Cet article a pour sujet l'importance de défendre et promouvoir la liberté d'expression, dans le contexte où les gouvernements ont tendance à restreindre cette liberté et à contraindre de force les propos de chacun.

6 pages. Traduit par Paulin Bédard

Pourquoi défendre la liberté d’expression? Pourquoi les chrétiens devraient-ils défendre la liberté de dire des choses que nous ne dirions pas?

  1. L’humble doit être prêt à se voir remis en doute (Pr 18.17)
  2. À cause des orgueilleux, parler peut coûter cher
  3. Les sages remettent en question les paroles
  4. Dieu déteste les propos contraints par la force
  5. Dieu a utilisé la parole
  6. La parole peut être utilisée à mauvais escient
  7. John Milton à propos du fer qui aiguise le fer
  8. Certaines paroles doivent être encadrées par la loi
  9. Mais le plus gros problème est la restriction de la vérité

Il y a quelques années, un diplomate américain prenait un verre avec son homologue russe à Moscou, capitale de l’Union soviétique. Il essayait d’expliquer au communiste ce que signifie la liberté d’expression.

« En Amérique, n’importe quel citoyen peut se promener dans le centre de Washington avec une pancarte portant l’inscription “À bas le président Reagan” sans se faire arrêter. C’est ce que signifie la liberté d’expression. »
« Et alors? a répondu son ami russe. Je pourrais marcher jusqu’au Kremlin, jusqu’au bureau du secrétaire d’État Gorbatchev et crier “À bas Reagan” sans me faire arrêter. »

C’est l’une des nombreuses blagues que le président Reagan aimait raconter pour opposer la liberté occidentale à la répression soviétique. Cette plaisanterie fait allusion à un test décisif pour la liberté d’expression, à savoir si vous êtes libre de critiquer votre propre gouvernement, vos lois et votre société, en privé ou en public.

1. L’humble doit être prêt à se voir remis en doute (Pr 18.17)🔗

Mais pourquoi une société, en particulier une société démocratique comme le Canada, devrait-elle permettre que ses normes, ses croyances ou ses comportements soient remis en question et critiqués?

Parce que nous croyons que les sociétés et les gouvernements — comme toute personne ou tout groupe de personnes faillibles — peuvent se tromper. C’est d’ailleurs souvent le cas. La vérité existe. Et la vérité l’emporte sur l’opinion majoritaire, les sentiments personnels et le pouvoir politique. À cet égard, il existe de nombreux exemples d’hommes qui ont dit la vérité aux détenteurs du pouvoir politique. Ils sont consignés dans la Bible et dans l’histoire de l’Église.

On peut penser à Nathan qui a interpellé David pour son adultère avec Bath-Chéba. Ou encore à la façon dont Samuel et Jonathan ont dit la vérité au roi Saül.

2. À cause des orgueilleux, parler peut coûter cher🔗

De nombreux autres prophètes ont osé dire la vérité à d’autres rois d’Israël et de Juda. Jésus a condamné les autorités juives pour avoir tué ces prophètes. Dans Matthieu 23, Jésus cite même un exemple précis rapporté dans l’Écriture, à savoir celui de Zacharie dans 2 Chroniques 24.20-21 :

« L’Esprit de Dieu revêtit Zacharie, fils du sacrificateur Yehoyada, il se tint devant le peuple et lui dit : Ainsi parle Dieu : Pourquoi transgressez-vous les commandements de l’Éternel? Vous n’aurez pas de succès, car vous avez abandonné l’Éternel : il vous abandonnera. Alors ils conspirèrent contre lui et le lapidèrent par ordre du roi, dans le parvis de la maison de l’Éternel. »

Prenons aussi l’exemple de l’apôtre Paul. Dans Actes 17, nous lisons comment Paul s’est acquitté de sa tâche. Dans la première partie d’Actes 17, il se trouvait à Thessalonique. Nous lisons :

« Paul entra dans la synagogue, selon sa coutume. Pendant trois sabbats, il eut avec eux des entretiens, d’après les Écritures; il expliquait et exposait que le Christ devait souffrir et ressusciter d’entre les morts. Et Jésus que je vous annonce, disait-il, c’est lui qui est le Christ. Quelques-uns d’entre eux furent persuadés et se joignirent à Paul et à Silas » (Ac 17.2-4).

Contrastons avec le comportement de ceux qui n’ont pas aimé ce que Paul a dit :

« Ils traînèrent Jason et quelques frères devant les magistrats en criant : Ceux-ci, qui ont bouleversé le monde entier, sont aussi venus ici, et Jason les a reçus. Ils agissent tous contre les décrets de César et disent qu’il y a un autre roi, Jésus » (Ac 17.6-7).

Ces types semblent avoir eu un bon sens politique. Ils ont créé un mouvement de foule, ils ont provoqué une émeute, ils ont accusé le message de leurs adversaires d’être à l’origine de leur comportement, ils ont obtenu des autorités qu’elles les réduisent au silence.

3. Les sages remettent en question les paroles🔗

Paul s’est ensuite rendu à Bérée, où nous lisons que les Juifs « avaient de meilleurs sentiments » et qu’ils « reçurent la parole avec beaucoup d’empressement, et ils examinaient chaque jour les Écritures, pour voir si ce qu’on leur disait était exact » (Ac 17.11). Plus loin dans le chapitre, nous lisons que Paul était à Athènes :

« [Paul] s’entretenait donc dans la synagogue avec les Juifs et ceux qui craignaient Dieu, et sur la place publique, chaque jour, avec ceux qui s’y rencontraient. Quelques philosophes épicuriens et stoïciens se mirent à parler avec lui. […] Alors ils le prirent, le menèrent à l’Aréopage et dirent : Pourrions-nous savoir quel est ce nouvel enseignement dont tu parles? Car tu portes à nos oreilles des choses étranges. Nous voudrions donc savoir ce que cela veut dire » (Ac 17.17-20).

La réponse à Paul de la part de ceux qui s’intéressaient à la vérité était d’enquêter, de discuter et de débattre. La réponse de ceux qui étaient intéressés par la préservation de leur pouvoir plutôt que par la recherche de la vérité était de faire taire Paul par la force. Cependant, la vérité du Christ est plus puissante que la force des dirigeants.

Dans 2 Corinthiens 10, Paul utilise une métaphore militaire pour expliquer le ministère de l’Évangile :

« Si nous marchons dans la chair, nous ne combattons pas selon la chair. Car les armes avec lesquelles nous combattons ne sont pas charnelles, mais elles sont puissantes devant Dieu, pour renverser des forteresses. Nous renversons les raisonnements et toute hauteur qui s’élèvent contre la connaissance de Dieu, et nous amenons toute pensée captive à l’obéissance au Christ » (2 Co 10.3-5).

Renverser les forteresses et amener toute pensée captive, non par l’épée, mais par la vérité de la Parole de Dieu. Bien entendu, Paul et les apôtres ont dit la vérité, comme nous devons le faire, que la loi protège ou non notre liberté de le faire. Il est bon de défendre la liberté de communiquer la vérité. Paul s’est défendu en utilisant ses droits de citoyen, par exemple, dans le but de témoigner du Christ.

4. Dieu déteste les propos contraints par la force🔗

D’autres parmi les premiers chrétiens ont protégé la liberté de prêcher et de pratiquer l’Évangile, arguant que la religion est une affaire de cœur et qu’elle ne peut être imposée.

En l’an 197, Tertullien a écrit son Apologie pour défendre les chrétiens persécutés. Il l’a adressée aux autorités romaines. Tertullien affirme que c’est « un privilège inhérent à la nature humaine que chaque personne puisse pratiquer son culte selon ses propres convictions ». La coercition en matière de religion, affirme-t-il, ne fait qu’encourager l’irréligion et l’hypocrisie. Tertullien affirme que « les hérétiques et les philosophes étudient les mêmes thèmes que les croyants : Quelle est l’origine du mal, et pourquoi? Quelle est l’origine de l’homme, et pourquoi? » Il fait également appel à l’image de Dieu dans l’homme, en mettant l’accent sur la capacité de raisonnement et de décision de l’homme.

5. Dieu a utilisé la parole🔗

La capacité à diffuser des opinions s’est considérablement accrue avec l’invention de la presse à imprimer de Gutenberg au milieu des années 1400. Elle a permis d’imprimer des livres et des brochures beaucoup plus rapidement et à moindre coût, rendant ainsi les documents écrits largement accessibles. Quelques décennies plus tard, l’Église catholique n’a guère apprécié ce qu’elle voyait sortir de la presse. En 1487, le pape a donc publié une bulle appelant à la réglementation de la presse. Cela n’a pas donné grand-chose. En 1515, le pape suivant, Léon X, a donc publié une bulle plus sévère interdisant la publication sans autorisation préalable de l’Église.

Léon X l’a fait juste à temps pour Luther. En 1521, l’envoyé du pape en Allemagne écrivit au pape pour déplorer « la pluie quotidienne de tracts luthériens en allemand et en latin. Ici, on ne vend rien d’autre que les tracts de Luther ». Pour Luther, l’imprimerie est « l’acte de grâce le plus élevé et le plus extrême de Dieu, par lequel l’Évangile progresse ». Les données confirment les dires de Luther. La Réforme s’est répandue plus rapidement dans les villes qui disposaient de presses à imprimer. À son tour, l’alphabétisation s’est développée plus rapidement dans les endroits où la Réforme s’est implantée, comme ce fut le cas aux Pays-Bas. Entre 1600 et 1800, personne n’a lu ou imprimé des textes plus que les Néerlandais. À la fin des années 1600, leur taux d’alphabétisation et de consommation littéraire était quatre fois supérieur à celui de la France ou de l’Italie.

6. La parole peut être utilisée à mauvais escient🔗

On ne peut nier que l’imprimerie et l’explosion des pamphlets religieux ont permis à d’étranges idées de se propager. Les anabaptistes radicaux enseignaient des idées très étranges et hérétiques et furent très tôt victimes de persécutions. Luther a déclaré à propos de cette persécution :

« Je suis profondément troublé par le fait que les pauvres anabaptistes soient mis à mort de façon pitoyable. Que chacun croie ce qu’il veut. S’il se trompe, il sera suffisamment puni en enfer. À moins qu’il n’y ait sédition, il faut opposer aux anabaptistes la Parole de Dieu. »

Luther n’a pas toujours été cohérent avec ce principe. Il était favorable à la censure de certains écrits anabaptistes ainsi que de pamphlets zwingliens. Les calvinistes ont également exercé la censure, par exemple, lorsque les presbytériens contrôlaient le Parlement de l’Angleterre du 17e siècle et qu’ils interdisaient la publication de livres ou de tracts sans l’autorisation préalable du Parlement. Les presbytériens se sont toutefois heurtés à l’opposition de plusieurs puritains, dont un important penseur politique réformé du nom de John Milton. Vous le connaissez peut-être comme étant l’auteur du poème épique Le Paradis perdu, mais il était également un penseur et un défenseur politique très important.

7. John Milton à propos du fer qui aiguise le fer🔗

En 1644, au cours de la première guerre civile anglaise entre le Parlement et la Couronne, John Milton a publié un pamphlet sans licence attaquant un décret du Parlement datant de l’année précédente qui interdisait de publier quoi que ce soit sans avoir reçu au préalable une licence de la part des censeurs nommés par le Parlement. Milton intitula son grand pamphlet sur la liberté d’expression Areopagitica, en référence à l’aréopage d’Athènes et probablement à la visite de Paul dans cette ville, relatée au chapitre 17 du livre des Actes des apôtres. Le pamphlet non autorisé de Milton s’est avéré très influent dans l’histoire de l’Angleterre, des États-Unis et du Canada. Suivons donc son argumentation.

Milton était préoccupé par la manière dont nous, en tant qu’êtres humains créés à l’image de Dieu, promouvons la vérité. La première option consiste à lire beaucoup, à prendre en compte des opinions différentes et à penser de manière critique. Le fer aiguise le fer, comme le dit le proverbe (Pr 27.17). La première option a une vision optimiste de la vérité, à savoir que la vérité finira par triompher. Cela ne peut toutefois se produire que si les citoyens disposent de la liberté d’expression nécessaire pour découvrir la vérité en examinant la révélation de Dieu pour eux-mêmes.

Milton a cependant anticipé une objection courante : la liberté d’expression ne va-t-elle pas permettre aux mauvaises idées de se répandre? Cela nous amène à la deuxième option pour promouvoir la vérité : le recours à la force. Cette deuxième croyance repose sur la présomption que la vérité sera perdante, à moins que nous ne forcions les autres à l’adopter. À leurs yeux, la vérité sera finalement perdante dans un combat loyal. Le seul moyen de maintenir la vérité — si tant est qu’ils croient en une vérité objective — est de permettre à certaines personnes de décider ce qu’est la vérité et de l’imposer à tous les autres.

Ceux qui souhaitent restreindre la liberté d’expression n’ont donc guère confiance dans le pouvoir de la vérité. Ou, au contraire, ils peuvent même penser que la vérité est puissante, mais ils la détestent et souhaitent l’étouffer.

Milton prend l’exemple de la Bible. Si nous voulons éradiquer l’hérésie et les contenus inappropriés, nous pouvons envisager d’interdire la Bible également. Nous connaissons tous des Églises ou des personnes qui ont déformé la Bible pour promouvoir leurs propres opinions. La Bible contient également des descriptions explicites du péché (par exemple, les derniers chapitres des Juges) et même des descriptions suggestives de bonté (par exemple, le Cantique des cantiques). C’est la raison pour laquelle l’Église catholique romaine n’a pas autorisé l’impression de la Bible en langue vulgaire : elle ne faisait pas confiance aux gens ordinaires pour l’interpréter.

Cependant, la vérité ne vient pas du pape ou du roi. Elle se trouve dans la révélation que Dieu fait de lui-même, révélation qu’il a donnée à toute l’humanité.

8. Certaines paroles doivent être encadrées par la loi🔗

Ce n’est pas parce que nous croyons en la liberté d’expression que le gouvernement ne peut jamais réglementer quelque parole que ce soit. La Bible parle de nombreux péchés de la langue. Le gouvernement a un rôle à jouer dans la réglementation de certaines paroles, comme l’interdiction du parjure, qui consiste à porter un faux témoignage devant un tribunal. Certaines formes de propos constituent en elles-mêmes des injustices à l’égard d’autrui, comme la diffamation, les menaces ou la fraude.

Il n’appartient toutefois pas au gouvernement de réglementer tous les péchés de la langue. Certains de ces jugements sont réservés à d’autres sphères d’autorité : les anciens de l’Église combattent l’hérésie, les parents à la maison surveillent les paroles malveillantes, les patrons sur le lieu de travail punissent la publicité mensongère, et même les individus dans leur propre esprit doivent se prémunir contre les pensées impies.

9. Mais le plus gros problème est la restriction de la vérité🔗

Cependant, le problème aujourd’hui n’est pas tant que les gouvernements au Canada essaient de combattre les péchés de la langue qui ne relèvent pas de leur responsabilité. Le principal problème aujourd’hui est plutôt qu’ils punissent de plus en plus les paroles qui proclament la vérité et qui glorifient Dieu ou, dans un même ordre d’idées, les propos qui remettent en question les idéologies et les idoles dominantes de notre époque.

Nous pouvons penser à l’interdiction de la thérapie de conversion au Canada1, qui rend illégale la promotion d’une vision biblique du genre et de la sexualité dans certains contextes. Dans certaines provinces, des lois sur les « zones d’accès sécuritaires » empêchent les partisans de l’avortement de parler d’une manière ou d’une autre de l’avortement à proximité des hôpitaux et des cliniques d’avortement. Un député provincial de l’Ontario a proposé un autre type de « zone bulle » qui interdit la proclamation du dessein de Dieu sur le genre et la sexualité humaine dans certaines régions. Un nombre croissant de municipalités et, encore une fois, un autre député de l’Ontario proposent d’interdire la documentation pro-vie.

C’est à cette attaque contre la liberté d’expression que les chrétiens doivent s’opposer. Nous pouvons très bien ne pas être d’accord avec la manière dont elle est présentée. Peut-être ce propos a-t-il été prononcé sous le coup de la colère ou avec une exagération inappropriée. Nous pouvons même ne pas être d’accord avec la vérité du propos lui-même. Nous pouvons penser que les propos de notre voisin vont à l’encontre de certains principes bibliques. Cependant, si nous négligeons de défendre la liberté d’expression, nous disons essentiellement que nous ne pensons pas que la vérité triomphera, mais que les mensonges auront toujours raison de la vérité, à moins d’être réprimés par la force de la loi.

Or, nous sommes convaincus que la vérité l’emportera. Défendons donc le droit de nos voisins à dire ce qu’ils pensent être vrai afin que tout obstacle à la prédication de l’Évangile soit levé pour nous aussi.

Note

1. NDT : Voir les articles suivants au sujet de la thérapie de conversion.