Cet article a pour sujet les positions antitrinitaires contre la doctrine de la trinité: le trithéisme, le monarchianisme, le subordinatianisme, le modalisme, le macédonisme, et les idées de Karl Barth et d'Emil Brunner.

Source: La connaissance de Dieu. 9 pages.

La Trinité - Positions antitrinitaires

  1. Le trithéisme
  2. Le monarchianisme
  3. Le subordinatianisme
  4. Le modalisme
  5. Le macédonisme et le Saint-Esprit
  6. Karl Barth
  7. Emil Brunner

1. Le trithéisme🔗

Jean Philopone (vers 550) est le premier trithéiste connu. Il était partisan du monophysisme (selon lequel il n’y a qu’une nature, divine et humaine, en Christ). Il en arriva à confondre les notions de personnes et de nature. Pour lui, trois personnes divines ont une « nature abstraite commune », la « divinité », à laquelle elles participent comme les hommes participent à l’humanité. L’unité en Dieu est spécifique et non numérique.

Le trithéisme sépare non seulement les personnes, mais aussi l’essence. Autant de personnes, autant de nature (Jean Philopone; Joachim de Flore; Amaury de Bène; David de Dinant; Roscelin).

Joachim de Flore reprochait à Pierre Lombard d’avoir introduit une quaternité en Dieu; mais il tomba dans le trithéisme. L’unité en Dieu est collective et morale. Joachim de Flore partage l’histoire du monde en trois périodes : celle du Père (judaïsme), celle du Fils (christianisme), celle du Saint-Esprit (qui aurait commencé avec l’avènement de Joachim de Flore lui-même!).

Selon Amaury de Bène, la divinité s’est faite homme trois fois : en Abraham (le Père), en Christ (le Fils), dans le croyant (le Saint-Esprit).

Selon Roscelin, nominaliste, seul l’individu est concret et réel. Toute expression qui ne désigne pas un individu est dépourvue de vérité complète. Il n’y a donc en Dieu que trois réalités, les trois personnes. La « substance » ne peut fonder une unité concrète.

Selon Gilbert de Porrée, réaliste exagéré, le général existe en soi. L’essence divine a donc une existence particulière. De plus, il y a une distinction réelle entre la personne et l’essence. On aboutit donc à une quaternité : les trois personnes divines et l’essence divine.

Arius ne reconnaît pas les trois personnes. Dieu est pour lui une personne. Jésus-Christ n’est pas une personne divine. Arius est honoré comme un grand prophète par les Témoins de Jéhovah. Il est remarquable que ces derniers ne rejettent pas seulement la Trinité, mais aussi la doctrine de la satisfaction par le Christ. Il y a un lien étroit entre la déité du Christ et le salut.

Les sabelliens parlent des trois « prosôpa » (personnes) de Dieu, mais les « prosôpa » sont pour eux seulement un rapport extérieur avec l’essence de Dieu. On ne peut pas dire que l’essence existe dans les « prosôpa ». Signalons ici spécialement leur pensée du Dieu changeant. Certainement, ils n’appliquent pas le changement à l’essence de Dieu, mais parlent d’un changement des qualités de Dieu par la volonté de Dieu. Dieu peut même avoir des qualités contradictoires. Il peut être fini et infini, passible et impassible. Le Père peut devenir le Fils.

2. Le monarchianisme🔗

Cette hérésie apparaît déjà au 2siècle. « Il n’y a pas de place en Dieu pour une pluralité. » Telle était son affirmation principale. Dans son expression, cette erreur a varié.

Le monarchianisme dynamique considérait Jésus comme un homme dans lequel se trouvait une puissance divine impersonnelle, et non une personne divine. Le Christ en soi est un homme pur et simple (les ébionites; Théodote, Bérylle de Bostra et Paul de Samosate).

Théodote avait renié le Christ sous Marc-Aurèle, en se justifiant qu’il avait renié un homme et non Dieu! Il prétendait aussi que Melchisédek était supérieur à Jésus.

Paul de Samosate, évêque d’Antioche, enseignait que le Fils était « homoiousios tô patri » dans un sens monarchianiste. Il serait consubstantiel au Père, même comme personne. Le Synode d’Antioche condamna cette idée de « homoiousia » en 268 et le déposa. Pour lui, le Fils était consubstantiel au Père comme personne et non dans sa nature; il était la manifestation terrestre du Père. Les adhérents de l’opinion condamnée reconnaissaient bien la naissance surnaturelle du Christ. Mais il aurait été malgré cela un homme ordinaire, oint par le Saint-Esprit à l’occasion de son baptême. Ils rejettent la préexistence et la divinité du Christ.

Au 4siècle, on trouve les idées de Lucien, d’Arius, d’Aetius et d’Eunomius qui considéraient seulement le Père comme Dieu. Le Fils est une créature, la créature la plus élevée, mais en tout cas une créature qui est apparue sur la terre pour être notre précepteur et notre modèle. Il a reçu un honneur divin en récompense de sa fidélité volontaire. Arius a essayé de couronner cette créature avec les prédicats du Fils, mais cela n’a pas amélioré sa doctrine. Au contraire, cela le conduisait vers le dithéisme qu’il voulait justement éviter.

Dans toutes ces opinions, la réconciliation n’est pas une œuvre de Dieu notre Créateur.

On trouve le monarchianisme modaliste. Il semble qu’il n’admet pas seulement la Trinité, mais aussi l’identité essentielle des trois personnes. La personne pour les modalistes est le mode de manifestation extérieure (« prosôpon », c’est-à-dire masque) d’un seul Dieu (« monas »). Ce Dieu unique s’est manifesté comme Père dans la création, comme Fils dans la rédemption, comme Saint-Esprit dans la sanctification. Il semble qu’on puisse dire ici que nous sommes délivrés et sanctifiés par le même Dieu qui nous a créés. Mais en réalité les « prosôpa » dans lesquels l’unité (« monas ») se révèle, ne sont pas identiques à cette unité (« monas »). Pour les modalistes, Dieu en lui-même est le Dieu inconnaissable. Ce qu’il révèle, c’est justement ce qu’il n’est pas en lui-même, mais ce qu’il peut devenir temporairement. Donc on ne peut pas dire que nous sommes créés par Dieu le Père, ni que Dieu est notre Père, ni que nous sommes réconciliés par Dieu le Fils, ni que nous sommes sanctifiés par Dieu le Saint-Esprit. Dieu n’est pas vraiment Dieu dans sa révélation.

Cette erreur se trouve chez Noetius et Praxéas et surtout chez Sabellius. La doctrine des premiers est appelée patripassianisme. Selon cette idée, la même personne qui avait créé le monde s’était incarnée en Jésus-Christ. Ils appelaient cette personne le Père. Le patripassianisme est une forme moins réfléchie du modalisme. Il n’y a pas de différence essentielle avec l’opinion de Sabellius, bien que Sabellius ne parlât pas du patripassianisme. Sabellius parlait de différentes révélations d’un seul Dieu. Les patripassiens appelaient l’unité (« monas ») Dieu le Père, alors que pour Sabellius le Père n’est que la désignation pour ce « prosôpon » de Dieu qui se révéla dans la création.

3. Le subordinatianisme🔗

On a très tôt subordonné le Fils au Père, parce que les Pères apologètes liaient le « logos » de Jean au « logos » de la philosophie platonicienne. Dans cette philosophie, le « logos » est l’intermédiaire entre Dieu et le monde. On parlait du « logos endiathetos » et du « logos prophorikos ». Le premier est le « logos » qui n’a pas d’existence propre; il est l’intelligence du Père. En vue de la création, le « logos » est ensuite du Père comme « logos prophorikos ». Tertullien voulait tirer les personnes de l’essence de Dieu, mais il parlait aussi de « logos endiathétos » et de « logos prophorikos »; il n’était pas non plus exempt de subordinatianisme. Irénée rejetait la doctrine courante du « logos » et l’idée d’émanation. Origène enseignait plus clairement que Tertullien la Trinité ontologique, mais il faisait dériver encore les autres personnes de la personne du Père.

L’Église orientale reconnaît officiellement la doctrine de la « homoousia » des personnes. Mais la théologie grecque commençait toujours par la diversité des personnes pour parvenir ensuite à l’unité. La diversité était plus accentuée que l’unité. Le danger permanent, en Orient, est de ne pas éviter le subordinatianisme, malgré le dogme officiel. Origène déjà ne voyait pas d’autre moyen de maintenir la diversité des personnes que le subordinatianisme.

Selon le subordinatianisme, le Fils ne serait pas Dieu comme le Père. L’hérésie se fonde sur Jean 14.28 : « Le Père est plus grand que moi. » Mais ici, le Christ parle de sa position pendant son humiliation (voir Hé 5.8, l’obéissance du Christ, bien qu’il fût le Fils, et Jn 10.30).

Ainsi, le Fils de Dieu serait une créature selon Colossiens 1.15 (le premier-né de toute la création); mais cette expression désigne la position du Christ (voir Ps 89.28; voir aussi le verset 16 qui parle de la création de toutes choses en Christ, et Ap 3.14, le commencement de la création de Dieu, commencement veut dire ici source).

Le mot « logos » chez Jean aurait son origine dans la philosophie grecque et dans les idées de Philon. Philon a lié l’idée platonicienne et stoïcienne du « logos » avec la Parole de Dieu de l’Ancien Testament. Ce « logos » est pour lui l’âme du monde qui habite en tout ce qui existe. Le « logos » est pour les philosophes grecs le pont entre Dieu et le monde. Il n’y a pas une relation directe entre Dieu et le monde selon Philon.

Avant de créer le monde, Dieu a formé le « kosmos noétos » (de l’esprit, ou de l’intelligence), qui est à peu près la même chose que le « logos ». Par l’intermédiaire de ce « logos », qui est le fondement de tout ce qui existe, Dieu a créé le monde. Philon considère le monde comme attribut de Dieu, par exemple sa sagesse qui se révèle. Mais en se rappelant la distance qui existe entre Dieu et le monde, il parle aussi du « logos » comme d’une personnification de la raison de Dieu qui est une sorte d’être entre Dieu et la création. On comprend que le logos de Philon et de l’hellénisme en général sont tout à fait différents du « logos » de Jean. Jean emploie le mot « logos » pour désigner le Christ comme le Créateur, comme Dieu lui-même. Pour Philon, le logos est un être intermédiaire entre Dieu et la matière, ni Dieu ni créature.

Il ne faut pas oublier que le subordinatianisme est seulement une attitude pratique. L’Église orientale a condamné officiellement le subordinatianisme et elle reconnaît théoriquement la pleine « homoousie » des trois personnes en Dieu.

On peut comprendre que le mysticisme de l’Église orientale soit lié au rejet du Filioque si on voit la différence qui existe entre la théorie et la pratique. Car on ne pourrait pas séparer le Fils et le Saint-Esprit, comme on le fait dans le mysticisme oriental qui veut que, dans la révélation et en tout cas, l’Esprit procède du Père par le Fils. La condamnation du « Filioque ontologique » a aussi des conséquences pour l’attitude envers la Trinité économique, bien qu’il semble théoriquement que l’erreur doive se limiter à la pensée sur la Trinité ontologique. En réalité, les mêmes pensées qui ont conduit au subordinatianisme ancien déterminent encore la vie religieuse orientale.

Cela explique la différence entre la vie religieuse de l’Occident et de l’Orient. L’Église occidentale lie l’action du Saint-Esprit à l’activité du Christ dans l’histoire et donc aussi dans l’Église. Il n’y a pas un rapport entre Dieu le Père et nous sans l’intermédiaire du Fils, donc sans l’intermédiaire de l’histoire de l’Église et du sacrement. Au contraire, l’Église orientale place le centre de la vie religieuse dans le sentiment. On trouve dans les mystères une action directe de l’Esprit. Certainement, on reconnaît la révélation historique du Christ, mais elle n’a qu’une valeur préparatoire. On pense que le rapport entre le Père et nous peut exister directement sans l’intervention du Fils, donc sans l’histoire, l’Église et le sacrement.

La différence sur le Filioque semble être une bagatelle. Mais elle souligne en réalité toute la divergence entre l’Église orientale et l’Église occidentale.

4. Le modalisme🔗

Les modalistes ne connaissent pas une révélation de Dieu comme il est véritablement. Car Dieu ne révèle pas ce qu’il est en lui-même, mais ce qu’il peut devenir temporairement. Il n’y a donc pas une identité entre le sujet et l’objet de la révélation. Ils disent que la « monas » est présente dans tous les « prosôpa », mais que seulement une partie de la « monas » y est révélée (une partie non essentielle donc). Et on cherche la différence en ce qui est révélé. Généralement, on dit que les modalistes ne connaissent qu’une Trinité économique. Mais cela est incorrect. Car Dieu ne se révèle pas. Il n’y a qu’une manifestation de la « monas » qui est essentiellement simple par l’activité de sa volonté dans un trio de manières d’opérer. On ne peut pas penser une Trinité dans la révélation qui ne suppose pas une Trinité dans le sujet de la révélation.

Le modalisme parlait quelquefois de « l’homoousia » des personnes. C’est le cas de Marcellus d’Ancyre qui avait une doctrine du « logos » semblable à celle des Pères apologètes, et qui enseignait « l’homoousia » du logos et du Père. Mais Marcellus d’Ancyre était modaliste. Cependant, lorsque les modalistes parlent de « l’homoousia », ils désignent l’unité d’essence qui, pour eux, exclut la pluralité des personnes. Il peut donc sembler que Marcellus s’écartait des modalistes par la doctrine du « logos ». Mais en réalité, le « logos » de Dieu joue, pour Marcellus, le même rôle que la volonté de Dieu pour Noète. Par le « logos », Dieu peut se révéler dans divers « prosôpa », bien que son essence soit immuable et inconnaissable. Pas plus pour Marcellus que pour les autres modalistes, Dieu ne révèle pas ce qu’il est en son essence. Donc, ni Marcellus ni les autres modalistes qui parlent de « homoousia » et des « prosôpa » de Dieu n’ont la même pensée que le Concile de Nicée. « Homoousia » veut dire pour eux que toutes les personnes sont identiques avec l’essence de Dieu, mais en ce sens que les trois « prosôpa » sont trois manifestations non essentielles d’une même essence.

Il peut sembler que Marcellus ait été plus orthodoxe que les autres modalistes. Il parle du « logos » de Dieu et même de la « homoousia » de ce « logos » avec le Père. Mais cela ne veut pas dire qu’on trouve en Dieu une relation personnelle du Père au Fils avant la création. Marcellus ne connaît le « logos » que comme un principe immanent en Dieu par lequel Dieu possède le moyen de se manifester dans l’histoire comme un Dieu tri-un. Mais les « prosôpa » dans lesquels Dieu se révèle dans l’histoire ne sont pas identiques à l’essence de Dieu.

Si on veut comprendre l’opinion des modalistes, il faut savoir quelque chose de la philosophie qui est supposée admise par eux. La philosophie de Stoa distinguait entre les qualités essentielles et les qualités qui ne sont pas essentielles, mais sont plus ou moins contingentes pour un sujet. Ces dernières sont les relations du sujet et ses situations (« to pros ti pôs échon et to pros echon »). Ces derniers attributs, qui n’ont qu’une relation nominale avec l’essence, peuvent changer sans que l’essence change elle-même. Il y a une tension dialectique entre l’essence de Dieu qui est inconnaissable et immuable et la volonté de Dieu qui est la cause des changements de qualités. Ils n’acceptent pas non plus ce que nous avons dit de la relation entre l’essence et les qualités essentielles. Les qualités de Dieu ne sont que des relations avec le monde; elles sont étrangères à son essence. C’est pourquoi on peut même attribuer à Dieu successivement des qualités contradictoires. Le changement des qualités a sa base dans le changement des relations avec le monde. Il n’y a pas un rapport essentiel entre l’essence et les attributs. C’est pourquoi le même sujet, par le changement des relations, peut avoir successivement les noms de Père et de Fils. Ici, on peut donc reconnaître le changement de Dieu qui n’implique pas que Dieu ne soit plus Dieu.

5. Le macédonisme et le Saint-Esprit🔗

Le macédonisme étendit l’hérésie arienne au Saint-Esprit. Macédonius, évêque de Constantinople, fut déposé en 360 par un concile qui se tint dans sa ville. Damase, évêque de Rome, condamna aussi Macédonius dans un synode tenu à Rome. Le Concile de Constantinople (381) trancha la question. Ses décisions furent ajoutées au Symbole de Nicée.

Macédonius enseignait que le Saint-Esprit était une créature du Fils comme le Fils était une créature du Père (pneumatomaques). Macédonius a été condamné en 360 à Constantinople. Selon cette hérésie, le Saint-Esprit n’est donc pas Dieu qui nous a créés et réconciliés, qui nous assure lui-même notre adoption comme enfants de Dieu. L’Esprit de Dieu ne serait pas éternel, selon Jean 7.39. Ici, Jean parle cependant de l’effusion de l’Esprit à la Pentecôte.

Le mysticisme sépare la Parole et l’Esprit et il connaît une communion avec Dieu par l’Esprit sans la Parole et les sacrements du Christ.

Jean Damascène et l’Église orientale parlent du don de l’Esprit dans la révélation « dia tou huiou » (par le Fils). Mais ils ne veulent pas dire « ek tou huiou » (du Fils), comme ils disent que l’Esprit est « ek tou patros » (du Père). Ils rejettent le Filioque occidental (Tolède 589). Pourtant, les Grecs voient la relation de l’Esprit avec le Christ qui le distribue et l’envoie. Les Grecs pensaient que la formule que l’Esprit procède du Père et du Fils « de patre Filioque », implique que l’Esprit a deux principes. C’est pourquoi leur formule est : « de patre per Filium ». Mais l’Église occidentale n’enseignait pas non plus que le Saint-Esprit avait deux principes. Pourquoi l’Église orientale n’a-t-elle jamais cédé à l’argument occidental que la doctrine orientale séparait Dieu en lui-même et Dieu en sa révélation?

On a toujours considéré l’influence du subordinatianisme comme étant la cause de l’attitude de l’Orient. En Orient, on considère le Père comme la source de la déité (« pégè et archè tès théotètos »), dans le sens que nous avons rejeté. On trouve là encore l’influence d’Origène et de la spéculation sur le « logos », selon la philosophie platonicienne. Il semble aux Orientaux qu’on subordonne l’Esprit au Fils si on dit que l’Esprit procède du Fils comme il procède du Père. Mais, en Orient, on ne voulait pas reconnaître une subordination de l’Esprit au Fils. C’est pourquoi on a rejeté le Filioque.

6. Karl Barth🔗

Selon G.E. Meuleman, que nous citons entièrement, Karl Barth ne veut pas parler des trois personnes en Dieu. Il pense que la notion de personne peut facilement mener au trithéisme. Il parle de manières d’être. Cela est sa traduction de « subsistentia ». Il veut réserver la notion de personne pour la personnalité de Dieu dont nous avons parlé concernant le nom de Dieu. Il ne rejette pas absolument l’habitude de parler d’une essence et de trois personnes, mais il pense dire la même chose et mieux en parlant d’une essence et de trois modes d’être.

Nous pensons cependant que l’expression de Barth fait facilement penser au modalisme. On soupçonne souvent Barth de modalisme. Mais il nous semble qu’on a tort sur ce point. Barth veut accepter toute la doctrine ecclésiastique de la Trinité. La différence entre son opinion et la nôtre est dans le rapport entre la doctrine de la Trinité et celle de la révélation, prise dans le sens de Barth. Certainement, nous reconnaissons aussi qu’il n’y a pas de révélation sans la Trinité. Notre objection contre Barth est qu’il construit sa doctrine de la Trinité en se basant sur sa pensée de l’inaccessibilité totale et essentielle de Dieu.

Nous reconnaissons aussi que nous ne connaissons Dieu sinon par sa révélation et que Dieu n’est accessible pour nous que parce qu’il se fait connaître à nous. Mais Barth accentue la transcendance de Dieu. Il faut examiner sa pensée relative à la relation essentielle entre révélation et inconnaissabilité. Cette même pensée est à la base de sa doctrine de la Trinité.

Barth commence par parler de Dieu le Fils. Nous connaissons en Jésus-Christ le Dieu qui est totalement inaccessible pour nous, la révélation est pour nous un acte dans lequel nous voyons une divine possibilité de connaître Dieu; ou comme Barth le dit, en Christ nous connaissons Dieu comme le Seigneur qui malgré son inaccessibilité essentielle peut prendre une forme dans laquelle nous le connaissons et qui peut être Emmanuel, Dieu avec nous, Dieu qui nous est présent.

Pourtant, ce dévoilement de Dieu en Jésus-Christ n’est pas la seule manière d’être de Dieu. Dieu n’est pas absorbé dans son « être pour nous ». Car nous connaissons Dieu dans la forme humaine de la révélation seulement si nous comprenons aussi ce qu’il y a de miraculeux dans le fait que Dieu nous est connaissable, et donc si nous connaissons Dieu comme l’inaccessible en lui-même. Dieu reste Dieu aussi quand il se révèle en Christ. Il reste donc totalement inaccessible à l’homme. La forme par laquelle il se révèle ne l’absorbe pas. Dieu ne devient jamais une partie de notre réalité, une chose dont nous pouvons disposer. La présence de Dieu est toujours une décision de Dieu d’être présent.

Puisque nous connaissons Dieu dans sa révélation seulement si nous le connaissons comme le « Deus absconditus » (Dieu inconnu) qui s’est révélé, le fait que nous connaissons le « Deus revelatus » (Dieu révélé) nous fait connaître le « Deus absconditus ». Le « Deus revelatus » est le « Deus absconditus ». Le Fils et le Père sont un seul Dieu, mais nous ne pouvons pas les réduire à une manière d’être de Dieu. C’est pourquoi Barth parle du Père et du Fils, du « Deus revelatus » et du « Deus absconditus » comme deux manières d’être de Dieu. Mais nous connaissons Dieu seulement comme le Seigneur qui peut rester libre, bien qu’il prenne une forme. Il y a une troisième manière d’être en Dieu.

Car nous avons vu que nous ne connaissons le Fils que si nous connaissons le Père. Mais nous avons vu qu’on ne connaît selon Barth le Père que par le Fils. Nous connaissons Dieu comme le révélé si nous le connaissons comme l’inconnaissable; alors que nous le connaissons seulement comme l’inconnaissable si nous le connaissons comme le révélé. Dieu ne peut pas être « Dieu pour nous »; Dieu ne peut nous être révélé que par la dialectique interne, par le rapport de révélation et d’inconnaissabilité. Mais cette dialectique et cet « être ensemble » du Père et du Fils, ce n’est pas une relation que nous pouvons établir. Nous les trouvons dans un fait.

Par ce fait, nous découvrons une troisième manière d’être de Dieu. Nous voyons que Dieu non seulement peut prendre une forme et rester libre dans cette forme, mais qu’il peut aussi devenir Dieu pour tel ou tel homme dans cette forme et dans cette liberté. C’est pour lui un troisième aspect de la seigneurie de Dieu dans sa révélation. Cette troisième manière d’être ne peut pas être réduite à la première ou à la deuxième, parce que la troisième manière d’être de Dieu est Dieu dans sa dialectique de révélation et d’inconnaissabilité, dans un être-ensemble le Père et le Fils. L’Esprit de Dieu est l’Esprit qui nous fait connaître le Père ou le Fils. Le Père et le Fils se communiquent à nous par leur Esprit qui est un seul et même Dieu avec le Père et le Fils. Il y a seulement un Dieu qui se communique à nous, mais ce Dieu est dans sa révélation le Seigneur selon trois manières d’être. Et s’il l’est en sa révélation, ce n’est que parce qu’il l’est en lui-même antérieurement et indépendamment de sa révélation. Nous ne sommes pas d’accord avec ce que Barth dit sur la révélation et l’inconnaissabilité, et sur la dialectique des deux, mais nous croyons qu’il serait injuste d’accuser Barth de modalisme. Il parle du « Deus absconditus », mais il dit aussi que le « Deus revelatus » est le « Deus absconditus », alors que pour les modalistes Dieu est le Dieu révélé précisément en tant qu’il n’est pas le Dieu essentiellement inconnaissable.

7. Emil Brunner🔗

Selon Brunner, la doctrine de la Trinité permettrait de parler du Dieu d’amour qui est en Christ et du Dieu de la colère qui est hors du Christ. Pour Brunner, Dieu se révèle librement en Christ. Il peut donc se révéler autre en dehors du Christ pour ceux qui n’acceptent pas le Christ. Pour lui, il y a des œuvres de Dieu qui ne sont pas les œuvres du Christ. L’Écriture ne parlerait pas de la colère du Christ, mais seulement de la colère de Dieu. L’État est, selon lui, un instrument de la colère de Dieu et donc une œuvre de Dieu en dehors du Christ, comme toutes les choses « naturelles », si elles sont considérées en elles-mêmes.

Or nous remarquons que la Bible parle clairement de la colère du Christ. Brunner est ici en contradiction avec la doctrine de la « homoousia » qu’il veut maintenir. Sa doctrine implique une séparation non biblique de Dieu.

Brunner pense que la doctrine de la Trinité avait trop insisté sur la Trinité immanente. Pour lui, tout l’accent est sur la Trinité économique. La Bible nous enseignerait une « succession » des personnes, alors que la doctrine de l’Église place les personnes trop l’une à côté de l’autre. Certainement, Brunner ne veut pas être modaliste. Il n’entend pas « succession » dans un sens temporel, mais il veut désigner par ce mot que la Bible parle de Dieu le Père, que nous avons par le Fils et dans le Fils, mais non à côté du Fils. De même, nous avons, dit Brunner, le Fils par le Saint-Esprit et dans le Saint-Esprit, et non à côté du Saint-Esprit. Certainement, la Trinité économique suppose pour Brunner aussi la Trinité immanente. Mais la Trinité immanente ne doit avoir une place dans la dogmatique, selon lui, que comme le fond de la Trinité économique. Il veut renoncer à une doctrine des relations mutuelles des personnes en Dieu comme on la trouve dans le traitement ordinaire de la Trinité. Car en ce cas la Trinité immanente vient au premier plan et on ne trouve plus seulement la Trinité ontologique comme le fond de la révélation.

Dans la doctrine classique, on a construit un mystère qui n’a rien à faire avec le mystère de Dieu révélé selon la Bible. Le mystère de la dogmatique est un « mysterium logicum » qui a son origine dans le fait qu’on a négligé la pensée biblique de la succession des personnes, lorsqu’on s’occupe de l’idée non biblique des personnes l’une à côté de l’autre. Brunner reconnaît qu’on trouve dans la Bible aussi quelques passages où les personnes sont nommées l’une à côté de l’autre (Mt 28.19; 2 Co 13.4; 1 Pi 1.2), mais il pense qu’on ne trouve pas là encore une doctrine de la Trinité. D’ailleurs, cette doctrine de la Trinité n’appartient pas au kérygme selon lui. Elle a sa valeur et sa place nécessaire en rapport avec la défense de la doctrine sincère, mais elle ne doit par être prêchée. Mais aussi la dogmatique ne peut pas aller plus loin que de dire que l’ordre des personnes dans la révélation doit être présent aussi en Dieu lui-même parce que Dieu se donne en sa révélation comme il est. La « succession » dans la révélation suppose donc que : « Dieu donne au Fils la déité de toute éternité, comme il est le Père qui envoie le Fils comme le Rédempteur du monde » (Dogm. 1.247). De même, Brunner parle aussi du fait que le Père et le Fils donnent le Saint-Esprit (Die Lehre von Heiligen Geiste, 30).

Nous pensons que les textes cités par Brunner ne montrent pas seulement que la Trinité appartient bien vraiment à la prédication de l’Église, mais que le « mystère » des trois personnes et de l’essence unique ne peut pas être détaché du mystère de Dieu qui s’est révélé à nous en Jésus-Christ. Donc la dogmatique doit aussi parler des relations des personnes en Dieu en se basant sur la révélation.