Le Dieu souverain
Le Dieu souverain
Comprendre selon les Écritures la manière dont Dieu nous conduit et dont il conduit notre monde n’est pas une affaire très simple. Reconnaissons que nous constatons souvent avec perplexité que les hommes ne se conforment nullement à la volonté souveraine de celui que nous acclamons comme le Dieu unique. Mais serait-ce pour autant la faute de Dieu? Allons-nous lui reprocher de ne pas se montrer plus ferme et souverain et de subir l’affront du désordre et de la rébellion? La question, toujours lancinante, se poserait même si nous ne reprochions rien à celui qui, en fin de compte, ne rend des comptes à personne. Pourquoi ces antithèses? Pourquoi l’homme rebelle? Pourquoi Dieu tolère-t-il la contestation ouverte et effrontée des hommes et l’immoralité de leurs actes?
Il est parfois bien douloureux de se poser de telles questions, mais elles n’ôteront rien à notre certitude qu’il demeure le Maître de nos vies. Notre foi en lui devra rester intacte. C’est notre conviction intime, engendrée par son Esprit et entretenue par sa Parole, que rien au monde ne saurait dérober sa gloire et tout son pouvoir. Cette conviction refuse d’imaginer, ne serait-ce qu’un seul instant, que lui, source du bien et de la justice, pourrait être l’auteur du mal qui ravage le monde.
Je vous inviterai plutôt à un examen approfondi de nos propres personnes, à scruter jusqu’aux plus obscurs recoins de notre pensée les traces de mal qui s’y nichent et qui contredisent notre foi en Dieu. Nous tentons si souvent l’inconcevable. Vouloir dicter à Dieu nos propres volontés! Nous rêvons peut-être de devenir comme lui et d’exercer ne serait-ce qu’un fragment de son pouvoir. Nous sommes convaincus, certes, de nos bonnes intentions. Nous nous persuadons que c’est en vue du triomphe du bien et pour la conversion des méchants que nous devrions exercer ce pouvoir. Mais Dieu ne partagera pas son pouvoir avec les mortels. Il nous faut déchanter et accepter une fois pour toutes que nous avons à vivre avec son programme, sous sa houlette, et en parfait acquiescement avec sa volonté omniprésente. Essayons alors de comprendre correctement en quoi il n’est pas un être limité, mais le Dieu souverain.
Au cœur de toute action de Dieu se trouve un motif fondamental : faire tout selon son bon plaisir. « J’annonce dès le commencement ce qui vient par la suite, et longtemps d’avance ce qui n’est pas encore accompli. Je dis : Mon projet tiendra bon et j’exécuterai tout ce que je désire » (És 46.10).
C’est l’affirmation de sa volonté qui n’est ni arbitraire ni fatalité. Ce terme de « bon plaisir » pourrait être mieux rendu par « le projet de Dieu ». Ainsi, il a créé l’univers et l’homme. Lorsque nous nous mettons en rapport avec lui — et je ne dis pas lorsque nous discourons sur lui en théoriciens (car il n’existe pas de discours impersonnel sur Dieu, mais toujours réponse et engagement ou bien refus et révolte) —, lorsque nous entrons dans ce type de relation, voici la toute première leçon à apprendre : Dieu fait tout selon son « bon plaisir ». Et voici la seule question légitime à cet égard, celle que nous aurons à lui poser constamment et honnêtement : « Que puis-je faire pour mieux m’aligner sur ta volonté? »
Le livre des origines, la source de notre connaissance sur Dieu et sur l’homme, la vieille Bible nous déclare : l’homme aussi a été créé libre. Certes, Dieu détient l’autorité ultime, mais il investit l’homme — sa créature — d’une autorité qui, quoique dérivée, est tout aussi réelle. Même la chute n’a pu détruire ce rapport entre l’autorité ultime et l’autorité dérivée. Si l’homme est libre, il demeure responsable vis-à-vis de Dieu, sans révocation possible.
C’est ce rapport-là qui explique l’existence d’un univers moral. Cette lumière sur le rôle dévolu à l’homme jette aussi son éclairage sur l’arrière-plan, sur l’arrière-scène où évolue le monde réel, celui que j’appelle précisément l’univers moral. L’univers — le nôtre — est moral parce que, dès l’origine, ont été établis entre Dieu et l’homme des rapports de liberté et de responsabilité. Dieu est source de principes, de normes, d’ordre et de cohésion. L’homme, récipiendaire de l’ordre, en est aussi nommé garant. L’univers moral est celui dans lequel, par décret de Dieu et sous sa surveillance, aucun de nos actes n’échappe à son œil scrutateur et, par un mécanisme qu’il a établi et dont nous n’ignorons vraiment aucun des rouages, nos actes produisent des effets.
Aucune de leurs conséquences ne sera désormais inéluctable. Aucun résultat de la libre décision et de mes actes libres ne pourra s’effacer. Même la grâce souveraine du Dieu miséricordieux n’anéantira pas les fruits de mes choix. La grâce divine est pure, elle est grâce absolue du fait qu’elle fait retomber toutes les conséquences mortelles de nos actes sur son Fils, l’unique innocent, victime et médiateur. C’est elle qui, à sa manière, vient nous convaincre de l’existence d’un univers qui, sorti des mains de Dieu, reste éminemment moral parce que régi et maintenu par le Dieu des normes et des principes, le Dieu d’une loi-constitution et d’un ordre parfait. C’est l’univers moral qui nous appelle encore à donner, ou à redonner, une réponse à l’invitation de Dieu, à nous aligner en connaissance de cause — avec la liberté qui est la nôtre — à sa volonté et à revivre une communion où l’ordre et la cohésion, le sens et l’amour deviennent les seuls facteurs d’une vie rétablie et d’une personnalité recréée.
Autrement, c’est la mort. La mort au sens physique autant que spirituel. Autrement, c’est le crime; le premier fratricide a suivi la toute première transgression. Pourtant, même ainsi, en dépit de l’acte mortel et meurtrier de l’homme, l’univers moral ne disparaîtra point. Voyez le cas extrêmement significatif de l’homme qui le premier sur terre a envoyé son frère à la tombe : Caïn, châtié, errant et fugitif, reçoit quand même une promesse : sa vie sera préservée (Gn 4.9-16).
Si nous oublions, ne serait-ce qu’un seul instant, toute l’importance pour notre propre histoire des pages du livre des origines, nous risquerions d’expliquer le mal en l’attribuant à Dieu ou en le considérant comme faisant partie inhérente de la création. Or, ce n’est pas le cas; le mal dans d’autres religions et d’autres philosophies apparaît comme tel; il reçoit, ainsi que l’on dit, une explication « métaphysique ». Sur les pages de la révélation, le mal vient après coup; il est une « transgression morale »; le fait d’une prise de position contraire à Dieu et résistant à sa souveraine volonté.
Enfin, dernière preuve et garantie de l’univers moral, c’est l’avertissement même que saint Paul nous adresse d’une manière qui ne laisse subsister aucun doute : « Ne vous y trompez pas, on ne se moque pas de Dieu » (Ga 6.7). Et ailleurs : « Car il nous faut tous comparaître devant le tribunal du Christ » (2 Co 5.10).
Ce que les chrétiens ont l’habitude d’appeler le « jour du jugement » fera apparaître à la fois la nature de l’univers créé par Dieu et son verdict et sa sentence sur tout acte transgresseur. Et dès maintenant, tout acte qui se conforme à son bon plaisir est déjà approuvé et sert avec ses effets bénéfiques à la préservation de notre monde.
L’univers moral est le champ ouvert dans lequel, parfois à l’insu de nos yeux rendus insensés et aveugles par l’incrédulité, se déroule toute l’action gracieuse et miséricordieuse de Dieu. Elle l’emporte sur tout le reste et c’est elle qui écrase la mort et délivre du péché.
Voilà le bon plaisir de Dieu. Résumé imparfaitement en une courte phrase qui est quand même suffisante pour nous permettre, en deçà de la ligne horizontale — celle qui nous est commune — de percevoir le prolongement du dessein éternel de Dieu.
Je me permets d’ajouter quelques notes à cette profession du décret éternel de Dieu, de son bon plaisir manifesté au cours de notre propre vie. Il serait très prudent de ne pas juger les actes de Dieu d’après quelques cas isolés de notre expérience, même si certains événements nous paraissent parfois tragiques. Ne faisons surtout pas de lui le point de mire de nos vues toutes temporelles. Ne confondons pas son éternité avec un temps qui serait indéfiniment prolongé. Il n’existe pas d’éternité de Dieu qui peut s’exprimer en catégories temporelles. C’est en Christ que nous recevons l’évidence de la décision éternelle, c’est précisément le Christ qui, par décision éternelle, a été chargé de récapituler toutes choses, de rétablir la direction originelle et de restaurer les communions rompues. Parce que Christ, Fils incarné de Dieu, nous éclaire et nous apporte la preuve de tout cela, nous sommes tenus de répondre personnellement à l’appel de Dieu en hommes libres et responsables.
Ainsi naît la complémentarité entre ce qui est éternel et ce qui est temporel. Il n’y a que les insensés qui ne voient pas la réalité. Nos questions, lorsqu’elles sont sérieuses, reçoivent une réponse; Dieu agit dans le monde selon son amour. Notre histoire désordonnée et chaotique, escalade de violence et de crimes, reste toujours accompagnée par la ligne de l’amour gracieux de Dieu qui, souvent de façon obscure, et pourtant réelle, soutient la vie des hommes et l’univers tout entier. Jésus est venu rétablir cette vérité (Jn 18.33-39). Dieu tient à son plan. Peu importe ce que nous pensons de ce qu’il aurait dû faire. Lui, il continue à préparer son Royaume et à l’instaurer.
En Christ, il anéantit toutes les forces du mal. Il sauve aujourd’hui le pécheur. Lorsque l’homme rencontre Jésus-Christ et qu’il accueille l’Évangile dans la joie, il reçoit le pardon et se tourne du côté du Royaume de Dieu, bénéficiant de son bon plaisir et pénétrant dès à présent dans le seuil de l’éternité.
Puis-je alors vous inviter à une confession joyeuse de votre foi en ce Dieu souverain? Puis-je vous exhorter à la louange? Nous ne pouvons parler de Dieu autrement que dans l’attestation de son bon plaisir en entonnant l’hymne de ses louanges.
Nous savons dès à présent que, depuis le premier jour de la création, depuis Vendredi saint, depuis le matin de Pâques, Dieu est à l’œuvre pour réaliser son projet, pour manifester son bon plaisir, pour attester son autorité.
Que des questions légitimes, parfois angoissantes, ne nous désespèrent plus. Dieu n’est pas l’auteur du mal ni la source du péché. Il les permet, mais surtout les contrôle; il les tient puissamment en bride et les élimine. Il reste notre seul secours. Quoi qu’il puisse advenir, écoutons-le toujours en fils et en serviteurs. Écoutons aussi celui qui, en Fils obéissant et parfait, a gravi le sommet du Calvaire et, attaché à la croix, s’est mis en parfait accord avec la volonté du Père. C’est placés au bénéfice d’une telle obéissance que nous saurons avancer jusqu’à la fin, avec la conviction inébranlable que l’univers et le peuple de Dieu avancent vers le rétablissement final de la paix et que le bon plaisir éternel de notre Dieu en Christ, dans la communion de son Saint-Esprit, inaugurera bientôt de nouveaux cieux et une nouvelle terre.