Le miracle de Pâques Message de Pâques
Le miracle de Pâques Message de Pâques
La résurrection du Christ, miracle physique en soi, est aussi incontestablement un miracle spirituel. Elle constitue le fondement du christianisme; elle est la source génératrice de sa foi, de son espérance et de son amour. Toutes nos certitudes sont solidement ancrées en elle. Le message religieux qu’elle délivre est clair : il annonce la nature radicalement nouvelle de l’expérience spirituelle, qu’elle engendre par son pouvoir et nourrit de sa sève.
Nous aurions de la peine à nous représenter l’état d’esprit des disciples, leur total désarroi, pour ne pas dire leur désespoir, après la tragédie du Vendredi saint, tragédie d’une ampleur démesurée, que nous esprits humains limités sont incapables de saisir dans toute sa portée. Pour les disciples, ç’avait été un désastre religieux, une perte irrémédiable. Lorsque le corps du crucifié avait été déposé dans le sépulcre de Joseph d’ Arimathée et que la pierre lourde et froide s’était fermée sur la dépouille du Maître galiléen, les rêves, les espoirs et les projets que ces hommes simples, enthousiastes et décidés, intimes du prophète de Nazareth, avaient nourris durant trois ans avaient été ensevelis avec lui.
Leurs rêves, leur attente fiévreuse du renouveau, du rétablissement national et religieux de leur peuple, s’étaient cristallisés autour de son nom. À présent, l’exécution de celui qui à leurs yeux était le véritable Messie venait bouleverser de fond en comble leur vie et leurs espoirs. Avant que le jour fatal décline, les ténèbres avaient déjà envahi leurs âmes, plus épaisses et opaques que la nuit sans étoile descendant sur Jérusalem. Toute lueur d’espérance leur avait été enlevée. La crucifixion, châtiment monstrueux infligé à l’Innocent, au Saint de Dieu, faisait tarir brutalement la sève de la vie régénérée à peine infusée dans leurs existences, autrement si ordinaires…
Le message auquel ils avaient cru, en lequel ils avaient placé leur espérance, disparaissait sans retour. Auraient-ils, durant trois années, donné rendez-vous au plus noble, mais aussi au plus illusoire des espoirs? Alors, baissant la tête, comme on baisse l’étendard après une défaite humiliante, ils avaient décidé de battre en retraite et de renoncer à jamais à la mission qui avait soulevé leur ardeur juvénile et passionnée.
Mais leur tristesse infinie, humainement inconsolable, n’a pas fait long feu. Si, il y a à peine quelques heures, leurs âmes étaient enfoncées dans une déception amère, dépassant toute mesure, à présent ils ont des raisons, à vrai dire inouïes, pour s’abandonner à des transports de joie. Un bouleversement inattendu est venu démentir les plus sombres pressentiments : la certitude que Jésus, qu’ils avaient vu cloué au gibet, le supplicié dont ils avaient déposé le corps meurtri dans un sépulcre creusé dans le roc, puis scellé d’une lourde pierre, et gardé par une escouade de mercenaires, était ressuscité. Ce corps qui avait passé des heures entières dans le séjour des morts, leur Maître Jésus, venait de sortir vivant de la tombe! Il leur était apparu, ils l’avaient vu, ils l’avaient touché, ils avaient même mangé ensemble.
Et cette certitude avait pris corps en un seul jour; non seulement chez quelques femmes, éventuellement prêtes à croire, mais encore chez des hommes sceptiques; non pas uniquement chez quelques particuliers, mais au milieu de groupes; elle avait germé et fleuri soudainement, elle avait mûri prodigieusement heure après heure, presque à vue d’œil. Le soleil du premier jour de la semaine n’avait pas pris congé, la nouvelle entendue, crue et communiquée s’était transformée en certitude irréfutable, en glorieuse conviction. En ce matin printanier, un miracle tel s’était produit que nul mortel n’aurait pu l’imaginer; il consistait en un acte de création nouvelle, inaugurant une ère nouvelle, lumineuse pour la foi, glorieuse en espérance, animée par la plus pure charité.
C’est avec une remarquable unanimité ainsi qu’avec un soin admirable que les récits des quatre Évangiles soulignent jusque dans les plus petits détails le miracle du matin de Pâques; Jésus-Christ était donc véritablement le Prince de la vie, et sa résurrection corporelle le prouvait. Notons que, si pendant quarante jours le Ressuscité se manifesta presque quotidiennement, ce fut précisément pour conforter la certitude qu’il était réellement ressuscité. Et, fait particulier, il apparaissait exclusivement à ses disciples, non à des étrangers. Il ne se révélerait pas au monde extérieur; il ne se montrerait pas au roitelet Hérode Antipas, à l’inique Caïphe, au prétoire du lâche Ponce Pilate.
Les disciples, et eux seuls, allaient devenir les dépositaires privilégiés de la nouvelle, les témoins plénipotentiaires de l’événement de Pâques, qui serait annoncé à Jérusalem et jusqu’aux extrémités de la terre. Chacune de ses révélations était destinée au cercle de ses disciples : à la Madeleine pleurant près de la tombe; à Pierre, honteux de son reniement; aux deux disciples égrenant leur chapelet de lamentations sur la longue route d’Emmaüs; aux dix, barricadés dans une chambre haute, paralysés par la peur; à Thomas le douteur, aux cinq cents, auxquels il donna rendez-vous au sommet d’une colline.
En effet, son intention était de les persuader en usant, j’ose dire, d’une véritable prodigalité de signes et de preuves; sa résurrection était réelle, physique, indubitable. Non seulement était-il vivant, mais encore proche, accessible, rassurant, s’entretenant avec eux, plus proche que jadis. À notre tour, nous devrions être heureux de savoir qu’il a atteint cet objectif et que sa pédagogie divine a réussi à balayer tous les doutes à cet égard. Désormais, ils pourraient proclamer urbi et orbi que le prophète de Galilée, réellement ressuscité, était véritablement le Seigneur universel. Ce fut là le premier volet du miracle de Pâques.
À partir de ce miracle a pris corps un message qu’ils ont transmis, communiqué, proclamé. La prédication des apôtres du Christ a eu pour thème principal d’une part le drame du Vendredi saint, d’autre part le tombeau vide, c’est-à-dire la résurrection; ce sont là les deux aspects de l’œuvre de la rédemption, organiquement liés. À vue humaine, la crucifixion avait été un échec déroutant et humiliant. La résurrection, elle, est un fait inouï, glorieux.
Certes, les témoins du Christ n’allaient pas négliger d’autres aspects du ministère public du Christ, par exemple son enseignement ou ses actes de charité, telles ses puissantes interventions dans la vie d’éclopés, de lépreux, d’aveugles, de possédés, de publicains ou de prostituées. Mais au cœur de leur mission se trouvait planté comme un drapeau le message du Sauveur crucifié, qui était aussi celui du Seigneur ressuscité. Le reste était second par rapport à cet axe. Voyez toute la place qu’occupent dans les quatre Évangiles, dans le livre des Actes des apôtres et dans les écrits apostoliques, la croix du Calvaire et le tombeau vide.
Les premiers chrétiens ne voulaient savoir rien d’autre; ils ne brodaient pas sur des fables savamment construites, ils n’échafaudaient pas des spéculations religieuses pouvant séduire les esprits et satisfaire les intelligences; ils n’offraient pas des prescriptions et des recettes, même morales. Encore moins voulaient-ils entraîner derrière eux des foules avides de sensations fortes, mystiques ou magiques, à la manière des Grecs ou à la façon des barbares. Non, mille fois non. La seule chose qu’ils avaient à cœur, c’était d’annoncer un événement historique, le salut par la mort et la libération par la résurrection du Christ Jésus, Fils de Dieu, Seigneur de la terre et des cieux. À leurs yeux, ce n’était pas Pierre ou ses successeurs qui étaient la tête de l’Église, pas plus que le rabbi Paul de Tarse n’était le fondateur du christianisme. La passion, la mort, la résurrection et l’exaltation de Jésus-Christ expliquaient l’origine de leur religion et fondaient leur foi dans le salut accompli et offert par lui.
Enfin, ce message engendra une expérience spirituelle exceptionnelle, sans parallèle dans aucune des expériences religieuses de l’humanité. Tel a été le troisième volet du miracle de Pâques. L’Évangile du Ressuscité faisait son irrésistible incursion partout, engendrant des changements prodigieux et transformant des vies. Si par religion nous entendons une expérience à caractère mystique, avouons que celle des disciples du Christ a constitué un tournant décisif dans les rapports entre l’homme, « poussière et cendre », et le Dieu des origines.
De même, si la religion véritable doit servir de critère pour que l’homme ait des rapports justes avec ses semblables, reconnaissons que cette expérience donna le jour à des relations humaines radicalement nouvelles, transformées par l’amour; au point où même les adversaires du christianisme devaient admettre : voyez combien ils s’aiment! Leur foi en Dieu était le moteur produisant un amour sans acception de personnes, désintéressé et généreux. Les païens n’étaient pas accoutumés à ce genre de bonté, à être témoins d’une conduite morale aussi pure et irréprochable, à la pratique d’une justice exempte de partialité, à cette abnégation dans le soutien fraternel.
Telle a été l’expérience engendrée par la religion de la révélation chrétienne. Des rapports nouveaux ont été inaugurés entre l’homme et Dieu; des relations transformées se sont établies entre hommes, entre homme et femme, peuples et nations, tribus et clans. Il n’y avait plus d’acception ni d’exception, entre Grecs et Juifs, Scythes et Barbares. Des vies entières étaient transformées, aussi bien intérieurement que dans leur conduite extérieure.
Oserait-on nier l’impact indélébile que les disciples du Crucifié et les témoins du Ressuscité ont laissé sur des sociétés en pleine décadence, sur des hommes plongés dans la turpitude, dans l’existence d’êtres humains se consumant comme « une passion inutile »? Ce n’est pas seulement le Nouveau Testament qui atteste cette révolution spirituelle, mais les annales de l’histoire profane y rendent, à leur tour, un éloquent témoignage. Un prodige moral inouï s’accomplissait au sein de sociétés en pleine décomposition.
Une expression suffit pour décrire la transformation miraculeuse : « nouvelle création en Christ » (2 Co 5.17). Des vies individuelles, des mœurs familiales, des comportements sociaux, des entreprises publiques, des activités culturelles en ont tous bénéficié; la prédication du Crucifié et l’Évangile du Vivant n’ont pas manqué de produire les effets qu’ils devaient produire. Le renoncement à soi-même des disciples du Christ, leur mort au péché étaient la semence fertile capable de revigorer la face d’une terre désespérément fatiguée et d’illuminer ce qui y était noyé de ténèbres.
L’Église chrétienne est fondée sur la foi accordée à cet événement. Le rationaliste le plus obtus, le positiviste le plus fanatique devra admettre, s’il est honnête, qu’il n’existe aucune autre explication de la pérennité du corps social appelé Église chrétienne. C’est la proclamation du nom du Christ et l’annonce de sa mission rédemptrice qui expliquent, à elles seules, sans l’intervention de facteurs humains, cette permanence de l’Église universelle depuis vingt siècles. À l’inverse, là où ces événements sont niés, qu’on ne s’étonne pas que des communautés se prétendant chrétiennes se rétrécissent comme une peau de chagrin et finissent par fondre comme neige au soleil. Les statistiques ecclésiastiques actuelles ne me démentiront pas.
La résurrection fut un événement attestable; ce serait insensé de contredire ce qui est amplement pourvu de preuves historiques. Au matin de Pâques, un miracle se produisit dans le jardin de Joseph d’ Arimathée. Christ, mort et enseveli, revint à la vie. Mais ce miracle ne fut pas une illusion créée par l’imagination de quelques femmes et hommes galiléens qui, pour surmonter leur amère déception et pour se redonner du courage, auraient inventé une légende sans substance en cherchant à justifier à leurs propres yeux, a posteriori, leur mission à la suite de l’échec du vendredi précédent.
Chrétiens, j’espère qu’en cette fin du vingtième siècle on ne vous fera pas gober les divagations de quelques théologiens nous invitant à « démythologiser » les récits évangéliques pour n’en retenir qu’un fumeux message dénué de toute substance, sous prétexte de l’adapter à des mentalités post-chrétiennes. Ce n’est pas la foi qui a inventé la résurrection; au contraire, c’est la résurrection corporelle du Christ qui a solidement planté la foi, l’espérance, et l’amour dans le cœur des disciples. Le Christ est apparu aux siens. Ils l’ont vu, l’ont touché, l’ont entendu, lui ont posé des questions. Ils ont été inspirés d’une inspiration divine en vue de la mission universelle de la conversion à Dieu, de l’annonce du Royaume céleste et cosmique du Christ.
Le Christ est réellement ressuscité. Tel est le dogme aussi bien des saintes Écritures, source de notre foi, que de la saine et sainte tradition ecclésiastique.
Mais, demandera-t-on : Ce message est-il encore d’actualité? Oui. Nous y croyons fermement; aussi, nous l’annonçons en ce jour de fête chrétienne. Christ est l’assurance de notre salut, l’espérance pour une humanité se débattant dans des sentiers où elle s’est fourvoyée, sombrant en cette fin de siècle dans des désespoirs morbides, proie à ses divagations, victime de terrorismes de toute sorte, dupe de ses propres illusions. Or, voici ce que déclare l’Évangile chrétien : là où le péché a abondé, l’amour de Dieu y a surabondé; là où la souffrance est le lot quotidien et parfois intolérable, là il offre le réconfort qui l’apaise; partout où la mort sévit, là où la reine des épouvantements nous guette à chaque tournant, là il nous fait entendre : « Je suis la résurrection et la vie » (Jn 11.25). Là où les déchirements semblent irréversibles, il est le seul à pouvoir rétablir la réconciliation. Le Christ ressuscité est le garant de notre immortalité.
Certes, on discourt ici ou là à propos d’une hypothétique immortalité de l’âme. Mais si Christ n’est pas sorti vivant du tombeau, aucun sépulcre ne relâchera ses captifs! Mais parce qu’il est ressuscité, la vie de l’au-delà est une réalité glorieuse et sûre; mystérieuse, mais vraie. Le pouvoir universel lui appartient. Son nom exalté est l’Évangile que nous proclamons; non une théorie religieuse, même pas des principes moraux, mais une personne vivante : le Sauveur et le Seigneur, qui a dit : « Je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi vivra, quand même il serait mort » (Jn 11.25).
Puissions-nous alors, pleins d’espérance, répéter comme les premiers disciples : « Le Seigneur est réellement ressuscité » et qu’en écho l’on puisse répondre : « Bénie soit la résurrection du Christ »!