Cet article a pour sujet la liberté chrétienne, sa nature, son fondement ancré dans la vérité, les conflits et les dangers qui menacent cette liberté.

Source: L'Esprit de la loi - Éléments pour une éthique chrétienne et réformée. 4 pages.

La liberté chrétienne

  1. La nature de la liberté chrétienne
  2. Le conflit des devoirs

1. La nature de la liberté chrétienne🔗

Par rapport à des traditions humaines et des pseudo-autorités spirituelles, la liberté chrétienne est l’occasion exceptionnelle pour rendre à Dieu notre culte raisonnable. Elle dément toute prétention humaine à dominer le croyant et réfute celle de tout et chaque système légaliste. Car le disciple du Christ se sait directement et personnellement placé sous les auspices de son Seigneur et Libérateur. Aussi devient-elle principalement un exercice de gratitude, la pratique et la preuve de l’amour pour le Sauveur crucifié et le Seigneur ressuscité. En toute liberté nouvellement acquise, nous pouvons donc aimer Dieu de tout notre cœur, de toute notre âme, de toute notre pensée et avec toute notre force.

Mais pour la mettre à l’abri de toute déformation, notre liberté nous engage dans un combat spirituel incessant. Les forces adverses la guettent, comme elles nous guettent. Notre libération vient à peine d’être inaugurée. Il faut s’appliquer à ce que la liberté glorieuse de l’enfant de Dieu ne serve pas l’ancien régime spirituel, celui de la chair, afin que sous prétexte de liberté nous ne soyons pas livrés paradoxalement mains et poings liés à la tyrannie du péché. « Frères, vous avez été appelés à la liberté, seulement ne faites pas de cette liberté un prétexte de vivre selon la chair; mais rendez-vous, par la charité, serviteurs les uns des autres » (Ga 5.13).

Le conflit le plus redoutable que nous connaissons est bien celui de la lutte entre la chair et l’esprit. Ici, défaite ou victoire annonce notre liberté ou notre rechute. Mais cette lutte a une issue certaine, elle est connue par la foi, chaque jour nous sommes transformés à l’image du Christ.

« Là où est le Seigneur, là est la liberté. Nous tous qui, le visage découvert, contemplons comme dans un miroir la gloire du Seigneur, nous sommes transformés en la même image, de gloire en gloire, comme par le Seigneur, l’Esprit » (2 Co 3.18).

Et c’est le Christ en personne qui pose la condition sûre de la victoire : « Si vous demeurez dans ma parole, vous serez mes disciples. Vous connaîtrez la vérité et la vérité vous rendra libres » (Jn 8.31-32). Il avait prié en notre faveur : « Sanctifie-les par ta vérité » (Jn 17.17).

La place qu’occupe la vérité dans le conflit pour la conquête de la liberté ne sera donc pas minimisée. Or, n’oublions pas qu’elle est systématiquement combattue, sournoisement dénigrée, ouvertement bafouée. Sacrifiée à des intérêts particuliers, à des raisons que l’Esprit ignore et à des modes de vie et de pensée bâties sur le mensonge, elle est menacée à chacune de ses manifestations. En principe, ou selon leur routine, les problèmes du monde comme ceux de l’Église tournent autour de la vérité et du mensonge.

« Le corps mortel », auquel l’apôtre Paul fait si souvent allusion dans ses écrits, ne désigne pas avant tout notre corps physique, mais notre personne tout entière, son ancienne nature. C’est elle l’enjeu de ce conflit redoutable entre vérité et mensonge. Mais « le Seigneur est l’Esprit, et là où est l’Esprit, là est la liberté ». Ainsi, vérité et mensonge ne seront aucunement des forces égales; c’est à la vérité de Dieu qu’appartiendra la victoire; Dieu aura le dernier mot et il l’emporte toujours sur le mal et le Malin, père du mensonge. Nous-mêmes, faibles et fragiles, nous sommes au bénéfice de sa victoire.

Remarquons, s’il était encore nécessaire, que les obstacles qui surgissent sur le chemin de la liberté chrétienne ne sont pas de nature interne. Le monde dans lequel nous vivons est toujours soumis aux forces maléfiques actives, opérant pour causer sa perte. Elles portent le nom funeste de péché, de mal, de mort. Pourtant, nonobstant, nous portons la marque déposée : celle de la foi, par laquelle nous sommes vainqueurs. Dans le monde dont elle est vainqueur, elle annonce notre véritable, profonde et inaliénable identité. Quelles que soient les circonstances extérieures, en Christ nous sommes libres.

L’Écriture nous avertit quant aux dangers qui la guettent et nous met en garde : « C’est pour la liberté que le Christ nous a affranchis. Demeurez donc fermes, et ne vous laissez pas mettre de nouveau sous le joug de la servitude » (Ga 5.1).

Mentionnons quelques-uns de ces dangers. Par exemple, le retour à certaines coutumes religieuses anciennes et à des pratiques qui doivent disparaître. Autrefois, dans l’Ancienne Alliance, leur place et leur importance en vue de l’avènement du salut étaient significatives. Cependant, elles étaient de nature ou de mission provisoire, comme l’ombre des choses à venir, ainsi que les qualifie saint Paul. Des membres de l’Église primitive, ceux de la Galatie par exemple, revenaient précisément à des coutumes révolues qui devaient être définitivement abandonnées. Ils témoignaient du mépris envers le message libérateur reçu. Trompés, égarés par de faux frères, ils s’étaient détournés de l’Évangile. Légalisme et traditionalisme s’étaient dangereusement substitués à ce que saint Paul appelle « la liberté glorieuse des enfants de Dieu » (Rm 8.21).

Cela n’est pas très différent pour nous qui, si souvent aussi, avons de la peine à croire que la grâce divine, à elle seule, nous suffise. Aussi sommes-nous toujours tentés d’ajouter à celle-ci nos œuvres et nos actions méritoires. Nos règles deviennent la norme absolue de toute conduite. Nous cherchons à nous excuser et à nous justifier aux yeux non seulement de nos consciences, mais quelle audace!, même aux yeux de Dieu. Parfois, ce pourrait être un piétisme, peut-être bien intentionné, mais ignorant, mal instruit, qui freinera tout renouveau et toute entreprise réformée par l’Esprit. L’expérience subjective et des sentiments émoussés occuperont la place principale pour déloger la grâce toute suffisante. Or, lorsque nous cherchons une sanctification hors de l’Esprit et de la Parole, nous obtiendrons une sainteté tronquée. Suffisance spirituelle et orgueil arrogant ne tarderont pas à faire surface, obscurcissant la vision biblique et prophétique de la véritable sainteté chrétienne.

Ailleurs, ce peut-être une fuite inconsidérée, sinon éperdue, hors du monde afin de s’adonner à la culture des sentiments que l’on dit « spirituels », mais en réalité camouflage d’introversion, voire mystique païen baptisé chrétien. Au lieu de se lancer à la conquête du monde pour Jésus-Christ, on se laisse envahir et paniquer par la peur de tout ce qui n’est pas spiritualisé, c’est-à-dire qui ne reflète pas un subjectivisme bibliquement non fondé dans l’expression de la foi. La vie spirituelle ne tarde pas alors à s’atrophier et le témoignage au Royaume passablement altéré par le témoignage à ses propres épanchements. Inversement, lorsque la vie de foi soutenue par la seule grâce est refusée, il en résulte un attachement excessif au monde.

Le principe régulateur de la liberté chrétienne se trouve admirablement résumé dans la phrase apostolique : « Tout m’est permis, mais tout n’est pas utile » (1 Co 10.23). Ainsi, dans nos libres choix, nous aurons à nous laisser éclairer par l’Esprit et nous laisser instruire par la Parole. Ce ne sont pas les scrupules d’autrui qui doivent dicter notre conduite. Quoique tout ne soit pas utile, nous avons à chercher le bien de notre prochain.

« Il est bien de ne pas manger de viande, de ne pas boire de vin et de s’abstenir de ce qui peut être pour ton frère une occasion de chute, de scandale ou de faiblesse » (Rm 14.21). Notre liberté ne sera jamais prétexte au mal. Elle favorisera plutôt le climat où s’exerce le service chrétien. « Vous serez saints, car je suis saint » (1 Pi 1.16). Car la liberté chrétienne n’est jamais synonyme d’individualisme.

Comprenons que vivre pleinement une telle liberté suppose une grande maturité. Elle est, certes, le don du ciel, mais elle engage aussi une responsabilité personnelle. Elle suppose le discernement spirituel. Alors seulement elle mènera, jour après jour, à la plénitude de la vie.

Plus haut, nous avertissions contre le traditionalisme ignorant. Faut-il en conclure que toute tradition venant du passé doit être rejetée? Telle n’est pas notre opinion. Si les mauvaises traditions ou les traditions mal comprises peuvent causer un grave préjudice, les bonnes traditions, elles, peuvent aussi faire éclore une vigueur nouvelle. Il faut de nouvelles outres pour le vin nouveau (pour reprendre une figure employée par Jésus-Christ), mais, nous servant à cet endroit d’un langage imagé, disons que de nos jours certaines vieilles outres peuvent être plus solides que des gadgets et prothèses religieux d’un pseudo-progressisme ecclésiastique.

Pour nous, lecteurs de l’Évangile, le bon usage de la tradition ne signifie autre chose que conformité à l’Évangile. S’il y avait contradiction entre les deux, il faudrait sans tarder abandonner la première. S’il y a accord, maintenons-la alors telle comme une force supplémentaire, celle des vieux piliers massifs qui soutiennent l’ensemble de l’édifice. Des traditions saines et évangéliques héritées du passé signifient la vraie et l’universelle communion des croyants. Elles peuvent nous servir de parfaits garants et de sauvegarde de liberté chrétienne, offerte par l’Esprit et instruite par la Parole.

2. Le conflit des devoirs🔗

Nous avons vu plus haut que ce ne sont pas des idées abstraites qui règlent la vie chrétienne, mais la volonté concrète et claire du Dieu vivant. L’éthique réformée s’occupe du conflit des devoirs. Parce qu’il s’agit de notre obéissance à la volonté sage et parfaite de Dieu, il nous semble impossible que Dieu veuille nous placer délibérément devant des dilemmes insolubles; encore moins qu’il veuille nous abandonner dans le creuset d’un conflit sans nous secourir ou nous guider. La volonté de Dieu ne connaît pas de contradiction.

Le Seigneur veut que dans certains cas je me comporte d’une telle façon et d’une autre dans une situation différente. Bien entendu, dans un monde qui n’a pas connu la chute et n’est pas soumis au péché, il serait impensable qu’il puisse exister de conflit de cet ordre. Toutefois, il advient que, dans une situation donnée, notre connaissance du commandement de Dieu et notre soumission à ce dernier ne nous permettent pas d’observer le devoir du père de famille sans violer les devoirs du magistrat, et inversement. Cette contradiction est due à la présence et à l’influence du péché, bien que nos responsabilités soient bien délimitées par le commandement…

Dans une telle situation, nous devons choisir ce qui constitue le moindre mal. Ceci est également notre devoir. Certes, il n’est pas possible de fixer rigoureusement ce qui est le moins mauvais, mais c’est alors qu’intervient la liberté chrétienne respectueuse de la volonté sainte, sage et parfaite de Dieu. La prière nous sera alors d’un très grand secours. Notre liberté ne nous épargnera pas une peine morale. Parce que le péché domine encore et toujours le monde, et nous n’en sommes pas encore totalement délivrés, nous n’avons pas le droit de nous excuser pour le choix du moins mauvais. Nous ne nous excuserons pas, car la situation « conflictuelle » est le résultat du péché et non dû à une contradiction inhérente à la volonté de Dieu.