Habacuc 1 - Dieu et son contraire
Habacuc 1 - Dieu et son contraire
« Mais toi, n’es-tu pas depuis toujours, Éternel, mon Dieu, mon Saint? Nous ne mourrons pas! Éternel, tu l’as établi pour le jugement; mon rocher, tu l’as affermi pour châtier. Tes yeux sont trop purs pour voir le mal, tu ne peux pas regarder l’oppression. Pourquoi donc regardes-tu les traîtres, gardes-tu le silence quand un méchant engloutit un plus juste que lui? Tu traites les humains comme des poissons de mer, comme des bestioles qui n’ont pas de maître. Tous ensemble, il les enlève à l’hameçon, il les tire dans son filet, il les accumule dans sa nasse. Alors il est dans la joie et l’allégresse. Alors, il offre un sacrifice à son filet, du parfum à sa nasse, car par eux sa portion est grasse, et sa nourriture copieuse. Alors, va-t-il vider son filet, et continuer sans pitié à massacrer des nations? »
Habacuc 1.12-17
Il le fait avec détermination, s’opposant avec force au blasphème des impies. Et parce qu’au préalable il a confessé sa foi en lui, il se permet à présent de lui poser ses questions douloureuses. Il reconnaît l’éternité de Dieu. Tu es notre Dieu, nous sommes ton peuple. En dépit des apparences, malgré l’épreuve et la détresse, la violence et l’oppression, Dieu est le Dieu des siens. Et pour cette raison les siens ne mourront pas! L’assurance dont le prophète vient de donner la preuve concerne le fidèle et son sort et non l’état ou le devenir de Dieu. Car jamais le croyant israélite n’aurait pu, un seul instant, penser que Dieu puisse mourir.
Des rabbins, dans leur zèle de ne laisser la moindre possibilité au fidèle de songer à une telle éventualité, ont malheureusement interprété cette clause comme si elle concernait Dieu, en estimant avoir sauvegardé son immortalité!
Selon le prophète, c’est parce que l’Éternel est Dieu que son peuple vivra. Jésus-Christ a déclaré : « Vous me verrez parce que moi je vis, et que, vous aussi, vous vivrez » (Jn 14.19). L’homme, même le croyant élu, ne possède pas d’immortalité en soi. La vie lui est accordée comme un don, la vie éternelle comme le fruit recueilli de l’œuvre de libération, accordée comme une grâce. « Non, je ne mourrai pas, je vivrai et je redirai les œuvres de l’Éternel », déclarait un autre croyant de l’Ancien Testament (Ps 118.17).
Saint Augustin s’est exprimé de manière absolument merveilleuse : Dieu nous a créés, il a créé le cœur de l’homme de telle sorte qu’il ne peut trouver de repos qu’en lui, dans le cœur du Père, le Créateur et le Rédempteur. Tout homme cherchera ce Dieu-là, le vrai, celui de saint Paul et du prophète, le Dieu révélé par Jésus-Christ. Mais les hommes le cherchent-ils vraiment? Ou le cherchent-ils sur la bonne voie, à la bonne adresse? Le grand théologien explique : Ils le cherchent en bas, tandis que lui se trouve en haut. Ils le cherchent sur la terre, quand lui est au ciel. Ils le cherchent au loin et non près d’eux. Ils le cherchent dans l’argent, les possessions, dans la célébrité, la puissance, dans la passion; et lui se trouve dans ce qui est élevé, dans les lieux saints; auprès de celui qui a le cœur brisé et qui est humble. Ils le cherchent avec l’espoir de le trouver, mais tout en le cherchant ils le fuient… Ils ne prennent pas d’intérêt en la connaissance de ses voies, mais ils ne peuvent rien faire sans lui. Ils se sentent attirés par Dieu, et en même temps ils le repoussent.
De son côté, Pascal rappelait admirablement la grandeur et la misère de l’homme :
« L’homme aspire à la vérité, et pourtant il est par nature faux. Il soupire pour le repos, mais se jette dans une diversion après l’autre. Il soupire pour le bonheur permanent et éternel, mais saisit ce qui procure le plaisir du moment. Il cherche Dieu, mais se perd en la créature. Il est né fils de la maison et pourtant il se nourrit des caroubes des pourceaux dans un pays étranger. Il abandonne les fontaines des eaux vives pour s’attarder auprès des citernes crevassées. Il est l’homme affamé qui rêve de manger, et quand il s’éveille trouve son âme vide; il est pareil à l’homme assoiffé qui rêve qu’il boit, mais éveillé il est défaillant! »
Nous ne pourrions analyser la condition de l’homme autrement qu’à la lumière révélatrice du divin connaisseur de nos cœurs. La science, toutes les sciences humaines, ne pourrait jeter la moindre lueur, faire le diagnostic du mal, répondre à nos attentes, nous guérir de nos maladies incurables… L’homme veut bien reconnaître son extrême fragilité de roseau tout en se sachant destiné à la grandeur. Sa connaissance l’élève parfois démesurément à ses propres yeux, ou elle le plonge dans un abîme de détresse. Aucun savoir humain ne peut discerner en l’homme son origine divine ni évaluer l’abîme de sa chute. L’homme aura besoin du témoignage des prophètes et de la proclamation des apôtres, de la Parole même du Verbe fait chair, Jésus-Christ, pour saisir à la fois la vérité sur sa personne et s’affranchir de sa misère.
Le prophète Habacuc a saisi cette vérité qui libère. À la suite d’autres, avant que la pleine révélation n’inonde nos esprits, il s’est accroché à Dieu, de tout son cœur, de toute sa force, de toute sa pensée : « N’es-tu pas notre Dieu? Nous ne mourrons pas! » Le dieu du Chaldéen est sa propre force; fragile appui! tandis que son Dieu est l’Éternel. Il ne mourra donc pas; ces mots expriment la certitude qu’après que le Chaldéen aura accompli l’œuvre de châtiment dont il est chargé auprès du peuple de Dieu, ce dernier ressortira sain, sauf et purifié du creuset.
Malgré cette attente de la foi, la conduite actuelle de Dieu paraît contradictoire à sa sainteté; comment peut-il se servir ainsi du bras des méchants? C’est cette objection que le prophète présente à l’Éternel dans le paragraphe que nous venons de lire.
Satan assombrit la vérité par des ombres. Il est capable d’envelopper les faveurs divines par d’épais nuages; lorsque l’adversité survient, elle est comme des nuages noirs et épais qui nous empêchent de voir la bonté divine. Mais par sa secrète providence, Dieu continue à gouverner au-dessus de toutes les confusions. Mille fois par jour Satan cherche à ébranler notre confiance en ses bontés. Le Chaldéen rend le pays aride et désertique, il prend Israël et l’enserre dans ses filets comme les poissons de la mer. La personne humaine semble être ravalée au rang de l’animal, en subir le sort; elle est traitée comme l’animal qui n’a ni maître ni protecteur. L’hameçon, le filet ordinaire et le grand filet sont des images qui désignent les moyens de l’oppresseur, sa ruse et sa violence pour subjuguer les peuples.
Mais le prophète ajoute aussitôt : Tu l’as établi seulement pour exécuter tes jugements, pour discipliner, pour corriger, pour instruire ton peuple. Tu restreindras donc sa force, son impétuosité, car l’exaltation de l’impie est vaine. La justice de Dieu ne peut pas être séparée de sa nature. Il juge, mais il le fait avec justice, voire avec bonté. Il n’y a point de contradictions en la nature divine. C’est nous qui imaginons de telles contradictions.
Le regard de Dieu est trop pur pour regarder et pour tolérer le mal. Aussi, en face du mal scandaleux, le prophète ne récrimine pas, il ne déshonore pas le saint nom de Dieu en disant, comme nous le faisons si souvent : s’il y avait un Dieu, cela ne se produirait pas! Au contraire, il confesse : Tu es trop pur pour tolérer aucune forme de mal; tu ne peux laisser l’inique impuni; tu es saint. Le prophète ne fait pas intervenir la chance ou le hasard pour régler le cours des événements. Il croit en un Dieu personnel, personne moralement responsable, Dieu transcendant qui a pour nom l’Éternel, et comme attributs la sainteté et la justice, de même que la grâce miséricordieuse et un amour infini. C’est un tel Dieu qui réprimera, qui restreindra les vagues de la méchanceté humaine comme il freine celle de l’océan en ordonnant : jusqu’ici et pas au-delà! Il ne fermera pas les yeux; la tyrannie aura la vie courte.
La foi du prophète en est certaine, c’est pourquoi ses questions douloureuses n’ôtent rien à la majesté divine. S’il n’en était pas ainsi, il ne se tournerait pas vers lui, il ne l’implorerait point. Il semble lui dire : Tu sais combien je souffre de voir cette situation scandaleuse. Mais tu es celui qui gouverne. Certes, je suis perplexe, ô mon Dieu et mon Seigneur, bien que je sache que tu tiens la barre du navire universel et conduis l’histoire des humains. Quelle folie que la joie du méchant, et quelle absurdité il sacrifie à son filet! Il ne sait pas qu’en dernier lieu, ce sont les grands filets de l’éternité qui recueilleront l’abondante pêche, une pêche cosmique miraculeuse! La politique tordue du méchant, sa diplomatie fourbe ou ses armées brutales ne sont rien en comparaison du grand et ultime hameçon dont Dieu se servira à la fin; la chute des empires est inscrite dans l’histoire, programmée presque comme un code génétique dès leur conception; les puissants disparaîtront, comme les idoles qu’ils adorent.
La grave faute commise par les Chaldéens ne consiste pas à exécuter le jugement de Dieu sur Israël, car ils étaient, après tout, l’instrument entre ses mains. Le prophète reproche aux Chaldéens de ne pas se contenter d’exécuter la mission divine, mais de la dépasser, d’aller au-delà du but fixé par Dieu. Ils en tirent orgueil. Ils ne comprennent pas qu’ils l’ont reçue et qu’ils n’en sont pas les maîtres ultimes. Ils interprètent faussement la situation en leur faveur et se montrent des vainqueurs arrogants, ils se réjouissent de leurs méfaits; ils festoient en semant la terreur. Ils se prennent pour des dieux! Ils ne connaissent pas d’où viennent leur force, leur victoire, leur réussite. Ils les attribuent à leur bras et à leur technique. C’est pourquoi ils sacrifient « à leur filet ». C’est pourquoi, malheur à celui qui sert de verge!
Tel est leur péché; mais au-dessus du péché de ces barbares choisis par Dieu comme instrument de sa justice reste, encore et toujours, Dieu. Ses yeux sont trop purs pour voir le mal (voir Ps 37.33-35). Dieu ne restera pas un spectateur indifférent. Pourtant, il ne prend pas plaisir à châtier, même les Chaldéens. Sur les impies, et pour les impies aussi, il a dressé la croix du Calvaire. Même les féroces Chaldéens du temps d’Habacuc, Attila au Moyen Âge, Soleiman le Magnifique au 16e siècle, communistes et nazis au 20e siècle, sont placés au bénéfice de la croix, qui ne veut pas la mort du pécheur, mais qu’il se repente, se convertisse et qu’il vive.
Là où l’Esprit de Dieu ne règne pas, il y aura arrogance, et l’arrogance, maladie mortelle, emporte les plus forts, les plus robustes, les plus solides. Les richesses que l’orgueil satanique accumule seront dilapidées, seuls sont permanents les trésors acquis pour la gloire de Dieu et au service du prochain; « là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur », disait Jésus-Christ (Mt 6.21).
Puissions-nous placer notre cœur dans les trésors impérissables acquis par la passion et la résurrection du Fils de Dieu. Que les puissants et les arrogants n’abusent pas de la patience de Dieu, qu’ils ne se servent pas à leur profit et pour leur renommée de la mission temporaire qui leur est confiée; qu’ils se gardent de s’exalter, mais se prosternent devant l’Éternel pour le servir avec crainte et tremblement. Leur déclin sera honteux; l’histoire humaine le prouvera, précédant l’implacable jugement final que Dieu exercera sur ceux dont la démesure s’abaisse jusqu’à brûler de l’encens devant leurs outils, à rendre hommage à leur force et à faire honneur à leurs conquêtes. Ils seront obligés, à ce moment suprême, de vider tous leurs filets, car il ne leur sera pas permis pour toujours de les remplir et de se satisfaire.
Dieu ne regarde pas les fourbes avec plaisir. Il a fixé un jour de vengeance.
« Les idoles des nations sont de l’argent et de l’or, œuvre de la main des hommes. Elles ont une bouche et ne parlent pas, elles ont des yeux et ne voient pas, elles ont des oreilles et n’écoutent pas, elles n’ont pas de souffle dans leur bouche. Ils leur ressemblent, ceux qui les fabriquent, tous ceux qui se confient en elles » (Ps 135.15-18).
Dieu est notre éternel Rocher, l’appui ferme et immuable de son peuple. « En lui il n’y a ni changement ni ombre de variation » (Jc 1.17). Si notre regard se fixe exclusivement aux événements troublants des temps modernes plutôt qu’à Dieu, nous serons dans la confusion. Mais depuis l’incarnation, la passion, la mort, la résurrection et l’exaltation du Christ, notre foi et notre espérance, notre piété et notre attachement à Dieu dépassent ceux de l’Ancien Testament; écoutons donc saint Paul nous déclarer :
« Ceux qu’il a connus d’avance, il les a aussi prédestinés à être semblables à l’image de son Fils, afin qu’il soit le premier-né d’un grand nombre de frères. Et ceux qu’il a prédestinés, il les a aussi appelés; et ceux qu’il a appelés, il les aussi justifiés; et ceux qu’il a justifiés, il les a aussi glorifiés. […] Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous? Lui qui n’a pas épargné son propre Fils, mais qui l’a livré pour nous tous, comment ne nous donnera-t-il pas aussi tout avec lui, par grâce? […] Qui nous séparera de l’amour du Christ? […] Dans toutes ces choses, nous sommes plus que vainqueurs par celui qui nous a aimés. Car je suis persuadé que ni la mort, ni la vie, ni les anges, ni les dominations, ni le présent, ni l’avenir, ni les puissances, ni les êtres d’en haut, ni ceux d’en bas, ni aucune autre créature ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu en Jésus-Christ notre Seigneur. » (Rm 8.29-32,35,37-39). Oui, Dieu est notre Dieu, nous ne mourrons pas!
Prions aussi avec Jean Calvin :
« Dieu tout-puissant, puisqu’il ne se peut faire autrement que nous ne soyons souvent ébranlés et étonnés par tant de troubles et tempêtes en ce monde, puisque notre chair est infirme. Fais que notre foi soit soutenue sur cet appui, à savoir que tu es le gouverneur de tout le monde; et que tu n’as pas seulement créé les hommes un jour, mais qu’ils sont aussi conservés sous ta main et ta protection et que tu es aussi un juste juge afin que nous nous retenions en bride. Et bien que nous ayons à soutenir souvent divers alarmes et assauts, néanmoins que nous ne perdions jamais courage jusqu’à ce que notre foi se montre victorieuse sur toutes les tentations. Et que par ce moyen en combattant avec assiduité nous parvenions finalement à ce repos céleste lequel nous a été acquis par ton Fils notre Seigneur Jésus-Christ, amen.1 »
Note
1. Jean Calvin, Commentaire sur le livre du prophète Habacuc.