La religion
La religion
- La vie entière est religion
- La religion comme fait fondamental
- La religion : le mot et la chose
- L’universalité de la religion
- L’origine de la religion
- L’idée biblique de la religion
- La religion après la chute
1. La vie entière est religion⤒🔗
Depuis l’avènement catastrophique de la sécularisation, a-t-on constaté durant les années soixante du 20e siècle, le « religieux » serait devenu un phénomène marginal. Époque post-religieuse, ère métamorale, histoire post-moderne, voici une situation qui, selon les sondages d’opinion, et une approche sociologique des phénomènes strictement « spirituels », se dégrade à vue d’œil; les croyants appartiennent à une infime minorité et ne cultivent que le sentiment déprimant de gérer la mort de leur religion.
Qu’en est-il au juste? Mais d’abord, qu’entendons-nous par religion?
Les définitions, de Sénèque à Kant, du positiviste Auguste Comte et du sociologue Émile Durkheim, du psychologue William James et de l’ethnologue Rudolf Otto, pour ne mentionner que quelques-uns des spécialistes modernes de la religion, tiennent celle-ci pour une partie secondaire, pour ne pas dire insignifiante de l’existence et des pratiques humaines. Parmi les événements ou les faits divers qui font la trame de l’actualité, on peut citer les assemblées ecclésiastiques, les réunions dites œcuméniques, parfois jusqu’aux dissensions entre hommes d’Église… Tout ceci constituant au regard des magnats de la presse écrite ou parlée, et autres modernes « sécularistes », l’essentiel d’une chronique religieuse.
Se défaire des idées reçues et refuser les définitions inadéquates, voire erronées, et les remplacer par une définition biblique, tel sera l’objectif poursuivi dans cet article. Nous exprimerons notre conception du sujet par la célèbre expression : La vie entière est religion, ou elle n’est pas!
Je ne saurai concevoir mon existence sans elle, comme je ne puis me concevoir en dehors de ma peau. La religion m’est aussi indispensable pour vivre que le souffle de mes poumons et que le sang circulant dans mes veines. Elle n’est pas rite, soit primitif soit évolué, activité ecclésiastique, « liturgie divine », mais souffle de vie elle anime la vie autant des croyants que des non-croyants.
La question religieuse est la plus ancienne et sans doute la plus fondamentale des questions que se pose l’homme. Elle est incontournable. Mais ce n’est pas à ses aspects phénoménologique et sociologique, tout extérieurs, que nous songeons ici. C’est en raison d’une définition incorrecte du terme que l’on parle de ceux qui sont « religieux » envers et contre tout, et de ceux qui auraient dépassé le stade des croyances et des superstitions surannées. Celles-ci auraient appartenu à l’étape mythique et primitive de l’évolution de l’histoire humaine. Reléguée ainsi à l’arrière-plan des préoccupations des hommes, elle ne fonctionnera plus ni pour la vie nationale ni pour la vie culturelle. La religion relève du domaine privé du sujet croyant. Mais quel rôle ou quelle importance tiendra-t-elle dans les affaires courantes du particulier, dans la politique nationale, dans les relations internationales? Les mythes, humanistes et athées, non moins que d’autres, plus « primaires », ont la peau dure, et les mythologies de la sécularisation moderne, en dépit de leurs prétentions scientifiques, ne sont pas moins absurdes que les grossières erreurs des générations passées.
« La religion est l’opium du peuple », a dit Karl Marx, certes dans un contexte qu’il faut bien préciser, pour ne point porter de faux témoignage même contre un adversaire de la foi chrétienne. Actuellement, nous sommes bien placés pour constater que c’est plutôt l’opium qui est devenu la religion du peuple! Et s’il n’y avait que l’opium!
D’après l’un des mythes modernes, dans une société pluraliste, toutes les convictions dites religieuses devraient être tolérées. Du moins dans la mesure où celles-ci ne gênent pas trop et ne contredisent pas les affirmations ex cathedra des idéologies en vogue ni ne s’opposent aux dogmatismes modernes, plus « infaillibles et inerrants » que ceux des cléricaux des plus attardés de jadis. « Laissons libres ceux qui manifestent un penchant religieux », dira-t-on avec un semblant d’esprit de tolérance.
Un autre mythe, plus subtil et dévastateur, est celui de la prétendue neutralité contemporaine. Absurde théorie du non-engagement en faveur d’une religion. Prétendre que l’époque post-moderne serait libérée des fanatismes religieux est un leurre, beaucoup trop évident pour le laisser passer sans le signaler. L’expérience tragique du 20e siècle le démentirait. Dans certains recoins de la planète, des chrétiens sont opprimés avec quel fanatisme et combien on s’acharne encore sur eux avec une violence religieuse inouïe! En passant du génocide des Arméniens dans les années 1915-22 par les Turcs (pour ne rien dire des pogroms antérieurs) jusqu’aux fondamentalismes islamistes ailleurs, les séries sont longues qui démentent les optimismes à cet égard. De la légitime séparation entre Église et État, dans des pays dits démocratiques, notre époque est passée à la rupture radicale entre Dieu et la vie humaine, dont pourtant il demeure l’unique et exclusif Créateur, de même que le tout-puissant soutien.
Qu’en est-il alors de la religion? L’athéisme, rupture radicale avec Dieu est une pure illusion. Il n’y a que l’insensé qui puisse dire : « Il n’y a pas Dieu » (Ps 14.1). Or, il est possible de vouer sa vie à combattre la religion, d’en saper les fondements, tout en restant parfaitement « religieux ». Ce paradoxe-là nous est connu par l’enseignement de saint Paul. Amené, comme on s’en souvient, en présence de l’élite intellectuelle athénienne, au sommet de la colline de Mars, l’apôtre du Christ déclarait à ses interlocuteurs curieux, blasés, voire cyniques, qu’il les tenait pour des personnes éminemment religieuses (Ac 17). Non du fait de leurs nombreux temples, ni à cause de l’autel dédié au Dieu inconnu, mais du simple fait de leur nature humaine, créée par Dieu.
D’après le témoignage de la révélation biblique, chaque personne venant au monde, dès son premier souffle, appartient à Dieu. Nous sommes foncièrement et entièrement religieux et le resterons en dépit de nos dénégations. Nous naissons « des êtres religieux ». Un code fondamental préside sur notre développement religieux. Dès lors, la question n’est plus si nous sommes ou pas religieux, mais : Quelle est la religion à laquelle nous adhérons? Quel est le dieu que nous servons? Peu importe la forme du culte pratiqué. L’on n’est pas religieux parce que l’on est bouddhiste ou musulman, mais parce que l’on s’engage, par moment avec une aveugle et folle férocité, contre le Dieu véritable. La résistance qu’on lui oppose elle aussi est de nature religieuse. Un faux dieu, fait à l’image de l’homme, tient place du vrai. C’est avec un fanatisme tout religieux qu’on s’adonne au service des causes ou des idées, qu’il s’agisse de la nation, d’un parti politique, de l’art, de la science, de la famille, du travail, voire par moment de sa chapelle ecclésiastique! Le tout devenu misérable succédané du Dieu dont pourtant l’Esprit et la Parole seuls animent et soutiennent tant notre souffle que le mécanisme cosmique tout entier. Le code religieux « génétique » orientera toutes nos activités : soit vers un faux dieu, soit vers le Dieu véritable, tel qu’il est révélé dans les saintes Écritures. Notre cœur est un moteur religieux par excellence et le centre religieux de notre personnalité. Le cœur de l’homme possède aussi bien la faculté de raisonner que celle de vouloir; il s’engage alors soit sur la fausse piste des idées issues de son imagination et en faveur des objets fabriqués de ses propres mains, soit en faveur du Dieu Créateur.
La question essentielle sera par conséquent : Quel est le dieu que l’on adore? Idole de pacotille, auquel on accorde son allégeance, ou bien Dieu, lumière et substance de vie? Celui qui déclare : « Regardez-moi et vous vivrez. » Question essentielle, que nous l’admettions ou pas. La vie et la mort, le salut et la perdition, la grâce et le jugement, le bonheur ou le néant, sont fonction de notre foi religieuse en ce Dieu-là. Lui qui nous a créés, pour qui nous sommes, dans le temps et pour l’éternité. Lui qui nous invite : « Mon fils, donne-moi ton cœur. »
2. La religion comme fait fondamental←⤒🔗
De tout temps, on s’est posé la question de savoir ce qu’il fallait penser de la religion, du phénomène religieux, en tant que partie intégrante de la nature humaine, quelle en était la signification. Pour nous, du point de vue de la théologie chrétienne, nous répondrons d’une façon cohérente aux questions suivantes : Tout d’abord, qu’est-ce que la religion? Ensuite, à la lumière de ce que Dieu nous a révélé de lui-même en Jésus-Christ et en rendant justice en même temps à la foi chrétienne et aux autres religions, qu’avons-nous à dire des religions non chrétiennes? Ainsi que l’écrivait Hendrik Kraemer :
« De nos jours, ainsi formulée, la question touche un problème humain et théologique très vaste. L’existence et la réalité des religions non chrétiennes constituent pour nous un défi immédiat, un défi plus grave qu’à aucune époque depuis l’an 312, exception faite de l’assaut mahométan du 7e au 17e siècle. »
3. La religion : le mot et la chose←⤒🔗
On est d’accord que l’étymologie du mot religion est encore controversée. L’on a dérivé du latin religare (Lactance), ou de relegere (Cicéron). Selon la première de ces interprétations, le terme religion impliquerait l’exigence absolue d’adorer Dieu ou toute autre chose qui impose à l’homme des obligations ou des devoirs. Selon la seconde, la religion est une attention diligente prêtée aux choses ayant trait à l’adoration de Dieu. La première étymologie est plus généralement admise.
Les synonymes en grec sont les termes bibliques threskeia (Jc 1.26), eusébeia (1 Tm 4.8), logikè latreia (Rm 12.1). Pourtant, aucun de ces termes n’est réellement synonyme de religion, tous ne faisant qu’en désigner des aspects particuliers.
Comme celles de toutes les réalités premières, à la fois très profondes et très riches, la définition de la religion a donné lieu à des discussions infinies, souvent fort confuses. Cette obscurité tient surtout au fait qu’une définition, pour être complète, supposerait résolues les questions d’origine et d’essence de la religion. En groupant dans un tableau synthétique les traits, diversement accusés, mais tous et toujours présents dans toutes les religions suffisamment connues, la méthode descriptive ou historique permettrait un accord et fournirait un terrain commun. Cette description synthétique laisse évidemment ouvertes les questions de l’origine de la religion et de la valeur absolue des forces différentes, mais analogues, sous lesquelles elle se présente historiquement.
Mais à ces problèmes, provisoirement réservés, le procédé descriptif fournit des éléments de solution absolument indispensables. Malheureusement, la plupart des érudits, négligent cette tâche préliminaire, appliquent d’emblée à la question la méthode dite génétique ou comparative. Cette méthode consiste à rechercher d’abord et à déterminer, parmi les éléments présents dans les diverses religions, celui qu’on croit pouvoir appeler premier, générateur, et, partant — ajoute-t-on en jouant un peu sur le mot premier —, dominateur, essentiel. Orientée par la philosophie évolutionniste, cette recherche consiste d’habitude à éliminer tout ce qui n’apparaît pas dans les formes les plus infimes actuellement observables ou restituées par voie de conjoncture, de la notion en jeu.
Tout le monde donc a son idée sur la religion. Pourtant, elle est l’une des choses les plus difficiles à définir. Offrons quelques-unes des définitions couramment proposées :
« La religion est la quête des valeurs de l’idéal humain. »
« La religion est la reconnaissance de la part de l’homme d’un pouvoir surhumain contrôlant et gouvernant tout et en droit d’exiger soumission et respect, l’adoration. »
Il est certain qu’il est extrêmement difficile d’en offrir une définition satisfaisante. Si nous la définissions en termes de ce que nous la considérons, notre définition sera trop limitée. À considérer du point de vue historique, à l’origine, le bouddhisme, par exemple, était une forme de pur athéisme. Pourtant, il passe pour être une religion. Le confucianisme, lui, est une pure forme d’agnosticisme relatif à l’existence de Dieu. Néanmoins, à son tour, il passe pour une religion.
Gardons aussi à l’esprit que le terme de « religion » est employé en un sens aussi bien objectif que subjectif. Lorsque nous parlons de l’islam comme d’une religion monothéiste, nous l’entendons tel dans son fait objectif. Dans ce sens, la religion désigne sa réalité objective, comme quand nous dirons que l’Europe est un continent. Le terme continent désigne une réalité objective. De l’autre côté lorsque nous disons que la religion caractérise l’humanité de manière universelle, nous employons le terme en un sens subjectif. Dans cette phrase, la religion est quelque chose qui peut s’attribuer à la personnalité humaine. Au sens subjectif, la religion n’est pas l’ensemble des doctrines de culte, d’organisation, de lois de sanctuaires, de sacrifices et de rites, mais un fait appartenant à la conscience humaine. Nous pourrions exprimer la distinction entre sens objectif et sens subjectif en disant en son sens subjectif que nous parlons de religion, tandis qu’en son sens objectif nous entendons des religions ou une religion particulière (l’islam, le judaïsme).
Une autre définition donnée la désigne comme la réponse humaine donnée à ce qu’il croit être le sens ultime ou suprême de sa vie.
Bien entendu, la définition donnée à la vraie religion doit être beaucoup plus restreinte. La vraie religion est la réponse correcte que nous offrons à la révélation accordée par Dieu. Mais en cherchant une définition générale de la religion, nous ne nous limiterons pas uniquement à la vraie religion; nous considérons la religion comme telle, en tant que phénomène de la vie humaine, indépendamment des questions de vérité ou de valeur.
4. L’universalité de la religion←⤒🔗
L’expression « L’homme est un animal religieux » est familière. En ce sens, on dira que l’homme, ou l’humanité en général, est incurablement religieux. Il est indéniable que, sous une forme ou une autre, la religion est un fait et une pratique universelle pour le genre humain.
Parfois, on a déclaré que l’homme paléolithique, celui de l’âge de la pierre, n’avait pas de religion. À notre avis, c’est là une affirmation gratuite et pure spéculation. Se basant sur le fait que des anthropologues n’auraient pas trouvé quelques indices de religion pratiquée, prouvant que l’homme de cet âge-là aurait eu une religion, on a sauté à la conclusion qu’il n’en possédait point. Le fait est pourtant que nous savons très peu de choses au sujet de l’homme dit « primitif ». Aussi, un argument basé sur l’absence d’évidence est une chose non seulement gratuite, mais encore dangereuse. Non seulement la religion est universelle, mais encore elle est un fait permanent et persistant au cours de l’histoire connue. Même sous de fortes pressions adverses, elle est demeurée inéradicable.
Selon David Hume, pourtant penseur sceptique du 18e siècle : « Cherchez un peuple entièrement privé de religion et si vous en trouvez un, soyez sûr qu’il est à peine éloigné du degré des brutes. » Même Hume n’a pas soutenu qu’une peuplade privée de religion n’existât jamais. Les manifestations dans lesquelles chaque auteur croira retrouver la première ébauche, le reflet lointain, de la religion, seront en effet, par leur pauvreté même, leurs indéterminations, complaisances à tous les arbitraires. On a tout dit sur l’anarchie intellectuelle qui en résulte. Si grande est l’emprise de certains préjugés, quand on leur oppose seulement un petit nombre de faits rudimentaires, que l’on en est arrivé à définir la religion comme étant « un ensemble de scrupules, c’est-à-dire de tabous, d’interdictions non motivées, mais fondées sur l’illusion qui font obstacle au libre exercice de nos facultés ». Manifestement, cette définition néglige ce qui constitue, du consentement général de l’humanité, l’essentiel de toute vie religieuse : Dieu et l’âme, la foi et la prière, l’adoration et le culte, l’amour de préférence et la crainte révérencielle. À leur place s’installe une notion dérivée, restrictive, négative, qui réduit toute religion à une manière de police. De pareils excès sont bien faits pour déconsidérer la méthode dont ils s’autorisent.
Laissant donc à sa désuétude une méthode qui induit naturellement à sacrifier les réalités ultérieures aux tâtonnements du début, nous ne ferons pas d’inductions vertigineuses sur un résidu de faits laissés par des opérations d’une chimie contestable. La plus superficielle des observations ne permet pas d’identifier simplement vie religieuse et vie humaine supérieure : celle-ci s’étend plus loin que celle-là.
5. L’origine de la religion←⤒🔗
Nous constatons que deux vues fondamentalement opposées sont en lice : une vue naturaliste, une vue biblique révélationnelle.
La première résulte de l’application de la théorie, ou de l’hypothèse de l’évolution des espèces, au concept de religion. Selon cette vue, non seulement la vie biotique et organique humaine serait le produit d’un développement ou processus évolutif, mais encore sa religion aurait connu le même type de développement. Ayant commencé par un stade primitif, elle aurait atteint des formes supérieures telles que dans le judaïsme, le christianisme et l’islam.
Les tenants de cette position évolutionniste sont divisés entre eux quant à l’interprétation des détails dans ce processus d’évolution. Ils s’accordent seulement quant à l’idée centrale qui veut que la religion soit le produit d’une lente évolution de l’esprit humain. Alors, l’idée évolutionniste s’applique à la religion aussi bien au sens objectif qu’au sens subjectif.
Certains pensent que la religion a commencé avec l’influence du chef qui cherchait à se soumettre le peuple. Elle serait donc quelque chose d’inventé et d’imposé par une classe dominatrice pour se soumettre une autre classe. Théorie irréaliste, car elle prétend que les gens avaient organisé un gouvernement avant d’avoir une religion!
Une autre conception veut que la religion se développât à partir du culte du ou des fétiches, c’est-à-dire d’objets inanimés considérés comme sacrés et possédant un pouvoir spécial. Cela n’explique pas davantage l’origine de la religion. Elle affirme que des religions plus évoluées seraient dérivées des plus primitives.
Cette réponse voudrait que la religion ait pris naissance dans l’adoration et le culte des esprits et des ancêtres. Que les primitifs s’imaginaient que les esprits des défunts exerçaient une certaine influence sur les vivants, qu’il fallait apaiser leur fureur ou neutraliser leur influence néfaste.
Une autre réponse encore voudrait que la religion ait pris naissance dans le culte de la nature et des forces naturelles. Nous verrons que cette idée est la plus proche de l’idée biblique. Pourtant, elle n’énonce pas davantage toute la vérité.
Notre conclusion et conviction est que les théories évolutionnistes n’expliquent pas l’origine de la religion. Des anthropologues évolutionnistes cherchent la solution du problème en examinant de vastes périodes du temps. Lorsqu’on pose la question comment la religion pourrait se développer à partir d’une condition non religieuse, la réponse donnée voudrait qu’il y eût un développement graduel qui se déroula durant un grand laps de temps. Nous ferons remarquer que le laps de temps en soi ne peut produire d’effet. La question ne réside pas dans le temps, mais dans une cause adéquate qui l’engendre. Comme l’a dit quelqu’un : Toute l’éternité ne suffira pas pour contenir ce qui n’a jamais existé! Toutes les théories évolutionnistes prétendent que l’homme, ou bien un être humain hypothétique ou son ancêtre, n’était pas religieux et que l’homme devint religieux graduellement. Mais la nature a priori de cette pensée est évidente. Un tel homme non religieux n’a jamais encore été découvert.
Des anthropologies évolutionnistes considèrent leur théorie comme une affaire entendue, fixe et figée; ensuite s’efforcent-ils seulement d’expliquer l’histoire du développement de la religion en termes de leur théorie. Ce qui démontre le caractère non scientifique de leur entreprise. Ils s’approchent au phénomène réel de la religion humaine avec une théorie toute faite, et ensuite ils procèdent par imposer celle-ci sur les faits.
6. L’idée biblique de la religion←⤒🔗
Examinons à présent l’idée biblique de l’origine des religions. Selon l’Écriture sainte, l’homme a été créé comme un être religieux. La religion primitive humaine était le monothéisme. Avant la chute, l’homme bénéficiait d’une communion sans entrave avec Dieu son Créateur, celle de l’Alliance conclue par le souverain Seigneur.
L’arrière-fond de cette religion n’était autre que la révélation que Dieu avait accordée dans le domaine naturel. Celle-ci comprendrait aussi bien la nature en dehors de la personnalité de l’homme que celle de sa personne propre. Le monde extérieur portait témoignage à Adam et à Ève de la présence et de la puissance du vrai Dieu, et ce témoignage extérieur était confirmé par celui de leurs propres esprits. Car la révélation divine s’inscrivait sur leur personnalité. L’homme découvrait en lui-même un témoignage rendu à l’existence de Dieu. Il pouvait instinctivement croire en lui.
Cependant, cette révélation naturelle était insuffisante pour profiter d’une pleine communion religieuse de l’homme avec son Dieu. Il ne pouvait atteindre sa pleine destinée, celle en vue de laquelle il avait été créé au moyen de la seule révélation naturelle. La révélation naturelle en dehors et à l’intérieur de l’homme était bonne et elle rendait un témoignage véridique au vrai Dieu. Néanmoins, même comme telle, elle était insuffisante pour atteindre le niveau religieux le plus élevé.
Aussi Dieu a-t-il pris l’initiative et ajouta une révélation spéciale ou surnaturelle. Il parla à l’homme non seulement par la voix naturelle, mais également par une voix clairement audible, sa Parole (lorsque dans ce sens nous employons le terme de Parole, nous n’entendons pas nécessairement l’Écriture en cette étape primitive de l’histoire religieuse humaine, mais plus simplement un message spécial de Dieu adressé à l’homme, distinct du témoignage rendu dans la nature).
La distance entre Dieu et l’homme étant infranchissable au pécheur, parce que le Seigneur et Créateur est infiniment élevé et l’homme une finitude, la communion religieuse élevée ne pouvait s’établir que grâce à l’acte de condescendance divine. L’homme pécheur et mortel ne pouvait échafauder une échelle, cherchant à atteindre Dieu. Cet acte de condescendance s’appelle théologie de l’alliance. Par l’alliance, l’homme a été ramené à la communion avec son Créateur et son Sauveur.
Ici même, nous examinons l’étape primitive avant la chute. Cette alliance prit la forme d’une épreuve, pour tester la volonté de soumission de l’homme. Le récit s’en trouve dans les chapitres 2 et 3 du livre de la Genèse, dans l’Ancien Testament.
Dieu agit de manière simple, par des leçons objectives. La scène où se déroule le drame de la révélation et puis celle de la chute est l’Eden de la Genèse. Quatre grands principes y avaient été représentés de manière à ce que l’homme pût les saisir aisément :
- Le principe de vie symbolisé par l’arbre de vie.
- Le principe d’épreuve par celui de la connaissance du bien et du mal.
- Le principe de tentation par le serpent.
- Le principe de mort par le retour du corps de l’homme à la poussière.
Si l’homme s’était soumis, le résultat en aurait été la confirmation de toute la race humaine dans la justice et dans le bonheur; le péché et la mort auraient été impossibles; l’histoire entière de l’humanité aurait été radicalement différente de notre expérience actuelle.
7. La religion après la chute←⤒🔗
L’Écriture sainte nous permet de penser que l’homme n’a jamais existé sans religion, car il ne fut jamais sans recevoir une révélation naturelle de Dieu. Toutefois, avant la chute, celle-ci ne fut pas suffisante. La révélation naturelle ne fut que l’arrière-plan pour la révélation par la Parole.
La chute a altéré la nature de sa religion. Avant elle, la religion était pure, authentique. Après la chute, elle prit deux directions, en se divisant en deux grandes branches : l’une vraie, l’autre fausse. La vraie religion devint rédemptrice. Elle fut la voie d’émancipation, de la libération du joug du péché. Le dessein divin de la rédemption, déjà dévoilé dans la promesse faite dans Genèse 3.15, s’engagea sur la voie du définitif développement historique. Dieu permit que, pour commencer, le péché accroisse son pouvoir avec une restriction relative, afin de dispenser une leçon objective, et montrer ce dont il conçoit comme dessein libérateur dans la vie des humains. Cette période s’étendit de la chute au déluge.
Avec la vocation d’Abraham, la mise en pratique du dessein de rédemption entama l’étape du progrès davantage précisée. Elle s’étend du patriarche de l’Ancien Testament à Jésus-Christ; elle fut la période de préparation pour l’avènement du Christ et pour son œuvre rédemptrice. La période qui va de l’époque du Christ jusqu’à la fin de l’histoire de l’humanité est celle durant laquelle le salut est appliqué aux peuples. Cette religion rédemptrice était essentiellement (quoique non quant à ses formes externes) identique à celle de l’Ancien Testament. Dans l’Ancien Testament, ce fut la religion du peuple d’Israël; dans le Nouveau Testament, la période de la foi chrétienne.
Examinons à présent l’idée biblique du commencement et du développement de la fausse religion. L’apôtre Paul en développe l’idée de façon précise (Rm 1.18-32 et 2.14-16). Ce passage de la lettre apostolique nous décrit une scène religieuse des plus tragique. Pour commencer, l’apôtre décrit la colère de Dieu qui se révèle contre toute impiété. Le terme grec original, katechonton, veut dire ce qui retient, ou qui restreint, avec la possibilité aussi de le traduire par supprimer. Le terme désigne la réalité de la suppression rebelle par l’homme déchu de la vérité de Dieu. Ensuite, Paul discute des effets religieux produits par le péché dans la vie de l’humanité, et puis il aborde les effets moraux. Le péché de rébellion a produit une vie dissolue et méchante. Enfin, l’impie tombe sous le jugement divin.
La révélation dans la nature a été terriblement abusée par déformation par l’homme déchu. Au lieu de mener à l’adoration du vrai Dieu et de le glorifier, en lui exprimant sa reconnaissance, elle dégénéra complètement et finit par créer de fausses religions. Celles-ci sont le fruit de la perversion de la révélation divine dans le livre de la nature. Bien que cette révélation-là avait été claire, néanmoins quelque chose se produisit affectant totalement le genre humain et déformant sa vision spirituelle. L’homme, déclare saint Paul, devint vain, vaniteux dans son imagination.
Si nous regardions à travers des glaces ambrées, tout ce que nous verrions serait de couleur ambrée; de même, si nous regardions à travers le bleu. La révélation dans la nature avait, en elle-même, été claire et précise, mais à partir de la chute l’homme vit toute chose concernant Dieu, pas moins que le concernant, lui, personnellement, à travers des glaces opaques. Voyant tout de manière déformée, il interpréta faussement la totalité de la réalité créée.
En outre, la chute affecta son intelligence. Elle la rendit insensée, inapte à interpréter la révélation naturelle. Dès lors, il devint idolâtre. Il adora la création et les créatures. Il s’est mis à s’adorer, changeant la gloire incorruptible de Dieu en celle de l’homme corrompu. Créé à l’image de Dieu, il renversa cet ordre et se prit pour Dieu en se faisant des images. Toutes les religions mythiques du passé, ou même du présent, montrent de quelle façon l’homme pervertit la bonne et vraie religion et en invente une fausse. Les dieux qu’il adore reflètent la corruption de son propre cœur. Aucun crime ou méchanceté dont les dieux grecs, par exemple, ne fussent les coupables. Même des gens décents en Grèce avaient honte d’entendre raconter les méfaits de leurs dieux dépourvus de la moindre vertu morale.
L’idolâtrie, culte des faux dieux et des images, est la pratique la plus dégradante que l’humanité puisse s’offrir (Ps 115.8). Elle l’entraîne vers l’état de servitude, le mensonge, la fausseté, la superstition, la peur. Certains modernes considèrent les vieilles religions sous les verres d’un romantisme suranné et insensé, comme des pratiques religieuses de valeur supérieure et d’un intérêt culturel élevé. Mais une approche attentive d’elles démontrera de quelle dégradation de culture et de mœurs l’idolâtrie est capable.
Les fausses religions ne sont pas limitées exclusivement à celles que l’antiquité a pratiquées. Elles pullulent parmi nous, les modernes, sous des formes déguisées ou des prétextes les plus fantaisistes ou saugrenus, voire même logiques! Nous n’en mentionnerons que la forme de l’humanisme moderne athée, ou certaines idéologies soit spiritualistes, soit matérialistes.