit qu’il devait grimper sur un arbre pour voir passer Jésus, c’était de grandir sur le champ pour pouvoir le voir sans être obligé de grimper aux arbres… J’avoue que cette réponse, drôle et inattendue, ne me permit pas de garder mon sérieux. Mais à bien y penser, n’est-ce pas ce qui s’est produit sur un autre plan? Je crois, en effet, que Zachée grandit réellement pour atteindre la stature de l’homme transformé par le pouvoir divin de la grâce.
L’expérience de Nicodème, vénérable savant religieux, ne fut pas différente. Maître respecté, il découvrit ce qui s’imposait aussi dans son cas. Nous possédons peu de renseignements sur lui; nous le verrons plus tard parmi les gens qui, au bord de la tombe du divin Crucifié, se préparent à lui rendre les derniers hommages. Mais ce fut durant cette nuit mémorable, face à Jésus, qu’eut lieu le tournant décisif de sa vie. Il fut interpellé par le Christ : « Il faut que vous naissiez de nouveau. […] Tu es le docteur d’Israël et tu ne sais pas cela! » (Jn 3.7,10). Jésus aurait pu ajouter : la vérité transcendante que tu cherches n’est pas aussi loin que tu le penses; et puis, l’essentiel n’est pas de chercher « une vérité », aussi sublime soit-elle; il te faut une personnalité transformée; il faut que tu deviennes un homme régénéré.
Hélas!, ce champ magnétique de la présence du Christ provoque aussi des réactions négatives. Voici un jeune homme qu’on dit très riche. Sans doute est-il un dignitaire de sa nation. Jésus lui demande de se détacher de ses biens matériels, qui l’encombrent dans son effort de trouver un sens à sa vie et de le suivre, lui, qui est le chemin, la vérité et la vie (Jn 14.6). L’exigence est totale. Ce jeune homme, pourtant sincère, n’accepte pas de la remplir pour pénétrer dans le champ ensemencé des biens impérissables du Royaume éternel. Il préfère sans doute la mince et éphémère satisfaction de sa richesse, qui le mène pourtant vers l’impasse (Lc 18.18-25).
Tant d’autres personnes autour de nous lui ressemblent; un jour ou l’autre, elles ont fait la rencontre inattendue de ce personnage qui n’est autre que le Fils de Dieu et Sauveur des hommes. Hélas!, elles lui tournent le dos avec une parfaite inconscience ou peut-être avec tristesse, comme le jeune homme riche, pour mener une existence qui ne sera plus, désormais, « qu’une passion inutile »…
Certes, toute rencontre avec le Christ exige le déchirement, consomme la rupture avec un certain mode de vie, demande même parfois un prix exorbitant… Mais quel bonheur aussi lorsqu’on accepte ce déchirement qui donnera le jour à une personne nouvelle! La métamorphose doit être totale.
Il faut avouer, cependant, que notre rencontre avec le Christ met aussi au grand jour nos échecs; elle révèle notre condition tragique d’hommes pécheurs.
Un homme, jeune lui aussi, un personnage des Évangiles appelé Judas, en fit l’expérience négative et ultime. Il trahit celui qui était l’unique innocent et son péché fut, en définitive, son refus du Fils de Dieu et son manque de repentance. Et si, dans un remords infernal, il reconnut son échec, il crut cependant devoir se faire justice lui-même.
Pourtant, l’aveu de nos échecs pourrait devenir la voie qui nous conduit vers la réhabilitation; nous permettre des retrouvailles; prendre enfin conscience de nous-mêmes.
Ce fut le cas de Pierre, un autre disciple de Jésus. En la présence du Seigneur, l’unique parfait, il s’écria : « Seigneur, éloigne-toi de moi parce que je suis un homme pécheur » (Lc 5.8). À partir de cette confession de ses péchés, son identité changea. Son attachement au Christ, malgré ses moments de faiblesse, fut tel qu’il le suivit jusqu’au bout et, selon la tradition, devint son martyr.
Dans le journal que je viens de déposer sur mon bureau, un fait divers arrête mon attention : « Casse-tête psychiatrique pour un sadique repentant. » Un homme d’une trentaine d’années est jugé pour quatre viols dont l’un s’est soldé par le meurtre de sa victime. Mais je vous lis un paragraphe qui m’a abasourdi :
« De nouveaux experts l’ont encore examiné… et avancent que dans la mesure où il poursuivrait pendant cinq ans le traitement psychanalytique commencé, il disposerait de moyens de contrôle qui, en principe, devraient lui épargner la récidive. Alors l’espoir? »
Quelle absurdité, voire quelle inconscience que cette interminable période de probation psychologique pour guérir un homme malade et criminel… Dans ce pays où le christianisme n’a pourtant pas totalement disparu, ne pourrait-on pas mettre un sadique repentant immédiatement en la présence du seul capable de le transformer? Du Christ-Jésus? De grâce, honorables juges, psychologues patentés, et vous, assistantes sociales dévouées à la cause de tant d’épaves humaines, même si vous avez cessé de croire vous-mêmes, dépêchez donc auprès de votre « casse-tête psychiatrique » un aumônier de prison, quelqu’un qui croit encore au pouvoir transformateur du Christ pour proposer la seule et définitive guérison sans risque de récidive. Votre homme ne dirait pas autrement que ce jeune, né aveugle, qui confesse : « Je sais une chose : j’étais aveugle, maintenant je vois! » (Jn 9.25). Ou encore, tel ce forcené dont parlent les Évangiles, possédé par dix mille démons et qui, guéri par le Christ, apaisé et assis tranquillement auprès de lui, le supplie de lui permettre de le suivre et de devenir un témoin du miracle de la grâce (Lc 8.26-39).
L’essentiel dans notre rencontre avec Jésus, il faut que nous le sachions, se trouve de son côté. Il est venu chercher celui qui était perdu. « Tu ne m’aurais pas cherché si tu ne m’avais pas trouvé », fait dire Pascal à Jésus. Et ailleurs : « Je pensais à toi dans mon agonie. J’ai versé des gouttes de sang pour toi. » Entendez bien, mes amis, ce singulier : « Pour toi ». Non pas seulement pour le genre humain en général, mais pour toi personnellement.
Peut-être vous est-il arrivé à vous, comme cela arrive à toute personne qui réfléchit, de vous poser la question : Ma vie a-t-elle un sens? Un centre à partir duquel elle trouve son équilibre, son identité ou son unité? À quoi nous servirait-il de tout savoir sur l’univers si nous devons passer à côté de nous-mêmes, amnésiques égarés, ou bien inconscients et confus? Il n’est pas aisé de rester, vous le savez déjà sans doute, les spectateurs de nos propres drames et de supporter la charge de nos échecs, ni même de nous analyser sans cesse. Nous sommes incapables de dominer le monde de l’irrationnel, de conjurer les mille démons qui nous hantent, de mettre fin à la peur qui nous paralyse ou nous tourmente, d’être sans cesse meurtris par tant d’espérances déçues.
La présence du Christ, qui nous accompagne, même si nous l’ignorons ou nous la refusons, nous adresse une salutaire invitation et nous offre une certitude : « Je ne suis pas venu appeler des justes, mais des pécheurs » (Mt 9.13). Ne voulez-vous pas répondre à cette invitation? Elle vous est adressée non pas par un simple mortel, mais par celui qui était venu nous révéler dans toute sa splendeur et dans son authenticité la plus émouvante le visage aimant du Dieu des cieux, qui nous a créés et qui nous veut pour lui, dans le temps et même au-delà, pour l’éternité.