Cet article a pour sujet la réponse de l'homme à la vocation reçue de Dieu. La transgression n'a pas aboli le mandat culturel ni le travail, mais a tout déformé. En Jésus nous recevons la restauration, avec l'assurance que notre travail pour Dieu ne sera pas inutile, dans l'espérance de la nouvelle création.

Source: La vocation du chrétien. 4 pages.

La réponse de l'homme

C’est encore dans l’Écriture que nous chercherons les réponses humaines données à la vocation reçue de Dieu. Mais l’homme, qui est-il? Il y a celui qui est soumis au régime d’après la chute, mais il y a aussi celui qui, régénéré par la rédemption, jouit d’un statut totalement nouveau. Le premier a donné la mauvaise réponse à sa vocation; le second se soumet à Dieu par la foi et lui témoigne sa soumission et sa reconnaissance. La première réponse est celle de la transgression, de l’incrédulité et de la révolte. L’homme déchu s’oppose à Dieu, non seulement en le fuyant, mais surtout dans sa tentative démesurée de vouloir devenir comme lui (Gn 3.22).

Cependant, l’image divine initiale en laquelle il a été créé, quoique défigurée, n’est pas totalement anéantie. Cet homme agit encore dans le monde créé par Dieu, mais comme un gérant infidèle. Dieu lui laisse une certaine liberté plutôt que de le précipiter définitivement dans la mort éternelle. De ce fait, nous constatons une certaine ambiguïté dans son comportement. Même lorsqu’il désobéit à Dieu, certaines de ses œuvres portent encore la marque de la soumission à l’ordre créé. Mais si l’ordre originel n’est pas aboli, tout est changé, car le péché a mille manières de déformer ce que Dieu a formé.

Suivons encore le récit des origines. Nous constatons, tout d’abord, le maintien du mandat culturel après la chute. L’homme se nourrira toujours des fruits de la terre; dans une certaine mesure, il les savoure encore. Par la grâce commune de Dieu, même le païen peut se rassasier de nourriture et d’autres bienfaits. Mais il n’habite plus le jardin. Tous les fruits dont il goûte sont décevants parce qu’il lui manque celui de l’arbre de la vie; le ver, celui de la mort, est dans le fruit. Le livre de l’Ecclésiaste, dans l’Ancien Testament, est un constat amer et poignant de cette corruption totale. Parfois, l’homme fait mine de refuser les fruits que Dieu lui laisse encore cueillir.

« Au fond de tous les paganismes, écrivait un théologien, il y a un fond d’ascétisme engendré du ressentiment, qui revient à rejeter ce que Dieu a fait pour l’homme. Plus souvent, l’homme déchu transforme les fruits de l’amour réservé à Dieu en chaînes de convoitise. »

Les faveurs que Dieu accordait au peuple de l’Ancienne Alliance devinrent occasion de péché, d’asservissement à l’idolâtrie. L’homme déchu vagabonde entre le dégoût de la vanité et la servilité dégradante.

Notons ensuite le maintien du mandat; l’homme continue à se soumettre la création. Il agit avec efficacité, il respecte encore en général les lois naturelles établies par Dieu. Sa parole, sa science, sa technique, sa culture sont autant de signes que le mandat culturel n’a pas été totalement oblitéré par le pécheur. Cependant, il ne l’exerce plus dans l’harmonie, mais dans la disharmonie. Il peine, il est en conflit, il luttera avec acharnement contre les éléments naturels déchaînés qu’il a du mal à se subjuguer, il gagnera son pain quotidien à la sueur de son front… Le sang des victimes a coulé, l’homme est devenu une terreur pour les animaux. Il brutalise la création au lieu de se la soumettre, en honorant de la sorte le mandat reçu de Dieu. Sa cité est repaire de mal, de violence, de cruauté. Babylone, qui apparaît si souvent sur les pages de l’Écriture avec sa splendeur et sa magnificence, est le symbole de cette déchéance de la cité de l’homme. Le mensonge corrompt la parole, la pensée, les conduites.

Enfin, l’homme ne se laisse jamais totalement absorber par son travail. Même quand il transgresse la loi du sabbat, qu’il oublie la signification initiale du culte à rendre à Dieu, il prend quand même distance par rapport à son labeur. Il aspire à un repos qui ne le soustraira pas à son travail, mais achèvera son ouvrage. La « société sans classes » des socialismes utopiques est un autre signe de ces sabbats illusoires qui ne sont que la caricature du repos tel que Dieu l’a voulu et offert. Hélas!, il mesure aussi, avec quel déchirement, la vanité de toutes choses, l’absurdité de sa vie. Il constate, désabusé, l’absence du sens.

Est-ce tout? L’Écriture serait-elle frappée de « sinistrose » avant la lettre? Et l’Ancien comme le Nouveau Testament répercuteraient-ils simplement les échos de l’Ecclésiaste désabusé? Dieu soit loué, non! Nous avons promis d’examiner aussi la réponse de l’homme nouveau, régénéré par la rédemption. Cet homme donne à Dieu la réponse attendue. Mais le parfait homme nouveau n’est autre que Jésus-Christ, avec tous les siens, c’est-à-dire son peuple racheté. Il est le premier-né de la création nouvelle. Sa réponse apaise la colère divine, restaure les morceaux brisés, raccommode les fêlures du monde. Car la rédemption apportée par Jésus-Christ signifie restauration. Un mot biblique grec désigne ce fait nouveau : apocatastase. Ce terme désigne la restauration finale qui sera opérée à la fin de l’histoire. Le Psaume 8, qui expliquait le mandat confié à l’homme, s’applique principalement à Jésus-Christ.

Mais en quoi consiste la restauration en question?

Pour commencer, signalons que Jésus-Christ est celui qui restaure le paradis perdu. Tel est l’essentiel du message du dernier livre du Nouveau Testament, l’Apocalypse de Jean. Tous les arbres du jardin y sont des arbres de vie. Le fleuve qui baigne la terre nouvelle procède non plus du sol, mais du trône même de Dieu et de l’Agneau. Il s’agit du fleuve de vie que Jésus prédisait dans l’Évangile selon Jean : ceux qui croiraient en lui verront des fleuves d’eaux vives couler de leur sein (Jn 7.38). Ensuite, Jésus-Christ restaurera à l’homme le plein pouvoir d’agir et de régner sur la terre. La promesse de ce règne se trouve dans presque toutes les pages du Nouveau Testament. Ici et maintenant disparaîtront conflits et frustrations; il n’y aura plus de mer sur la nouvelle terre, car la mer est selon la Bible le domaine étranger à la maîtrise de l’homme; elle symbolise les résistances qu’il pourrait rencontrer dans son œuvre.

La Cité nouvelle décrite sur les pages de l’Apocalypse est splendide. Il n’était pas bon que l’homme soit seul en Éden; il est bon qu’il soit en compagnie d’une multitude dans la nouvelle création! L’humanité ne sera plus jamais seule. Le Tabernacle de Dieu séjournera parmi elle.

Jésus-Christ restaure aussi le repos consacré, le vrai sabbat. Il fait goûter les siens, son peuple élu et racheté, au vrai repos promis. Ceux qui actuellement sont avec lui et même ceux qui sont morts en lui se reposent de leurs travaux. Le sabbat y semble, à première vue, perpétuel. En réalité, activité et repos coïncident, comme pour Dieu lui-même. Par la foi, la nouvelle création est déjà inaugurée, bien qu’elle ne soit présente encore que dans les gages accordés par le Saint-Esprit.

Qu’en est-il de nous qui vivons encore au cours de l’histoire? Cette histoire traversée par tant de turbulences, ensanglantée par tant de sacrifices humains, théâtre de tant d’iniquité, procès-verbal de tous les maux et cruautés que l’homme déchu est capable d’exercer sur son prochain.

Le témoignage de l’Écriture dément toute utopie futuriste. Pour elle, révélation divine ultime, claire et suffisante, l’homme nouveau est renouvelé intérieurement dès à présent. Elle n’angélise pas le chrétien, mais le déclare objet de la gloire à venir; elle lui permet d’espérer. La foi chrétienne que nous professons sous l’action de l’Esprit Saint, à la lumière et selon les instructions de la Bible, n’est pas vue. Le chrétien attend toujours, souvent avec des soupirs d’impatience, parfois dans une exaltation légitime, la rédemption définitive, la transformation du corps périssable et mortel, en corps impérissable et immortel. C’est son corps actuel, même après être livré à la décomposition, qui ressuscitera. Il n’espère pas un sauvetage, une certaine amélioration progressive, un perfectionnement dû à une lente évolution de l’histoire présente. Au contraire, il est informé et convaincu que ce monde temporel et spatial passera et périra. Il périra embrasé par le feu, mais afin de donner lieu à une nouvelle naissance cosmique. Il se souvient aussi de l’avertissement du Seigneur, annonçant le jugement à venir qui mettra fin à ce qui existe, corrompu et déshonorant pour Dieu. Il prend également au sérieux l’avertissement qu’il n’y aura pas de salut, d’espérance et de rédemption sans repentir. Nos actes présents ne sont pas le Royaume, ils ne constituent que de simples signes de celui-ci.

Toutefois, rien de ce que nous faisons de manuel, d’intellectuel, de culturel ou de scientifique n’est totalement dépourvu de sens et de valeur. Car si les chrétiens accomplissent leurs œuvres, non sous la contrainte ou sous le signe de la malédiction, mais en obéissant au mandat initial, ils donnent par là l’évidence du renouvellement de toutes choses déjà inauguré dès ici-bas. Ils sont les instruments de la patience de Dieu. Ils peuvent lui demander « d’affermir l’ouvrage de leurs mains », ainsi que l’implorait l’auteur du Psaume 90. À cause de la résurrection finale, nos œuvres, aussi misérables qu’elles puissent nous paraître, ne sont pas vaines. Nous avons même la promesse que toutes les splendeurs et toutes les valeurs des nations seront récapitulées dans les nouveaux cieux et sur la nouvelle terre.

Ainsi, frères et sœurs chrétiens, sachons que tout ce que nous accomplissons ici et maintenant est pour notre Seigneur, consacré à son service, destiné à sa seule gloire, par l’obéissance de la foi, dans la reconnaissance pour ce qu’il a accompli en notre faveur. Puisse Dieu nous renouveler dans cette pensée, nous engager à son service afin que, dans un monde en convulsion, déboussolé, ayant perdu tout sens de devoir parce qu’en chômage de la foi en Dieu, nous demeurions ses témoins hardis et ses serviteurs fidèles.